Le grade de Réaux-Croix reste l’un des plus énigmatiques du système initiatique de l’ordre des Chevaliers Maçons élus coëns de l’univers. Alors qu’il existe nombre de textes et documents sur les cérémonies d’initiation aux divers grades de l’ordre fondé par Martinès de Pasqually, celui qui couronne sa hiérarchie n’est que partiellement connu. Dans le livre qu’il a consacré à l’étude des grades coëns, Les Sept Sceaux des Élus coëns, Serge Caillet se livre à une enquête minutieuse sur les diverses sources permettant de soulever les mystères qui entourent le grade de Réaux-croix [1] CAILLET Serge, Les Sept Sceaux des Élus coën, Grenoble, Le Mercure Dauphinois, 2011, p. 265. . Il évoque en particulier « deux pièces majeures » y faisant référence : une note de Louis-Claude de Saint-Martin figurant dans le Fonds Z, les « Extraits des notes manuscrites confiées par le maître de la Chevalerie [2] Voir AMADOU Robert, « État sommaire du Fonds Z », Bulletin martiniste, n° 6, 1984, p. 5. », et l’« Extrait de préparation et de précaution pour une réception de R+ » dans le Manuscrit d’Alger [3] BnF, FM4 1282. Georges Courts a reproduit ce document dans le tome 2 de Grand Manuscrit d’Alger, Arqa 2014, p. 275-280 .
Serge Caillet souligne que ces documents, d’une parfaite cohérence, permettent de « reconstituer les grandes lignes et le cadre de la cérémonie [4] Les Sept Sceaux des Élus coëns, op. cit., p. 265. ». Or, il existe une autre source, la lettre adressée par Martinès de Pasqually à Jean-Jacques Bacon de la Chevalerie le 2 mai 1768. Dans ce texte, le Grand Souverain décrit à celui qui est alors son Substitut Universel la procédure qu’il doit suivre pour conférer le grade de Réaux-Croix à Jean-Baptiste Willermoz, lors d’une cérémonie prévue les 11, 12 et 13 mai 1768 à Paris.
Contrairement à qui est dit parfois, Bacon de la Chevalerie n’outrepasse pas ses droits en conférant ce grade. Par contre, Martinès de Pasqually lui reproche d’avoir promis à Willermoz de l’initier en dehors des périodes d’équinoxe. Ce défaut ne permettant pas d’attaquer « à l’Est directement, ce temps étant passé », Martinès de Pasqually recommande donc à Bacon de la Chevalerie : « Attaquez l’angle de l’Ouest comme votre chef angle. » Le Grand Souverain précise cependant qu’une opération « faite hors de son temps est sans fruit ». De fait, devant le peu de bénéfices recueillis par Willermoz, Martinès de Pasqually proposera bientôt de corriger cette situation en procédant à une « ordination par correspondance sympathique [5] VAN RIJNBERK Gérard, Un thaumaturge au XVIIIe siècle, Martinès de Pasqually, sa vie, son œuvre, son ordre, 1780-1824, t. I, Paris, Alan, 1935, p. 130-135. ». Par la suite, il se montrera plus vigilant sur les modalités de transmission au grade de Réaux-Croix et se réservera le privilège de la conférer.
Deux sources documentaires
La mise en parallèle de cette lettre avec les deux « pièces majeures » évoquées au début de cette étude donne l’impression qu’il s’agit là de la source à partir de laquelle ces dernières ont été rédigées. Elles en reprennent en effet les éléments essentiels, suivant exactement les phases du cérémonial décrit dans la lettre de Martinès de Pasqually. Il s’agit donc d’un document capital, que Gustave Bord a publié dans La Franc-Maçonnerie en France des origines à 1815 [6] BORD Gustave, La Franc-Maçonnerie en France des origines à 1815, t. I (le seul paru), « Les ouvriers de l’idée révolutionnaire (1688-1771) », Paris, 1908, Nouvelle Librairie Nationale – « Bibliothèque d’histoire nationale période révolutionnaire », p. 227-230. . Gérard van Rijnberk lui-même ne le reproduit pas dans l’ouvrage qu’il a consacré au fondateur des Élus coëns. Pourtant, il s’intéresse à son ordination, car il publie d’autres lettres évoquant cet épisode, notamment celle de Martinès de Pasqually à Jean-Baptiste Willermoz, datée du 16 février 1770, où le Grand Souverain lui propose de rectifier l’ordination qu’il a reçue en 1768.
