9° : Balzac, H. – Barbey D’Aurevilly, J. – Bruneau, J. – Considerant, V. – Des Genettes, R. – Galland, V. – Gence, J-B-M. – Guttinger, U. – Mickiewicz, A. – Stourm, E. – Varnhagen von Ense, K. A.
Sommaire
1835
MICKIEWICZ, Adam
30 octobre 1835
« Il me semble que les poèmes historiques et, en général, toutes les formes anciennes sont aujourd’hui à demi pourries et caduques, et qu’on ne peut les ranimer que pour l’amusement des lecteurs. La vraie poésie de notre siècle est peut- être encore à naître et l’on n’aperçoit que des symptômes de sa venue. Peut-être avons-nous trop écrit en guise de jeu et en visant des buts trop petits. Rappelle-toi, je t’en prie, ce mot de Saint-Martin : « On ne devrait écrire de vers qu’après avoir fait un miracle. » Il me semble que les temps reviendront où il faudra être « saint » pour être Poète. »
Lettre d’Adam Mickiewicz à Jérôme Kajsiewicz, Paris, 30 octobre 1835. Ap. FABRE, Jean, Lumières et Romantisme, Paris, Klincksieck, 1963, p. 222. La même citation sera reprise et commentée par Mickiewicz dans son cours au Collège de France du 23 janvier 1844 (cf. ci-après). Elle est approximativement extraite du Cimetière d’Amboise, poème saint-martinien publié dans les Œuvres posthumes, « Qui de l’art de parler serait vraiment l’oracle Ne ferait pas un vers qu’il ne fit un miracle ».
BALZAC, Honoré de
1835
« Si l’univers a un sens, voilà le plus digne de Dieu ! me disait monsieur Saint-Martin que je vis pendant le voyage qu’il fit en Suède. »
Seraphita, in La Comédie humaine, éditée par Marcel Bouteron, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », t. X, p. 513.
[Après une citation de Jacob Bœhme] : « Vous pouvez vous convaincre de la vérité de cette citation, reprit l’Allemand, en lisant la phrase dans la p. 75 du Traité de la Triple vie de l’homme, imprimé en 1809, chez monsieur Migneret, et traduit par un philosophe, grand admirateur de l’illustre cordonnier. »Me lmoth réconcilié, in La Comédie humaine, éditée par Marcel Bouteron, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », t. IX, p. 310.
« […] l’influence des mathématiques sur le bonheur de l’humanité prise en masse ; thèse soutenue par Swedenborg et Saint-Martin […]
Le Mysticisme […] fut transmis à madame Guyon, à Fénelon et à mademoiselle Bourignon par des auteurs allemands, entre lesquels le plus illustre est Jacob Boehm. Puis, au XVIII e siècle, il a eu dans Swedenborg un évangéliste et un prophète […] M. Saint-Martin, mort dernièrement, est le dernier grand écrivain mystique. Il a donné surtout la palme à Jacob Boehm sur Swedenborg ; mais l’auteur de Seraphita accorde à Swedenborg une supériorité sans contestation possible sur Jacob Bœhm aux œuvres duquel il avoue n’avoir rien pu comprendre encore. »
Préface au Livre mystique, in La Comédie humaine, éditée par Marcel Bouteron, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », t. XI, p. 268, 269-270.
Cf. AMADOU, Robert, « Balzac et Saint-Martin », L’Année balzacienne, Paris, Garnier, 1965.
BARBEY D’AUREVILLY, Jules
1835
« Les romans ne sont pas seulement la peinture de la vie, ils en sont aussi l’intelligence. S’ils n’en étaient que la peinture, ils ressembleraient beaucoup au drame, et ne seraient plus — suivant l’expression de Saint-Martin, spirituel parfois comme s’il n’était pas mystique en parlant des arts purement plastiques — que l’apparence de l’apparence. »
Préface de 1835 à Ce qui ne meurt pas, Paris, N.R.F., coll. « Bibliothèque de la Pléiade », Œuvres romanesques complètes, t. II, p. 1371.
BRUNEAU, Jules
1835
« Saint-Martin, l’illuminé », La France littéraire, Paris, Charles Malo, directeur, tome XIX, juin 1835, p. 257-276.
L’auteur, Jules Bruneau, se désigne comme « de Saumur ». Son article se présente comme une notice sur Saint-Martin, particulièrement centrée sur L’Homme de désir.
