Le thème de la Sophia est un élément fondamental dans la Théosophie, Jacob Boehme est celui qui l’a remis en valeur. Nous présentons ici un extrait de son livre Le Chemin pour aller à Christ, Livre I : De la vraie repentance, selon la traduction française publiée à Berlin en 1722. [1] Nous avons découpé certains paragraphes en plusieurs parties pour faciliter la lecture de ce texte à l’écran.
32. Chère âme, il s’agit ici d’un zèle ardent sans relâche. Tu pourras bien obtenir la faveur d’un baiser de la noble Sophie au saint nom de Jésus : car elle se tient déjà à la porte de l’âme ; elle frappe, et elle avertit le pécheur de se détourner du chemin des impies.
Si donc le pécheur vient une fois à désirer son amour, elle s’y accorde volontiers, et elle le baise par les rayons de son amour doux, ce qui réjouit son cœur, mais ne l’admet pas si tôt dans son lit conjugal, c’est à dire, elle ne retrace pas si tôt dans l’âme l’image céleste qui a été effacée dans le Paradis. Il y aurait du danger : car si Adam et Lucifer sont tombés, cela pourrait bien encore arriver, puisque l’homme est encore lié si fortement à la vanité.
33. Il faut que ta promesse soit affermie par un lien fidèle, si tu veux qu’elle te couronne, il faut auparavant que tu sois éprouvée, elle retire derechef de toi les rayons de son amour, pour voir si tu lui seras fidèle ; elle te laissera sans te donner aucune réponse, non pas même par une œillade de son amour : car il faut que tu sois jugée avant que d’être couronnée, et que tu goûtes la bière aigre que tu t’es versée dans tes abominations ; il faut que tu viennes auparavant jusqu’aux portes de l’enfer, et que tu montres ta victoire contre le diable pour l’amour d’elle, et dans son amour avec efficace. […]
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45. Lorsque Christ, la pierre fondamentale, s’émeut dans l’image qui avait été effacée dans l’homme, dans le temps qu’il vient à se convertir cordialement ; la Vierge Sophie vient à paraître aux yeux de l’âme avec l’émotion de l’Esprit de Christ dans l’image effacée, parée de ses ornements virginaux.
L’âme est étonnée de sa présence, à cause de son impureté, tellement que tous ses péchés s’éveillent au dedans d’elle, avec une frayeur et tremblement, car c’est là où le jugement se déploie contre le péché de l’âme, de sorte que quelquefois elle recule en arrière dans la vue de son indignité, étant confuse de paraître devant cette ravissante Épouse.
Alors elle rentre en elle-même et s’anéantit, se réputant du tout indigne de recevoir un tel joyau, qui n’est connu à qui que ce soit, qu’aux nôtres en Christ, qui nous entendent, et qui ont goûté ce joyau. Mais la noble Sophie s’approche de plus près dans l’essence de l’âme, et la baise amiablement : elle teint des rayons de son amour le feu ténébreux de l’âme, et luit par elle avec son baiser de l’amour. Alors l’âme tressaillit dans son corps de l’excès de sa joie, et triomphe en la vertu de cet amour virginal. Elle loue son Dieu en la vertu de la noble Sophie.
J’ai dessin de donner ici une brève représentation de quelle manière tout cela se passe, lorsque l’Épouse embrasse l’époux, afin que le lecteur, qui n’a encore jamais éprouvé cet embrassement, y puisse faire de sérieuses réflexions s’il ne serait point désireux de nous suivre, et d’entrer dans cette carrière, où l’on se recrée avec la Sophie.
Lors donc quand cela arrive, comme il est mentionné ci-dessus, l’âme se réjouit dans son corps, et s’exprime de cette manière.
L’Âme
46. Maintenant Ô grand Dieu ! louange, gloire, force, magnificence et action de grâces te soient rendues en ta propre vertu et douceur, de ce que tu m’as délivrée du tourmenteur de l’angoisse.
Ô toi amour charmant ! mon cœur t’embrasse, où es-tu demeuré si longtemps ? Il me semblait que j’étais dans l’enfer, et dans la colère de Dieu. Ô amour gracieux ! demeure, je te prie, maintenant avec moi, sois ma joie et ma recréation, conduis-moi, je te prie, dans la droite voie : je m’abandonne à ton amour. Je suis encore hélas ! ténébreuse devant toi : rends-moi lumineuse. Ô amour précieux ! donne-moi ta perle suave, place-la au dedans de moi.
