En mai 1903, Ernest Bosc publiait dans la revue L’Initiation sous le titre général de, Un mot sur l’origine de tous les cultes par E. Dupuis, interprète des allégories religieuses [1] L’Initiation, mai 1903, p. 98-124 et juin, p. 210-217. un texte qu’il attribue à Saint-Martin :
Dictionnaire mythologique, symbolique et étymologique, contenant l’explication morale des principaux personnages de la Fable, la clef de la Mythologie et un mot sur l’origine de tous les cultes, par Dupuis.
Cette publication était précédée d’une introduction dans laquelle Ernest Bosc prétendait qu’il s’agissait là d’une étude du Philosophe Inconnu restée à l’état d’ébauche. Il disait avoir découvert le manuscrit de cette œuvre inédite en Touraine, sans situer précisément son origine. Ce texte est une critique du livre de Charles-François Dupuis (1742-1809), Origine de tous les cultes ou Religion Universelle, publié en 1795, est souvent considéré comme étant le bréviaire de l’athéisme philosophique. Son auteur veut y démontrer que toutes les religions ont pour source une religion universelle, dont les légendes et les fêtes sont liées à des phénomènes astronomiques. Il ramène toutes les religions à un culte de la nature et des astres dont il fixe la source en Égypte. Ce vaste traité de mythologie s’efforce aussi de déchristianiser le christianisme en montrant que tous ses éléments sont empruntés à des religions plus anciennes. L’ouvrage dénonce aussi les mystères antiques, comme étant contraires à la vérité, car pour Dupuis « la vérité n’a point de mystères : ils n’appartiennent qu’à l’erreur et à l’imposture ». Pour Dupuis, c’est le besoin de tromper qui a amené les initiés à tout inventer.
Bernard Lambert (1738-1813), dominicain, janséniste, personnalité incontournable du figurisme, auteur de nombreux textes prophétiques a publié en 1796, une réfutation de l’ouvrage de Dupuis, La Vérité et la sainteté du christianisme vengées contre les blasphèmes et les folles erreurs d’un livre intitulé : « Origine de tous les cultes »…par Dupuis. Robert Amadou n’était pas convaincu que le texte publié par Ernest Bosc soit réellement de Saint-Martin. Du reste, le Philosophe inconnu aborde des thèmes similaires (mythologie etc.) dans les chapitres XI et XII de son Tableau naturel, ainsi que dans plusieurs textes inédits (ex. dans le manuscrit Watkins, « Pensées mythologiques »). Soulignons que le vocabulaire utilisé par l’auteur du texte que nous présentons ici n’est pas celui qu’utilise Saint-Martin dans ses ouvrages. Nous nous rangerons donc du côté de Robert Amadou pour dire que ce texte n’est probablement pas du Philosophe inconnu. Nous laisserons cependant le lecteur en juger par lui-même.
Note : Pour faciliter la lecture à l’écran, nous avons ajouté des intertitres entre crochets.
Sommaire
Un manuscrit inédit de Claude de Saint-Martin
Nous avons eu la bonne fortune de mettre la main sur un manuscrit inédit du Philosophe Inconnu, de Louis-Claude de Saint-Martin, et nous sommes heureux de le présenter aujourd’hui au public lettré de la revue, principalement aux Ésotéristes et aux Théosophes Martinistes.
Par une de nos lectures, nous avions appris que Claude de Saint-Martin avait été, comme dom Pernety, fort préoccupé de l’importance symbolique de la Fable ; aussi se proposait-il de faire un Dictionnaire mythologique et symbolique de la fable.
Longtemps, nous avons cherché dans les Bibliothèques publiques, notamment dans la Bibliothèque municipale de Tours, le manuscrit de cet ouvrage puisqu’il n’était pas imprimé ; mais, hélas nos recherches ont été vaines.
Mais nous avons été compensés de ce déboire en trouvant en Touraine, il a y une dizaine d’années, un superbe manuscrit du Ph... Incon…, manuscrit qui témoigne que jamais de Saint-Martin n’a malheureusement écrit le livre qu’il avait projeté d’écrire.
Voici le titre de notre manuscrit :
Dictionnaire mythologique, symbolique et étymologique, contenant l’explication morale des principaux personnages de la Fable, la clef de la mythologie et un mot sur l’Origine de tous les cultes, par Dupuis.
Or, notre manuscrit n’est nullement un Dictionnaire ; ce n’est que la partie préliminaire, qui aurait figuré en tête de l’ouvrage ; il comporte un avertissement, sorte d’avant-propos, et un Discours préliminaire renfermant la clef de la mythologie.
Pour l’instant, nous ne donnerons que la vive critique, très intéressante et complètement théosophique, de Claude de Saint-Martin sur l’Origine de tous les cultes, de Dupuis.
Ce mot du Ph… Inc… ne comporte pas moins de 81 pages in-12 manuscrites, et malgré cela, nous regrettons, et le lecteur le regrettera certainement comme nous, que ce long mot, ne le soit pas encore davantage ; car le style de l’auteur est simple, mais charmant, et cet écrit est plein d’une érudition modeste qui en double le charme.
Ultérieurement nous pourrons donner l’autre partie du même manuscrit qui traite de la clef de la mythologie et qui renferme des données très curieuses et des aperçus nouveaux sur le symbolisme de la Fable, ce qui semble un fait bien difficile à admettre après tout ce qu’on a écrit sur le même sujet ; mais les précédents auteurs n’ont pas traité la question qui nous occupe en Théosophes, comme l’a fait Cl. de Saint-Martin, et c’est en se plaçant à ce point de vue que le Ph… Inc… a pu trouver de l’originalité dans les explications qu’il a données.
Nous venons de dire que Saint-Martin avait traité la question en Théosophe, il ne faut pas oublier en effet que la Théosophie a été étudiée en France bien longtemps avant la création de la Société Théosophique anglaise ; il est même fort regrettable qu’il ne se soit pas fondé chez nous une Société Théosophique française poursuivant l’œuvre éminemment utile du Ph… Inc…, le premier des Théosophes français au dix-neuvième siècle. Mais, comme ce n’est ni le lieu, ni le moment de traiter cette question, nous terminerons ce court avant-propos en disant que nous aurions bien voulu faire précéder le manuscrit du Ph… Inc… d’une biographie de Saint-Martin; mais L’Initiation en a donné une de Gence [2] Voir L’Initiation n° 5, fév. p. 99 et suivantes. qui, sans faire double emploi avec la nôtre, nous dispense cependant de publier notre travail. »
Ernest Bosc
Un mot sur l’origine de tous les cultes, par E. Dupuis, interprète des allégories religieuses
Par Claude de Saint-Martin, le Ph… Inc… [3] Rappelons ici une fois de plus, pour éviter les confusions qu’il est peu probable que Saint-Martin soit l’auteur de ce texte.