Cf. sa reproduction dans Les Cahiers de Saint-Martin, Nice, Bélisane, 1980, vol. III, p. 55-76.
DES GENETTES, René
1835
Souvenirs – p. 464 : « Pendant mon dernier voyage à Rome [1787-1788], trois français attirèrent plus généralement l’attention publique ; ce furent le comte de Vaudreuil, M. Campan et Saint-Martin. »
– p. 467 : « M. de Saint-Martin, chef de la secte des illuminés, connus sous le nom de Martinistes, était poli, doux et bienfaisant. Quand il était forcé d’entrer dans quelque discussion sur ses principes, ce qu’il évitait autant que les bienséances le permettaient, il était obscur et souvent même inintelligible comme le livre qui a fait sa réputation, et dont le titre est indiqué en note (1). »
(1) Des erreurs et de la vérité, ou les hommes rappelés au principe universel de la science…, 1775, in 8°, souvent réimprimé.
Souvenirs de la fin du XVIIIe siècle et du commencement du XIXe ou Mémoires de R. D. G., Paris, Firmin Didot, t. I, 1835 (t. II, 1836), p. 464, 467.
GENCE, Jean-Baptiste-Modeste
1835
Biographie littéraire – p. 11-12 : « Dom Feroux m’avait mis en relation avec M. de la Marnière, secrétaire des commandements de M. le duc de Penthièvre. Il m’indiqua pour aller, comme porteur du portrait du duc, remplir une place à Saint-Domingue, auprès de l’intendant. Je n’y allai pas, mais je présentai le jeune Gilbert, avide de s’instruire et de voyager, et il fut reçu. J’avais fait pour lui une analyse de l’ouvrage alors extraordinaire du Tableau naturel par le théosophe Saint-Martin ; et il a lui-même composé depuis, avec M. Joannis, des Principes d’anthropologie, fondés sur une division ternaire et tranchée de l’homme, mais sans que deux de ces principes soient rapportés, comme dans celle de Saint-Martin leur maître, à un principe supérieur et prédominant, tel que le suppose au moins l’auteur de la Balance naturelle, Antoine Lassalle, dont ils admettraient les deux forces alternatives opposées, en ne le citant point. »
– p. 17-18 [à propos de ses études philosophiques et religieuses] : « […] le retour d’Amérique de notre jeune Gilbert me valut une connaissance des plus zélées pour ce même objet. Après la révolution de Saint-Domingue à laquelle il avait échappé en se retirant aux États-Unis, quoiqu’occupé d’affaires de commerce, il recherchait des hommes et des écrits plus ou moins extraordinaires dans tous les genres de savoir. Les ouvrages de Claude de Saint-Martin, qu’il y rencontra, furent pour lui un moyen de lier connaissance, à son retour à Paris, avec leur auteur […] Je me rappelle que le jour où le nouveau pont des Arts fut ouvert au public, il y passa emmenant chez nous le théosophe Saint-Martin, qui me dit en entrant : « Voilà mon meneur », du même ton qu’un père eût pu dire : Voilà mon fils. Et ce fut pour moi comme l’ange conducteur auquel je dus, ainsi que je l’ai consigné dans l’inscription en tête de l’Ode sur Dieu ou l’Être infini en 1806, non seulement la connaissance de cet homme si plein de candeur, de religion et d’onction, dont l’apparition dans mon domicile, où se trouvaient présentes ma femme et ma pieuse mère émues jusqu’aux larmes, fut une bénédiction pour nous ; mais aussi la connaissance intime du docte et spirituel ami de Saint-Martin, le bon et zélé Prunelle de Lierre. »
– p. 38 : « Je dédiai à cet ami [Antoine Bertolacci] l’Entretien sur les principes de la philosophie (publié avec un Tableau), où, sous le titre de grammairien de Port-Royal, j’ai tâché de ramener la philosophie rationaliste à l’affirmation logique ou au verbe et à l’induction. Le rationalisme de Victor Cousin et le sensualisme de Broussais […] y sont discutés, les principes de Descartes et de Gassendi expliqués, et les vues du théosophe Saint-Martin éclaircies et distinguées de celles des anthropologistes Gilbert et Joannis, ses disciples. »
– p. 39 (à propos de la Biographie universelle de Michaud) : « Quoique mes relations avec M. Michaud eussent été interrompues par une sorte de mutilation du texte pour ainsi dire sacramentel de la partie vraiment analytique du théosophe Saint-Martin, à laquelle il substitua une obscure allégorie que l’auteur néanmoins avait lui-même donnée comme telle… »
Biographie littéraire de Jean-Baptiste-Modeste Gence, ancien archiviste du dépôt des chartes…, Paris, Moquet et comp., 1835, p. 11-12, 17-18, 38 et 39.