Ô grand Dieu en Jésus Christ ! c’est maintenant que je te loue et je te célèbre dans ta vérité, et dans ta grande puissance et gloire, de ce que tu m’as pardonné mes péchés, et que tu m’as remplie de ta vertu. Je jette à toi des cris de joie en ma vie, et je te loue dans ta forteresse que nul ne peut ouvrir, que ton Esprit dans ta miséricorde.
Mes os se réjouissent dans ta vertu, et mon cœur s’égaye dans ton amour. Grâces immortelles te soient rendues de ce que tu m’as retirée de l’enfer, et que tu as converti en moi la mort en vie. Maintenant j’éprouve la vérité de tes promesses. Ô doux amour ! ne permets pas que je m’éloigne jamais plus de toi. Donne-moi ta guirlande de perles, demeure en moi et sois ma propriété, afin que je me réjouisse éternellement en toi.
Sur cela la Vierge Sophie donne cette réponse à l’âme
47. Mon noble époux, ma puissance et ma force, sois-moi mille et mille fois le bienvenu. Comment as-tu pu m’oublier si longtemps, tellement qu’il m’a fallu demeurer si longtemps toute triste à ta porte, et y heurter à coups redoublés ? Je t’ai cependant toujours appelé et sollicité ; mais tu avais détourné de moi ton regard.
Tes oreilles s’étaient éloignées de mon pays. Tu ne pouvais point voir ma lumière : car tu cheminais dans la vallée obscure. J’étais près de toi et je t’ai toujours supplié ; mais tes péchés te retenaient captif dans la mort, tellement que tu ne me connaissais plus. Je venais à toi en grande humilité, et je t’appelais ; mais tu étais opulent dans la puissance du règne de la colère de Dieu, et tu ne faisais aucun cas de mon humilité.
Tu avais choisi le démon pour ton amant. C’est lui qui t’avait ainsi souillé, et qui avait édifié son repaire meurtrier de la vanité au dedans de toi, et ainsi il t’avait entièrement détourné de mon amour et de la fidélité que tu me devais, et attiré dans son royaume spécieux et faux, où tu as opéré beaucoup de péchés et de malices . Tu avais dérompu ta volonté de mon amour, et tu m’avais faussé la foi du mariage, et t’étais livré à un amour étranger, m’ayant délaissée, moi, qui étais ton Épouse légitime, dans une essence effacée, sans aucune vertu de ta puissance ignée, sans laquelle je ne pouvais goûter aucune joie, car tu es mon mari.
C’est par toi que ma clarté se doit manifester. Tu peux manifester mes merveilles cachées dans ta vie de feu, et les produire en Majesté ; mais hors de moi tu n’es qu’une habitation obscure, où il n’y a qu’angoisse et affliction, un tourment hostile.
Ô noble époux ! demeure donc avec ton regard en ma présence, donne-moi tes rayons ardents ; entre avec tes désirs dans moi, et m’embrase, et alors de ma débonnaireté je transformerai tes rayons ardents en une lumière blanche, et j’introduirai mon amour par tes rayons ardents dans ton essence ignée, et je te baiserai éternellement.
Ô mon époux, que je me trouve bien dans ton mariage ! baise-moi, je te prie, par tes désirs, en ta force et vertu. Alors je te montrerai toute ma beauté, et je te réjouirai de doux amour et de ma brillante lumière dans ta vie ignée. Tous les saints anges se réjouissent maintenant avec nous, de nous voir réunis par un heureux mariage. Maintenant mon cher amant, demeure-moi fidèle, et ne détourne plus tes regards de dessus moi ; opère tes merveilles en mon amour, pour lesquelles Dieu t’a suscité.
L’Âme réplique à la Noble Vierge Sophie, comme à son amour engendré de nouveau en elle
48. Ah ! ma perle précieuse ! flamme éclatante de ma lumière dans ma vie angoisseuse de feu ! comment est-ce que tu me transformes en ta joie ? Ô amour charmant ! il est vrai que je t’ai été infidèle en mon père Adam, et je me suis tournée dans la puissance enflammée du côté de la volupté et de la vanité dans le monde extérieur, m’étant abandonnée à un amour étranger, tellement que j’aurais été obligée de cheminer éternellement dans la vallée obscure, dans un amour étranger, si tu n’étais venue vers moi dans la maison de ma misère, et par ta grande fidélité et pénétrante vertu, ayant cassé la colère de Dieu, et brisé l’enfer et la mort, et si tu n’avais apporté derechef ta douceur et ton amour dans ma vie ardente.