[L’œuvre de Dupuis]
Nous avons dans l’œuvre de Dupuis à combattre un système et le but qui en est la dangereuse conséquence. Ce système consiste à rapporter le sens moral de la mythologie et même de toutes les allégories religieuses aux astres et principalement au Soleil. Le but est de persuader qu’il ne faut aux hommes aucune religion parce qu’il n’y en a jamais eu d’autres que celles composées allégoriquement et déceptoirement sur le cours du soleil et des astres.
Pour attaquer régulièrement une pareille doctrine, il faut commencer par s’accorder sur les dénominations des choses qui font la matière principale du sujet et voir si les acceptions, sous lesquelles on les présente, sont précisément celles qui leur conviennent. C’est donc le mot culte et le mot religion que nous devons définir avant de parler de l’origine de tous les cultes.
Comme les religions des peuples policés sont authentiquement reconnues pour être théurgiques, c’est-à-dire accompagnées d’effets surnaturels, dont les causes sont attribuées à la puissance divine, nous devons considérer le culte religieux comme le moyen auxiliaire de la religion ou comme l’art de cultiver les puissances qui procurent les résultats miraculeux.
Nous regardons comme dénaturée l’acception par laquelle on entend exclusivement par le mot culte honneur, vénération, révérence, etc.
Quand Dupuis nous donne l’origine de tous les cultes, il entend de toutes les religions, car que signifierait l’origine de toutes les vénérations. Culte est évidemment dérivé du verbe cultiver et est synonyme avec culture, bien qu’il signifie aussi honneur et respect ; il ne doit pas renoncer à ses différentes valeurs, parce que le temps et les abus ont corrompu les expressions. Prenons la chose de plus haut et nous voyons qu’il est écrit : « Sine causâ colunt me, docentes doctrinas et mandata hominum. » (C’est sans cause qu’ils me cultivent en enseignant des doctrines et des préceptes de la façon des hommes.)
Le simple bon sens suffit pour faire voir que le verbe colere veut dire ici cultiver : action par laquelle on a besoin de doctrines et de préceptes, et qui rend la culture vaine ou sans produit, si elle émane d’un mauvais principe, car pour honorer, révérer, rendre des actions de grâces, on n’a nullement besoin de doctrines et de préceptes, et ce n’est jamais sans cause qu’on honore la Divinité.
Le culte, comme nous le concevons, est toujours intéressé et n’a lieu que par l’espoir d’un produit avantageux parce qu’on ne cultive pas pour rien récolter.
Cette dissertation sur le culte est bien essentielle, car si le culte religieux est lucratif, le système de Dupuis est anéanti par le fait même de sa dénomination, puisque le soleil ne donne aucun résultat miraculeux propre à l’établissement et au maintien d’une religion.
[Le culte chez les païens]
Chez les païens le culte de chaque Dieu consistait dans la culture des moyens usités pour l’obtention de certains prodiges.
Dans les temples d’Apollon, les Prêtresses mâchaient du laurier, pour activer en elles l’organe delà perception, puis elles se mettaient sur un trépied dans une posture propre à recevoir certain gaz de la terre, qui leur procurait un état de crise autoptique [4] C’est ce que la science psychique dénommé aujourd’hui état de transe, c’est-à-dire état nerveux particulier. – cf. Dictionnaire d’orientaliste et d’occultisme, Ve Extase, Extériorisation. , pendant la durée de laquelle elles prononçaient des oracles.
Le culte du Dieu Protée consistait dans l’autopsie du sommeil. On arrivait à lui par l’entremise de sa fille Eiclothée, dont le nom signifie la forme divine. On suivait aussi les préceptes divins.
Deûm prœcepla secuti venimus hùc lapsis quœsitum oracula rebus. — Ainsi des autres Divinités.
[Les Israélites]
Les Israélites avaient aussi leurs miracles, puisque Moïse rivalisait de puissance avec les mages de Pharaon.
Dupuis paraît ne pas admettre que la religion produise aucun résultat émané de l’esprit divin, comme si les hommes, depuis une infinité de siècles, avaient ‘toujours exercé un culte stérile, puisqu’il prétend que toutes les religions généralement quelconques sont allégoriquement basées sur le passage du Soleil dans les douze signes du Zodiaque.
Cette assertion, fausse et ridicule par son essence, est encore démentie par le seul mot : Religion, dont nous allons donner l’analyse en expliquant l’origine de la religion. — Le mot Religion veut dire rattachement et vient du mot latin religare, rattacher. Or, pour que l’homme ait un besoin aussi essentiel de rattachement, il faut absolument admettre un détachement ou une séparation. Si donc c’est à Dieu qu’il se rattache par la religion, on doit en conclure que c’est de Dieu qu’il s’est détaché. Le rattachement ne peut certainement pas s’opérer par le passage du Soleil dans les différents signes du Zodiaque, idée tellement dépourvue de sens qu’on a honte de s’abaisser à la combattre.
Suivant l’opinion de tous les Sages de l’Antiquité, l’homme dans son origine était attaché à Dieu. Nous n’irons pas avec Dupuis chercher des exemples chez les peuples éloignés, dont les usages et les langues nous sont inconnus et dont personne ne pourrait se convaincre, mais nous disons le mot Dieu, en grec Θέος ; et en latin Deus, signifie puissance, et nous le nommons le Tout-Puissant. Or que signifie l’homme attaché à Dieu, si ce n’est l’homme attaché à la puissance divine, soit par des lumières, soit par des pouvoirs ?
Toute nation civilisée qui exerce (pratique) une religion nous prouve qu’elle croit que l’homme est sorti d’un état heureux et puissant pour entrer dans un état de misère et d’impuissance, dont il ne peut se retirer que par le rattachement à la toute-puissance de laquelle il s’est éloigné. Pour atteindre ce but, il faut adopter des maximes reçues et efficaces, se soumettre à des préceptes qui apprennent les moyens de cultiver certaines choses, et c’est là ce qu’on appelle le culte ou la culture des puissances Théurgiques.
Moïse nous présente l’homme dans son origine en contact et même en conversation avec Dieu et jouissant du plus grand bonheur. — Il le montre ensuite séparé de lui, fuyant sa présence et tombé dans un état de misère et d’impuissance qui lui fait regretter sa félicité perdue. Ses deux enfants, Caïn et Abel, ayant hérité de sa misérable destinée cultivent, le premier les moyens terrestres, et le second les moyens spirituels, afin de sortir de leur état de dénuement et d’impuissance.
Voilà donc les premiers autels et l’origine de la religion. On y voit aussi l’origine des cultes et leur différence, puisque Caïn, en qualité de laboureur, cultive pour le soutien de son autel les choses terrestres et matérielles, et Abel, présenté comme berger, cultive les (choses) spirituelles.
Ceci est purement allégorique. Caïn ne brûle pas sur son autel les plus beaux fruits de la Terre pour en offrir la fumée à Dieu qui n’en a pas besoin. Abel ne brûle pas, non plus, des agneaux sur le sien : mais le premier essaie, par les plus puissantes forces de la nature, d’obtenir des résultats qui le dédommagent de sa perte, comme le second en obtient par la culture des choses spirituelles, parce qu’en termes allégoriques, un laboureur est un matérialiste, et un berger désigne un spiritualiste, ainsi que nous l’avons dit plus haut.