Lorsqu’il évoque le livre de Gustave Bord, Gérard van Rijnberk s’interroge sur les sources utilisées par cet auteur « animé d’un esprit anti-maçonnique et anti-occultiste, mais historien honnête[7] VAN RIJNBERK Gérard, Un thaumaturge au XVIIIe siècle, op.cit., p. 186. ». En l’absence d’informations, il se contente de constater qu’il « a puisé des documents importants dans des archives, sur lesquelles il ne donne pas de précisions » (ibid.). Le livre de Gustave Bord est en effet fort bien documenté. Outre le document qui nous intéresse, il y donne des informations assez précises sur l’histoire de l’ordre des Élus coëns [8] BORD Gustave, La Franc-Maçonnerie en France, op. cit., chap. VII, p. 244-249. . Il reproduit d’ailleurs une version intéressante de la signature de Martinès de Pasqually ornée de glyphes caractéristiques.
Observons également que l’ouvrage de Gustave Bord comporte une notice biographique très documentée sur Bacon de la Chevalerie (p. 328-337) [9] Notons cependant quelques incohérences dans les dates situant le séjour de Bacon de la Chevalerie à Saint-Domingue à une période où il est à Paris., tout comme il offre de nombreuses informations au sujet de Savalette de Langes et de la loge des Amis réunis (p. 342-355 ; 358-362). Ses sources pourraient provenir du fonds Villaréal, c’est-à-dire de documents hérités des Philalèthes, parmi lesquels figurait une part importante des archives des Élus coëns [10] Sur ces archives, voir Gérard VAN RIJNBERK, Un thaumaturge au XVIIIe siècle, op. cit, t. I, p. 92. . Gustave Bord réservait-il pour le second volume de son étude les précisions concernant les origines des documents qu’il présente ? Nous l’ignorons, celui-là n’ayant pas été publié.
Plus tard, Alice Joly reprendra de larges extraits de la lettre de Martinès de Pasqually dans Un mystique lyonnais et les secrets de la franc-maçonnerie, ouvrage publié en 1938 [11] JOLY Alice, Un mystique lyonnais et les secrets de la franc-maçonnerie, Mâcon, Protat frères, 1938, p. 23-24. .
Si elle ne reproduit pas cette lettre dans son intégralité, elle restitue cependant l’ordination de Willermoz dans son contexte.
Parmi les documents majeurs que nous évoquions au début de notre étude figurent les « Extraits des notes manuscrites confiées par le maître de la Chevalerie ». Lorsque Robert Amadou publie ces textes en 1984 dans la revue L’Esprit des choses, il ne souligne pas leurs relations avec la lettre de Martinès de Pasqually à Bacon de la Chevalerie [12] AMADOU Robert, « Extraits des notes manuscrites… », L’Esprit des choses, n° 19-20, 1998, p. 181. . Pourtant, ces « extraits » semblent y puiser leur source et complètent même à merveille le texte reproduit par Gustave Bord. Les notes de Saint-Martin comportent en effet les hiéroglyphes et la prière évoqués dans la lettre de Martinès de Pasqually, des éléments que Gustave Bord n’a pas reproduits. La copie des prières semble cependant lacunaire, c’est du moins ce qu’on peut penser lorsqu’on les compare avec celles qui figurent dans le second témoin, le Manuscrit d’Alger.