GUTTINGER, Ulrich
1835
Philosophie religieuse, recueil de citations de Saint-Martin, précédé d’une préface de Guttinger avec des notes et un post- scriptum, du même.
– Introduction : « Je pleurerai, mon Dieu, je pleurerai, jusqu’à ce que j’aie pu persuader mes frères, que Dieu seul peut les consoler.» — Saint-Martin, L’Homme de désir. Celui qui a écrit ces touchantes paroles est mort dans les larmes, sans doute, laissant à son siècle d’assez nombreux ouvrages, tous dignes de ce désir si tendrement exprimé : ouvrages pleins de savoir, d’inspiration, d’esprit vraiment prophétique ; d’obscurités aussi, qui en ont éloigné le monde vulgaire et frivole. J’étais de ceux-là, et pourtant, un jour, il m’a suffit d’ouvrir un de ces livres, pour vouer ma vie aux choses divines.
Tous ceux à qui j’en ai parlé m’ont dit : « Qu’est-ce que cet homme ? Nous ne le connaissons pas. Où sont ses ouvrages ? Comment se nomment-ils ? Ce que vous nous en racontez émeut profondément nos âmes, et remplit nos yeux de pleurs.
Cet homme, ai-je répondu, est Saint-Martin. Il a passé au milieu de vous, inconnu. Il parut vers la fin du siècle de la philosophie irréligieuse de Diderot, de d’Alembert, et de Voltaire. Bien peu se retournèrent à cette voix modeste et douce qui les rappelait dans les chemins du Christianisme, de tous côtés assaillis.
C’était contre les philosophes, que venait se présenter, la visière baissée, avec des armes en deuil, ce chevalier solitaire, sans nom, sans éclat, avec lequel il semble qu’on n’ait même pas voulu combattre […] […] C’est à toi d’abord que nous venons demander secours, homme vraiment saint, homme fertile, de nos temps de sècheresse et de stérilité. C’est ton esprit que nous invoquons et que nous venons tirer de tes livres abondants, pour le présenter à notre société haletante, égarée, mais qui nous semble tourner enfin ses regards vers le ciel. Ils verront que tu en viens, et que, sans doute, tu y es retourné.
Quelques pages de toi, dégagées de ces nuages souvent impénétrables dont tu t’es environné, leur persuaderont que tu avais une mission céleste, que le malheur des temps et la perversité des hommes m’empêchent de remplir. Ces pages, je me chargerai de les faire connaître. Si mon siècle ne veut pas les payer, je les lui donnerai, je les jetterai sur son passage, je les lirai à ceux qui viendront me voir, je mourrai dans cette conviction, que je n’ai rien tenté en ma vie de plus utile et de meilleur. C’est à toi de parler maintenant, à vous d’écouter, si vous voulez, comme il l’a dit quelque part, « diviniser votre cœur ».
– p. 138, post-scriptum : « Comme nous terminions ce travail, quelques observations d’hommes sages et éclairés sont venus tardivement nous troubler.
Saint-Martin, nous a-t-on dit, passe pour être peu orthodoxe : votre enthousiasme pour lui ferait soupçonner que vous êtes un de ses adeptes, et disposé à vous éloigner des immuables principes du catholicisme.
À cela, nous sommes pressés de répondre bien nettement : que nous n’avons rien aperçu de contraire aux dogmes de la sainte Église, dans ce que nous avons lu de Saint-Martin.
Plus clairement encore, nous déclarons n’être point l’un des adeptes de Saint-Martin, qui ne fit ni secte, ni école, et qui n’eut de son temps que des amis plus ou moins passionnés. — Notre âge ne nous permet pas d’en avoir fait partie. Aucune forme de dogme, aucun rituel n’a paru de ce philosophe ; nous n’avons eu ni à les admettre, ni à les combattre […]. »
Philosophie religieuse, vol. I, « Saint-Martin », Paris, chez Toulouse, 1835.