Moïse nous aurait dupé d’une manière bien adroite, si le sens moral de son allégorie doit avoir exclusivement rapport à la marche du Soleil.
[Crésus]
Les païens nous disent que le premier roi qui gouverna les hommes fut Crésus, c’est-à-dire que la première race humaine fut sous la domination d’un esprit purement céleste ; que cet esprit se dégrada en se mariant avec la Terre et qu’il résulta de ce mariage des hommes non seulement séparés de Dieu, mais ses ennemis, ses antagonistes, se croyant de force à rivaliser avec lui, à l’aide des puissances magiques de la Terre, leur mère, et même de surpasser les siennes.
Cette race d’athées fut réprouvée, et il en parut une autre dont l’esprit dominant fut pourvu en parties égales de facultés terrestres et de facultés divines, comme son nom de Saturne le désigne. Nous en tirons l’étymologie de Satyros Ouranos, le satyre céleste. Ce nom est identique avec Paradis Terrestre, qui veut dire ciel et terre, ou miracle et magie. C’est l’état dans lequel Moïse place le premier homme après une première dégradation ou un premier détachement.
Saturne, dans son état d’altération, devait naturellement faire disparaître l’esprit purement céleste et avec lui la manifestation de sa toute-puissance divine, à laquelle les hommes participaient comme ses agents et ses organes.
Saturne mutila son père Cœsus avec une faux de diamant. — Expression ingénieuse pour dire qu’il lui ôta sa puissance céleste et génératrice par l’usage qu’il fit des plus brillantes vertus de la terre ; parce que les hommes qui ne sont pas encore tout à fait abrutis trouvent plus commode d’exercer la magie que le miracle. Nous parlons ici, comme théologien, un langage qui n’est pas celui des philosophes modernes. Il faut que nous ayons l’esprit bien obtus, de ne pas voir dans cette allégorie les différentes révolutions du Soleil, surtout après avoir été avertis par Dupuis du mot de l’énigme. Votre gros bon sens nous y fait voir l’histoire de l’homme, qui nous satisfait autant que les idées astronomiques de Dupuis nous répugnent.
[Les religions]
Pour établir une religion, il faut des sectaires séduits par ses résultats et intéressés à la maintenir. Ses produits doivent être des choses surnaturelles et avantageuses, dont les causes, dépassant les lumières de l’entendement, sont regardées comme l’action de la puissance divine et non pas celle des hommes ; sans cela la religion ne rattacherait personne à Dieu et tomberait dans la désuétude et le mépris, comme on peut s’en convaincre par les religions devenues stériles par la perte de leur esprit et de leur puissance.
Le Paganisme est tombé en perdant sa magie, le Judaïsme en perdant sa théurgie, et le Christianisme en perdant ses miracles, et tous les trois en perdant la connaissance du sens intime de leurs allégories.
Le Théosophe respecte toujours la religion quelque dégradée qu’elle soit, parce qu’il sait ce qu’elle est par essence ; mais la généralité des hommes ne la jugent que par ses résultats et sans connaissance de cause ; ses résultats sont ses prodiges.
Une religion stérile, basée sur la simple raison, est une folie. Nous avons vu ses temples, ses autels et ses prêtres. Ceux-ci ont fini par débarrasser le monde de leurs dogmes philosophiques et s’assassinent les uns les autres, après s’être repus de crimes et baignés dans des fleuves de sang humain.
Les choses surprenantes et incompréhensibles sont attribuées à Dieu, parce qu’elles sont au-dessus du pouvoir de l’homme dégradé. C’est lorsqu’il s’est mis en état de manifester ces choses qu’il se dit rattaché à la puissance divine et qu’il donne à cet exercice le nom de rattachement ou de religion.
On aurait beau adorer le Soleil, il ne ferait jamais d’autre opération que celle qu’il répète chaque année, sans y être incité par aucune prière, ni par la reconnaissance des hommes. S’il y a une théurgie, une goétie, une magie, des miracles, des Dieux, des autels, des temples, des prêtres, des oracles, le Soleil n’y a été que pour la partie qui le concerne individuellement. Il a eu ses temples, mais c’était comme symbole de lumière intellectuelle dispensée par Apollon, – et non pas comme Dupuis veut nous le faire entendre. Le siècle d’ignorance dans lequel le peuple adore le symbole pour la chose ne peut pas faire autorité.
Il n’y a pas d’institution, quelque bonne qu’elle soit, que les abus ne parviennent à corrompre. Des prêtres hypocrites et avares peuvent séduire des peuples ignorants et crédules par des prestiges, qui leur offrent des avantages, ou qui les tiennent asservis par terreur. Mais il est contre toute espèce de sens commun de penser que de tout temps les hommes n’ont eu d’autres religions que celles dont les dogmes écrits allégoriquement n’avaient pour but moral que les différentes périodes du Soleil.
[Les philosophes théologiens]
Les philosophes païens se nommaient Théosophes, c’est-à-dire philosophes Théologiens, parce que la religion et la philosophie ne sont rien l’une sans l’autre. Les poètes mythologiques réunissaient ces deux sources. Ayant les yeux toujours ouverts sur les opérations du culte religieux, ils en faisaient des critiques dans leurs poèmes allégoriques et mettaient par-là dans leur jour les écarts des prêtres sans excepter les frauduleuses aventures de Jupiter et des autres Dieux, dont leurs ministres étaient les agents. — Ils bannissaient Apollon du ciel pour le placer au rang des Dieux terrestres, lorsqu’on introduisait dans son culte des opérations plutôt physiques et magiques que miraculeuses.
Les Dieux des païens étaient des puissances réputées divines ou miraculeuses. Chaque Dieu avait son temple et ses ministres pour manifester ses prodiges, ses oracles et tous les avantages que l’humanité pouvait retirer de son culte. Ces produits bien constatés, dont la physique expérimentale nous fournit plusieurs exemples, prouvent que le culte religieux était productif, et comme une religion basée exclusivement sur la marche du Soleil ne produit aucun effet capable d’y attacher les hommes, il est clair que le système de Dupuis est complètement faux et ne peut être adopté que par ceux qui ne cherchent qu’un prétexte pour autoriser l’irréligion et faire régner l’athéisme.
Les Thébains avaient une Théurgie personnifiée par Yémélée, nom qui signifie le petit miracle ou le culte des choses divines.
Les Poètes et particulièrement Ovide ont fait voir, dans leurs ingénieuses critiques, que cette religion soi-disant miraculeuse n’était qu’une magie infernale faite pour s’anéantir lorsqu’elle est mise en comparaison avec les miracles de Jupiter. Ce qu’on admettait de divin en elle, c’était Bacchus ; encore était-il regardé comme un avorton qui a reçu le complément de son être dans la cuisse de Jupiter, c’est-à-dire dans la partie inférieure de son culte.
