Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824), l’un des meilleurs amis de Louis-Claude de Saint-Martin, fondateur du Régime écossais rectifié, est aussi l’un des personnages les plus intéressants de l’illuminisme.
Franc-maçon, élu coën et adepte du magnétisme, Willermoz fut parmi ceux qui animèrent les grands mouvements initiatiques de l’époque. Son nom est attaché au Rite Écossais Rectifié dont il fut la figure essentielle [1] Alice Joly est l’auteur d’une biographie magistrale sur le personnage qui nous intéresse ici : Un Mystique lyonnais et les secrets de la franc-maçonnerie, Jean-Baptiste Willermoz, Macon, 1938. Archiviste-paléographe, elle était l’épouse du conservateur de la bibliothèque municipale de Lyon (où se trouve le fonds Willermoz). Elle fut aussi l’amie de René Le Forestier, auteur bien connu pour ses travaux sur la franc-maçonnerie et les Élus coëns. Le livre d’Alice Joly a été réédité chez Déméter en 1986, avec un avant-propos et un index d’Antoine Faivre.
Sommaire
Un artisan Lyonnais
On peut diviser la vie de Jean-Baptiste Willermoz en quatre grandes périodes. La première est marquée par son entrée dans la franc-maçonnerie (1750-1772) ; la deuxième est celle de sa participation à la Stricte Observance Templière, (1773-1782) ; la troisième est tournée vers le magnétisme et culmine avec l’épisode de l’Agent Inconnu (1783-1788) ; enfin, la dernière période de sa vie ésotérique est marquée par les grands bouleversements de la Révolution (1789-1824).
Métier à tisserJean-Baptiste Willermoz naît et grandit à Lyon. Fils de Claude Catherin Willermoz, mercier, il deviendra l’un des plus grands négociants en soieries de cette ville réputée pour son activité soyère.
Dès le XVIe siècle en effet, les métiers liés au travail de la soie connaissent un certain développement dans la région lyonnaise. Au XVIIIe siècle, grâce à la virtuosité de ses tisseurs, ses manufactures acquièrent une renommée internationale.
Cette activité, regroupant d’un côté les fabricants – les canuts –, et de l’autre les négociants – les soyeux –, occupe une place importante dans la vie économique de la capitale des Gaules. Sur les 150 000 habitants que compte alors la ville, plus de 50 000 vivent de la soierie.
Lyon est une place forte du catholicisme ; elle est aussi la capitale française de l’ésotérisme et de l’occultisme. Véritable carrefour européen de la franc-maçonnerie, elle joue un rôle fondamental dans l’histoire de cette institution [2] Voir sur ce point le catalogue de l’exposition du musée des Beaux-Arts de Lyon (28 juin-22 septembre 2003) : Lyon, carrefour européen de la franc-maçonnerie, éd. Mémoire active, 2003. Ce volume comporte également un article de Roger Dachez, « Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824) », p. 41-43. . Deux rites encore pratiqués aujourd’hui y naissent : le Régime écossais rectifié, sous l’influence de Jean-Baptiste Willermoz, ainsi que la maçonnerie égyptienne de Cagliostro (1784). La maçonnerie lyonnaise est donc très active, et au moment de la Révolution, la ville compte plus de 1 000 francs-maçons répartis dans 16 loges.
L’initiation maçonnique
C’est en 1750, alors qu’il n’a que vingt ans, que Jean-Baptiste Willermoz est initié dans la franc-maçonnerie. Rappelons que cette organisation, née en 1717, a fait ses premiers pas en France vers 1725, et que la première loge lyonnaise a vu le jour en 1744, soit six ans avant l’initiation de Jean-Baptiste Willermoz. Il en gravit très vite les premiers grades et devient Vénérable de sa loge dès 1752. Rapidement, il occupe une place importante dans la franc-maçonnerie lyonnaise et fonde en 1753 la loge La Parfaite Amitié, rue Garibaldi. Il accède bientôt aux multiples hauts grades qui naissent à cette époque, comme celui de Rose-Croix.