1836
BALZAC, Honoré de
Juin 1836
« Le Chemin pour aller à Dieu est une religion bien plus élevée que celle de Bossuet ; c’est la religion de Sainte-Thérèse et de Fénelon, de Swedenborg, de Jacob Boehm et de L. Saint-Martin. »
- de Balzac à Mme Hanska, fin juin 1836. Lettres à l’Étrangère, t. I, Paris, Calmann-Lévy, 1899, p. 336.
BALZAC, Honoré de
1836
Le Lys dans la vallée – « Amie intime de la duchesse de Bourbon, madame de Verneuil faisait partie d’une société sainte dont l’âme était monsieur Saint-Martin, né en Touraine, et surnommé le Philosophe inconnu. Les disciples de ce philosophe pratiquaient les vertus conseillées par les hautes spéculations de l’illuminisme mystique. Cette doctrine donne la clef des monde divins, explique l’existence par des transformations où l’homme s’achemine à de sublimes destinées, libère le devoir de sa dégradation légale, applique aux peines de la vie la douceur inaltérable du quaker, et ordonne le mépris de la souffrance en inspirant je ne sais quoi de maternel pour l’ange que nous portons au ciel. C’est le stoïcisme ayant un avenir. La prière active et l’amour pur sont les éléments de cette foi qui sort du catholicisme de l’Église romaine pour rentrer dans le christianisme de l’Église primitive […]. Rudement éprouvée par les tourments révolutionnaires, la duchesse de Verneuil avait pris, dans les derniers jours de sa vie, une teinte de piété passionnée qui versa dans l’âme de son enfant chéri la lumière de l’amour céleste et l’huile de la joie intérieure, pour employer les expressions mêmes de Saint-Martin. La comtesse reçut plusieurs fois cet homme de paix et de vertueux savoir à Clochegourde, après la mort de sa tante, chez laquelle il venait souvent. Saint-Martin surveilla de Clochegourde ses derniers livres imprimés à Tours chez Letourmy.
[…] [Henriette de Mortsauf] continua, disant qu’elle avait la certitude religieuse de pouvoir aimer un frère sans offenser Dieu ni les hommes ; qu’il y avait quelque douceur à faire de ce culte une image réelle de l’amour divin qui, selon son bon Saint-Martin, est la vie du monde. […]Henriette et son Philosophe inconnu auraient-ils donc raison ? leur mysticisme contiendrait-il le sens général de l’humanité ?
[…]Ah ! Nathalie, oui, certaines femmes partagent ici-bas les privilèges des Esprits Angéliques, et répandent comme eux cette lumière que Saint-Martin, le Philosophe inconnu, disait être intelligente, mélodieuse et parfumée. »
Le Lys dans la vallée, in La Comédie humaine, éditée par Marcel Bouteron, Paris, Gallimard, coll. « La Pléiade », t. VIII, p. 811-812, 854, 881, 934.
Cf. AMADOU, Robert, « Balzac et Saint-Martin », L’Année balzacienne, Paris, Garnier, 1965.
1837
STOURM, Eugène
1837
« Étude philosophiques sur Saint-Martin », Le Christianisme, journal populaire, deuxième année, premier trimestre, n° 1, janvier 1837, p. 193-308 et deuxième trimestre, n° 1, avril 1837, p. 32-53 et 92-115.
Ces textes sont reproduits dans Les Cahiers de Saint-Martin, Nice, Bélisane, 1980, vol. III, p. 77-105, avec une introduction de Frank-Paul Bowman.
1838
CONSIDERANT, Victor
1838
« Toutes les idées qu’ils appliquent journellement à leurs besoins, à leurs plaisirs, à leurs commodités, ne portent-elles pas chacune la certitude de l’idée à laquelle elles doivent la naissance ? Un livre n’est-il pas le signe du plan qu’un homme a formé de rassembler ses pensées comme dans un même corps ? Un char n’est-il pas le signe du plan qu’un homme a formé de se faire transporter rapidement sans fatigue ? Une maison n’est-elle pas le signe du plan qu’un homme a formé de se procurer une vie commode et à couvert des intempéries ? » (Saint-Martin.)
Passage cité en exergue in Destinée sociale, Paris, Librairie phalanstérienne, 1847, t. I, 2° éd., p. 391 (Organisation, livre II, chap. II : « Considérations sociales sur les variations de l’architectonique », paragraphe 1). La première édition de l’ouvrage est de 1838, Paris, Bureau de la phalange.