[Bacchus]
D’après l’exposé de ces choses, il paraît bien singulier que Dupuis veuille nous persuader que Bacchus n’est autre chose que le Soleil, et que c’est de cet astre que les mythologues ont entendu parler, chaque fois qu’ils ont mis ce personnage en scène. Il a en vérité l’air d’un avocat payé pour défendre une mauvaise cause, dépourvue de moyens, devant des juges privés de raison. Nous rappellerons que Bacchus signifie la Fureur, expression allégorique pour désigner la grande expansion donnée aux puissances.
Le seul rapport que Bacchus pourrait avoir avec le Soleil, c’est que cet astre est un symbole de la grande lumière intellectuelle, que Bacchus par sa puissance expansive dispense avec Apollon sur les sommets du Parnasse, encore regardons-nous son genre de lumière comme étant beaucoup plus du ressort de la Lune que de celui du Soleil, puisque ce sont les Dieux terrestres qui composent son cortège et qu’Orphée est son chantre.
[Le soleil]
Dupuis, qui voit le Soleil dans tous les personnages mythologiques, nous donne aussi Hercule pour cet astre. Il ne nous paraît pas conséquent de prendre le fils de la pleine lune pour en faire le Soleil, car ce nom d’Alcmène, sa mère, veut dire la lune dans sa force ; alce, force, et mène, Lune.
Persée, fils de la pluie d’or, personnifie la théologie lumineuse, qui a la grande lumière du soleil pour emblème, et Hercule désigne une théologie inférieure adaptée à l’entendement des matérialistes, et à laquelle la lumière de la lune, prise dans sa plus grande force, sert de comparaison. Hercule, dit-on, osa lancer une de ses flèches contre le soleil, ce qu’il n’aurait pu faire, s’il eût été lui-même cet astre. Autant vaudrait dire, avec ce facétieux comédien, qu’un oiseau s’est donné un coup de bec dans l’œil.
[Les douze travaux d’Hercule]
Les douze travaux d’Hercule, mis en opposition par Dupuis avec les douze signes du zodiaque, n’ont entre eux d’autre analogie que le nombre de douze. Ce sont autant d’entorses qu’il donne à des apparences de rapprochements, qui, loin de convaincre les gens instruits, blessent le sens commun.
C’est encore une assertion bien étrange de nous donner Adonis pour le soleil. Dupuis n’aurait jamais dû toucher cette corde, car les sons qu’on en lire sont le poison de son système ou plutôt les chants lugubres de son enterrement. Pour mettre à même d’en juger, voici le sens moral de ce mythe :
Cinyre, père et grand-père d’Adonis, personnifie un genre d’esprit inventeur de l’allégorie religieuse. Il émane de ses œuvres une première perception, qui se fait facilement sentir à l’entendement de l’interprète ; mais cette perception dirige l’esprit vers un premier sens naturel, qui n’est pas le sens divin, que la poésie renferme et que le poète adresse au génie. Elle est personnifiée par une fille de Cinyre nommée Myrrha, parce que la myrrhe est un symbole de perception.
Nous ne parlons ici qu’à l’imagination ingénieuse et nous lui disons : « Une fleur répand autour d’elle une odeur qui frappe le sens de l’odorat. L’allégorie fait émaner d’elle un esprit qui frappe le sens de la perception, qui est l’odorat de l’intelligence. Ainsi, Myrrha doit être considérée comme le pressentiment attrayant que la poésie allégorique de Cinyre inspire aux interprètes. »
L’esprit humain, qui devrait donner à sa première perception une grande élévation vers les choses divines, en arrête l’accroissement et la fait rétrograder vers sa source, en la rendant amoureuse de son père et en lui faisant commettre un inceste avec lui, Cinyre, qui a une intrigue amoureuse avec sa fille, sans le savoir, et contre sa volonté, en étant instruit, veut la tuer ; mais échappée au bras meurtrier de son père et voulant conserver sa vie, elle se réfugie chez les Sabéens, qui, comme Dupuis, rapportent exclusivement la mythologie aux astres.
Il arrive que la vie que ces faux interprètes donnent à la malheureuse Myrrha lui est si fastidieuse et si dégoûtante, qu’elle lui préfère la mort. Ceci ne fait pas l’éloge du système de Dupuis, qui veut faire vivre Myrrha chez les Sabéens.
Cependant elle demanda aux dieux de la mettre dans un état où elle ne soit ni morte, ni vivante, et elle en a obtenu d’être changée en l’arbre qui porte la myrrhe. Cette gomme étant un symbole de perception n’est pas une chose morte ; ce n’est pas non plus une chose vivante, puisqu’elle n’offre rien d’arrêté. C’est un pressentiment désireux qui attend la vie que le génie d’interprétation aurait dû lui donner.
Myrrha devenue arbre nourrissait, sous son écorce, un germe qu’elle avait reçu de son père. Lorsque ce germe fut arrivé à son terme, l’arbre se fendit, et il en sortit un bel enfant qu’on nomma Adonis, ou le Rossignol, ou Philomèle, ou l’Amour du chant poétique qui naît du pressentiment qu’inspire l’harmonie de la poésie ; mais c’est un amour délicat et sans ailes qui ne s’élève pas dans les domaines de la métaphysique.
Ovide dit que, s’il avait eu des ailes, il aurait été en tout semblable à l’amour. Adonis devint le favori de Vénus, dispensatrice des premières lumières d’interprétations. Elle le dirigeait dans ses exercices, et connaissant sa délicatesse, elle l’invitait à fuir tout ce qui présente à l’esprit humain une force meurtrière de déception. Faute par lui de suivre ses avis, il a péri victime d’un esprit décevant et féroce qui l’a entraîné dans l’erreur et l’a conduit aux Enfers, où il est devenu le favori de Proserpine en raison de son analogie avec elle.
Par cette ingénieuse fiction qui présente un charme ravissant à l’imagination de l’homme de génie et un ennui mortel à l’homme borné, le but du poète est de nous apprendre que l’enthousiasme que nous avons pour la partie matérielle de la poésie allégorique, nous y attache au préjudice de la partie métaphysique, que nous devrions y chercher ; que par le rétrécissement que nous donnons à la première perception, nous lui prêtons une fausse apparence de vie, si nous rapportons le sens moral de la mythologie aux astres, et que cette apparence de vie est encore détruite par ses dégoûtants résultats.
Telle est l’action de Dupuis, qui veut conserver la vie par son Sabéisme à l’incestueuse Myrrha, et qui brise toute espèce de raison en voulant qu’Adonis désigne matériellement le Soleil.
Il paraît que Dupuis ne connaissait pas mieux le Sabéisme que la mythologie, car, bien que les Sabéens paraissent adorer le Soleil, ce n’était qu’un culte subalterne et subordonné au culte du vrai Dieu. Ceux qui existent encore aujourd’hui dans l’Orient soutiennent à ceux qui les interrogent que le respect qu’ils ont pour le Soleil est un culte purement civil, semblable à celui que l’on rend aux rois et à leurs ministres. (Diction, de dom Calmet, art. Sabéens.)
