11° : Carnot, H. – Dumas, A. – Henriette – La Voix des Femmes – Magasin Pittoresque (Le) – Michelet, J. – Moreau, L. – Nerval, G.
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Sommaire
1845
MICHELET, Jules
28 juin 1845
« Les hommes d’action, les mystiques, Saint-Martin, disent : « Nous n’avons que l’action, la volonté ; l’idée est de Dieu, non de l’homme… » Aux mystiques nous répondons : « Oui, sans doute, toute idée vraie est à la fois en Dieu et dans l’homme ; mais l’évocation de l’idée, le progrès de l’idée n’en est pas moins généralement le fait de l’héroïsme intellectuel de l’homme. L’homme n’est pas ici un simple instrument ; il est actif au plus haut degré, héroïque. Que signifient ces classifications, rigoureuses en apparence, vaines en réalité, entre l’action et la pensée ? Est-ce qu’il y a jamais action sans pensée ou pensée sans action ? »
Cours au Collège de France, 28 juin 1845. VIALLANEIX, Paul, La voie royale, essai sur l’idée de peuple dans l’œuvre de Michelet, Paris, Flammarion, 2° éd., 1971, p. 175-176.
MAGASIN PITTORESQUE (LE)
Octobre 1845
« Saint-Martin, le Philosophe inconnu », article anonyme. [article en ligne]
Le Magasin pittoresque, t. XVIII, n° 42, octobre 1845, p. 330-332.
NERVAL, Gérard de
1845
« Martinez, qui avait couvert la France de loges maçonniques selon son rite, était allé mourir à Saint-Domingue ; la doctrine ne put se conserver pure, et se modifia bientôt en admettant les idées de Swedenborg et de Jacob Boehm, qu’on eut de la peine à réunir dans le même symbole. Le célèbre Saint-Martin, l’un des néophytes les plus ardents et les plus jeunes, se rattacha particulièrement aux principes de ce dernier. À cette époque l’école de Lyon s’était fondue déjà dans la Société des Philalèthes, où Saint-Martin refusa d’entrer, disant qu’ils s’occupaient plus de la science des âmes, d’après Swedenborg, que de celle des esprits, d’après Martinez.
Plus tard, parlant de son séjour parmi les illuminés de Lyon, cet illustre théosophe disait : « Dans l’école où j’ai passé il y a vingt-cinq ans, les communications de tout genre étaient fréquentes ; j’en ai eu ma part comme beaucoup d’autres. Les manifestations du signe du Réparateur y étaient visibles : j’y avais été préparé par des initiations. Mais, ajoute-t-il, le danger de ces initiations est de livrer l’homme à des esprits violents ; et je ne puis répondre que les formes qui se communiquaient à moi ne fussent pas des formes d’emprunt. »
Le danger que redoutait Saint-Martin fut précisément celui où se livra Cazotte, et qui causa peut-être les plus grands malheurs de sa vie. »
Préface à CAZOTTE, Jacques, Le Diable amoureux, Paris, Ganivet, 1845. Le texte fut repris en 1852 dans Les Illuminés.
1846
MOREAU, Louis
1846
« Examen des doctrines du Philosophe inconnu Louis-Claude de Saint-Martin ».
Le Correspondant, recueil périodique, religion, philosophie, politique, sciences, littérature, beaux-arts, Paris, Librairie de Sagnier et Bray, 1846, t. XIV, p. 495-512 et t. XVI, p. 13-36.
1847
CARNOT, Hippolyte
1847
« Nous étions à l’affût de toutes les manifestations philosophiques qui nous paraissaient avoir une tendance religieuse. La Palingénésie sociale de Ballanche était en haute estime parmi nous ; nous poussions nos recherches dans les œuvres du Philosophe inconnu, et jusque dans les neuf livres de M. Coëssin. »
« Sur le saint-simonisme », lecture faite à l’Académie des sciences morales par M. Carnot, Paris, A. Picard, 1887,
125. Une note indique que le texte a été écrit en 1847.
MICHELET, Jules
1847
« Réponse de la Révolution et aux spécificateurs actifs et aux mystiques inactifs. Au commencement, les spécificateurs, comme Bircke, se moquent de ces idées si vieilles, si vagues, si générales. À la fin, les hommes d’action (Bonaparte), se moquent des idéologues : A quoi servent les idées ? A ne pas se faire sacrer par Le Pape. Et les hommes d’inaction, les mystiques (Saint-Martin), disent : Nous n’avons que l’action, la volonté ; l’idée est de Dieu, non de l’homme. Donc cette révolution d’idées n’a pas d’idées à elle. Donc la révolution est simple instrument de Dieu ; donc pas d’originalité. »
Journal, t. I (1828-1848), éd. Paul Viallaneix, Paris, Gallimard, 2e éd., 1959, p. 667. On notera, à quelques détails près, l’identité avec le cours du Collège de France, deux ans plus tôt.