GALLAND, Victor
1838
« Parle, mon âme, puisqu’enfin tu adores ! » (Saint-Martin.)
Troisième exergue en titre de la brochure intitulée Initiation à ma vie intellectuelle et religieuse ou Profession de foi morale dédiée à mes amis, Soissons, Fossé Darcasse, 1838.
VARNHAGEN VON ENSE, Karl August
1838
Article intitulé « Louise Hergozin von Bourbon ».
Denkwürdigkeiten des eignen Lebens, 2. Auflage, Leipzig, Brockhaus, 1843-1859, 9 Bde, Bd IV, 1843, p. 336-401.
Cet article évoque à plusieurs reprises Saint-Martin :
– p. 343-345 : Les rapports de la duchesse de Bourbon et de Saint-Martin.
– p. 373-378 : Autour de 1800, elle recommande à Saint-Martin un jeune homme dans l’esprit duquel elle doit combattre l’esprit de tout un siècle.
– p. 388 : La mort de Saint-Martin affecte douloureusement la duchesse.
1839
NOUVELLE JÉRUSALEM (LA)
Janvier 1839
« On trouve dans le Journal Encyclopédique (vol. du 1er septembre 1785, t. IV, partie II°) une lettre du marquis de Thomé, qui montre que les doctrines de la Nouvelle Jérusalem avaient déjà trouvé à cette époque quelques adeptes en France…).
[…] Je viens de lire, dans la Gazette de Leyde, qu’à Londres, ceux qui ont adopté la doctrine de Swedenborg, ont formé une société adonnée à l’étude de ses ouvrages et à leur propagation. On ajoute que cet auteur a aussi un assez grand nombre de partisans en France, et qu’ils y sont connus sous le nom de Martinistes. Ce que M. Mercier a dit à ce sujet, dans son Tableau de Paris, a vraisemblablement induit en erreur les étrangers qui ont cru pouvoir s’en rapporter à lui. Cependant, M. Mercier a été on ne peut plus mal instruit à cet égard, étant absolument faux que les Martinistes soient partisans de Swedenborg. Il n’y a de commun entre ces deux doctrines que la croyance en Jésus-Christ et conséquemment à l’âme ; elles diffèrent dans tout le reste. D’ailleurs autant les connaissances de l’illustre Suédois sont étendues et toujours accompagnées de démonstrations, autant celles des Martinistes sont bornées et couvertes du voile du mystère.L’erreur se propage plus vite qu’elle ne se déracine. Depuis cette déclaration publique du marquis de Thomé, l’on a souvent confondu les disciples de la Nouvelle Jérusalem avec les Martinistes, et cette opinion erronée est encore partagée par quelques personnes. Si les Novi-Jérusalémites tiennent à la dissiper entièrement ; ce n’est toutefois que dans l’intérêt de la vérité, et pour constater un fait que chacun peut du reste facilement vérifier ; car il suffit, pour cela, de lire quelques pages de Swedenborg et de Saint-Martin. Des admirateurs de Saint-Martin ont souvent, il est vrai, adopté les théories de Swedenborg, et sont devenus de fervents disciples de la Nouvelle Église ; mais il n’est pas à notre connaissance qu’aucun Novi-Jérusalémite ait abandonné les théories de Swedenborg pour celles de Saint-Martin.