Dupuis n’est pas plus heureux dans ses analogies, quand il nous donne Isis pour la Lune et Osiris pour le Soleil ; le tout conçu matériellement, nous allons voir si les caractères que les poètes leur donnent autorisent cette interprétation.
Le fleuve Inachus, qui, sous le nom d’Aliacmon (l’enclume de la mer), représente comme Cinyre un raisonnement forgeron de l’allégorie, a une fille nommée Io, qui personnifie la nature Ion, la Terre, c’est-à-dire que ce génie raisonneur a forgé une allégorie basée sur les lois de la nature.
[Jupiter]
Jupiter s’est entouré de nuages (symbole des voiles qui couvrent le sens divin des fictions) pour déposer un germe de l’esprit céleste dans le sein de cette allégorie. – Ainsi l’esprit divin se trouve renfermé dans le sens métaphysique de l’allégorie de la nature et couvert par le sens naturel qu’on en tire d’abord. Le sens littéral est le premier voile, les nuages indiquent le second.
Junon, reine de l’empire métaphysique, qui est investie du droit exclusif de recevoir ce germe du maître des Dieux, est venue pour surprendre son époux en flagrant délit, après avoir percé le voile nébuleux sous lequel il se tenait caché ; mais Jupiter, prévoyant son arrivée, changea Io en vache, et la présenta à Junon sous cette forme.
Ceci veut dire que l’allégorie qui a la nature pour base, ou tous les objets de la nature pour alphabet, peut interpréter d’une manière toute naturelle, désignée par la vache, et aussi d’une manière métaphysique, qui caractérise la nymphe. Le matérialiste voit Io sous la forme d’une vache ; le spiritualiste la voit sous celle d’une nymphe de Junon. Chacun y voit le sens que son génie plus ou moins étendu lui fait apercevoir.
Jupiter est censé dire à son épouse que le sens moral qu’on en tire n’a trait qu’aux choses de la nature. Junon, qui pénètre à travers le voile le sens divin que Jupiter ne lui avoue pas, ne veut pas souffrir que ce sens sublime soit connu des hommes à l’aide de la nature ; alors elle y prend Jupiter au mot et prenant la nymphe sous sa forme de vache, elle lui demande de lui en abandonner la direction, afin d’être maîtresse de faire interpréter l’allégorie sous le sens moral qui lui plairait. Une loi maîtresse de la vache, elle la met à discrétion d’un génie médiocre qui montre toujours à l’esprit des hommes l’allégorie sous un sens matériel qui les détourne du sens divin, que Junon leur cache et que Jupiter désirerait qu’ils aperçussent. Ceci est un peu abstrait et, pour le comprendre, il faut regarder Argus, gardien de la vache, comme l’esprit borné du siècle, qui tient l’entendement humain dans une espèce de matérialisme qui fait que les interprètes s’attachent exclusivement au sens naturel qui les séduit sans en chercher un autre plus élevé. Par ce moyen Junon rend nulle l’action de Jupiter avec Io, qui est une infraction aux lois divines, parce qu’elle dirige l’esprit des hommes vers les moyens matériels et les éloigne des idées métaphysiques.
Cependant, Jupiter, qui ne veut pas perdre le fruit de ses amours, envoie sur la terre l’esprit de pénétration désigné par Mercure, pour tuer le gardien de la vache, c’est-à-dire pour faire comprendre au monde que le sens moral tiré de l’allégorie de la nature personnifiée par Io est trop matériel et qu’il faut l’abandonner pour lui en chercher un autre plus élevé vers les choses divines.
Les commentateurs, ainsi avertis, se livrent à tous les écarts possibles de l’imagination pour découvrir un autre sens et font pousser à la vache des beuglements horribles faits pour épouvanter les hommes et les Dieux. Ceci veut dire que dans ses écarts l’imagination interprète l’allégorie de la nature d’une manière contraire aux lois religieuses ou funeste à l’humanité, sans la sortir de l’état de matérialisme.
[Isis]
Enfin, la vache Io, ayant parcouru une partie du monde, toujours dans une horrible agitation, arriva en Égypte, qui désigne l’état de l’entendement humain, où l’allégorie de la nature est la mieux comprise. C’est là que Jupiter, ayant apaisé Junon, ou concilié le matérialisme avec le spiritualisme, lui fait perdre sa forme de vache et lui rend celle de nymphe ; il la fait la Déesse du pays sous le nom d’Isis, qui signifie la science par excellence, isemi ou plutôt la double force is-is.
Isis, qui joint la force de la matière à celle de l’esprit, mit au monde un fils de Jupiter nommé Epaphus, nom qui signifie le palpable. C’est un esprit émané de l’intelligence divine, qui personnifie l’art d’interpréter l’allégorie religieuse par les lois de la nature, d’une manière céleste et palpable, appuyée sur des preuves matérielles et convaincantes.
Isis, devenue Déesse ou la science théologique et allégorique de l’Egypte, épousa Osiris, qui désigne l’esprit d’interprétation des choses saintes : Osios, Saint ; iris, interprète. Elle eut de lui un fils nommé Orus, qui représente l’esprit d’approfondissement : Orusso, approfondir.
Voilà une histoire dont l’explication morale est bien suivie dans toutes les circonstances et qui prouve péremptoirement que les mythologues n’ont point entendu désigner le Soleil et la Lune matériels par Osiris et Isis.
Ces deux personnages, comme lumière intellectuelle du premier et du second ordre, pourraient être comparés aux lumières du Soleil et de la Lune, mais jamais les personnifier matériellement, sans autre moralité, comme Dupuis veut le faire entendre, parce qu’il voit que le croissant entre dans les attributs de cette Déesse. Ce sont ces premières apparences mal approfondies, qui alimentent l’esprit captieux de son système.
L’homme, qui cherche la lumière religieuse à l’aide de l’allégorie basée sur les lois de la nature, est censé marcher au clair de la lune, mais il n’a pas la lune matérielle pour but de sa recherche.
Nous pourrions étendre nos exemples de preuves contre l’incapacité de Dupuis relative à l’interprétation de la mythologie, mais nous croyons en avoir assez dit pour les personnes de bonne foi. Il serait inutile d’en dire davantage aux gens qui ne comprennent pas et à ceux qui ne veulent pas comprendre.
[Les Chrétiens et le soleil]
Il nous reste à examiner comment nous autres Chrétiens nous adorons le Soleil matériel sous le nom de Christ, ainsi que ce savant littérateur veut nous le persuader.
On raisonne toujours faux, quand on juge les choses par leur état présent, sans la connaissance de ce quelles ont été dans leur origine et de ce qu’elles sont par leur essence. Cependant on sait et l’on voit que les meilleures institutions se corrompent au point que leur but devient inconnaissable avec le temps, en raison des abus qui les dénaturent. Tel est le fort des institutions religieuses, sur lesquelles on ne peut appuyer aucun jugement qu’en remontant à leur source. Les opinions changent à chaque siècle.