En 1999, la revue L’esprit des choses a publié le fac-similé de ce second témoin, « Extrait de préparation et de précaution pour une réception de R+ », d’après le Manuscrit d’Alger [13] L’Esprit des choses reprend les pages 39 à 42 du Manuscrit d’Alger, (n° 22-23, 1999, p. 128-131). . Ce texte suit exactement le même plan que celui de la lettre de Martinès du 2 mai 1768 ; cependant, il est plus précis. Il offre même plus de détails que l’ensemble formé par la lettre et les « Notes » de Saint-Martin (Fonds Z). Les hiéroglyphes y sont introduits par des titres plus explicites : « Première prière à la tête au Nord… », ils sont associés à des nombres absents de la reproduction publiée dans L’Esprit des choses d’après le Fonds Z. De même, les instructions pratiques et les prières y sont plus complètes.
Contrairement au texte du Fonds Z, les invocations ne commencent pas par « Tu es saint, père de toutes choses… », mais par « Ô + 10, tu es saint, ô père de toute choses… ». Cette désignation, typique des rituels élus coëns, se répète d’ailleurs plusieurs fois à l’intérieur des prières, alors qu’elle est absente des « Notes » du Fonds Z.
Malgré ces lacunes, la lettre de Martinès de Pasqually à Bacon de la Chevalerie concernant l’initiation de Willermoz demeure un document de première importance. Elle est sans doute le témoin le plus ancien du grade de Réaux-Croix et elle a d’autant plus d’intérêt qu’elle est de la main même de l’auteur du rituel en question. Il est d’ailleurs intéressant d’étudier ce document en parallèle avec l’analyse proposée par Serge Caillet dans les Sept Sceaux des Élus coëns (p. 259-285). Pour permettre cette étude, nous reproduisons la lettre de Martinès de Pasqually en lui joignant quelques uns de ses compléments figurant dans le Fonds Z et dans le Manuscrit d’Alger [14] Nous avons corrigé le texte de Martinès de Pasqually, lequel comporte les fautes caractéristiques qu’on rencontre dans ses correspondances..
À Bordeaux, le 2 mai 1768.
« Je réponds T. H. T. R. M. aussi promptement que je le peux à la demande que vous me faites touchant le grade de Réaux-Croix que vous voulez donner à notre T. H. T. R. M. de Willermoz [15] Nous avons corrigé le texte de Martinès de Pasqually, lequel comporte les fautes caractéristiques qu’on rencontre dans ses correspondances.. Je ne me refuserais jamais pour que ce R. M. soit récompensé à tous égards et même avec satisfaction, personne plus que lui le mérite davantage. Vous me permettrez P. M. de vous faire les observations secrètes de notre loi abstraite à ce sujet. Vous ne devez point ignorer que nous ne jouissons en notre qualité d’hommes, d’image et de ressemblance divine que de deux choses qui sont réellement en notre pouvoir, qui sont les différents actes cérémoniaux de nos opérations qui sont au nombre de quatre, auxquelles il nous est donné une seule puissance à chaque, qui font quatre puissances, ce qui complète avec les quatre cérémonies le nombre infini de huit. Toutes ces choses nous sont données avec précision d’heures, de jours, de semaines, de mois, de lunes et d’années. Et que par ce moyen en suivant scrupuleusement ce qui nous est prescrit par Dieu même, nous osons nous attendre à un succès plus considérable de nos travaux que lorsque nous en sortirons.Vous savez que je vous ai toujours dit qu’il n’était point en mon pouvoir de satisfaire entièrement l’homme à ce sujet et qu’à Dieu seul appartenait cette sublime opération. À toutes ces choses près, T. P. M. comment pouvoir nous promettre quelque succès en faveur du candidat que vous voulez admettre à une opération hors de son temps, un fruit prématuré est hors de saison, une opération de principe faite hors de son temps est sans fruit. Vous me répondrez à tout cela comment faire ? Je lui ai promis.