Sa correspondance de juin 1761 avec le Messin Meunier de Précourt, Vénérable d’une loge de Metz, atteste que ce grade était alors pratiqué à Lyon. Du reste, les versions françaises les plus anciennes du degré de Rose-Croix sont celles de Strasbourg (1760) et de Lyon (1761). Vers 1760, Willermoz devient l’un des acteurs essentiels de la Grande Loge des Maîtres réguliers de Lyon, qui se considère comme l’égale de l’institution parisienne.
Les Élus coëns
À partir de 1765, le parcours maçonnique de Jean-Baptiste Willermoz prend un tournant décisif, lorsqu’il est admis dans l’ordre des Chevaliers Maçons élus coëns de l’univers. Cet ordre, fondé par Martinès de Pasqually vers 1754, se présente comme « la véritable franc-maçonnerie », à l’inverse de la maçonnerie de son époque, qu’il juge « apocryphe ». Il est vrai qu’à cette époque, la maçonnerie présente des visages contradictoires. D’un côté, elle est essentiellement une institution festive, où l’on cultive les mondanités et où les banquets et les fêtes ont tendance à prendre plus de place que les rites. D’un autre côté, elle donne naissance, certes, à une floraison de hauts grades, mais ces derniers cultivent un ésotérisme peu cohérent.
L’ordre des Élus coëns est un système de hauts grades organisés autour d’une doctrine spécifique, celle de la réintégration. Il se caractérise par des rituels complexes relevant de la magie divine : la théurgie. En 1766, peu de temps après son entrée dans cet ordre, Jean-Baptiste Willermoz rencontre le Grand Souverain et fondateur de l’Ordre, Martinès de Pasqually. Il devient l’un de ses disciples les plus zélés et parvient au plus haut grade, celui de Réau-Croix. Il s’adonne avec constance à la théurgie et aux nombreuses périodes de prières journalières recommandés par le Grand Souverain de l’Ordre.
Jean-Baptiste Willermoz est séduit par les enseignements de l’Ordre ; il est cependant quelque peu déçu par les capacités d’organisateur de son dirigeant. En effet, l’ordre des Élus coëns est encore en gestation, et Martinès de Pasqually n’en finit pas d’écrire règlements, rituels et instructions destinés au fonctionnement des loges. Son départ pour Haïti ne favorise pas les choses. En effet, il embarque le 5 mai 1772 à destination de Saint-Domingue pour résoudre un problème d’héritage. Les Élus coëns lyonnais continuent à travailler en suivant ses instructions. Le secrétaire de Martinès de Pasqually, Louis-Claude de Saint-Martin, vient s’installer quelque temps chez Jean-Baptiste Willermoz. C’est là, à la fin de l’année 1773 et au cours de l’année suivante, qu’il écrit son premier livre, Des erreurs et de la vérité. L’ouvrage sera publié en 1775 par un élu coën de la ville faisant profession de libraire-imprimeur, Jean-André Périsse-Duluc. Martinès de Pasqually décède à Haïti le 20 septembre 1774, à la suite d’une mauvaise fièvre. Privé de son fondateur, l’Ordre décline et sera bientôt réduit au sommeil.
La Stricte Observance Templière
Jean-Baptiste Willermoz entre alors dans la deuxième partie de sa vie ésotérique. Cette période, qui s’étend de 1773 à 1782, a débuté l’année précédant la mort du fondateur des Élus coëns par un contact avec le baron Karl von Hund (1722-1776). Ce dernier est le fondateur d’un rite maçonnique revendiquant une filiation templière : la Stricte Observance Templière (S.O.T). Cet ordre – qui domine alors la franc-maçonnerie allemande – fait de la maçonnerie « l’ordre du Temple poursuivi ». Il cultive l’esprit chevaleresque : lorsqu’un nouveau membre est reçu à la S.O.T., il prend un nom de chevalier. Ainsi, en 1774, Willermoz devient-il Eques ab Eremo (Eques, « chevalier » en latin). Très vite, les martinistes lyonnais – c’est-à-dire les disciples qui gravitent dans l’entourage de Martinès de Pasqually – suivent Jean-Baptiste Willermoz en se ralliant à la S.O.T.