Ô doux amour ! Tu m’as apporté avec toi l’eau de la vie éternelle découlante de la fontaine divine, et tu as apaisé par ce moyen ma soif brûlante. Je vois en toi la miséricorde de Dieu, qui m’était auparavant cachée dans cet amour étranger. Je puis me réjouir en roi, tu convertis le feu d’angoisse, dont j’étais tourmentée, en une grande joie. Ah ! gracieux amour ! donne-moi donc ta perle, afin que je puisse demeurer éternellement dans cette joie.
La Noble Sophie répond derechef à l’âme, disant :
49. Mon cher époux et fidèle amant, ton commencement me réjouit d’une manière merveilleuse. Il est vrai que j’ai pénétré à travers les portes profondes de Dieu, pour venir jusqu’à toi ; j’ai pénétré à travers la colère de Dieu, l’enfer et la mort, dans ta maison de misère, et j’ai donné mon amour de pure grâce.
J’ai rompu tes liens et brisé tes chaînes avec lesquelles tu as été lié : je t’ai gardé ma foi ; mais ce que tu me demandes maintenant est très-difficile, et je ne puis pas me résoudre à le hasarder. Tu voudrais avoir ma perle en propriété : souviens-toi, mon cher époux, combien tu l’as mal gardée en Adam.
Tu es encore à cet égard dans un grand danger ; tu chemines dans un double règne très-périlleux : savoir dans ton origine de feu, qui est un pays où Dieu se nomme un Dieu fort et jaloux, et un feu consumant ; quant à l’autre règne, tu chemines dans le monde extérieur dans l’air, dans la chair et le sang corrompu, où les voluptés mondaines avec les assauts de Satan bruient sur toi à chaque moment.
Tu pourrais encore dans l’excès de ta joie introduire quelque terrestréité et immondité dans ma beauté, et m’obscurcir ma perle. Tu pourrais aussi t’enorgueillir comme Lucifer, lorsqu’il possédait la perle en propriété, et tu pourrais te détourner de l’harmonie divine, par où je serais privée pour jamais de mon amant.
Je veux conserver ma perle en moi, et je veux et habiter dans ton humanité intérieure, qui était effacée ; mais maintenant revivifiée en moi, et je veux réserver ma perle dans le Paradis, jusqu’à ce que tu aies dépouillé ta mortalité. Alors je te la donnerai en propriété ; mais quant à mon doux regard et aux rayons de ma perle, je veux bien t’en rendre participant, pendant les jours de ta vie terrestre.
Je demeurerai avec ma perle dans le chœur intérieur, et je serai toujours ton Épouse fidèle. Je ne me fiance point avec ta chair terrestre : car je suis une Reine des cieux, et mon règne n’est point de ce monde ; si est-ce que je ne veux point rejeter ta vie extérieure ; mais je te visiterai souvent par les rayons de mon amour, car ton humanité extérieure sera rétablie ; mais je ne veux pas avoir la bête de la vanité.
Dieu aussi ne l’a point créée selon son décret ainsi grossière et terrestre en Adam. Ce sont tes désirs qui ont reçu en Adam par la convoitise cette grossièreté brutale, avec les essences et de toutes les essences de la vanité éveillée, d’une qualité terrestre, où se trouve le chaud et le froid, les douleurs, l’inimitié et la fragilité.
Donne-toi donc seulement à moi et à ma volonté, mon cher amant et époux. Je ne te délaisserai point dans les dangers où tu pourras te trouver durant cette vie terrestre ; quand même la colère de Dieu viendrait à s’élever contre roi, tellement que tu te trouvasses dans l’angoisse, et qu’il te semblerait que je t’aurais abandonné, je serai pourtant avec toi, et je te garantirai : car tu ne te connais pas, et quel est ton office.
Il s’agit dans ce temps d’opérer et d’engendrer. Tu es la racine de cet arbre qui doit pousser des branches, qui doivent toutes naître dans les angoisses ; mais je pousse par tes branches dans leur sève, et je produis des fruits par tes jets, ce que tu ne sais pas : car le Très-Haut m’ordonne d’habiter de cette manière en toi et avec toi.
