Les Instructions pour les temples des Élus Coën sont constituées d’un ensemble de dix leçons données au XVIIIe siècle dans temple des coëns de Versailles. Elles viennent d’un manuscrit de 187 pages qui est relié à fin d’un exemplaire du livre Erreurs et de la vérité (éd. 1775) conservé dans le Fonds Baylot à la BnF (FM4 23 [2]). Précisons qu’il existe une seconde copie de ces leçons de martinisme dans le Fonds Hermete [1] Paolo Mascetti « Le Fonds Hermete, présentation de l’Instruction 1re pour le Temple des Élus coëns sur l’O. de Versailles », Bulletin de la Société Martines de Pasqually, n° 25, 2015, p.4-56. À la manière du Traité sur la réintégration de Martinès de Pasqually, mais dans un format plus court, ces instructions proposent un « cours de physique temporelle passive et de physique spirituelle éternelle ». La paternité de ces Instructions reste problématique. Sont-elles de Martinès de Pasqually, de Saint-Martin, de Du Roy d’Hauterive ? Robert Amadou s’est plusieurs fois interrogé sur l’origine de ces textes. [2] (Instructions aux hommes de désir, « Documents martinistes », n° 1, n° 3 à 11. Amadou R. « De qui sont les “Instructions aux hommes de désir” ? », revue l’Esprit des choses, n° 3, hiver 1992, p. 82-83 et n° 15, 1996, p. 139-140 Précisons cependant que la copie du Fonds Hermete, qui pourrait en être l’original, porte la « griffe habituelle » de Martinès de Pasqually. Doit-on en conclure qu’elle en désigne l’auteur ? Ajoutons que les deux copies des Instructions pour les temples des Élus coëns (BnF et Hermete) sont suivies d’une version du Traité des bénédictions, texte attribué à Saint-Martin. Nous avons choisi ici de présenter la dixième instruction qui consacre une large part à l’arithmosophie.
Dominique Clairembault
Dixième Instruction
Mes frères,
L’Éternel tout-puissant Créateur, dont la puissance infinie s’étend sur l’univers des esprits et des corps, contient dans son immensité une foule innombrable d’êtres, qu’il émane, quand il lui plaît, hors de son sein. Il donne à chacun de ces êtres, des lois, des préceptes et des commandements, qui sont autant de points de ralliement de ces différents êtres avec cette grande Divinité.
Cette correspondance de tous les êtres avec l’Être nécessaire est si absolue, qu’aucun effort de ces êtres ne peut l’empêcher ; ils ne peuvent jamais, quoiqu’ils fassent, sortir du cercle où ils ont été placés, et chaque point qu’ils parcourent de ce cercle ne saurait cesser d’être, un instant, sans relation avec son centre ; et, à plus forte raison, le centre ne saurait jamais cesser d’être en jonction, communication et relation avec le centre des centres.
La relation des centres particuliers avec le centre universel est le Saint-Esprit ; la relation du centre universel avec le centre des centres est le Fils ; et le centre des centres est le Créateur tout-puissant.
Dieu le Père crée les êtres, son Fils leur communique la vie, et cette vie c’est le Saint-Esprit. Nous pouvons en voir la démonstration par l’examen des trois expériences physiques que je vais vous produire pour servir de démonstration de ce que je viens de dire.
Trouvons, parmi les nombres 10, 7, 3, 4, quelqu’un de ces nombres où il n’y ait pas l’unité 1 : elle se trouve dans 10, dans 7, dans 3 et dans 4 ; ce qui nous prouve qu’il est impossible de pouvoir jamais dénaturaliser l’unité, par l’impossibilité de trouver un nombre où l’unité ne soit pas, puisqu’elle est la génération, le soutien et la fin de tous les nombres ; puisqu’après avoir parcouru une quantité prodigieuse de nombres, s’ils finissent par 9, ils ne sont pas complets, comme manquant de leur unité qui vient les contenir.
Comme dans 1 000 : si, au lieu des zéros, il y avait des 9, ce nombre serait incomplet, puisqu’il ferait voir qu’il peut souffrir une addition ; au lieu que l’unité unie aux zéros nous fait voir toujours l’émanation, le soutien et le complément des différents nombres : 1 000 000… l’on peut augmenter les zéros jusqu’à l’infini, mais ils partent tous de l’unité, et ils sont tous contenus par l’unité ; ce qu’on peut voir dans les exemples suivants : 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10.