Cet ordre est alors en pleine mutation, car parmi ses membres, nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la légitimité de sa filiation templière. Jean-Baptiste Willermoz, aidé d’anciens élus coëns, va bientôt s’affirmer comme le réformateur de la Stricte Observance Templière. Réussissant à gagner la confiance des deux leader de l’Ordre, le duc de Brunswick (Eques a Victori) et Charles de Hesse Cassel (Eques a Leone Resurgent), il organise à Lyon, en novembre 1778, l’un des plus célèbres convents maçonniques : le convent des Gaules.
C’est à cette occasion qu’il fait adopter par l’Ordre la doctrine de Martinès de Pasqually (sans sa théurgie). En 1782, pour mieux se consacrer à ses activités maçonniques, il décide de vendre son affaire de mercerie.
En août de la même année a lieu le convent de Wilhelmsbad, de la Stricte Observance Templière. Au cours de cette importante réunion, on assiste à un recul des prétentions templières. Désormais, l’Ordre se place dans une « filiation d’esprit » puisant ses sources dans la chevalerie éternelle, le « saint Ordre » auquel se rattacheraient tous les véritables ordres, quel que soit leur nom, et dont les templiers ne sont qu’un rameau. L’Ordre change alors son nom pour celui de Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte. Il est aussi qualifié de Rite (ou Régime) écossais rectifié (R.E.R.) [3] Sur l’histoire de cet ordre, voir Le Forestier, René, La Franc-Maçonnerie templière et occultiste aux XVIIIe et XIXe siècles, préface, addenda et index d’Antoine Faivre, introduction d’Alec Mellor, Paris-Louvain, Aubier, 1970. Antoine Faivre a inséré en appendice le texte complet de l’« Instruction secrète des Grands Profès ». .
Les Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte
Ce régime comporte quatre grades symboliques : Apprenti, Compagnon, Maître et Maître écossais de saint André. Après ces grades, on accède à l’Ordre intérieur, celui des Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte (C.B.C.S.), qui comporte deux degrés : Écuyer novice et Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte. Viennent ensuite des grades secrets, ceux de Profès et de Grand Profès.
Jean-Baptiste Willermoz écrit des textes d’instructions destinés aux membres, notamment ceux de Profès et de Grand Profès, dans lesquels la doctrine de la réintégration occupe une place fondamentale [4] Les rituels et instructions des premiers degrés du Rite écossais rectifié ont été publiés aux éditions Christian Guigue en 1993-1994 (avec des notes de Christian Guigue), et par Hugues D’Aumont aux éditions Trédaniel en 1995. Certaines instructions des grades supérieurs ont été publiées par : Steel-Maret, Archives secrètes de la franc-maçonnerie, collège métropolitain de France à Lyon, province dite d’Auverge, 1765-1852, Paris, 1893-1896, réédité en 1985 chez Slatkine (Écuyer novice) ; Paul Vulliaud, Joseph de Maistre mystique, suivi de Pièces inédites, Paris-Milan, Archè, 1990 (Profès) ; Antoine Faivre, en appendice de La Franc-Maçonnerie templière et occultiste de René Le Forestier, op. cit. (Grand Profès).. Lorsqu’on étudie ces rituels et instructions du Régime écossais rectifié, on ne peut s’empêcher de se demander si le disciple lyonnais de Martinès de Pasqually n’a pas dépassé le maître. Il réussit en effet à créer une structure symbolique et rituelle maçonnique cohérente, appuyée sur une doctrine spécifique.
Quoi qu’il en soit, il est incontestable qu’au moment où, suite à disparition de Martinès de Pasqually, l’ordre des Élus coëns s’éteint, la doctrine de son fondateur va connaître une certaine pérennité grâce au Régime écossais rectifié (R.E.R.). Certains historiens, comme Robert Amadou, vont jusqu’à voir dans cet ordre, le joyau de la franc-maçonnerie, un rite qui se veut chrétien et spiritualiste. L’Ordre accueille essentiellement des membres de la bourgeoisie, des négociants, des membres du haut clergé et des aristocrates. Il connaît un essor rapide dans le Dauphiné, la Savoie, la Bourgogne, l’Alsace et l’Europe. Cependant, son évolution va être freinée par l’apparition du magnétisme.
