Parmi les grands auteurs faisant référence au Philosophe inconnu dans leur œuvre, Gérard de Nerval occupe une place de choix. L’influence de la pensée de Saint-Martin sur Gérard de Nerval n’est pas aussi importante toutefois que Jean Richer tenta jadis de le démontrer. Elle témoigne cependant de l’attrait de l’écrivain pour les doctrines ésotériques, qu’il effleura sans les approfondir réellement. Pour témoigner de cette influence, nous vous proposons ici un extrait des Illuminés. Dans ce texte qui évoque Martinès de Pasqually et Louis-Claude de Saint-Martin, Gérard de Nerval nous peint quelques aspects peu connus de la période révolutionnaire. Au bas de cette page, vous trouverez également quelques liens qui vous permettront de faire mieux connaissance avec l’œuvre de l’auteur d’Aurélia.
V. Les païens de la République
L’épisode que nous venons de recueillir nous donne une idée du mouvement qui s’opérait alors dans les esprits et qui se dégageait peu à peu des dogmes catholiques. Déjà les illuminés d’Allemagne s’étaient montrés à peu près païens; ceux de France, comme nous l’avons dit, s’étaient appelés martinistes, d’après le nom de Martinès, qui avait fondé plusieurs associations à Bordeaux et à Lyon ; ils se séparèrent en deux sectes, dont l’une continua à suivre les théories de Jacob Boehm, admirablement développées par le célèbre Saint-Martin, dit le Philosophe inconnu, et dont l’autre vint s’établir à Paris et y fonda la loge des Philalèthes, qui entra bientôt résolument dans le mouvement révolutionnaire.
Nous avons cité déjà les divers auteurs qui unirent leurs efforts pour fonder en France une doctrine philosophique et religieuse empreinte de ces idées. On peut compter principalement parmi eux le marquis d’Argens, l’auteur des Lettres cabalistiques ; dom Pernetty, l’auteur du Dictionnaire mytho-hermétique ; d’Esprémenil, Lavater, Delille de Salle, l’abbé Terrasson, auteur de Sethos, Bergasse, Clootz, Court de Gebelin, Fabre d’Olivet, etc.
Il faut lire l’Histoire du Jacobinisme de l’abbé Barruel, les Preuves de la conspiration des illuminés de Robinson, et aussi les observations de Mounier sur ces deux ouvrages, pour se former une idée du nombre de personnages célèbres de cette époque qui furent soupçonnés d’avoir fait partie des associations mystiques dont l’influence prépara la Révolution. La plupart des historiens de notre temps ont négligé d’approfondir ces détails soit par ignorance, soit par crainte de mêler à la haute politique un élément qu’ils supposaient moins grave.
Le père de Robespierre avait, comme on sait, fondé une loge maçonnique à Arras d’après le rite écossais. On peut supposer que les premières impressions que reçut Robespierre lui-même eurent quelque influence sur plusieurs actions de sa vie. On le taxa souvent de mysticisme, surtout en raison de ses relations avec la célèbre Catherine Théot. Les matérialistes n’entendirent pas avec plaisir les opinions qu’il exprima à la Convention sur la nécessité d’un culte public.
« Vous vous garderez bien, disait-il, de briser le lien sacré qui unit les hommes à l’auteur de leur être : il suffit même que cette opinion ait régné chez un peuple pour qu’il soit dangereux de la détruire; car les motifs des devoirs et les bases de la moralité s’étant nécessairement liés à cette idée, l’effacer c’est démoraliser le peuple. Il résulte du même principe qu’on ne doit jamais attaquer un culte établi qu’avec prudence et avec une certaine délicatesse, de peur qu’un changement subit et violent ne paraisse une atteinte portée à la morale et une dispense de la probité même. Au reste, celui qui peut remplacer la Divinité dans le système de la vie sociale est à mes yeux un prodige de génie, celui qui sans l’avoir remplacée ne songe qu’à la bannir de l’esprit des hommes me paraît un prodige de stupidité ou de perversité. »
Il faut reconnaître aussi parmi les détails de la cérémonie qu’il institua en l’honneur de l’Etre suprême, un ressouvenir des pratiques de l’illuminisme dans cette statue couverte d’un voile auquel il mit le feu et qui représentait soit la Nature, soit Isis.
Robespierre une fois renversé, bien des philosophes cherchaient toujours à établir une formule religieuse en dehors des idées catholiques. Ce fut alors que Dupont de Nemours, le célèbre économiste, l’ami de Lavoisier, publia sa Philosophie de l’Univers, où l’on trouve un système complet sur la hiérarchie des esprits célestes, lequel remonte évidemment à l’illuminisme et aux doctrines de Swedenborg. Aucler, dont nous allons parler, alla plus loin encore en proposant de rétablir le paganisme et l’adoration des astres.
Restif de la Bretone a publié aussi, comme nous l’avons vu, un système de panthéisme qui supprimait l’immortalité de l’âme, mais qui la remplaçait par une sorte de métempsycose. – Le père devait renaître dans sa race au bout d’un certain nombre d’années. La morale de l’auteur était fondée sur la réversibilité, c’est-à-dire sur une fatalité qui amenait forcément dans cette vie même la récompense des vertus ou la punition des fautes. Il y a dans ce système quelque chose de la doctrine primitive des Hébreux. […]
Livre sur Gérard de Nerval
Pour compléter cette présentation, il nous a semblé intéressant de rappeler ici l’existence de deux ouvrages consacrés à Nerval.
Le premier, Gérard de Nerval et les doctrines ésotériques de son temps, par Jean Richer, tente d’aborder l’ésotérisme de Nerval. Bien qu’il soit dépassé sur bien des points, voire erroné dans sa manière d’aborder l’influence du martinisme dans la pensée de Nerval, ce livre reste une étude faisant date ; aussi nous devions nous de le signaler :
- Jean Richer, Gérard de Nerval et les doctrines ésotériques, Paris, Le Griffon d’Or, 1947.
Le second ouvrage, Nerval, par Léon Cellier, se présente comme une initiation à l’homme et à l’œuvre, une étude d’ensemble résumant l’état des recherches nervaliennes :
- Léon Cellier, Nerval, Paris, Hatier, 1974.
Pour prolonger cette étude
Les textes de Gérard de Nerval sont consultables sur le site de la B.n. de France, Gallica.