Obtenir sa réconciliation était pour les membres de l’ordre des Élus coëns une étape indispensable à leur avancement. Pour y travailler, les émules de Martines utilisaient une prière particulière, l’invocation de réconciliation, pendant leurs travaux mystiques. Qu’en est-il de cette réconciliation ? Elle consiste à obtenir un signe venant de l’« esprit bon compagnon » qui accompagne chaque homme durant son exil terrestre. Ce signe, qui se manifeste le plus souvent sous la forme d’un hiéroglyphe lumineux, constitue pour l’initié un indice décisif qui lui montre qu’il a fait le premier pas sur la voie de la réintégration.
Le texte que nous présentons ici est celui qu’utilisait la sœur de Jean-Baptiste Willermoz, car quelques femmes furent membres de l’Ordre. L’original de ce document se trouve dans le recueil Ms 5471 de la bibliothèque municipale de Lyon, à la suite de la collection des lettres. D’après le professeur Gérard Van Rijnberk, il est écrit de la main de Louis-Claude de Saint-Martin. Une autre plume, qu’il suppose être celle de Mme Provensal, la sœur de Willermoz, a fait des adjonctions au texte primitif. Ces ajouts sont probablement destinés à mettre le texte au féminin. Curieusement, certaines parties du texte sont pourtant restées au masculin.
Gérard Van Rijnberk a reproduit ce texte dans le tome second de son livre Un Thaumaturge au XVIIIe siècle, Martines de Pasqually, sa vie, son œuvre, son ordre, Lyon, Derain–Raclet, 1938 (p. 168-171). C’est cette transcription que nous avons utilisée ici. Cependant, nous en avons modernisé l’orthographe et complété – quand cela était possible – les mots écrits sous forme abrégée. Ces éléments ont été placés entre crochets. De même, nous avons corrigé ce qui nous semblait être des erreurs de transcription, en particulier les « Ô » qui étaient transcrits comme des chiffres « 0 ».
« Ô Éternel, ô + 10 †, tout puissant, toi par qui j’ai reçu l’être, toi qui, par le caractère sacré que tu as mis en moi, m’as distingué de toutes tes autres créatures, en ce que tu as allumé en moi un feu qui ne peut pas s’éteindre et qui me distingue si fort de toutes les autres créatures dont l’existence apparente ne peut subsister que par le temps, pour un temps, et dans le temps, les élus de la création matérielle n’étant que l’effet de tes puissances secondaires, ne peuvent avoir ni la durée ni l’intelligence des êtres premiers.
Daigne jeter un regard de miséricorde sur ta faible servante, ne cesse jamais de me réchauffer du même rayon d’où tu m’as émanée pour servir et contribuer à la manifestation de ta gloire et de ta puissance. Soutiens toi-même ton ouvrage, car sans ton puissant secours, il ne peut s’attendre qu’à être enfoncé dans les ténèbres et dans une privation spirituelle si effrayante, qu’elle me paraît cent fois pire que la mort.
Oui, Éternel † id., je suis sous le fléau de ta justice pour l’expiation du crime du premier des hommes, et pour celle de mes propres égarements. Si tu n’adoucis toi-même les maux qui m’accablent, ou que tu ne te joignes à moi pour augmenter mes forces, je suis menacée à tout moment de succomber, et de perdre de vue le seul flambeau qui peut m’éclairer et me guider pendant mon passage dans cette région inférieure terrestre.
Je me prosterne couvert de honte et de confusion devant ta suprême maje[sté]. Je frémis du néant et de la privation horrible où ton faible serviteur est réduit [… ?] Être un exemple immémorial à mes semblables de la grandeur de ta puissance et de ta justice. Quel usage ai-je fait des vertus spirituelles dont tu avais revêtu ton h[omm]e ?