Je dirai à cela tant pis, vous avez mal promis, ces sortes de choses sont-elles en votre pouvoir ? Indifféremment cela ne se peut d’aucune façon si nous ne suivons scrupuleusement ce qui nous est prescrit. La précision de la cérémonie ne suffit pas seule, il faut encore une exactitude et une sainteté de vivre au chef qui mène les cercles d’adoption intellecte (sic) il lui faut donc une préparation spirituelle faite par la prière, la retraite et la moration, vous avez su comment je me suis comporté à Paris à cet égard. Cependant je ferai mes efforts pour abandonner mes affaires domestiques afin de me disposer a vous fortifier dans votre opération, pour récompenser le zèle et les travaux laborieux au R. M. de Willermoz, que je crois être digne du succès que je lui désire dans cette opération, il ne dépendra pas de moi pour qu’il soit satisfait. Qu’il vous souvienne que c’est le dernier et le premier.
Vous observerez pour cette cérémonie de faire les mêmes cercles que je fis pour la réception du T. P. M. de Luzignan, vous attaquerez l’angle de l’Ouest comme votre chef angle. Il ne vous est point permis d’attaquer à l’Est directement, ce temps étant passé. Vous ferez toutes les mêmes cérémonies, tant en prières qu’en parfum ; vous n’offrirez d’autre holocauste d’expiation que la tête d’un chevreuil mâle, que vous ferez acheter indifféremment au marché, laquelle tête sera avec sa peau velue. Vous la préparerez ainsi que l’on prépare le chevreuil avant de l’égorger. Ensuite vous dresserez trois feux nouveaux. Dans celui qui sera au Nord vous mettrez la tête sans langue ni cervelle mais bien avec les yeux. Dans celui qui sera au Midi vous y mettrez la cervelle. Dans celui qui sera à l’Ouest vous y mettrez la langue. Lorsque le tout brûlera le candidat jettera trois grains de sel assez gros dans chaque feu. Ensuite il passera ses mains par trois fois sur chaque flamme de chaque feu en signe de purification. Il aura le genou droit à terre et l’autre debout et dira ensuite ce mot ineffable que vous trouverez marqué dans l’écrit ci-joint ainsi que leur nombre, caractères et hiéroglyphes, lesquels seront tracés devant chaque feu tel qu’ils sont marqués.
Si on ne peut avoir une tête de chevreuil, on prendra la tête d’un agneau couverte de sa peau. Il faut absolument que sa peau soit noire, sinon l’holocauste serait action de grâce et non d’expiation. Le candidat fera la cérémonie de la tête d’agneau ou de chevreuil avant tout autre cérémonie. Les cercles et l’appartement où l’on fait l’opération seront entièrement préparés ainsi que nous avons jadis fait. Vous aurez de l’eau comme il convient, vous commencerez votre opération le onze du courant, vous suivrez le 12 et finirez le 13 pour que vous vous rencontriez aux jours relatifs ou manquement de la saison. Par le nombre des jours que je vous fixe, vous remarquerez le nombre de confusion par 11/2. Le nombre terrestre et corporel par 12/3 et par 13/4 puissance.
Ensuite vous ferez commencer par les invocations ordinaires et conjurations entre lesquelles vous joindrez celle du commandeur d’Orient. Après les trois jours d’opérations faites, vous ramasserez soigneusement les cendres des trois feux que vous joindrez à celle que je vous ai donnée. Vous donnerez au candidat un scapulaire pareil à celui des autres R.+C. Vous lui ferez faire un talisman égal aux autres, vous assemblerez pareillement vos deux P. M. R.+ dont l’un et l’autre feront chaque jour une opération et vous ferez la dernière, il est égal qui des deux commence. Vous observerez de faire dire au candidat la prière qui est à la suite des mots d’abord qu’il aura passé les mains ouvertes sur le feu de l’holocauste, vous aurez de toute nécessité deux réchauds un peu grands pour faire consumer la langue et la cervelle, et celui qui sera sous la cheminée de la Chambre figurera le Nord, les deux réchauds figureront le Midi et l’Ouest, conformément à l’ancien usage, ou l’on portait des caisses grillées pour faire les holocaustes en campagne.
