Juriste de formation puis libraire à Strasbourg, cet Élus coën fut l’un des membres éminents du Rite Ecossais Rectifié. Amis du Philosophe inconnu, il est l’un de ceux qui lui firent connaître l’œuvre de Jacob Boehme lors de son séjour en Alsace. L’article ci-dessous est extrait de l’ouvrage d’Antoine Faivre, L’Ésotérisme au XVIIIe siècle, « La Table d’Émeraude », Paris, Seghers, 1973. Nous remercions M. Antoine Faivre de nous avoir autorisé à reproduire ce texte.
L’Alsacien Frédéric-Rodolphe Salzmann, né à Sainte-Marie-aux-Mines, conseiller de légation de la Saxe ducale, précepteur auprès du jeune baron de Stein (le futur ministre prussien) en 1774, est un juriste de formation. Il passe presque toute sa vie à Strasbourg où il se consacre de bonne heure à l’étude des théosophes.
Salzmann acquiert la Librairie académique de Strasbourg, devenant ainsi éditeur-libraire, ce qui lui assure une tranquillité relative, momentanément interrompue par la tourmente révolutionnaire. Ami d’Oberlin, de Jean de Turckheim, de Jacob Lenz, de H. L. Wagner, mystiques ou théosophes connus de Goethe, il fonde avec eux une revue, Der Bürgerfreund. Pendant des années, et jusqu’à la fin de sa vie, il reste l’ami dévoué de Willermoz ; avec Jean de Turckheim, son compatriote strasbourgeois, Salzmann organise le système des C.B.C.S., prend une part active au Convent de Wilhelmsbad (1782, cf. infra) et restera toujours en Alsace le représentant autorisé des Grands Profès. On le verra servir d’intermédiaire entre Willermoz et les princes allemands Charles de Hesse-Cassel et Ferdinand de Brunswick.
Il rencontre Saint-Martin en 1788, à Strasbourg, où le Philosophe Inconnu passe l’une des périodes les plus heureuses de sa vie en compagnie des mystiques alsaciens, dont Salzmann et Mme de Böcklin font partie. Sans doute doit-on à Salzmann, comme c’est certainement le cas pour Mme de Böcklin, d’avoir intéressé Saint-Martin à la philosophie de Jacob Böhme. C’est que Salzmann s’inspire des théories du cordonnier de Goerlitz mais aussi d’Engelbrecht, Œtinger, Bengel, Hahn. Il correspond avec Jung-Stilling, Lavater, Georg Müller, Moulinié, Saint-Martin, l’évêque Grégoire, Oberlin, Friedrich von Meyer, Gotthilf Heinrich von Schubert, Emil von Darmstadt, Mme de Krüdener, Nüscheler et d’autres écrivains ou théosophes.
Son œuvre initiale, Tout se renouvellera, parue en sept parties de 1802 à 1810, contient de nombreux extraits de lectures théosophiques et des notes personnelles. On y trouve des pages de Ruysbroeck, Tersteegen, Catherine de Sienne, Antoinette Bourignon, Mme Guyon, Jane Lead, Swedenborg, Bromley, auteurs que Salzmann fait mieux connaître aux lecteurs d’Alsace, d’Allemagne du Nord, de Suisse. Dans ce travail, Salzmann expose d’intéressantes idées sur l’état de l’âme après la mort et sur la résurrection. Avant la résurrection nous passons par un état transitoire avant d’aller définitivement dans le ciel ou en enfer ; Salzmann tente ainsi de rendre acceptable aux protestants la théorie catholique du purgatoire.
Il est l’auteur de quinze volumes, parmi lesquels se trouvent aussi : Sur les derniers temps (1806),critique d’un ouvrage de Kelber (1805) sur le royaume de mille ans ; surtout : Regards sur les mystères des voies de Dieu relatives à l’humanité (1810). Salzmann présente une cosmogonie de type très martinésiste : la révolte des anges fut à l’origine d’un chaos dont Dieu fit une splendide demeure habitée par les hommes. Le désordre des éléments est la conséquence de la chute d’Adam. Salzmann prophétise volontiers sur la fin des temps. On l’a souvent confondu avec son cousin Johann Daniel Salzmann, secrétaire d’une commission municipale (Actuarius) et commensal de Goethe, Jung-Stilling et Herder en 177 ; cet ami de Goethe mourut en 1812, l’ami de Saint-Martin en 1821.
Antoine Faivre
Extrait de : Faivre Antoine, L’Ésotérisme au XVIIIe siècle, « La Table d’Émeraude », Paris, Seghers, 1973, p. 108-110.
Illustration : d’après une dessin de Guérin réalisé en 1823 d’après nature, extrait du livre de Anne-Louise Salomon, Frédéric-Rodolphe Saltzmann 1749-1820 : Son rôle dans l’histoire de la pensée religieuse à Strasbourg, Nancy, Berger-Levrault, 1932.)
