Texte extrait des Vérités divines pour le coeur et l’esprit d’Antoine Esmonin, marquis de Dampierre (1744-1824), Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte. Il fut membre de la Candeur à Paris, puis de la Bienfaisance, loge dirigée par Jean-Baptiste Willermoz à Lyon. Exilé en Suisse pendant la Révolution il délaissera la franc-maçonnerie pour entrer dans la mouvance quiétiste de Pierre Dutoit-Membrini qui cultivait la pensée de Mme Guyon.
La prière est pour notre âme ce qu’est la respiration pour nos corps. Nous sommes morts dès-que nous cessons de respirer ; de même l’homme qui ne prie pas, cesse de vivre de la vie de l’Esprit.
C’est une vérité certaine que Jésus-Christ est venu rapporter sur la terre le culte Saint et véritable que nous devons à Dieu. II est donc nécessaire de nous attacher à ce culte seul digne de l’être infiniment adorable.
Le verbe indivisible de Dieu, est renfermé dans l’essence infinie de la divinité, et il y sacrifie sans cesse par amour, tout ce qu’il reçoit de son père, qui, par un amour réciproque, lui donne tout. C’est par ce sacrifice, que se prouve un amour éternel, qui est le lien ineffable de cette unité. Unité incompréhensible, qui se suffit à elle-même, et qui est indépendante de toute autre chose. Or il est indubitable que le sacrifice éternel qui se fait en Dieu, est le modèle et la mesure de tous les sacrifices possibles pour tous les êtres appelés par amour à recevoir l’existence. C’est pour ce sacrifice, que cette existence devait être entretenue, cultivée, jusqu’à-ce qu’elle fut éternisée.
Comme l’amour avait préparé l’homme. sa créature à recevoir les dons divins, de même par amour, il devait les rendre à leur auteur. De cette manière les relations de l’infini au fini se fussent perpétuées; les communications inépuisables de l’Esprit Eternel se seraient opérées ; la participation à la divinité étant le terme de leur existence, les êtres fussent rentrés ainsi dans leur bienheureuse fin, et par-là ils seraient restés fidèles au principe éternel qui les avait appelé à manifester extérieurement sa gloire. Ainsi l’amour est l’épreuve de tous les êtres intelligents. Car il est juste que l’hommage véritable que la créature rend à Dieu, aie une ressemblance avec ce qui se passe en Dieu même.
En effet les intelligences n’ont reçu l’être, n’ont été honorées de la révélation des beautés et merveilles divines que pour propager au-dehors ce même culte d’amour. Pour entretenir et cultiver ce don heureux de l’existence dont elles ont été douées, elles devaient donc par amour reverser dans le verbe tout ce qu’elles ont reçu de lui, comme le verbe reverse en Dieu son père tout ce qu’il est en lui-même.
Arrêter dans la créature intelligente cet écoulement des beautés divines, lui empêcher d’en rendre un hommage continuel à la cause, principe de son être, n’était-ce pas suspendre la culture, l’entretien de cette plante divine ? n’était-ce pas la corrompre, la gâter, pervertir sa destination ? Or l’homme, cette plante n’étant plus alors susceptible. de culture, se trouvait nécessairement séparée du principe de sa vie ; elle devait subir un jugement, diminuer de vie ou la perdre. Mais comme elle était indestructible, elle était dans une position complètement opposée à l’état qui devait faire son souverain bonheur, et devenait par conséquent très-malheureuse. Il fallait donc rapprendre à cet être dégradé la culture qui pouvait le faire rentrer dans l’ordre divin.
C’est dans ce but qu’il lui fut donné un roi et un prêtre à l’image divine, qui étant lui-même toujours en adoration, put recevoir pour cet être l’hommage qu’il rendrait à son Créateur. Le prier, l’adorer, contempler ses merveilles fut dès-lors pour cet être le moyen de communiquer avec la source ineffable de toutes choses. Ainsi la prière, l’état d’adoration, de contemplation. et de sacrifice est la base fondamentale sans laquelle il ne peut y avoir d’union entre l’infini et le fini. Comment, par exemple, sans la prière du cœur, pourrons-nous être éclairés, connaître la volonté de Dieu, et recevoir les forces pour l’exécuter.