Voilà T. P. M. tout ce que je puis faire en faveur du zèle du R. M. de Willermoz. Dieu fasse qu’il l’entende et qu’il retire de cette opération tout l’avantage et le succès qu’il mérite. J’abandonne avec plaisir mes propres affaires pour sa satisfaction, ne comptant pas beaucoup sur la propagation de l’ordre par la lenteur que je lui vois. Je vous prie d’assurer le R. P. M. de Willermoz de mon sincère attachement.
Ne faites fautes de prévenir tous les R. R. M. M. Réaux Croix de l’opération que vous allez faire à l’extraordinaire, n’importe qu’ils soient ou non avertis quinze jours d’avance comme il convient. Si vous n’agissiez point comme je vous le dis, les R.+ pourraient très bien vous refuser la reconnaissance du R.+ que vous auriez fait et m’en porter leurs plaintes pour qu’il ne fut point inscrit dans mes circonférences secrètes ainsi que dans mon répertoire universel. Faites écrire par un des R. P. R.+ au T. P. M. de Champoléon, au T. P. M. de Grainville, au T. P. M. de Luzignan pour éviter toutes sortes de discussion.
Vous n’oublierez point de faire boire le calice en cérémonie après la réception et vous donnerez le pain mystique ou cimentaire à manger à votre Réaux + nouvellement reçu dans la même cérémonie que vous m’avez vu faire. »
Hiéroglyphes et prières
Les hiéroglyphes évoqués dans la lettre de Martinès de Pasqually ont été reproduits à partir des « Notes » figurant dans le Fonds Z. Ils devaient être dessinés près des trois feux où se consumaient les différentes parties de l’holocauste : au Nord, la tête de chevreuil, au Sud, sa cervelle et à l’Ouest, sa langue. Nous les reproduisons d’après l’article publié par Robert Amadou [16] « Extraits des notes manuscrites… », L’Esprit des choses, n° 19-20, 1998, p. 181. .
Les prières utilisées dans ce rituel diffèrent légèrement selon les deux sources. Dans les deux versions, elles se terminent par un petit texte qui se réfère à des actes accomplis avant les prières. Le Manuscrit d’Alger est le seul à reproduire les noms des esprits devant être inscrits sur le tracé théurgique de la cérémonie du grade de Réaux-Croix. Ces noms et les nombres qui leur sont associés ne sont pas toujours très lisibles. Toutefois, en se reportant à un autre document des Élus coëns, la Table alphabétique des 2400 noms [17] Robert Amadou a publié ce document sous le titre La Magie des Élus coëns – Angéliques, recueil d’hiéroglyphes – Table alphabétique des 2 400 noms – Tableaux figuratifs pour les opérations, édité pour la première fois sur l’exemplaire du Philosophe inconnu par Robert Amadou, coll. « Documents Martinistes », Paris, Cariscript, 1984. Charles Albert Reichen en a publié une version, d’après la copie présente dans le manuscrit T 4188 de la bibliothèque de Grenoble, en annexe de : GILBERT Joseph, Essais sur le spiritualisme, (introduction et notes de Charles Albert Reichen, suivi de nombreux documents tirés des enseignements de Martinez de Pasqually et de Louis-Claude de Saint-Martin), Nice, Bélisane, 1987. Voir dans ces publications les esprits associés aux lettres A, n° 93 ; B, n° 83 ; C, n° 34 ; D, n° 62 ; E, n° 86 ; F, n° 55 et G, n° 94, p. 40-52. , il est possible de les interpréter correctement.
1. Prières selon le Manuscrit d’Alger :
Prière [18] 18 . Manuscrit d’Alger, p. 41-42. Entre 1996 et 2001, Georges Court a retranscrit ce texte, travail important qui a été publié dans un volume hors commerce, Manuscrit d’Alger (p. 28-29). Nous nous sommes inspiré de ce travail, tout en le confrontant avec le fac-similé publié dans la revue L’Esprit des choses en 1999.