Le magnétisme
À la fin de 1783, le mesmérisme commence à se répandre à Lyon. Les vertus thérapeutiques du fluide magnétique, mises en évidence par Mesmer, passionnent. Le magnétisme prend rapidement une nouvelle orientation grâce aux découvertes du marquis de Puységur. Ce dernier a en effet constaté qu’un sujet plongé dans un sommeil magnétique devient doué d’une clairvoyance surprenante et est capable de répondre à des questions touchant aux choses de l’invisible.
Tous ceux qui sont portés vers l’ésotérisme, et au premier plan les anciens Élus coëns, sont donc séduits par le côté spectaculaire de cette pratique. Ils voient là un moyen nouveau, et surtout plus simple que la théurgie de Martinès, pour dialoguer avec l’invisible. Jean-Baptiste Willermoz n’échappe pas à l’engouement général. Dès 1784, il participe à la société magnétique La Concorde, fondée à Lyon par le Dr Dutrech. Saint-Martin lui-même, en février 1784, sera reçu dans L’Harmonie de Mesmer, à Paris. À la même époque, en octobre 1784, Cagliostro, qui s’est installé à Lyon, fonde la Loge La Sagesse triomphante, qui marque la naissance de la maçonnerie égyptienne. Jean-Baptiste Willermoz sera très critique envers le fondateur de ce rite, qu’il considère plus ou moins comme un charlatan.
L’Agent Inconnu
Au cours des années 1783 à 1788, Jean-Baptiste Willermoz se passionne pour le magnétisme. Cet épisode le détourne pour un temps de ses préoccupations antérieures. Il est convaincu qu’il tient là un nouvel instrument pour mener à bien sa quête. Il magnétise en suivant les procédés de Puységur et utilise Mlle Rochette pour médium [5] À propos de ces séances de magnétisme, voir Jean-Baptiste Willermoz (1730-1825), Les Sommeils, étude d’Émile DERMENGHEM, Paris, La Connaissance, « Les documents ésotériques », 1926. Une partie des « sommeils » de Mlle Rochette est conservée au Musée Gardagne de Lyon, Ms 5478.. Cependant, après l’engouement de départ, il s’avoue déçu.
Les choses prennent un nouveau tournant lorsque le 5 avril 1785, on lui apporte une série de cahiers écrits à son intention par un mystérieux « Agent Inconnu ». Un médium, plongé dans un sommeil magnétique, la main guidée par l’invisible, est l’auteur de ces textes étranges. Ces messages demandent à Willermoz de fonder un groupe secret : la Société des Initiés. La vocation de cette société est de devenir le « centre général de la lumière des derniers temps et de la parfaite et primitive initiation » [6] Lettre de Willermoz au duc Ferdinand de Brunswick du 30 juillet 1785, dans Episodes de la vie ésotérique 1780-1824, Gérard van RIJNBERK, Lyon, Derain, 1948, p. 63.. Jean-Baptiste Willermoz voit là comme une récompense à ses efforts antérieurs. Enthousiasmé, il organise, dans le quartier des Brotteaux, une loge pour cette nouvelle société, la loge Élue et Chérie de la Bienfaisance.
Selon les instructions transmises par l’Agent Inconnu, l’entrée dans la Société des Initiés doit être réservée aux membres du Rite écossais rectifié. Saint-Martin lui-même accepte d’y rentrer pour pouvoir participer aux séances de l’Agent. L’engouement initial tombe cependant après la première année. Les messages de l’Agent Inconnu sont souvent incompréhensibles, pleins de contradictions, et ses promesses ne se réalisent pas. Jean-Baptiste Willermoz finit par avoir des soupçons sur l’authenticité de ces communications, d’autant plus que le médium qui transmet les messages refuse de se faire connaître. Finalement, après bien des réticences, l’Agent se présente à lui en avril 1787.
C’est une femme, Madame de Vallière, Marie-Louise de Monspey, chanoinesse de Remiremont. Elle est la sœur d’Alexandre de Monspey, un magnétiseur bien connu à Lyon, et qui plus est, lui aussi un élu coën. Quelques mois plus tard, en octobre 1788, Willermoz convoque une réunion des membres de la Société des Initiés. Il expose ses doutes, ses déceptions, et annonce qu’il se retire de la direction du groupe. La page est tournée, mais l’épisode pendant lequel il s’était consacré au magnétisme fut préjudiciable à ses réalisations précédentes. Il contribua probablement à fragiliser le Régime écossais rectifié et ses Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, tout juste sorti du creuset.