Des faits surprenants détruisent certains systèmes qui cèdent à l’évidence, mais qui reprennent leur empire, lorsque ces faits n’existent plus dans la mémoire des hommes qui, par de faibles doutes, manquent de confirmation. Tels sont les résultats de la théurgie des païens et celle des Juifs, ainsi que des miracles du Christianisme.
La plus grande partie des hommes ne s’éclairent que des lumières conjecturales de la raison et ne veulent admettre d’existence que de celle des choses qu’elle peut concevoir. C’est ainsi que la raison qui n’a aucune fixité, qui se combat elle-même au milieu des ténèbres, et qui est bornée dans son espace, tient ses partisans emprisonnés dans un cercle étroit, qui 1er empêche de connaître toute l’étendue de leurs lumières et de leurs puissances. Il n’y a donc que ceux qui dépassent ses bornes, et qui voient au–delà de ses lumières, qui peuvent en démontrer l’insuffisance et la fausseté.
Tout homme, qui n’a pas vu’ de ses propres yeux l’évidence des merveilles que la raison refuse d’admettre, est inhabile à présenter un jugement sain sur Dieu, sur l’homme et sur la nature.
La religion a toujours été d’un intérêt trop avantageux à l’humanité pour qu’elle ait été établie sur une base aussi futile et aussi dénuée de profit que celle du passage du soleil dans les différentes cases du Zodiaque.
[Les douze signes du zodiaque]
Le soleil n’a jamais été pris par les Théosophes pour le Dieu créateur de l’Univers. Il est évident, par la stricte régularité de sa marche, que c’est un agent tellement esclave de la loi qui lui est imposée, qu’il ne s’en écarte jamais : il est donné pour le symbole de la plus grande lumière de l’intelligence humaine et les douze signes sont les emblèmes des différents degrés de cette lumière.
Les dénominations et les caractères de ces signes n’ont aucune fixité. — Le bélier, que Dupuis prend pour l’agneau pour la commodité de son système, est donné par les mythologues pour un symbole d’entendement des choses spirituelles. On prête à ce signe pour caractère le bélier à toison d’or, qui désigne un genre de conception pour parvenir à la découverte d’un sens divin des allégories religieuses. On lui donne également le bel Orion, fils de Neptune et d’Euryale.
Le Taureau, qui est le nom du second signe, est un type qui exprime la plus grande force de l’entendement naturel. Celui qui occupe une place dans le Zodiaque est Jupiter, sous la forme de cet animal enlevant Europe.
Le troisième signe, appelé les Gémeaux, est d’une versalité remarquable de caractère. C’est Apollon et Hercule, l’un l’emblème de la lumière solaire et l’autre de la lumière lunaire prises moralement.
C’est aussi Triptolème et Jasion deux ministres de Cères, qui représentent deux degrés d’entendement propres à l’intelligence des fictions dont elle est la mère. C’est, déplus, Àmphion et Zethus ; enfin, ce sont les deux fils de Léda : Castor et Pollux.
On appelle Gémeaux deux facultés de l’entendement qui sont jointes ensemble pour se prêter un mutuel secours. Si ces signes avaient l’importance dans la religion que Dupuis veut bien leur prêter, ils auraient chacun un caractère bien arrêté, et tous les mythologues s’y arrêteraient.
On donne pour père au Soleil et à la Lune le géant Hypérion, dont le nom signifie le surnaturel, Hyperion. Les astres et les étoiles sont des images de lumières et de puissances surnaturelles, que les païens nommaient magiques. Ils disent que les géants ou les grands magiciens, voulant rivaliser de puissance avec Jupiter, furent vaincus et attachés au firmament par ce Dieu.
La tête de Méduse, qui est une constellation, désigne la plus grande puissance de conviction possible ; le cheval Pégase, son fils, est l’image de la vélocité et de l’entendement qui s’élève dans les domaines de métaphysique.
Ariane, qui personnifie la puissance autoptique du sommeil ayant passé par les mains de Bacchus ou de sa force expansive, voit sa couronne de diamants prendre place parmi les lumières célestes.
Ganymède, qui est le plus sublime interprète des allégories religieuses, occupe dans le Zodiaque le signe du Verseau, comme étant l’esprit qui répand, du ciel sur la Terre, le raisonnement divin.
Crocus ou le Safran, emblème de l’étendue de l’esprit de perception, fils de la bonne parole, nourrice des Muses, fait le signe du Sagittaire ainsi que le Centaure Chiron.
La chèvre Amalthée, nourrice de Jupiter, est l’image du génie des Dieux terrestres ; elle fait le signe du Capricorne.
Jupiter personnifie une religion qui s’est fortifiée dans son principe des puissances magiques dont la chèvre est le symbole, parce que ce sont les choses surnaturelles qui corroborent les religions. Quand elles sont privées de leurs prodiges, elles sont abandonnées.
Il est donc impossible que des législateurs religieux aient pu établir des cultes vains et sans puissances avec des dogmes allégoriques, dont le sens moral se rapportait exclusivement à la marche du soleil. Ce système est tellement contraire à l’esprit de tous les cultes qu’on ne conçoit pas comment il a pu trouver des partisans et n’a pas été anéanti de suite par les ministres du christianisme. Ceux-ci sont intéressés à en montrer le ridicule et si bien à même d’y réussir par le simple exposé des bases de la religion chrétienne, qui n’a pas été certainement établie par des astronomes.
Nous ne voyons rien dans tout ce que nous venons de dire des astres, qui ait le moindre rapport avec le christianisme.
[La religion doit être écrite allégoriquement]
Tous les Sages de l’Antiquité s’accordent à donner à l’homme une origine céleste et à le placer sur la terre dans un état de félicité parfaite, qui est d’un côté le Paradis terrestre et de l’autre l’âge d’or. — Ils disent unanimement qu’il s’est dégradé lui-même et que, par cette dégradation, il a perdu son bonheur, et est tombé dans un état dénué de lumière et de puissance, qui l’oblige de recourir à une religion ou à un rattachement à Dieu pour récupérer le bien perdu ; ce qui ne se rattache physiquement à rien et ne procure aucun avantage sensible, ne peut pas raisonnablement être donné pour une religion à des hommes qui savent raisonner.
La religion est et doit toujours être écrite allégoriquement à cause de l’abus que l’homme animal en pourrait faire. Elle doit toujours parler à l’âme qui la comprend, la respecte et en use. L’allégorie est une barrière, qui la garantit de la profanation de l’homme exclusivement matériel, qui ne peut donc pas en comprendre l’esprit.
Moïse nous dit que Dieu mît l’homme dans le Paradis terrestre entre l’arbre de vie et l’arbre de la science du bien et du mal, avec défense de manger du fruit de ce dernier.
Le paradis terrestre n’est pas un lieu, mais un état de l’esprit humain.
Adam n’est pas un individu, mais l’esprit dominant de la première race humaine. — L’arbre de vie est la lumière infuse ou l’esprit de prescience que les païens représentent par Prométhée. — L’arbre de la science du bien et du mal est la lumière acquise par la science, l’étude, le raisonnement, etc. — C’est dans le paganisme : Epiméthée.