ô + 10 , Tu es saint, ô Père de toutes choses, dont la volonté est accomplie par ta propre puissance, tu es saint et tu veux être connu de tout homme de sens intellectuel, ayant établi toutes choses pour lui ; tu es saint et plus grand que toutes louanges, toi dont l’image est toute la nature ; reçois mes sacrifices verbaux par l’holocauste qui brûle devant toi, qui est purifié par cette flamme et que je te présente de tout mon cœur et de toute mon âme.
Le candidat passe ici trois fois ses mains ouvertes en équerre sur la flamme du feu où il fait sa prière en prononçant le mot qui y est tracé ; ensuite il continue la prière.
Suite de la prière
Ô+10 , ô Dieu indissoluble, indivisible et infini, toi qui ne peut être prononcé que par le silence, donne-moi force, puissance et secours pour que je ne retombe plus dans l’ignorance des connaissances qui sont selon mon essence.
Ô+ fortifie moi et éclaire les chefs régénérateurs qui me font concourir au grade que tu accordes par ta pure miséricorde à tes vrais élus ; Examine leurs vœux et mes prières pour que je sois marqué par eux du sceau de la réconciliation et que je reçoive en conséquence l’intelligence et la puissance qui y sont attachées. Éclaire les hommes de cette génération, tes enfants qui sont encore enfermés dans les ténèbres par l’ignorance où ils sont de ta science divine que tu me fais communiquer aujourd’hui par tes fidèles élus. Je rendrai témoignage à tous les humains, autant que tu le permettras, de la vérité et de la sainteté des connaissances que j’aurai acquises dans ce grade pour ta plus grande gloire et leur plus grande satisfaction. Donne-moi le don de les ramener à toi ô+10, qui es et qui aime ta créature.
Ô+ 10, ton homme qui par ta miséricorde infinie vient d’être béni en ton nom, sur lequel ton nom a été imposé, et qui a eu le bonheur de réunir ton nom adorable, ton homme désire d’être sanctifié et en union avec toi.
Ô+ comme tu lui en as donné la puissance, accorde-moi de ne me servir jamais des vertus, facultés et puissances que je reçois qu’à cette fin. Amen, Amen, Amen, Amen.
Pendant que le candidat prie, l’opérant sera à son côté droit et lui dira à chaque feu :
Qu’il te soit accordé par l’Éternel Ô+10, ce que tu lui as demandé, ce que tu lui demandes et ce que tu lui demanderas selon sa volonté, Amen.
Ensuite le R+ député pour la réception prendra de la cendre du feu qui se trouve devant le candidat au nord et lui en mettra une pincée au haut du front à la naissance des cheveux. Il fera le même souhait oratoire et la même cérémonie de la cendre au candidat au dessus de l’œil droit au sud ; il en fera autant à l’ouest au dessus de l’œil gauche de façon que le candidat soit marqué au front par une figure triangulaire des cendres de son holocauste ; il gardera ce signe jusqu’à la fin de la première opération. Le candidat sera aussi marqué par le sceau [19] Dans le Manuscrit d’Alger, ce texte comporte des numéros renvoyant à des notes. .
On se rendra dans la chambre d’opération le premier jour à six heures après midi pour faire le tracé des cercles. Les planètes seront tracées sur les deux angles d’est et d’ouest et non ailleurs. (12) À neuf heures on allumera les feux nouveaux avec bois et charbon préparés.
On ouvrira ensuite la tête avec le couteau de cérémonie (13), de circonférence en circonférence pour ôter la cervelle, on en ôtera aussi la langue : il faudra remettre à la tête l’os que l’on aura enlevé pour pouvoir en ôter la cervelle afin qu’il brûle avec le reste de la tête. On pratiquera les autres cérémonies qui suivent cette opération, ainsi qu’il est dit. (14)
A minuit on entre dans le cercle de retraite pour les invocations et conjurations pour en sortir selon l’usage à une heure.
