Dans son dernier livre, Jean-Marc Vivenza s’intéresse aux sources de Jean-Baptiste Willermoz en abordant longuement la question de l’ordre des élus coëns. Avec cette vidéo (1 h 15 min), diffusée sur Baglis.tv, il revient sur ce point en abordant plus spécialement le problème de la légitimité de la théurgie. Par cette magie cérémonielle qui fait appel aux anges, les élus coëns prétendaient perpétuer le « culte primitif », un rite ayant pour but d’amener les anges déchus à résipiscence, mettant ainsi en œuvre le processus de la « réintégration » en Dieu.
Dans un premier temps, Jean-Marc Vivenza présente les fondements historiques de la théurgie. Jamblique, Proclus, les néoplatoniciens, Pelagius, Cornélius Agrippa… figurent parmi les grands noms attachés à ces pratiques magiques. Jean-Marc Vivenza rappelle qu’elles furent condamnées par l’Église dès le VIIIe siècle. Cette dernière interdit d’ailleurs toute forme de culte faisant appel aux anges. Seuls les anges officiellement reconnus par l’Église – Gabriel, Raphaël et Michael – peuvent être désignés dans les prières des fidèles.
Les rites pratiqués par les élus coëns utilisaient la théurgie, bien qu’ils n’employassent jamais ce terme pour qualifier leurs « opérations ». Ces pratiques occupaient une place plus ou moins importante selon la nature de leurs cérémonies : initiations, prières, rites d’expiation ou d’exconjuration. Ces derniers s’apparentaient à des formes d’exorcismes destinés à provoquer la résipiscence des anges mauvais. [1] En 2019, dans la recension d’un livre sur les élus coëns, nous avions nous-même souligné cet aspect, citant l’extrait d’un rituel où le Réau-Croix appelle à comparaître devant lui, les chefs des légions angéliques dispensatrices du mal, « Lucifer, Barau, Belzébu, Léviatan », pour les molester. Il interpelle par ces mots le démon « Ô toi, maudit serpent [….] obéis à mon commandement, apparait et demeure en ma présence et aux environs de mes cercles, revêts ton âme maudite d’un corps honnête et gracieux. » (Conjuration pour molester les esprits malins qui induisent les hommes en prévarication et dissension ». Voir La Magie des élus coëns, théurgie, instruction secrète, publié par Robert Amadou, Paris Cariscript, 1988, p. 101-108. Jean-Marc Vivenza présente les différents cultes auxquels les élus coëns devaient s’astreindre en pratiquant une ascèse particulièrement sévère. Il s’agit de restrictions alimentaires, sexuelles, de séances de prières toutes les six heures, de récitations des psaumes, auxquelles s’ajoute l’obligation d’assister aux offices religieux, de communier…, exigences dont Jean-Marc Vivenza nous livre le menu.
Pour être en mesure d’œuvrer efficacement, l’élu coën devait d’abord obtenir sa « réconciliation », une grâce attestée par la manifestation d’un signe céleste lors d’un rite théurgique. Obtenir sa réconciliation était donc pour un disciple de Martinès de Pasqually une étape fondamentale dans son cheminement spirituel. Jean-Marc Vivenza souligne que cette démarche, basée sur la théurgie, est en contradiction avec la théologie chrétienne, le Christ nous ayant tous réconciliés par son sacrifice, comme le souligne saint Paul. Bien que revendiquant leur appartenance à la religion catholique romaine, les élus coëns ne semblent pas admettre ce point fondamental. Sur cet aspect, nous ajouterons que dans son Traité sur la réintégration des êtres, Martinès de Pasqually aborde cette question (Traité, § 35). En soulignant cette contradiction, Jean-Marc Vivenza voit dans la théurgie une sorte de tentative d’obtenir par effraction une grâce qui ne peut être donnée que par Dieu lui-même.
Pour donner un exemple des pratiques théurgiques des élus coëns, Jean-Marc Vivenza s’attarde plus spécialement sur leur rituel d’initiation au grade de Réaux-Croix. Bien qu’il n’existe pas de texte décrivant la procédure exacte de cette cérémonie, les quelques éléments présents dans les correspondances des élus coëns nous en donnent une idée assez précise. Il y a quelques années, nous avions présenté sur ce site un aperçu de cet étrange rituel, publication qui avait soulevé quelques polémiques (voir : L’initiation au grade de Réaux-Croix). Cette cérémonie s’articule en effet autour d’un holocauste utilisant la tête d’un chevreuil mâle.
Avec force détails, Jean-Marc Vivenza décrit ce rite, où l’initié, après avoir extrait à l’aide d’un couteau la langue et la cervelle du chevreuil, les répartissait dans trois réchauds disposés dans le temple. Ces brasiers étaient destinés à réduire en cendre l’holocauste. Dans le premier, placé au nord, était déposée la tête, [2] Au XVIIIe siècle, toutes les pièces possédaient une cheminée ; aussi le rituel précise-t-il que la cheminée fera office de réchaud du nord. , dans celui du midi, la cervelle, et dans celui de l’ouest, la langue. Comme le précise Jean-Marc Vivenza, il s’agit d’un rite assez barbare, où l’élu-coën, au milieu de la fumée dégagée par les brasiers, se livrait à un rite nécessitant plusieurs jours pour réduire en cendre les différentes parties de la tête de l’animal. Contrairement à ce qu’il indique, l’opérant n’était pas invité à consommer ce qui restait de l’holocauste, car les quelques textes dont nous disposons ne précisent pas ce point.
Après avoir décrit les différents aspects de ce rite, Jean-Marc Vivenza s’interroge sur cette cérémonie qui s’articule autour d’un holocauste rappelant les pratiques décrites dans l’Ancien Testament, celles qui relèvent de l’Ancienne Alliance. Il rappelle que le Christ a aboli l’ancienne loi par son sacrifice. Les élus coëns semblent donc considérer, nous dit-il, que l’œuvre du Christ est insuffisant et doit être complété par des rites relevant de l’ancienne loi ! Jean-Marc Vivenza attribue cette attitude à une méconnaissance des aspects théologiques liés à la double nature du Christ, homme et Dieu, à une position relevant du docétisme.
Au final, cette vidéo de Baglis.tv nous propose une mise au point utile et sans concessions sur les pratiques des élus coëns. Jean-Marc Vivenza termine cette présentation en montrant que parmi les disciples de Martinès de Pasqually, Louis-Claude de Saint-Martin fut l’un des premiers à critiquer la théurgie. Il s’en écarta bientôt, pour rechercher « l’unique nécessaire », l’union avec le Christ, par une ascèse intérieure basée sur la prière.
D. Clairembault, le 8/9/2021
Extrait 1 : Jean-Baptiste Willermoz découvre les Élus Coën
Extrait 2 : Le culte primitif et la théurgie des Éuls Coëns
Notes :