L’homme qui a mangé du fruit de l’arbre de la science est mort de suite à la lumière de la prescience ; il est tombé dans la misère que cause l’aveuglement, car c’est faute de se connaître que l’homme est malheureux.
Ayant préféré la lumière de la science à celle de la prescience, comme il fait encore aujourd’hui, il a transmis son état de misère à sa postérité. Voilà le péché originel qui ne peut être réparé que par une puissance lumineuse et agitante capable de remettre l’homme dans l’état heureux, dont il s’est éloigné. Cette puissance est celle de la religion chez tous les peuples civilisés, et chez nous celle du christianisme qui procure la science infuse et la faculté d’opérer des prodiges, ainsi que le Christ en a donné l’exemple par lui-même et par ceux qui ont observé ses préceptes.
Les païens, par une fiction très ingénieuse, noua apprennent que la lumière sur la destinée humaine est renfermée dans l’écriture religieuse, qu’ils nomment aussi la Bible ou le livre par excellence.
Ils disent que l’allégorie a eu deux enfants jumeaux, qui sont la Bible et le sort humain, Biblis et Conus. — La Bible, amoureuse de son frère, voulait s’unir à lui, pour que les hommes pussent connaître leur destin ; mais, faute par le sort humain de vouloir coopérer conjointement avec la Bible au bien de l’humanité, la malheureuse Bible à demi morte ne fait plus que répandre un raisonnement lamentable par une fontaine formée de ses pleurs.
Quelle ingénieuse théologie ? Comment peut-il y avoir des gens assez dépourvus de charmes ravissants de l’imagination pour ne pas trouver un plaisir extrême dans des dogmes profonds recouverts de voiles aussi industrieux ?
Nous ne voyons pas encore comment le Soleil, en passant par les cases du Zodiaque, peut dédommager l’homme de sa perte ou faire regarder comme illusoire la réparation opérée par l’effet de la religion. Nous voyons que Dupuis, dépourvu de connaissances théologiques et aveuglé par son système, a pris l’inverse de la chose en nous donnant le Christ pour l’emblème du Soleil, tandis que c’est le Soleil qui est l’emblème du Christ.
Si la marche du Soleil est l’expression de toutes les religions sans exception, comment peut-elle être celle du christianisme qui diffère de toutes les religions par son essence, sa puissance et ses résultats.
[La Trinité, Dieu en trois personnes]
Ce qui distingue essentiellement le dogme du christianisme de ceux des autres religions, c’est la manière de concevoir Dieu en trois personnes, qui sont le Père, le Fils et le Saint-Esprit.
On a déjà corrompu ce premier dogme en en faisant un mystère incompréhensible, tandis que c’est la première leçon qu’on donne aux catéchumènes, comme la première porte pour entrer dans le Christianisme et sans laquelle on ne peut pas la comprendre. — Le Christ n’a pas dit de faire de ce dogme un mystère ; au contraire, il a dit instruisez-les et baptisez-les, au nom du Père, du Fils et du Saint- Esprit. [2. Après cette phrase débute la deuxième partie publiée dans n° 9 de L’Initiation de juin 1903, p. 210-217]
Le Baptême, dans son principe, se nommait Illumination ; ainsi il devait être une instruction lumineuse, spécialement sur la Trinité, car on n’illumine pas un mystère et on ne fait pas entrer dans une religion en cachant le point essentiel qui la constitue.
Avant le christianisme, on a admis un Dieu unique sous la dénomination de puissance. Les chrétiens lui donnent le même nom en y ajoutant le mot : Père ou Créateur, et en font une puissance créatrice qu’ils nomment Dieu, le Père tout-puissant.
Une puissance seule et infinie dans l’immensité du néant ne crée rien. Tout objet susceptible d’être créé n’existe en elle qu’en puissance. Pour qu’elle se détermine à créer, il faut qu’il émane d’elle une volonté ou un amour qui l’incite à donner l’existence à une chose plutôt qu’à une autre, et c’est cette volonté, cet amour, ce verbe, cette parole arrêtée, que les chrétiens nomment Dieu le Fils ou la seconde personne de la Trinité, distincte de la première, quoique faisant unité avec elle, car on sait que la puissance n’est pas la volonté et que l’une ne peut pas opérer sans l’autre ; ainsi les deux, quoique différemment personnifiées, ne sont qu’un seul être.
La puissance et la volonté réunies peuvent créer un monde composé d’une multitude d’objets qui pourraient former un chaos, un désordre, une destruction des uns par les autres, une cacophonie, etc. Il faut, pour qu’une création réponde au but du créateur, qu’il émane de lui, par sa volonté ou son amour, un esprit de sagesse, d’ordre, d’harmonie, etc., qui établisse l’accord entre les objets créés, et c’est là ce que les chrétiens nomment le Saint-Esprit, du mot saint, qui veut dire régulier, et du mot esprit, qui signifie but, fin, etc.
[La puissance, l’amour et la sagesse]
Dieu est donc personnifié chez les chrétiens par la puissance, l’amour et la sagesse.
La Trinité est si bien établie qu’elle est indestructible par le raisonnement, car celui qui voudrait en nier l’existence la prouverait par le fait même de sa négation. Il nierait parce qu’il aurait la puissance de nier et qu’il en aurait la volonté, et en niant il emploierait tout ce qu’il aurait de sagesse logique pour persuader, ainsi il aurait agi par la puissance, la volonté et la sagesse, ce qui est la Trinité, avec laquelle il exécute toutes ses actions, comme étant l’image et la ressemblance de Dieu.
La seconde personne de la Trinité est l’esprit d’amour, que les chrétiens appellent le Christ, celui par qui tout a été fait et sans lequel rien de ce qui existe n’a été fait. Ils disent que pour se communiquer aux hommes, il s’est incarné dans l’humanité, afin d’y arrêter l’action du péché originel et nous replacer dans notre premier état de conjonction avec la toute-puissance divine, dont nous sommes séparés.
Pour prouver l’effet de cette conjonction de l’homme par la religion de l’amour, le Christ a opéré ses miracles et il a donné pouvoir à ceux qui l’observeraient d’en faire de pareils et même de plus grands. Il a encore voulu qu’on reconnût ses vrais ministres par les prodiges qu’ils opéreraient en son nom et par leur amour les uns pour les autres.
Voilà toute la religion chrétienne, telle que le Christ l’a établie, et telle que ses premiers ministres l’on observée, prêchée et manifestée.
[Une religion qui tend à unir les hommes par amour]
Comment peut-on chercher à anéantir une aussi admirable religion qui tend à unir tous les hommes par les liens de l’amour, en présentant à sa place le passage du soleil dans le zodiaque, destitué de toutes les puissances dont tous les cultes divins sont alimentés ? Cependant ce système abominable, désorganisateur de toute moralité, faux dans ses principes et absurde dans ses conséquences, père de l’irréligion et propagateur de l’athéisme trouve un grand nombre de partisans, tant on désire un prétexte quelconque pour s’affranchir du joug de la religion, qui déplaît généralement parce qu’elle est dénaturée, méconnaissable et mal enseignée.
