Lettre de Martinès de Pasqually du 20 septembre 1765 au Chef général de l’Orient d’Écosse, d’Irlande et d’Angleterre.
Sommaire
Présentation :
Cette lettre inédite, datée du 20 septembre 1765, est conservée à la Grand Lodge Library, Freemasons’ Hall (Londres). Elle vient des archives du Dr Francis Clements Crossle (1847-1910), collectionneur et franc-maçon irlandais. L’original autographe de ce document est perdu, il ne subsiste que sa transcription dactylographiée suivie de sa traduction en anglais. Martinès de Pasqually a rédigé cette lettre environ deux mois après l’arrivée du Régiment Foix infanterie à Bordeaux. L’abbé Joseph Bullet, l’aumônier de ce régiment, est devenu son secrétaire et c’est probablement lui qui a rédigé cette lettre.
Ce document s’inscrit dans la période où Martinès de Pasqually subit les critiques de la loge Saint-Jean d’Écosse de Marseille et de L’Amitié de Bordeaux. Il est accusé d’irrégularité, d’être sans constitutions et de faire commerce de maçonnerie. Pendant cette période, le fondateur des Élus coëns tente de justifier sa légitimité en prenant contact avec différentes autorités maçonniques. La lettre que nous publions ici s’inscrit probablement dans cette perspective. Elle a pour destinataire le « Chef général de l’Orient d’Écosse, d’Irlande et d’Angleterre ». À la lecture de ce courrier on remarque que Martinès de Pasqually cherche à se placer dans le sillage de la maçonnerie anglaise. Il écrit que son père était en relation avec des maçons anglais ayant séjourné à Aix-en-Provence en 1721. Rappelons que selon Henri de Loucelles, le père de Martinès de Pasqually aurait été le vénérable d’une loge à Aix [1] Henri de Loucelles, « Recherches historiques, orient de Bordeaux. Loge La Perfection », La Chaîne d’Union, 1880, t. 9, 3e série. .
Contrairement à la fameuse lettre patente de mai 1738 (probablement apocryphe) exhibée par le fondateur de l’ordre des Élus coëns, cette lettre de 1765 ne fait pas référence à Charles Stuart, mais à des nobles anglais, plusieurs Milords, et en particulier à une rencontre avec le duc d’Hamilton [2] André Kervella émet des réserves sur la possibilité d’un tel séjour à cause de l’épidémie de peste qui sévissait dans cette région depuis l’été 1720, voir Aux sources du régime écossais rectifié, Martinès de Pasqually, La Pierre Philosophale 2016, p. 30. . Ce dernier, précise-t-il, a « déposé dans mon sein les lumineuses instructions qui nous dirigent dans Nos Ordres M[açonniques] [3] Sur le duc d’Hamilton, voir David Stevenson, Les premiers Francs-Maçons, les loges écossaises originelles et leurs membres, éd. Ivoire-Clair, 2000. .
Martinès de Pasqually reçut-il une réponse ? Nous l’ignorons, et à ce jour, aucune source documentaire ne permet d’en témoigner. Nous renvoyons cependant aux documents reproduits par Gérard van Rijnberk qui semblent indiquer que la Grande loge Anglaise ne cautionnait pas Martinès de Pasqually. Dans ses échanges avec les loges bordelaises (L’Amitié et la Française), elle ne fait pas référence à Martinès de Pasqually lorsqu’elle donne la liste des loges françaises qui sont alors (1765) sous sa dépendance [4] Gérard Van Rijnberk, Un thaumaturge au XVIIIe siècle, Martinès de Pasqually, sa vie, son œuvre, son ordre, Lyon, t. II, 1938, p. 61. . Comme le précise Michelle Nahon, en se référant à des dates lointaines Martinès de Pasqually espérait obtenir de la Grande Loge de Londres la confirmation d’événements antérieurs, difficilement contrôlables, pour obtenir la légitimité lui faisant défaut. [5] M. Nahon, Martinès de Pasqually, 2e éd., Dervy 2017, p. 330 .
