Protestante convertie au catholicisme, cette Alsacienne sera avec Rodolphe Saltzmann l’initiatrice de Saint-Martin dans la lecture de Jacob Boehme. Elle possédant une très grande affinité avec le Philosophe inconnu qui trouva en elle une compagne idéale. Ils habitèrent ensemble quelques temps a Strasbourg. L’état de santé du père de Saint-Martin et la révolution éloigna hélas Saint-Martin de celle qu’il désignait affectueusement ma « chérissime B. ».
Charlotte Louise-Wilhelmine de Boecklin, fille de Jean-Philippe-Guillaume Roeder de Diersburg et de Catherine-Charlotte-Johann de Mundolsheim, naquit à Strasbourg le 23 mars 1743, à une heure du matin. Sa constitution parut tellement délicate que, trois heures après sa naissance, on lui fit administrer le baptême in extremis par le pasteur du Temple Neuf. Elle se maria à Dirsburg, le 31 août 1765, avec le baron François-Frédéric-Sigismond-Auguste Boecklin de Baecklinsau, colonel, littérateur, musicien, dernier descendant de sa famille.
La baronne Charlotte Louise-Wilhelmine de Boecklin eut onze enfants, desquels l’aîné, le général Frédéric-Guilllaume-Charles-Léopold, né le 1er juin 1767, mort à Runt (Bade) le 4 mars 1824, laissa seul des descendants.
Son mari mourut le 8 janvier 1813, à Ettenheim (Bade). Six de ses enfants moururent en bas âge. L’un d’eux, Guillaume-Auguste-Joseph-Alexandre, né à Bischheim en 1776, et mort en 1784, fut inscrit sur le registre des actes de décès de la paroisse catholique de Saint-Étienne, à Strasbourg. M. et Mme de Boecklin habitèrent Bischeim, puis Runt ; c’est avant 1798 que les époux se séparèrent ; Charlotte vint alors habiter une maison de Dirsburg vendue plus tard à des Israélites, en attendant d’avoir acquis le majorat de Dirsburg, où demeurait l’aîné de sa famille, son frère Ferdinand de Rôder. En 1818, elle vint à Strasbourg, où, selon son frère, elle se fit catholique. Elle est morte le 3 juin 1820.
Mme de Boecklin était très liée à Frédéric-Rodolphe Saltzmann (1749-1821) pour lequel elle avait la plus grande estime. Tous deux fréquentaient Dorothea Westermann, la femme d’un cordonnier douée de visions et de rêves prophétiques. Selon Matter, comme sa sœur, Melle Schiwing, elle bénéficiait de visions comparables à celles de Swedenborg et voyait les anges. Lorsque Tieman vient la rencontrer à Strasbourg, elle lui confirma la présence des deux anges gardiens dont il se disait bénéficiaire. Saint-Martin lui-même consulta la voyante strasbourgeoise : « la vieille qui avait la confiance de Salzmann, et que ma B[oecklin]. me fit consulter lors de l’aventure romanesque, et qui me répondit assez juste par mes buis » (Mon Portrait, n° 272).
Mme Westermann a échangé une correspondance avec Lavater. Le fonds Meyer à Erlangen contient un volumineux recueil où sont consignées les visions et les rêves de Mme Westermann (Visionen der Fran Westermann die Originale besitzt zum Theil Madame Saltzamnn Ketterngasse). Selon Anne-Louise Salomon [1] Salomon Anne-Louise, Frédéric-Rodolphe Saltzmann, 1749-1820, son rôle dans la pensée religieuse à Strasbourg, Paris, éd. Berger-Levrault, 1932, p. XVII-XVIII , c’est Mme Westermann qui orienta Saltzmann vers la mystique en lui recommandant les écrits de Carl Heinrich von Bogastki (1690-1774) [2] Écrivain allemand, auteur d’hymes et de chants sacrés, entre autre de Güldenes Schatzkästlein der Kinder Gottes (Little Golden Treasure Chest of God’s Children, 1718 (Le trésor des enfants de Dieu, contenant un recueil de trois cents passages de l’Écriture sainte, sur des matières d’instruction, d’édification & de consolation ; auxquels on a joint des applications en vers & en prose 1737) .
Mme de Boecklin et Saltzmann participaient aux soirées mystiques consacrées à la prière et au chant qui se tenaient chez la voyante de Strasbourg.
Pendant la période où Saint-Martin résidé à Strasbourg, Madame de Bœcklin joua un rôle important dans son évolution. Matter précise qu’elle
comprenait tout Saint-Martin et l’aidait à s’élever plus haut. Elle l’arrachait à ces opérations théurgiques dont Martinez Pasqualis et les sociétés secrètes de Bordeaux, de Marseille et de Lyon lui avaient inspiré le goût ; elle lui faisait comprendre que la théurgie ne menait pas à la vraie théosophie ; elle lui montrait la source la plus pure de cette étude, qui demeure rarement pure, qui s’égare si facilement et va si loin. Saint-Martin, ses Mémoires en font foi, suivit ces indications, car ce n’était que cela, avec une docile ardeur ; il lit de Jacques Boehme son vrai maître, le juge de toutes ses doctrines, le guide de ses plus hautes aspirations. Il le préféra à Swedenborg lui-même. Il déclare bien nettement qu’il n’a eu que deux maîtres, Martinez Pasqualis, dont il écrit le nom aussi fautivement que celui de madame de Bœcklin, et Jacques Boehme. » [3] « Mr de Saint-Martin madame de Boecklin, les deux Saltzmann, Goethe », article de Jacques Matter publié dans La Revue d’Alsace en novembre 1860.
Dans Mon portrait, Saint-Martin évoque plusieurs fois son amie de Strasbourg :
J’ai par le monde une amie comme il n’y en a point ; je ne connais qu’elle avec qui mon âme puisse s’épancher tout à son aise, et s’entretenir sur les grands objets qui m’occupent, parce que je ne connais qu’elle qui se soit placée à la mesure où je désire que l’on soit pour m’être utile ; malgré les fruits que je ferais auprès d’elle, nous sommes séparés par les circonstances. Mon Dieu qui connaissez le besoin que j’ai d’elle, faites lui parvenir mes pensées, et faites moi parvenir les siennes ; et abrégez s’il est possible les temps de notre séparation. (Saint-Martin, Mon Portrait, n° 103)
Dans une lettre adressée à Jean-Baptiste Willermoz le 27 avril 1790, Périsse-Duluc qui est à Paris depuis son élection de député, évoque une rencontre récente avec Saint-Martin où le Philosophe inconnu lui a parlé de Mme de Boecklin :
St Martin que je vis, il y a environ un mois, suit sa marche ordinaire ; si ce n’est qu’à Strasbourg et à Paris il frise un peu les crisiaques ; sans néanmoins s’y livrer. Il m’a parlé avec enthousiasme d’une femme avec laquelle il est intimement lié à Strasbourg, et qu’il met bien haut dans les grandes choses, non pas comme crisiaques, car c’est une magnétiseuse au contraire, mais comme très élevée en doctrine. Il a fait un nouveau livre, l’Homme de désir, qu’il m’a dit je crois vous avoir envoyé […] » [4] BML, ms 5430, Lettres de Périsse-Duluc à Willermoz, lettre n° 23, 27 avril 1790.
Sur Charlotte de Boecklin, voir aussi deux textes de Matter publiés en introduction Des nombres, Paris, Chacornac, 1913 :
Notes :