Le Christ ou l’homme animé du pur amour de Dieu réellement existé sur la terre ? y a-t-il fait les miracles qu’on lui impute ? Ses ministres peuvent-ils prouver leur mission par la manifestation des pouvoirs, qu’il a délégués à ceux qui croiraient en lui ? Dupuis est obligé de nier toutes ces choses, dont la vérité bien confirmée anéantirait son système !
La présomption en faveur du christianisme, c’est qu’il a entièrement détruit le paganisme ; or, les païens étaient théurgistes, c’est-à-dire opérateurs de miracles et par conséquent toujours portés à adopter la religion qui manifestait le plus de prodiges.
Les historiens contemporains dit Dupuis, n’ont pas parlé du Christ. Ce n’est pas une raison pour nier son existence. Les personnes qui font des actions surprenantes dans un genre contraire à l’esprit dominant du siècle sont à peine remarquées d’un très petit nombre, et encore moins des savants en titre, qui les tournent en ridicule et qui croiraient compromettre leur dignité et leur réputation en faisant état d’elles.
Il a paru de nos jours des gens bien dignes de remarque, personne n’en a connaissance, que les véritables observateurs.
Les Juifs instruits n’étaient pas bien surpris des miracles du Christ, parce qu’ils en opéraient eux- mêmes par la théurgie et aussi par la magie, puisque l’exercice du Pythonisme était défendu chez eux sous peine de mort.
Il s’élèverait aujourd’hui un homme merveilleux parmi les Juifs ; les uns l’adoreraient comme un dieu, les autres le mettraient à mort comme un criminel, sans que nous en eussions 1a moindre connaissance.
Les évangélistes, dit encore Dupuis, ne sont pas d’accord entre eux ; mais les historiens, qui rapportent des faits qui se sont passés sous nos yeux, altèrent presque toujours la vérité et se démentent les uns les autres. Ces contrariétés (contradictions) de détails ne peuvent pas détruire l’existence générale de la chose.
[Les théosophes ne sont dualistes]
Comme nous ne reconnaissons pas encore les chrétiens pour les adorateurs du soleil personnifié par le Christ, nous allons examiner si, dans le combat du bon contre le mauvais principe, les assertions de Dupuis seront admissibles.
Les théologiens chrétiens et surtout ceux qui sont théosophes n’admettent pas un bon et un mauvais principe en guerre l’un contre l’autre.
Ils disent que Dieu créa primitivement un monde, duquel il donna la domination à Lucifer, qu’il avait créé, non pas de la substance delà terre, comme l’homme, mais de celle du feu. Que Lucifer croyant renchérir sur l’œuvre de Dieu abusa de sa puissance ; que par son action orgueilleuse et extravagante, il se précipita dans un abîme de ténèbres, dans lequel il est retenu prisonnier, maudissant Dieu et portant le mal et le désordre partout où il peut ; on le nomme le diable de δια et βολεω, c’est-à-dire je jette à la traverse.
Le diable est un esprit ennemi de l’homme, parce qu’il est jaloux de lui voir occuper la place de laquelle il est déchu. C’est pourquoi il l’a entraîné dans la désobéissance et pourquoi aussi il se plaît à lui faire tout le mal possible. Le Christ a mis un frein à sa méchanceté.
L’esprit d’amour incarné, vivant sur la terre, devait s’y former par sa conduite humaine, ses vertus et ses affections, etc., un caractère qui deviendrait après lui l’esprit dominant de ses sectaires. Il devait conserver à cet esprit toute sa pureté et toute sa force, ne se livrant jamais à aucun sentiment contraire à l’amour, pour que le diable n’eût aucune porte ouverte pour entrer dans l’esprit du chrétien exclusivement animé de l’esprit d’amour formé par le Christ.
Le diable, qui voyait par le Christ détruire son empire sur les hommes, le tenta d’abord en lui offrant toutes les puissances de ta terre. N’ayant pas réussi de ce côté-là, il essaya de mettre son amour en défaut en lui fournissant des objets de haine et de vengeance ; en le faisant calomnier, traîner Ignominieusement devant les tribunaux de justice, souffrir d’affreux tourments et endurer les supplices réservés aux plus insignes scélérats.
Le Christ, loin de diminuer d’amour, au milieu de ces horribles souffrances, prie pour ses bourreaux et trouve un moyen d’excuse en leur faveur :
« Pardonnez-leur, Seigneur, parce qu’ils ne savent pas ce qu’ils font. »
Voilà le grand triomphe de l’amour ; voilà le diable vaincu, car il n’a pu se faire aucune entrée dans l’esprit d’amour qui doit être celui du parfait chrétien !
Le Christ doit maintenant vivre dans l’homme avec la même vertu, la même puissance qu’il manifestait sur la terre et lui mériter le prix de sa victoire, qui est de le remettre dans l’état de délices, dont il s’est éloigné.
C’est là la véritable rédemption, dont on fait mal à propos un mystère incompréhensible et qu’on dénature parce qu’on n’y comprend rien.
[Le Christianisme est tout simplement l’amour mis en action]
Si Dupuis croit apercevoir dans cet exposé le Soleil matériel vainqueur des ténèbres et des froides saisons, nous ne sommes pas envieux de son télescope astronomique, au travers duquel on ne voit que les illusions répugnantes d’une fausse imagination.
Si l’hypocrisie, la mauvaise foi, le fanatisme, l’ambition, etc., ont fait couler des fleuves de sang, comme le dit Dupuis, c’est parce que l’esprit de la religion et sa puissance sont perdus depuis longtemps, et qu’on ne croit plus ni à l’un, ni à l’autre.
Le Traité sur l’origine de tous les cultes est plus fait pour allumer le feu de la guerre que pour l’éteindre.
La conclusion tirée du système de Dupuis est que tous les législateurs religieux se sont entendus pour baser les religions exclusivement sur le soleil ; ainsi, selon lui, il n’y a pas d’autre sens moral à tirer de toutes les allégories religieuses, que la marche périodique de cet astre, sans en excepter le Christianisme ; par conséquent, point de religion pour l’homme éclairé de sa lumière et qui ne veut pas se laisser tromper par les voiles mystiques dont tous les cultes sont enveloppés. Nous croyons que l’exposition de la vérité est une suffisante réfutation de l’erreur, et nous disons que Dupuis, malgré sa profonde érudition, n’a jamais eu la clef de la vraie science et encore moins celle de tous les cultes religieux.
Il ignore, avec la plupart des hommes, que le Christianisme est tout simplement l’amour mis en action dans sa plus stricte observance, parce que certaines gens ont un grand Intérêt à ne pas le faire connaître sous cette forme, qui démontrerait l’inutilité de bien des choses qu’on veut conserver.
La vérité est que l’amour mis en action dans son plus grand développement sera toujours la meilleure de toutes les religions et qu’elle deviendra Universelle, malgré les mauvais systèmes de tout genre fabriqués journellement pour l’anéantir.
Certifié conforme au manuscrit original, Ernest Bosc
Notes :