C’est pourquoi enveloppe-toi dans la patience, et garde-toi des voluptés de la chair : romps-lui sa volonté et ses désirs, tiens-la en bride comme un cheval fougueux ; et alors je te visiterai souvent dans ton essence ignée, et je te donnerai le baiser de mon amour ; je rapporterai et mettrai sur ta tête une guirlande du Paradis, pour marque de mon amour, dans laquelle tu te réjouiras.
Mais quant à ma perle, je ne te la donnerai point en propriété durant cette vie. Il faut que tu demeures dans l’expropriation et que tu te rendes attentif à ce que le Seigneur jouera en toi dans ton harmonie ; pour cet effet il faut que tu lui donnes le retentissement et l’essence de ton son en ma vertu : car tu es maintenant un messager de sa parole, et tu dois annoncer son honneur et sa gloire. C’est pour cela que je me suis maintenant de nouveau nouée avec toi, et que j’ai mis sur ta tête ma guirlande athlétique d’honneur et victoire, que j’ai remportée dans le combat contre le diable et la mort. Mais quant à la couronne de perles, dont je t’ai couronné, je l’ai mise en réserve, et tu ne la dois plus porter, jusqu’à ce que tu auras été entièrement pur devant moi.
L’Âme parle derechef à la Noble Sophie, disant :
50. Ah ! ma chère et mon aimable Épouse ! que puis-je dire devant toi. Qu’il te plaise seulement de me recevoir sous ta protection ; je ne saurais me garantir moi-même ; que s’il ne te plaît de me donner maintenant la perle, ta volonté soit faite : donne-moi seulement les rayons de ton amour, et me conduis dans mon pèlerinage.
Excite et engendre en moi tout ce qu’il te plaira, je veux dès maintenant être à toi en propriété, et je ne veux et ne demande plus rien pour moi, si non ce que tu voudras par moi. Je m’étais privée de ton amour suave ; je ne t’avais point gardé la foi, et par là je m’étais rendue coupable d’une punition éternelle. Mais puisque par un effet de ton amour tu es venue à moi dans mon angoisse infernale, et que tu m’as délivrée des tourments ; et qu’enfin tu m’as reprise pour ton époux.
Je veux maintenant rompre ma volonté pour l’amour de toi, t’obéir et me reposer sur ton amour. Il me suffit de savoir que tu es toujours avec moi dans toutes mes peines, et que tu ne veux point m’abandonner. Ô amour gracieux ! je tourne mon visage igné vers toi. Ô ravissante couronne ! retire-moi bientôt en toi, et me tire de l’inquiétude, je veux être éternellement à toi et je ne m’éloignerai jamais de toi.
La Noble Sophie répond à l’âme d’une manière toute consolante, disant :
Mon noble époux, prends courage : je me suis fiancée à toi dans mon amour le plus sublime, et nouée avec toi dans une parfaite fidélité. Je serai tous les jours avec toi et en toi jusqu’à la fin du monde ; je viendrai à toi et je ferai mon habitation dans ton chœur intérieur en toi. Tu boiras de ma fontaine : car je suis maintenant à toi, et tu es à moi, et l’ennemi ne pourra jamais nous séparer.
Quant à toi, opère dans ta qualité ignée, et j’introduirai les rayons de mon amour dans ton opération. Nous voulons cultiver le vignoble de Jésus Christ, apportes-y l’essence du feu, et j’y apporterai l’essence de la lumière, et je donnerai l’accroissement ; sois le feu, et je serai l’eau ; nous voulons exécuter en ce monde ce à quoi Dieu nous a ordonnés : nous le voulons servir dans son temple, lequel nous sommes nous-mêmes. Amen !
Au Lecteur.
Mon cher Lecteur, ne regarde point ceci comme une invention douteuse ; c’est le véritable fondement, et il contient en soi toute l’écriture sainte : car le livre de la vie de Christ y est clairement portrait devant vos yeux, tel que l’Auteur lui-même l’a connu : car ç’a été là son procédé, il te donne le meilleur qu’il a, Dieu le bénisse ! Il y a un terrible jugement préparé pour les moqueurs. Prends garde.
Jacob Boehme (Le Chemin pour aller à Christ)
Notes :