LA VOIX DES FEMMES
26 mars 1848
« Manne céleste », article non signé.
L’auteur annonce son intention de publier sous ce titre, dans des articles réguliers, des pensées « venues d’en haut et tenues en réserve pour les peuples marchant à leur liberté et reconstituant l’être-humanité ». Les ouvrages dont elles seront tirées seront peu connus. Cette fois, l’article cite un passage de l‘Homme de désir : Depuis « Quelle est votre précipitation, vous tous, adversaires de la vérité […] » jusqu’à « […] Sentez que pour qu’un être soit condamné à être aux prises avec l’univers entier, il faut qu’il ait été assez grand pour troubler l’univers ».
La Voix des femmes, journal socialiste et politique, organe des intérêts de toutes, n° 6, 20 mars-20 juin 1848, p. 1
LA VOIX DES FEMMES
4 avril 1848
« Manne céleste : Saint-Martin et Fourier », article non signé.
La Voix des femmes, journal socialiste et politique, organe des intérêts de toutes, n° 15, 4 avril 1848, p. 2.
L’article est précédé d’une demande d’insertion : un lecteur prie la rédaction de bien vouloir faire paraître l’article en question. Ce lecteur indique que cet article « fait suite à celui qui a été publié dans le n° du 26 mars », et se désigne comme l’auteur de ce précédent article.
Saint-Martin, écrit-il en substance, a proclamé les principes d’association et de solidarité. C’est un précurseur de Fourier. Il cite alors le passage suivant de l’Homme de désir : « Homme, soit l’interprète de la vie. Homme, soit la sentinelle de la vie […] » jusqu’à « […] et qui le laissent vides de leurs œuvres et de leurs bienfaits ».
L’auteur annonce un prochain article sur Saint-Martin, où « la coïncidence du mystique avec Fourier sera des plus frappantes ». L’article promis semble n’avoir été jamais publié dans le journal.
HENRIETTE *** (artiste)
4 mai 1848
(Avocate, contre Ernest Legouvé, de la femme libre et du système d’essor passionnel de Fourier, Henriette *** défend la parenté du socialisme et du mysticisme et voit en Saint-Martin un précurseur de Fourier) :
« Je crois avoir des preuves pour établir sa parenté [= celle du mysticisme] avec toutes les doctrines socialistes, et je les empreinte à Saint-Martin, l’un des mystiques les plus remarquables et les moins connus. Voici les paroles qu’il prononçait bien avant l’apparition de toutes les théories socialistes :
« Homme, rappelle ton discernement pour ne pas te tromper dans tes voies ; parce que les actions sont différentes, doivent-elles te paraître opposées ? L’homme est combattu, même par la diversité de ce qui est vrai, parce que la vérité s’est subdivisée pour l’accompagner dans les différents degrés qu’il a parcourus dans sa chute. Si tu ne cueilles les fruits de l’un de ces degrés, tous ceux que tu parcours ensuite ne feront que te troubler et t’ôter tes forces. L’unité est dans chacun d’eux ; c’est à la lumière de son flambeau que tu peux tous te les rendre profitables. » (1)
Quelle révélation, monsieur, pour ceux qui croient au théorème par excellence de la Variété dans l’Unité ; pour ceux qui ne craignent pas d’en proclamer la loi, et qui entrevoient le temps où l’application de cette loi se montrera en raison même de la compression et des désordres passés ! »
(1) « L’Homme de désir, par Saint-Martin, dont les ouvrages publiés à la fin du dernier siècle ont paru sous le pseudonyme de : un philosophe inconnu. »
La Femme libre, lettre à Monsieur Ernest Legouvé, Paris, le 4 mai 1848, s. l. n. d., Lange Lévy, in-8 °, 8 p., p. 7-8.
« C’est pour toi, Modérateur futur de la République, que j’ai entrepris d’écrire le fruit de mes méditations, fruit chétif comme celui que l’on recueille sur l’arbre inculte de la forêt ; mais l’habile horticulteur ne dédaigne pas le plan sauvage dont son art amènera progressivement les générations futures à une haute perfection ; ne dédaigne donc pas de recevoir de moi la Clé de la Science sociale, bien que je sois un personnage peu considérable par moi- même. Au reste, dirai-je pourquoi je ne me suis pas laissé arrêter dans mon œuvre par le sentiment de mon néant ? Le hasard a placé devant mes yeux cette sentence significative : « Science, Science, tu es trop simple pour que les savants et les hommes du monde puissent te soupçonner. » Je n’y aurais vu probablement qu’un paradoxe, si elle eût émané de tout autre que le profond théosophe Saint-Martin ; mais après l’avoir méditée sérieusement, j’en ai reconnu toute la justesse. »
[…]Oui, le théosophe Saint-Martin, et après lui Joseph de Maistre ont vu avec raison dans la France le peuple sacerdotal des temps modernes […] »
La clé de la science, études sociales, adressées au futur modérateur de la république française, Paris, Brest, Waille, libraire-éditeur, Édouard Anner, libraire-éditeur, 1848, p. 9, 17.