L’unité est ici le principe de ces neuf nombres, 1 ; après lui vient 2, où il y a l’unité ; 3, où elle est aussi ; et successivement jusqu’à 9, où elle est aussi contenue. Or, 9 ne pouvant pas faire un nombre complet, vient 10, qui nous fait voir l’unité contenant tous les nombres, comme la figure.
Voilà la preuve physique mathématique, du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Vous savez que les nombres sont coéternels. Dieu n’a point créé les nombres, ils existent de toute éternité en lui, et c’est par eux qu’il fait tous ces plans de création des différents êtres. Vous voyez donc, mes frères, que l’unité génératrice est l’image du Père 1 ; l’unité qui suit tous les nombres 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 est l’image du Fils, et porte son nombre : 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 / 44 / 8. Nous savons par tous les sages de l’univers que le nombre 8 est le nombre de double puissance, qui est donnée au Christ, ainsi que vous venez de voir qu’il est la vie de tous les êtres qui subsistent tant des esprits que des corps, puisqu’ici aucun être ne peut subsister que par un des huit nombres que nous venons de voir.
De même, le complément de tous les nombres qui est 10, ou , nous fait voir l’image physique du Saint-Esprit, qui contient tout ce que le Père a créé, tout ce que le Fils a dirigé, et forme ainsi l’union éternelle, ineffable et indissoluble des trois unités qui composent la triple essence de la Divinité sans principe ni fin, ainsi que vous pouvez remarquer que l’unité, 1, étant absolue et nécessaire, a de tout temps émané et créé des êtres, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 ; que ces êtres ont toujours été dirigés par son action directe, son verbe divin, son Fils chéri, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9 / 44 / 8, puisqu’il complète par son nombre toutes les actions des différents êtres ; et qu’ils ont été éternellement contenus par le Saint-Esprit, 10, ou, comme la figure ci-dessus, comme étant la fin, le soutien et le conservateur de tout être.
Ces grandes vérités, dont la démonstration est écrite dans toute la nature, sont les arcs-boutants qui doivent soutenir l’homme de désir spirituel divin bon dans toutes ses opérations spirituelles temporelles. Malheur à ceux qui se laissent séduire par les faux prestiges des intellects démoniaques, pour recevoir devant les yeux de leur âme, qui sont la pensée et la volonté, le voile abominable qui leur cache ces très saintes lumières faites pour être connues de tout homme !
Mais, ainsi que la lumière dissipe toutes les ténèbres, de même les ténèbres, dans l’instant où l’être mineur s’en est laissé emparer, dissipent en lui toute lumière et le font errer comme un aveugle cherchant à tâtons quelque objet qui puisse l’assurer contre les dangers qui l’environnement ; de même, l’âme aveuglée par le mauvais usage de sa pensée cherche des objets spirituels qui puissent dissiper la crainte redoutable que l’esprit vengeur du crime produit en elle. Cette terreur, cet effroi, le frémissement que la plupart des hommes éprouvent dans l’obscurité, dont une image bien parfaite de l’état de leur âme. Cette crainte qu’ils ont de trouver dans les ténèbres quelque être destructeur de leur corps, doit accompagner l’âme de celui qui cherche dans les ténèbres, par la crainte où elle est de trouver quelque être destructeur de la pureté de son être divin qui la conduise dans la privation de la lumière éternelle qui est Dieu.
Si l’on enlève un grand flambeau à un homme, qui l’éclairait et lui faisait voir tous les objets environnants, il reste dans les ténèbres, tout le temps qu’il est séparé de ce flambeau ; sa vue perd, pendant toute sa séparation, le recueil des différents objets. Le soleil, par exemple, qui éclaire les yeux d’un homme bien conformé, lui fait voir les différentes beautés de la nature ; par lui, il voit les différentes beautés des successions des différents corps apparents ; par lui, il s’instruit des différents objets qui passent successivement devant ses yeux ; et plus il a fait un recueil suivi, plus il est instruit de la nature des corps dont la lumière fait voir les dimensions.