Malgré le peu de fruits que j’ai tiré de tous ces bienfaits, ô 10, tu veux encore me combler de ta miséricorde en m’admettant aux cercles puissants de la réconciliation spirituelle de l’h[omm]e de désir. Que te rendrai-je pour tant de faveurs qui me font sentir d’autant plus mon indignité envers toi ? Reçois donc le sacrifice que je te fais de mon cœur, de mon corps et de mon âme ; reçois celui de ma pensée, de ma volonté et de mon action ; reçois surtout celui de mon libre arbitre dont je fais si faiblement usage pour le bien de mon être spirituel, et pour l’observation de ce que tu désires de moi.
Je t’en conjure par les trois noms puissants destinés à opérer toutes tes œuvres spi[rituelles] et tempo[relles], ô 8, ô 7, ô 4 ; je t’en conjure par toutes les vertus que tu y as attachées et par tous les faits qui en sont provenus comme étant l’image de la pensée, de la volonté et de l’action innée dans tout être spi[rituel] divin. Reçois donc l’offre que je te fais de ces facultés qui me constituent être vraiment spi[rituel] divin et qui doivent comme tel me rendre redoutable à tous les ennemis de ta loi. Empare-toi si bien de ces facultés qu’elles n’aient de vie que pour toi seul, par toi seul, et en toi seul, qui est la vie, la voie et la vérité. Fais que par le pouvoir de ce mot que je ne prononce qu’en tremblant, ô v.. R 10, tous les chefs pervers et tous leurs intellects d’abomination s’éloignent de moi sans retour et me laissent jouir des consolations que tu accordes à ceux qui, par leur vrai désir et leur persévérance dans les combats, peuvent parvenir à faire jonction avec l’être fidèle et puissant que tu as attaché à ton mineur.
G[rand] Dieu des cieux et de la terre, par son origine spi[rituelle] et non matérielle, par le même nom, ô + 10, je vous commande, ô 7, ô + 4, ô + 7, ô + 3, de vous attacher constamment à ma personne, de me diriger dans toutes mes actions spi[rituelles] temporelles, simples, universelles, générales et particulières. Je vous livre entièrement mon libre arbitre par lequel l’h[omm]e s’est rendu et se rend coupable tous les jours. Faites que mes désirs, ma volonté, et généralement tout ce que je peux faire, soient absolument conformes à ce que vous pouvez exiger de moi, en vertu de la charge qui vous a été donnée de veiller sur moi. Prévenez-moi sur tous les événements qui pourraient me nuire spi[rituellement] et corporellement, prévenez-moi contre les ruses et les attaques de l’esprit de ténèbres qui ne cherche qu’à m’entraîner dans la plus horrible confusion.
Ô + 7, ô +4, ô +7, ô + 3, prévenez-moi sur tous les dangers auxquels l’h[omm]e est exposé spi[rituellement] et corp[orellement] pendant son court passage dans la région élémentaire, qui ne lui est accordé que pour travailler sans relâche à rebâtir le temple spi[rituel] de Jérusalem renversé par les ennemis de la vérité. Faites-moi connaître votre assistance par quelques caractères hiéroglyphiques et autres signes que vous employez visiblement p[ou]r vos proportions à la faiblesse de l’h[omm]e actuel qui ne pourrait soutenir votre vue sans ce moyen.
Disposez ma forme de ma matière impure, afin qu’elle soit propre à recevoir communication de vos intellects divins par lesquels vous faites parvenir à l’h[omm]e vos volontés et les ordres que vous recevez du Créateur pour le soutien et l’avantage du mineur, et pour la molestation de ses ennemis.
Et toi, ô + 3, veille particulièrement sur l’esprit de matière qui anime ma forme, qui, en qualité d’esprit inférieur, ne peut avoir l’intelligence des œuvres spi[rituelles] des êtres supérieurs à lui, mais qui, dans l’état actuel de l’h[omm]e, est le premier soutien qui lui soit accordé pour marcher dans cette région matérielle temporelle. Prends-en soin, ô + 3. Éloigne d’elle tout esprit impur qui voudrait s’en emparer pour empêcher l’approche et la jonction qui doit se faire par son moyen de mon âme spi[rituelle] divine avec l’esprit spi[rituel] divin préposé par le Créateur éternel à la garde et à la conduite de tout h[omm]e errant sur cette surface.