Nous avons découvert dans les papiers d’Ed. Richer une lettre qui contient sur Saint-Martin quelques particularités qui viennent fort à propos à l’appui de ce que nous venons de dire ; cette lettre, qui est du capitaine Bernard (1), renferme les passages suivants :
Un parent, un ami de Saint-Martin, que j’ai eu l’avantage de connaître à Amboise, où il habite encore la maison du théosophe, a bien voulu me donner communication de quelques lettres adressées à l’auteur de l’Homme de désir par des amis chrétiens… Ce parent de Saint-Martin est un vieillard septuagénaire, nommé M. Tournyer ; sa conversation est d’un grand intérêt pour les amis du philosophe inconnu, pour lequel il conserve une vive affection. Il se rappelle avoir écrit sous sa dictée le Ministère de l’Homme-Esprit. Il m’a appris que, quoique Saint-Martin eût très peu lu Swedenborg, dont il croit se rappeler qu’il ne connaissait que les Merveilles du Ciel et de l’Enfer, il avait proposé une souscription pour faire imprimer la traduction de Moët, de Versailles. M. Tournyer m’écrivait lui-même en septembre 1825 : « Swedenborg mérite bien d’être votre auteur favori ; c’est un véritable prophète, envoyé pour le temps présent, afin de nous annoncer la Nouvelle Jérusalem, et de nous préparer à l’établissement de son règne. M. de Saint-Martin s’accorde avec lui pour l’annoncer. Ces nouvelles faveurs que Dieu daigne accorder tendent surtout à expliquer le sens intérieur des Écritures- Saintes. »
Voici donc un parent, un ami, un admirateur de Saint-Martin qui reconnaît la mission prophétique de Swedenborg ; et nous ne doutons pas que l’auteur de l’Homme de désir ne l’eût lui-même reconnue, s’il ne se fût pas contenté de lire seulement un de ses ouvrages. Du reste, enthousiasmé des écrits de Jacob Bœhme, qu’il a traduits en français, Saint- Martin n’a pu lire les Merveilles du Ciel, par Swedenborg, avec toute la liberté d’esprit nécessaire pour juger cet ouvrage ; cependant, quelque superficielle qu’ait été cette lecture, il faut néanmoins qu’elle ait fait une grande impression sur lui, puisqu’au rapport de M. Tournyer, il avait proposé une souscription pour faire imprimer la traduction des ouvrages du théosophe suédois. »
(1) « Le Capitaine Bernard, décédé en 1828, fut le plus ardent propagateur des doctrines de la Nouvelle Église en France. Nous espérons que nous serons bientôt en état de faire connaître ses importants travaux. »
La Nouvelle Jérusalem, revue religieuse et scientifique, livraison de janvier 1839, vol. I, « Partie rétrospective », p. 314-316.
NOUVELLE JÉRUSALEM
Janvier 1839
« […] En 1818, nous écrit le capitaine Paillard, Bernard n’en était encore qu’aux sciences naturelles ; mais, un an après, je le vis arriver à Brest tout à fait spiritualiste, pénétré des écrits de Saint-Martin et de Lamartine. […]
C’est en 1820, nous dit le capitaine Puvis, que Bernard ramené depuis quelque temps au spiritualisme par des expériences magnétiques, et plus tard au Christianisme par l’étude des œuvres du théosophe Saint-Martin, fut initié dans la doctrine révélée à Swedenborg. […]
La nouvelle destination du 23° régiment qui, au commencement de 1825 rentrait d’Espagne et ralliait son dépôt, était Tours avec Blois et Angers. Bernard résida d’abord à Tours, mais peu de temps. Parti pour Blois, il ne put oublier, en passant par Amboise, que c’était la patrie du théosophe Saint-Martin, aux ouvrages duquel il devait son retour au Christianisme. Il avait appris qu’il y trouverait encore quelques membres de sa famille ; il fut en conséquence visiter un neveu (c) de ce philosophe, obtint plus tard de lui la communication de quelques manuscrits, et l’amena à mieux connaître la doctrine révélée à Swedenborg, doctrine que, dans sa jeunesse, il n’avait fait qu’entrevoir, ainsi que Saint- Martin, par le défaut seul de traductions qui alors n’existaient point encore.
(c) « M. Tournyer dont nous avons parlé dans notre livraison de janvier 1839, 1er vol., p. 315. — Voici un passage d’une lettre qu’il écrivait au capitaine Puvis en lui parlant de Bernard : Je me féliciterais toujours, dit-il, d’avoir fait la connaissance de ce véritable théosophe, qui me semble bien destiné à fonder en France la Nouvelle Église, d’après les merveilleux principes de Swedenborg, qu’on ne saurait trop méditer. Je me rappelle bien que lorsque M. de Saint-Martin eût lu le premier ouvrage de ce Suédois, du Ciel et de l’enfer, il me dit qu’il regrettait que les autres ne fussent pas traduits, afin de pouvoir mieux apprécier sa doctrine. Il n’aurait rien eu à désirer, s’il eût lu son dernier ouvrage sur la Nouvelle Église. La Théologie universelle ne laisse aucun doute dans l’esprit des lecteurs pieux et préparés par la lecture des Écritures Saintes, et des ouvrages de Bœhme et de St-Martin […]. »
La Nouvelle Jérusalem, revue religieuse et scientifique, livraison de janvier 1839, vol. I, « Partie rétrospective – Le Capitaine Bernard », p. 204-219.