Supposons maintenant que cet homme soit renfermé dans un affreux cachot qui le prive de la communication de l’astre solaire : le recueil diminue, suivant le nombre des jours de sa privation. Plus il reste renfermé dans les ténèbres, privé de la lumière du soleil, plus sa vue s’affaiblit, et plus le recueil de sa vue diminue ; au point que, s’il reste un certain nombre d’années sans voir la lumière du soleil, il faut user du plus grand ménagement pour le remettre à la lumière, le peux qu’en le transportant tout d’un coup à la vue du soleil dans son midi, les membranes de ses yeux, peu exercées aux mouvements flexibles qu’elles doivent avoir pour être en communication de cet astre, et se trouvant dans un état de tension, de raideur et de dureté, et recevant un grand nombre de rayons auxquels elles ne peuvent pas obéir, et opposant par leur résistance une nouvelle force à ses rayons, ils ne dissolvent enfin l’obstacle lui-même, en rompant quelques gros vaisseaux du corps et en donnant ainsi la mort à la forme de celui qui a voulu trop tôt s’approcher du principe de la vie.
L’application de ce que je viens de dire aux objets spirituels est aisée et facile. Nous en avons un grand nombre d’exemples dans l’Écriture Sainte. Quand Moïse fut chercher la Loi que l’Éternel lui donna sur la montagne de Sinaï, il fit dire au peuple qu’aucun n’approchât du pied de la montagne et que, soit homme, soit bête, il fût percé d’un dard. N’est-ce pas faire voir à Israël qu’il n’avait pas la vue assez exercée, assez pure et nette, pour pouvoir voir les objets qui étaient dans la montagne ? N’est-ce pas encore lui faire voir le respect qu’il devait avoir pour tous les saints objets qui y étaient, desquels il ne devait s’approcher que de loin et en tremblant ?
Il est donc d’une absolue nécessité d’user de la plus grande retenue, modération et discrétion sur tous les objets que l’Ordre renferme, et d’aller avec la plus grande retenue dans le chemin qui conduit au but, parce que chaque sentier qui y mène à des épines, des ronces et des obstacles qu’il faut consumer, déraciner, écarter. Être porté dans le chemin sans avoir écarté ces obstacles n’est qu’une plus grande peine pour les surmonter.
Ainsi, la prudence, si recommandée par J.C. même, doit être le fondement de nos pas. Le grand nombre de forces données à un général pour expérimenter ne font souvent qu’augmenter sa défaite. Il faut, avant de lui donner un gros corps, qu’il sache au moins en commander un petit. Il en est de même de notre âme : il faut qu’elle soit longtemps exercée dans les petits combats avant d’en supporter de grands ; les plus grandes forces qu’on lui donne augmentent ses combats. Ainsi, il faut savoir modérer le désir de s’avancer par la crainte de tomber. Nous voyons que l’usage des aliments, si nécessaires à la vie du corps, pris en trop grande quantité, et surtout en convalescence, sont souvent mortels à ceux qui les prennent. Il est donc indispensablement nécessaire d’habituer peu à peu son estomac aux viandes, avant de faire de grands repas dont la digestion est toujours difficile. Les différentes épreuves que l’on doit faire subir aux sujets pour s’assurer de leur désir, de leur fidélité et de leur persévérance sont de ce genre.
Un sujet a aujourd’hui un grand désir, et demain il ne l’a plus du tout, parce qu’il a changé de pensée. Il est donc nécessaire de lui faire éprouver des délais avant de l’admettre pour connaître s’il a un vrai désir. S’il l’a, son désir augmente en raison des difficultés, et, s’il ne l’a pas, les difficultés l’anéantissent ; ce qui est toujours un très grand bien :
1° C’est un homme de désir superficiel : s’il était entré dans l’Ordre, il aurait fait un mauvais sujet ; c’est donc un grand bien qu’il n’y entre pas ;
2° Si son désir est vrai, le temps ne fait que l’augmenter ;
3° Les différents obstacles qu’on lui oppose et qu’il surmonte lui donnent un mérite, de plus, qui a sa récompense. Désir, patience et persévérance sont trois vertus que je prie l’Éternel de nous accorder à tous et de nous maintenir à jamais sous sa sainte garde.
A. A. A.
Notes :