Je vous conjure tous, esprits que j’ai invoqués et que j’invoque encore, ô + 10, ô + 8, ô + 7, ô + 4, ô + 7, ô + 4, ô + 7, ô + 3, de recevoir et d’agréer la confiance que je vous donne pleinement aujourd’hui, me proposant fermement d’abjurer la faible et obscure volonté de l’h[omm]e, pour ne me conduire désormais que par votre volonté de vos desseins spi[rituels] sur moi. Je le jure solennellement devant vous, et je le promets par ce [ici un mot taché] terrible qui a tout fait et tout constitué, ô + 10. Amen.
Prends sous ta sainte garde, ô + id., toutes les facultés de mon être corporel et spirituel. Éloigne d’elles toute insinuation mauvaise ; préserve-les de toute communication de l’être pervers qui me persécute, afin qu’il n’y ait rien en moi qui n’agisse et ne vive conformément à tes lois, tes préceptes et tes commandements.
Tu as promis d’accorder à ta créature tout ce qu’elle te demanderait en ton nom ; mais tu veux qu’elle ne t’offre que des vœux purs et des désirs qui la rapprochent de toi ; tels sont ceux que mon cœur te présente en ce moment. Exauce-les comme tu as exaucé ceux de Judith, ta fidèle servante, lorsqu’elle invoqua ton nom, et qu’elle implora ton secours contre les ennemis de ton peuple. Répands sur moi les mêmes grâces que tu as répandues sur Merian, Esther, Elizabeth, et sur tous ceux et celles qui, depuis, et avant l’élection de ton peuple choisi, t’ont toujours invoqué en sainteté. Je n’ai d’autre envie que d’imiter leur exemple, et de montrer à mes semblables, par la force et la justesse de mes actions, que tu écoutes vraiment ceux qui te prient dans l’humilité de leur cœur, et que tu prends soin toi-même de ceux qui ne mettent leur confiance qu’en toi, ô + id.
Et toi, ô ag. 6, ne cesse de veiller à la conservation et à la défense de mon être mineur spirituel qui t’est confié par ordre du grand A[rchitecte] D[e] L[‘univers]. Commence par disposer mon âme à retenir l’impression de tes intellects spirituels, afin que tous les secours que je dois recevoir de toi, ô + 6, ne soient pas sans effet, et ne tournent pas plutôt à ma honte et à ma confusion qu’à l’avantage de mon être particulier spirituel mineur divin. Fais une fidèle garde autour de moi, inspire-moi toujours l’horreur du vice, de toutes les souillures matérielles, et de tout ce que mon ennemi ne cesse d’insinuer à ceux qui lui laissent prendre empire sur eux-mêmes.
Unis-toi à moi de façon que ma volonté et la tienne ne soient qu’une même chose, parce que je ne puis être en correspondance parfaite avec toi que je ne le sois avec le Créateur divin qui t’a placé auprès de moi pour être mon guide et mon appui. Ô ag. 6, préviens-moi sur les dangers qui peuvent me menacer corporellement et spirituellement. Combats avec moi dans les attaques que j’aurai à soutenir. Sois docile à la voix de celle qui t’invoque et te commande par le nom sacré, ô + 4 id. Sois toujours prêt à répondre à mon intention, et à obéir à la force de mon Verbe, afin que par ta présence, je sois supérieure à tous les événements de cette vie de larmes. Fais qu’il n’y ait aucune circonstance où je ne sente ton secours et ta protection puissante, ô + 6. Fais enfin qu’à l’image de mon principe, jamais le mal n’ait aucun accès dans moi, et que lorsque le Créateur éternel daignera me délivrer de cette prison ténébreuse (en désignant le corps par la main droite à l’ordre), je puisse retourner vers lui aussi pure que je suis sortie de son sein. C’est par le même nom sacré, ô + 4 id., que je t’en conjure. Amen. »