On fera les quatre prosternations aux quatre angles où on aura placé à chaque un nom sur 7, de plus qu’à l’ordinaire.
Voici quelques noms pour cet effet. Ils sont tirés du grand alphabet (15) de 7.9.5.4. portant sur 7 et sur 10. Ces noms portent sur chaque jour de la semaine, attendu qu’il ne faut pas les faire servir deux jours de suite, ce qui serait contre leur destination. Ils sont marqués par lettres algébriques célestes (16) ces noms sortent, par les chiffres que l’on voit de leur rang, de leur nombre, de leur puissance et de leur produit et fonction (17).
Il faut se servir d’un parfum prescrit (18).
A 93 Dimanche Adornaïk Soleil 7. 3
B 83 Lundi Brammati Lune 7. 3
C 34 Mardi Cimarmora Mars 7. 3
D 62 Mercredi Dazalmum Mercure 7. 3
E 86 Jeudi Éduemor Jupiter 7. 3
F 55 Vendredi Serphiel Venus 7. 3
G 94 Samedi Gezmoriak Saturne 7. 3 (19).
2. Prières selon les « Notes » de Saint-Martin du Fonds Z :
Tu es saint, père de toutes choses, duquel la volonté est accomplie par ta propre puissance. Oui, tu es saint, et tu veux être connu par ton homme des sens intellectuels, ainsi que tu as établi toutes choses pour lui.
Tu es saint, plus puissant et plus grand que vertu et louange, duquel l’image est toute nature. Reçois mes sacrifices verbaux par l’holocauste qui brûle devant toi, présenté de cœur et d’âme, purifié par cette flamme. Passer trois fois les mains en équerre sur la flamme du feu où il fait sa prière, puis répéter le mots ci-dessus.
Ô indissoluble, ô indivisible, ô indéfini, toi qui ne dois être prononcé que par le silence, donne-moi force, puissance et secours pour que je ne retombe plus dans l’ignorance des connaissances qui sont selon mon essence, ô W.
Fortifie-moi et illumine les chefs régénérateurs qui me font concourir à la grâce que tu accordes par ta pure miséricorde à tes vrais élus, exauce leurs vœux et ma prière pour que je sois marqué du sceau de l’intelligence et de la puissance que tu leur donnes. Éclaire les hommes de ma génération, tes enfants qui sont enfouis dans les ténèbres par l’ignorance de la grâce que je vais recevoir par tes fidèles élus. Je suis certain de cette grâce et j’en rendrai témoignage à tous les humains, ô W.
Je passerai le reste de ma carrière en vie et lumière. Ô père éternel, tu es saint, ton homme est béni, il désire être sanctifié avec toi, ainsi que tu lui en as donné toute puissance. Amen, amen, amen, amen.
Le candidat sera au côté droit du chef qui lui dira, après qu’il aura fini à chaque feu : Qu’il te soit accordé de l’Éternel ce que tu lui as demandé.
Ensuite, le chef prend de la cendre dudit feu [celui du Nord] et lui en met une pincée à la pointe des cheveux. Id. au Midi, au dessus de l’œil droit – id. à l’Ouest, au-dessus de l’œil gauche. Le candidat sera ainsi marqué triangulairement de la cendre de l’holocauste, ne le pouvant être du sang par l’événement. Il gardera la marque de son signe jusqu’à la fin de l’opération [20] Ce texte a été publié dans la revue L’Esprit des choses, « Extraits des notes manuscrites… », op. cit., p. 181-182. .
Se rendre à six heures précises dans la chambre ; y préparer tout ; à neuf heures, allumer les trois feux nouveaux. Ouvrir ensuite en circonférence, avec le couteau de cérémonie, la tête. L’os que l’on aura ainsi en circonférence, le mettre sur la tête qui brûle, parce que la tête doit être entière, sans cervelle et sans langue. À minuit, les prières et invocations ; en sortir à une heure et demie, et même deux, n’ayant pas d’heures fixes à cause du bouleversement du temps [21] « Extraits des notes manuscrites… », op. cit., p. 182. .
