« La prière est la principale religion de l’homme, parce que c’est elle qui relie notre cœur à notre esprit ; et ce n’est que parce que notre cœur et notre esprit ne sont pas liés que nous commettons tant d’imprudences, et que nous vivons au milieu de tant de ténèbres et de tant d’illusions. » (Extrait des Oeuvres Posthumes.)
« Si la nature est comme l’initiation de toutes les vérités, la prière en est comme la consommation, parce qu’elle les renferme toutes en elle. Et pourquoi renferme-t-elle en elle toutes les religions ? C’est qu’elle imbibe notre âme de ce charme sacré, de ce magisme divin qui est la vie secrète de tous les êtres, de ce magisme qui explique la diversité des religions des hommes, et qui justifie même leurs transports pour les différentes clartés qui ravissent leur esprit, puisque ce magisme, qui n’est autre chose que l’admiration, nous le rencontrons partout où nous trouvons Dieu ; enfin de ce magisme qui nous fait traverser les dangers sans les voir, supporter les fatigues sans les sentir, qui verse la paix, j’allais dire presque le plaisir sur nos maux et sur notre mort même, en donnant dans ces cruels moments à notre être impérissable, des activités enchanteresses qui le portent à son terme comme par un indéfinissable prestige, et en lui dérobant pour ainsi dire les périlleux sentiers que nous avons nécessairement à parcourir, et en lui montrant physiquement que tous nos mouvements et tous nos pas se faisant dans la carrière de la vie, notre mort elle-même doit nous offrir ce caractère ; n’être pour nous qu’une des floraisons de l’admiration, et de nous paraître que le sommet de cet édifice de la génération que nous devons bâtir pendant tout le cours de notre existence.
Mais quand est-ce que la prière atteint réellement ce terme sublime ? C’est lorsque nous parvenons à faire des prières qui prient elles-mêmes en nous et pour nous, et non pas de ces prières que nous sommes obligés d’étayer de tous les côtés, en les puisant dans des formules ou dans de puériles et scrupuleuses habitudes ; c’est quand nous sentons que Dieu n’habitant que dans ses œuvres, comme font tous les êtres, et que ses œuvres étant esprit et vie, nous ne pouvons espérer qu’il habite en nous, qu’autant que nous serons devenus esprit et vie ; c’est-à-dire, qu’autant que chacune de nos facultés sera devenue une des œuvres de Dieu.
Hélas ! Les hommes sont loin d’être assez heureux pour s’élever à la hauteur de cette ineffable religion de la prière, ils ne s’élèvent pas même jusqu’à la hauteur de la religion de l’intelligence, et ils sont si livrés au sensible, pour ne pas dire au matériel, que sans la religion des faits ou des prodiges, il est presqu’impossible d’avoir accès jusqu’à leur âme et de réveiller en eux le principe de la vie ; il faut même pour leur bien, commencer à les traiter en ennemis, avant de songer à les traiter en frères. Cependant, c’était le corps des frères qui devait faire l’œuvre. Où sont-ils, ceux qui ne demandent plus des miracles, comme il fut reproché aux Juifs, mais qui même ne se bornent point comme les Gentils, à chercher la sagesse de l’esprit, mais qui se plongent assez dans cet abîme immense de la prière, pour éprouver en effectivité que tout ce qui ne tient pas à cette active et vivante religion, n’est qu’un fantôme ? Où sont-ils, ceux qui reconnaissent combien le goût du merveilleux absorbe et cache pour nous les merveilles que nous pourrions rencontrer dans la prière ? Où sont-ils, ceux qui prennent la ferme résolution de demeurer dans le temple du Seigneur, jusqu’à ce qu’ils sentent que le temple du Seigneur vienne demeurer en eux ?
L’éternelle sagesse divine maintient toutes les productions de l’éternelle immensité dans leurs formes, dans leurs lois et dans leur vivante activité : l’air opère le même effet sur tous les êtres de la nature : car sans lui toutes les formes se dissoudraient ; la prière a la même destination et le même emploi par rapport à l’homme ; elle doit faire descendre son poids sur toutes les facultés qui composent notre existence et les maintenir dans tout leur jeu ; comme l’universelle puissance pèse sans cesse sur tous les êtres et les presse de manifester la vie qu’ils ont en eux.
Cette sagesse éternelle est l’air que Dieu respire ; elle est une dans ses mesures : ce qui fait que la forme de Dieu est éternelle : elle n’a rien à combattre ni aucuns travaux à supporter, comme cette sagesse temporelle dont nous avons besoin pendant notre voyage dans les régions mixtes. Voilà le modèle de notre prière qui n’obtient rien, si elle n’a pas acquis ce caractère d’unité active qui la porte au-dessus du temps et la rend comme le canal naturel des merveilles de l’éternité : car c’est elle qui, en pressant ainsi tous nos canaux spirituels, les épure de toute leur corruption et les met en état de recevoir tous les trésors qu’ils doivent nous transmettre. […] »
Oeuvres posthumes t. 2,