L’Esprit de prière est donc pour l’homme ce qu’il y a de plus indispensable. Tous les êtres prient, parce que tous les êtres sentent un état de dépendance, de faiblesse et de caducité, qui réclame un soutien et une force qu’ils n’ont pas en eux-mêmes.
La prière est pour notre âme ce qu’est la respiration pour nos corps. Nous sommes morts dès-que nous cessons de respirer ; de même l’homme qui ne prie pas, cesse de vivre de la vie de l’Esprit.
La prière est la clef qui nous ouvre les trésors des richesses divines. C’est par elle que s’établit le commerce avec Dieu. C’est l’aimant qui attire le rayon divin.
La corruption de l’homme est trop enracinée dans son cœur pour qu’il puisse l’extirper par ses propres forces, il a donc besoin d’un secours supérieur, et c’est la nécessité de ce secours qui est la grande raison pourquoi nous devons prier. Les anciens sages du paganisme ont reconnu cette vérité, bien plus éclairés sur le principe de la morale active que nos philosophes modernes.
La prière dans son acception ordinaire, consiste à demander quelque chose ; mais ici cette expression a une bien plus grande étendue. La prière : dans le vrai sens est un acte, une occupation mentale, par laquelle on s’approche de Dieu, dans le but d’entretenir un commerce respectueux avec lui. Or en considérant la prière comme un acte, on s’approche de Dieu, ou pour se pénétrer de ses perfections et de sa grandeur, c’est l’adoration ; ou pour reconnaître ses bienfaits sans nombre, c’est la louange; ou pour sentir notre indignité, notre néant, c’est la confession de nos péchés ; ou enfin pour nous consacrer à lui, c’est l’offrande de tout nous mêmes.
La prière n’est pas uniquement une occupation de tête ; mais c’est un acte de la volonté ; un mouvement du cœur, une chaleur de l’âme que s’exhale vers Dieu, qui répand en sa présence ses désirs enflammés. C’est de l’élévation du cœur ou de l’oraison dont nous parlons ici et non des prières qu’on appelle ordinairement vocales. La meilleure disposition pour bien prier ; c’est d’écouter la voix de Dieu au-dedans de soi ; c’est d’être attentif à la motion divine ; c’est être résigné, soumis, obéissant à la conduite de la divine providence sur nous, dans quelque circonstance qu’elle nous place. Tous peuvent prier, le savant comme l’ignorant, le pauvre comme le riche ; depuis le monarque jusqu’au berger des champs, tous peuvent faire oraison : car Dieu n’ayant acception de personne, opère par sa grâce sur les grands comme sur les petits, selon la mesure de leur soumission à l’opérer divin.
Mais nous ne connaissons pas la vraie manière de prier, puisque nous appelons mal ce qui est bien, et bien ce qui est mal, et cependant il est certain que tout culte parfait ne se rend que par la prière et le sacrifice. Or comment rendrons nous ce culte réel à l’Être qui est pur Esprit ? C’est en nous livrant à l’Esprit Saint qui prie en nous avec des gémissements inénarrables.
Et cet Esprit qui connaît ce qui est agréable à Dieu, nous inspire cette crainte d’amour qui est le commencement de la sagesse ; crainte qui nous encourage aux dépouillements nécessaires pour nous unir à Dieu, qui nous porte à lui offrir tout notre être. Cette libre donation de nous-mêmes, est l’hommage le plus pur dont la créature raisonnable puisse être susceptible. C’est l’encens qui monte véritablement jusqu’à Lui. […] Lire le chapitre entier
Vérités divines pour le coeur et l’esprit, par le M. de D…., [Antoine Esmonin, marquis de Dampierre], Daniel Pétillet, Lausanne, 1823, extrait du « Discours XVII »
Marquis de Dampierre