2 – Notice extraite de Salzmann, F.-R. Lettres choisies, traduites de l’allemand par M. E. C. et précédées d’une étude sur le mysticisme, Paris, Bibliothèque Charcornac, « Petite collection d’auteurs mystiques », 1906
Frédéric-Rodolphe Salzmann naquit à Strasbourg, le 9 mars 1719 [1. En fait, il est né en 1749 ; il s’agit ici d’une coquille de l’éditeur.] ; son père était pasteur évangélique de Sainte-Marie-aux-Mines ; il suivit avec Goethe les cours de l’Université protestante de Strasbourg, et obtint le diplôme de licencié en 1773. Il voyagea comme précepteur du baron de Stein, futur ministre de Prusse, à travers la Suisse, la Lombardie et le sud de la France ; il le quitta à Gôttingue en 1774.
Il professa l’histoire à Strasbourg, d’après Voltaire et Gibbon, mais sans succès ; la famille de Stein le fit anoblir et nommer secrétaire de légation à la cour de Saxe-Cobourg-Meiningen. Il se maria richement et se fit libraire-éditeur : il publiait une revue politique. Il posa sa candidature à la députation pour sa ville natale et eut de violentes attaques à subir à cause de ses relations aristocratiques : le prince de Hesse, les de Stein, la baronne de Turckheim et Dietrich, de Saint-Martin.
Il fut à deux doigts de l’échafaud. Il prit la fuite à temps, poussa jusqu’à Nancy et Tarare, où Saint-Martin lui avait ménagé des relations parmi les théosophes catholiques de Lyon [2]. Sa femme et sa soeur avaient été emprisonnées ; ses affaires avaient périclité ; dès son retour dans son pays, en 1794, il se remit à de nouvelles publications.
Voici, puisque c’est de lui que s’occupe surtout cette petite brochure, quelles son ses principales œuvres [2. Les titres originaux de ces œuvres sont en allemand, aucun de ces textes n’ayant été traduit en français.].
- La Feuille chrétienne qui parut pendant de longues années à partir de 1805.
- Le Renouvellement des choses, sept morceaux (1802-1810).
- Les Derniers Temps (1806).
- Coup d’œil sur le mystère du projet divin relatif à l’humanité, depuis la création du monde jusqu’à la fin des temps (1810).
- Religion de la Bible (1811).
- Esprits et Vérité ou la Religion des Élus (1816)**.
Un grand nombre d’opuscules imprimés par lui, puis par Henri Silbermann, mari de sa seconde fille, secrétaire général du Directoire de la confession d’Augsbourg : ces écrits comprennent des traductions de tous les mystiques connus ; tout ceci se trouve contenu en six fascicules ; les plus importants, [les deux derniers], exposent les vues de Salzmann sur l’histoire passée et future du monde et sur le double sens des Écritures.
Parmi la quantité considérable de ses œuvres posthumes, il faut citer : Lettres à Franz von Meyer au sujet du célèbre Banquet de Théodule ; Lettre à un homme d’État sur l’humilité ; Mémoires et souvenirs, 8o p. in-f°, une trentaine d’opuscules sur les derniers temps, le retour des Juifs, l’accomplissement des prophéties, la résurrection, etc.
De l’énorme correspondance qu’il entretint avec Lavater et ses amis, les frères Hess, Georges Müller, Moulinié, Saint-Martin, l’évêque Grégoire, Goethe, Herder, Oberlin, Franz von Meyer, auteur de l’Hadès,Schubert, le prince Émile de Darmstadt, Pétillet, l’éditeur de Dutoit Mambrini [3], la baronne de Krudener, Nüscheler, Legrand, Voegelin de Zurich ; J. de Turckheim, Blessig (en maç : Éques a tinte sancta), les FF a Flumine, a Nucléo, Herbert, de Berne, les pasteurs Hubert et Klein, etc., il n’est resté que celle avec le professeur Stilling, de Marbourg, plus connu sous le nom de Jung-Stilling c’est la plus intéressante.
Salzmann mourut en 1821, le 7 octobre. Il ne faut pas le confondre, ainsi qu’a fait Schubert, avec son frère aîné, l’archiviste mort en 1812 [4].
Voir aussi :
- Anne-Louise SALOMON, F.- R. Salzmann, 1749-1820 – Son rôle dans l’histoire de la pensée religieuse à Strasbourg, Paris, Berger-Levrault, 1932.
- Jules KELLER, Le Théosophe alsacien Frédéric-Rodolphe Salzmann et les milieux spirituels de son temps. Contribution à l’étude de l’illuminisme et du mysticisme à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle, (thèse de doctorat d’État, Université des sciences humaines de Strasbourg, 1984), Berne-Francfort, Peter Lang, 2 vol. : 211 p. et 620 p.
- Keller Jules, « Frédéric-Rodolphe Saltzmann et Saint-Martin », par Jules Keller,Cahiers de Saint-Martin, n° VII, 1988.
- Matter, Jacques, « Saint-Martin à Strasbourg », Revue d’Alsace, 1862, vol. 13, p. 286-287 (Google livre).