Avis de Gustave Bord et Alice Joly
L’ensemble de ces documents permet de se faire une idée assez précise de la cérémonie d’initiation au grade de Réaux-Croix, une bien étrange cérémonie. Après avoir reproduit la lettre de la Martinès de Pasqually à Bacon de la Chevalerie, Gustave Bord ajoutait :
On a vraiment peine à croire qu’en plein XVIIIe siècle il y avait encore des gens se livrant à ces pratiques surannées et ridicules, surtout lorsqu’on constate que Willermoz n’était pas parmi les plus exagérés, et qu’en dehors de la maçonnerie c’était un brave homme, un honnête commerçant et un bon père de famille [22] BORD Gustave, La Franc-Maçonnerie en France, op. cit., p. 230-231. . »
Alice Joly se montrera plus ironique :
Je ne sais si Jean-Baptiste Willermoz reçut l’ordination au milieu d’une âcre fumée de chairs et de poils brûlés, ni s’il but le calice et mangea le pain de la singulière communion des Coens. Une seule chose est sûre : aucun phénomène surnaturel ne vint l’assurer du succès de ces étranges cérémonies [23] JOLY Alice, Un mystique lyonnais et les secrets de la franc-maçonnerie, op. cit., p. 24. . »
À la lecture de ces éléments, on comprend mieux la position de Saint-Martin lorsque ce dernier nous confiait dans ses mémoires :
Lorsque dans les premiers temps de mon instruction je voyais le maître P. |Pasqually] préparer toutes les formules et tracer tous les emblèmes et tous les signes employés dans ses procédés théurgiques, je lui disais : Maître, comment, il faut tout cela pour prier le bon Dieu ! Je n’avais guère que 25 ans lorsque je lui tenais ce langage ; aujourd’hui que je suis près d’en avoir le double, je sens combien mon observation était fondée, et combien dès mon plus bas âge, j’ai offert des indices de l’espèce de germe qui était semé en moi [24] SAINT-MARTIN Louis-Claude de, Mon portrait historique et philosophique (1789-1803), publié intégralement pour la première fois d’après le manuscrit original, avec une préface, une introduction et des notes critiques par Robert Amadou, Paris, Julliard, 1961, n° 41. . »
À l’époque où Saint-Martin écrivait ses mots, il avait abandonné depuis longtemps les pratiques théurgiques pour se livrer à la seule initiation qu’il jugeait digne d’intérêt :
celle par où nous pouvons entrer dans le cœur de Dieu, et faire entrer le cœur de Dieu en nous, pour y faire un mariage indissoluble qui nous rend l’ami, le frère et l’épouse de notre divin Réparateur. Il n’y a d’autre mystère pour arriver à cette sainte initiation, que de nous enfoncer de plus en plus jusque dans les profondeurs de notre être, et de ne pas lâcher prise, que nous ne soyons parvenus à en sortir la vivante et vivifiante racine ; parce qu’alors tous les fruits que nous devrons porter, selon notre espèce, se produiront naturellement en nous et hors de nous, comme nous voyons que cela arrive à nos arbres terrestres, parce qu’ils sont adhérents à leur racine particulière, et qu’ils ne cessent pas d’en pomper les sucs [25] Lettre de Saint-Martin à Kirchberger du 19 juin 1797, Correspondance inédite de L. C. de Saint-Martin dit le Philosophe Inconnu et Kirchberger, baron de Liebistorf, ouvrage recueilli et publié par L. Schauer et Alp. Chuquet, Paris, E. Dentu, 1862, p 322. ».
Note sur l’illustration qui présente cet article : Composition imaginaire, crée par le site www.philosophe-inconnu.com.
Notes :