La Révolution
Une autre période de la vie de Jean-Baptiste Willermoz, la quatrième et dernière, s’ouvre (1796-1824). Elle est précédée par les difficultés engendrées par la Révolution française, au cours de laquelle il manque perdre la vie. Le 14 juillet 1789, l’ancien intendant du Lyonnais, prévôt des marchands de Paris, tombe sous les coups des vainqueurs de la Bastille. Les Lyonnais, qui avaient accueilli favorablement la monarchie constitutionnelle, déchantent rapidement. La ville connaît une crise économique catastrophique.
En 1793, les Jacobins s’emparent du pouvoir local avec Chalier. Les Lyonnais se révoltent bientôt contre les autorités gouvernementales. L’armée réplique, et du 8 août au 9 octobre 1793, des combats acharnés opposent Lyonnais et soldats révolutionnaires. Finalement, la ville est vaincue, et jusqu’à la chute de Robespierre le 27 juillet 1794 (9 Thermidor), les représailles sont terribles. En novembre 1794, Jean-Baptiste Willermoz est obligé de quitter précipitamment Lyon pour échapper à une arrestation. Il reviendra quelques temps plus tard dans sa ville, mais le R.E.R. entrera alors en sommeil.
En 1797, la ville de Lyon fait appel à Jean-Baptiste Willermoz pour participer à la réorganisation des institutions détruites par la Révolution. Il devient alors l’un des cinq administrateurs chargés de reconstituer les œuvres de charité de l’Hôtel-Dieu, activité qu’il exercera bénévolement. En juin 1800, alors qu’il a soixante-dix ans, un arrêté du Premier Consul le nomme conseiller général du Rhône. Plusieurs fois réélu, il siègera à cette fonction jusqu’en 1815.
À soixante-six ans, Jean-Baptiste Willermoz met fin à sa vie de célibataire en épousant Jeanne-Marie Pascal. Le couple s’installe à la Croix-Rousse, un quartier de la ville situé sur la colline entre le Rhône et la Saône. En 1804, sa jeune épouse lui donne une fille qui mourra en bas âge. Au cours de cette même année, il est mandaté pour faire partie du bureau de bienfaisance du IIIe arrondissement de Lyon.
L’année 1805 est marquée par la naissance d’un fils en qui Willermoz place beaucoup d’espoir. Toutefois, les changements intervenus dans sa vie ne lui font pas oublier ses préoccupations mystiques. C’est ainsi qu’en 1809, il consacre encore une partie de son temps à parfaire les rituels du R.E.R, notamment celui de Maître écossais de saint André. Parvenu à l’âge de quatre-vingts ans, Jean-Baptiste Willermoz songe enfin à prendre sa retraite. Il a pourtant le désir secret de rétablir les Chevaliers Bienfaisants de la Cité Sainte, dont les travaux ont été interrompus par la Révolution. Sous l’Empire, l’Ordre se réorganise timidement dans plusieurs villes comme Strasbourg, Marseille, Aix, et en Suisse. Cependant, il prépare sa succession avec son neveu Antoine Pont.
C’est à cette époque que Jean-Baptiste Willermoz décide d’écrire des cahiers d’instructions destinés à son fils. Il souhaite en effet lui transmettre les enseignements ésotériques qu’il a recueillis au cours de sa déjà longue expérience d’initié. Ces textes, qui occupent plusieurs cahiers, reprennent pour l’essentiel la doctrine de Martinès de Pasqually. Son fils n’aura, hélas, pas le loisir de les étudier, car il meurt en 1812.