1849
DUMAS, Alexandre
1849-1850
Le Collier de la reine – « […] Et comme si ce siècle avait pris à tâche de donner à chaque esprit selon son aptitude, à chaque cœur selon sa sympathie, à chaque corps selon ses besoins, en face de Mesmer, l’homme du matérialisme, s’élevait Saint-Martin, l’homme du spiritualisme, dont la doctrine venait consoler toutes les âmes que blessait le positivisme du docteur allemand.
Qu’on se figure l’athée avec une religion plus douce que la religion elle-même ; qu’on se figure un républicain plein de politesses et de regards pour les rois ; un gentilhomme des classes privilégiées, affectueux, tendre, amoureux du peuple ; qu’on se représente la triple attaque de cet homme, doué de l’éloquence la plus logique, la plus séduisante contre les cultes de la terre, qu’il appelle insensés, par la seule raison qu’ils sont divins !
Qu’on se figure enfin Épicure poudré à blanc, en habit brodé, en veste à paillettes, en culotte de satin, en bas de soie et en talons rouges ; Épicure ne se contentant pas de renverser les dieux auxquels il ne croit pas, mais ébranlant les gouvernements qu’il traite comme les cultes, parce que jamais ils ne concordent, et presque toujours ne font qu’aboutir au malheur de l’humanité.
Agissant contre la loi sociale qu’il infirme avec ce seul mot : elle punit semblablement des fautes dissemblables, elle punit l’effet sans apprécier la cause.
Supposez, maintenant, que ce tentateur, qui s’intitule le philosophe inconnu, réunit, pour fixer les hommes dans un cercle d’idées différentes, tout ce que l’imagination peut ajouter de charmes aux promesses d’un paradis moral, et qu’au lieu de dire : les hommes sont égaux, ce qui est une absurdité, il invente cette formule qui semble échappée à la bouche même qui la nie :
Les êtres intelligents sont tous rois !
Et puis, rendez-vous compte d’une pareille morale tombant tout à coup au milieu d’une société sans espérances, sans guides ; d’une société, archipel semé d’idées, c’est-à-dire d’écueils. Rappelez vous qu’à cette époque les femmes sont tendres et folles, les hommes avides de pouvoir, d’honneurs et de plaisirs ; enfin, que les rois laissent pencher la couronne sur laquelle, pour la première fois, debout et perdu dans: l’ombre, s’attache un regard à la fois curieux et menaçant, trouvera-t-on étonnant qu’elle fît des prosélytes, cette doctrine qui disait aux âmes :
Choisissez parmi vous l’âme supérieure, mais supérieure par l’amour, par la charité, par la volonté puissante de bien aimer, de bien rentre heureux ; puis, quand cette âme, faite homme, se sera révélée, courbez-vous, humiliez-vous, anéantissez-vous toutes, âmes inférieures, afin de laisser l’espace à la dictature de cette âme, qui a pour mission de vous réhabiliter dans votre principe essentiel ; c’est-à-dire dans l’égalité des souffrances, au sein de l’inégalité forcée des aptitudes et des fonctionnements. »
Ajoutez à cela que le philosophe inconnu s’entourait de mystères ; qu’il adoptait l’ombre profonde pour discuter en paix, loin des espions et des parasites, la grande théorie sociale qui pouvait devenir la politique du monde.
— Écoutez-moi, disait-il, âmes fidèles, cœurs croyants, écoutez-moi et tâchez de me comprendre, ou plutôt ne m’écoutez que si vous avez intérêt et curiosité à me comprendre car vous y aurez de la peine, et je ne livrerai pas mes secrets à quiconque n’arrachera point le voile.
« Je dis des choses que je ne veux point paraître dire, voilà pourquoi je paraîtrai souvent dire autre chose que ce que je dis. »
Et Saint-Martin avait raison, et il avait bien réellement autour de son œuvre les défenseurs silencieux, sombres et jaloux de ses idées, mystérieux cénacle dont nul ne perçait l’obscure et religieuse mysticité.
Ainsi travaillaient à la glorification de l’âme et de la matière, tout en rêvant l’anéantissement de Dieu et l’anéantissement de la religion du Christ ces deux hommes qui avaient divisé en deux camps et en deux besoins tous les esprits intelligents, toute les natures choisies de France. »
Le Collier de la reine, (1848-1850), t. I, chap. xvi, « Mesmer et Saint-Martin », Éditions Nelson, p. 285-288.