Ajoutons que la lettre que nous présentons ici précède de quelques semaines la rédaction du diplôme d’apprenti-compagnon maçon attribué par la Loge de la Perfection Élue Écossaise de Bordeaux le 22 octobre 1765 à Izaac Piochau [6] Ce document, acheté par Daniel Guéguen dans une vente publique en 2014 a été reproduit dans la revue Renaissance Traditionnelle n° 184, p. 366-367. Michelle Nahon lui a consacré un article dans le Bulletin de la Société Martinès de Paqually n° 27, 2017, « Découverte d’un nouveau certificat d’initiation » p. 31-37. .
Nous remercions Stewart Clelland de nous avoir proposé de publier cette lettre dont il a lui-même donné la traduction anglaise dans son dernier livre, The Green Book of the Elus Coens (Lewis Masonic, juin 2021). En 1998, Pierre-Yves Beaurepaire avait reproduit un bref extrait de ce document dans L’Autre et le Frère, l’Étranger et la Franc-maçonnerie en France au XVIIIe siècle en précisant que c’est Michel Brodsky qui lui a donné une copie de ce document, conservé à la Grand Lodge Library, Freemasons’ Hall, Londres [7] Paris, Honoré Champion, 1998, p. 221. . Nous proposons ici la première édition intégrale de ce document qui contribuera probablement à alimenter les spéculations sur les origines de l’ordre des Élus coëns.
Dominique Clairembault, 16/09/2021
Note : Nous reproduisons ce document en respectant l’orthographe de l’original (voir fac-similé de la 1re page ci-dessous).
Lettre de Martinès de Pasqually
Letter from
Martines de Pasqually
20th Sept 1765
Au Nom du grand architecte de l’Univers, Joie, Prospérité et Salut soit donné par Nous Grand Souverain maître des Ordres de la franche maçonnerie spirituelle, temporelle et simbolique.
Très haut très puissant, et très Respectable Maître, ayant appris par voie indirecte le G. Ate. D. l’Univers vous ai élu pour la conduite générale de Nos Ordres, pour protéger et affermir le zèle, le courage, et l’attachement des Peuples qui se sont volontairement soumis aux Lois, Statuts, Règlements et discipline de la franche maçonnerie je ne doute point que tous Nos frères répandus sur la surface des deux hémisphères ne se glorifient de la [sic, pour « ce »] choix et ne s’efforcent à seconder vous désirs pour la Propagation de nos ordres, en puisant dans vos lumières les doctes leçons que vous voudrez bien leur donner sur la connaissance de Nos Mistères
Recevez très haut et très Puissant Maître mon homage ; il prend sa source dans le cœur de mes ancêtres qui depuis la Dispersion des Coëns ont travaillé constamment avec les vôtres à conserver la pureté de l’art Royale, et les sublimes connaissances de la franche maçonnerie spirituelle. C’est à eux à qui j’en dois la transmission ; faveur qui doit vous être un sur garant de ma vive et sincère reconnaissance et de mon inviolable attachement.
En 1721 vos prédécesseurs et plusieurs autres Milords vinrent passer quelques temps à Aix-en-Provence. Là feu mon Père travailla avec eux dans nos Sts. M… En 1733 je fus assez heureux pour les convaincre de mon zèle, de mon courage et de mon attachement pour Nos Ordres Respectables, et pour mériter leur Confiance [8]Ce passage, depuis « En 1721 » jusqu’à « leur confiance » a été reproduit par P-Y. Beaurepaire dans L’Autre et le Frère, l’Etranger et la Franc-maçonnerie en France au XVIIIe siècle, (Paris, Honoré Champion, 1998, p. 221), en précisant que c’est Michel Brodsky qui lui a donné une copie de ce document, conservé à la Grand Lodge Library, Freemasons’ Hall, Londres. André Kervella le reprend Aux sources du Régime écossais rectifié, La Pierre Philosophale, 2016, p. 30, ainsi que M. Nahon, dans la 2e éd. de son livre sur Martinès de Pasqually (Dervy 2017), p. 328. . Ce fut donc vos prédécesseurs et les autres Maîtres qui composaient ce temple Respectable de la vraie maçonnerie, qui m’eclairerent et m’instruisirent dans les Points fixes et invariables de Nos Ordres Spirituels.