Quelques années plus tard, en 1818, Jean-Baptiste Willermoz les assemblera en un seul recueil. Quelques extraits en ont été publiés par Paul Vulliaud en 1929 ; en 1948, Gérard van Rijnberk en donna une édition. Plus récemment, la revue Renaissance Traditionnelle en a donné une édition complète [7] Paul Vulliaud, Les Rose-Croix lyonnais au XVIIIe siècle , Paris, Émile Nourry, 1929, chapitre X, « Les cahiers initiatiques de la loge de la Bienfaisance », p. 253-331 ; Gérard van RIJNBERK, Épisodes de la vie ésotérique 1780-1824, Lyon, Derain, 1948, p. 138-158 ; revue Renaissance Traditionnelle, n° 66, 1986..
Le Traité des deux natures
Vers 1818, Jean-Baptiste Willermoz écrit un texte curieux, le Traité des deux natures divine et humaine réunies indivisiblement pour l’éternité et ne formant pour l’éternité qu’un seul et même être dans la personne de Jésus-Christ […] [8]Traité des deux natures divine et humaine réunies indivisiblement pour l’éternité et ne formant pour l’éternité qu’un seul et même être dans la personne de Jésus-Christ, Dieu et homme, Rédempteur des hommes, Souverain Juge des vivants et des morts, accompagné de réflexions sur la conduite de Pilate et d’une méditation sur le grand mystère de la Croix. Le manuscrit de ce texte est conservé à la bibliothèque municipale de Lyon dans le Fonds Willermoz, ms 5940 n° 5.. Dans ce texte, il évoque les mystères de l’incarnation, ceux qui concernent l’homme, le fils d’Adam, et ceux qui se rapportent à Jésus-Christ, le nouvel Adam. Bien que Willermoz n’utilise pas ici le vocabulaire propre à la franc-maçonnerie, les théories des Élus coëns y sont omniprésentes.
Ce traité est caractéristique d’une période où le christianisme a été fortement remis en cause par la Révolution. Il semble répondre aux écrits que Charles-François Dupuis a publiés quelques années plus tôt, Origine de tous les cultes ou Religion Universelle (1794). Dans ce texte, l’auteur, franc-maçon, montre que toutes les religions ont pour source une religion universelle dont les légendes et les fêtes ont pour origine des phénomènes astronomiques. Il s’efforce de montrer que les chrétiens ont empruntés leur symbole, celui de la croix, à des religions plus anciennes, et il relègue la religion chrétienne au rang des mythologies et des superstitions anciennes. Le livre de Charles-François Dupuis connaît un succès important, et beaucoup de francs-maçons, séduits par le rationalisme, adopteront son point de vue [9] Agasse, an III, 4 vol. (dont un atlas), in-4°. Ce livre connaîtra de nombreuses éditions. L’Abrégé de l’Origine de tous les cultes, édité en 1822, sera saisi l’année même de sa publication et condamné à être macéré. . Jean-Baptiste Willermoz, catholique convaincu, ne partage pas ses idées.
Son Traité des deux natures, s’appuyant sur la doctrine de Martinès de Pasqually, insiste sur le caractère sacré du symbole de la croix et la spiritualité chrétienne. Il constitue une réflexion fondamentale sur l’ésotérisme chrétien. On ignore s’il le destinait à la publication, car il est resté à l’état de manuscrit. En 1986, la revue Renaissance traditionnelle en a publié une version agrémentée de commentaires et d’une table analytique de Roger Dachez [10] On trouve une copie des cahiers de Willermoz faite par le professeur Kloss, en 1849, dans la bibliothèque Klossiana du Grand Orient de La Haye. Gérard van RIJNBERK en a publié un court extrait dans Épisodes de la vie ésotérique 1780-1824, Lyon, Derain, 1948. Ils ont été publiés pour la première fois dans leur intégralité en 1986, dans la revue Renaissance traditionnelle : texte dans le n° 66 ; notes et commentaires de Roger DACHEZ dans les n° 67 (1986), n° 71 (1987), n° 72 (1987), n° 78 (1989), n° 85 (1991) . En 1999, l’ouvrage connaît sa première édition en tant que livre, sous le titre L’Homme-Dieu, traité des deux natures, par Diffusion Rosicrucienne.
Le patriarche de la franc-maçonnerie lyonnaise s’éteint le 29 mai 1824, à l’âge de quatre-vingt quatorze ans, après avoir mené une existence largement consacrée à ses idéaux.
Dominique Clairembault
Notes :