C’est alors que la maçonnerie parut en France sous la puissance des chefs d’Écosse d’Irlande et d’Angleterre, dont vous êtes encore un des chefs respectables à tous égards et que je reconnais pour tel. Mon âme tressaille de joie d’apprendre que le G. Ats. ayant pris vers lui le tronc en a conservé en Vous le Rejeton, pour immortaliser la mémoire de son nom parmi tous les frères Maçons.
Je ne puis vous laisser ignorer que si je suis parvenu à la place éminente que j’occupe autour de la grande table Ronde de la franche maçonnerie, c’est après la puissance du G. Ate. aux bontés de Vos prédécesseurs frères Me Duc Hamilton, qui ont déposé dans mon sein les lumineuse instructions qui nous dirigent dans Nos Ordres M. J’ai en main les patentes constitutives qu’ils me confièrent à feu mon père avec ordre de me les transmettre avant sa mort, ce qu’il a fait et que j’aurai la satisfaction de Vous faire voir dans la visite que je me propose de faire sous peu de temps à tous mes frères maçons existant sur l’Orient d’Écosse, d’Irlande, et d’Angleterre, pour les instruire de tout ce qui se passe concernant le Bien general de l’Ordre, leur faire connaître par les temples que j’elève à la gloire du G. Ate à l’instruction desquels je travaille, et que je fortiffierais [sic] par une constitution authentique émanée du tribunal des Grands Souverains Maitres de l’Ordre de la franche maçonnerie des Coëns Etablie en Orient, exercée par principe et méthode en Occident, pratiquée suivie et gontee [sic] dans le Midi, et ignorée dans le Septentrion quoique ce soit dans cette partie que les évènements les plus [9] Translator’s note : « There is a lacuna in the texte here. » de nos ordres se sont passés.
La franche maçonnerie, très haut et très Puissant Maître, est la clé de toutes les connaissances des choses créées par le Grand Architecte de l’Univers et les hommes ne peuvent rien connaître de ce qui existe terrestrement et célestement sans la connaissance parfaite de la franche maçonnerie spirituelle, ou tout au moins des nombre mistérieux qui l’ont fait connaître à certains hommes élus et lui par le Grand architecte, et ces connaissances ne peuvent s’acquérir que par des Recherches Exactes, pures, et sincères auprès du Grand [p. 5] architecte et de Ses Sept Elus à qui il a communiqué cette science pour perpétuer les vrais maçon sur la surface de la terre et leur servir d’étoile flamboyante. Le nombre des Maçons est considérable en aparence, mais peu nombreux en réalité selon le Proverbe du député du grand architecte qui dit : « Beaucoup d’appelés, Peu d’Elus [»] ; tels sont les Maçons qui ne suivent les ordres de la franche maçonnerie qu’en apparence, qui comparables à l’écorce de l’arbre qui porte beaucoup de fleurs et ne produit jamais de fruits, sont des fleurs inutiles et les fantômes qui font illusion sous le nom de maçon. Cette parabole très haut et très Puissant maître doit nous rappeler les Sts. Engagements que nous avons contractés entre les mains de nos premiers frères, au nom du Grand Architecte. Vous êtes du nombre de ceux qui siègent actuellement sur [p. 6] les sept degrés de Gloire de la franche maçonnerie spirituelle, par conséquent convaincu de la Nécessité de les observer exactement, et très persuadé que cette sublime science nous mêt devant les yeux dans leur réalité, les événements, présent et futur, fasse le Grand Architecte de l’Univers qu’il vous ais toujours en sa Ste garde, et vous perpetûe à jamais de génération en génération au Nombre de ses Elus pour le Soutien de l’art Royale et la conduite des vrais Prosélyte rappelés au point fixe, par la franche maçonnerie, pour la gloire du Grand architecte de l’Univers, et vous obtienderes par là l’immortalité et la Païe des Païes le Saint des Saints et dans les siècles des siècles. Amen. Amen. Amen.
Paix, Salut, Santé soit avec vous et avec vos frères par les Nombres mistérieux qui vous caractérisent très haut, très Puissant, et très Respectable Master.
Votre très afectionné frère [signature]
Dom Martines pasqually Ecuyer
G.Srin Mtre Des ordres de la franche Maçonnerie
Des 4 parties et 3 Exencielles De la terre
Et du monde par Les nombres mistérieus Ci aprets
à bordeaux le 20 Sbre 1765
Fac-similé de la 1er page
Notes :