Balzac goûtait beaucoup les œuvres de Saint-Martin. On sait qu’il a été jusqu’à recopier des passages de L’Homme de désir, notamment dans Séraphîta. Si nous proposons ici un extrait de ce livre, c’est surtout parce que l’auteur y parle de la prière en des termes particulièrement proches de ceux qu’utilisaient le Philosophe inconnu. « Oui, la prière, véritable aspiration de l’âme entièrement séparée du corps, emporte toutes les forces et les applique à la constante et persévérante union du visible et de l’invisible. »
Blanche et lumineuse fille de toutes les vertus humaines, arche d’alliance entre la terre et le ciel, double compagne qui tient du lion et de la colombe, la prière vous donnera la clef des cieux. Hardie et pure comme l’innocence, forte comme tout ce qui est un et simple, cette Belle Reine invincible s’appuie sur le monde matériel, elle s’en est emparée ; car, semblable au soleil, elle le presse par un cercle de lumière.
L’univers appartient à qui veut, à qui sait, à qui peut prier ; mais il faut vouloir, savoir et pouvoir ; en un mot posséder la force, la sagesse et la foi. Aussi la prière qui résulte de tant d’épreuves est-elle la consommation de toutes les vérités, de toutes les puissances, de tous les sentiments. Fruit du développement laborieux, progressif, continu de toutes les propriétés naturelles animé par le souffle divin de la Parole, elle a des activités enchanteresses, elle est le dernier culte ; ce n’est ni le culte matériel qui a des images, ni le culte spirituel qui a des formules ; c’est le culte du monde divin.
Nous ne disons plus de prières, la prière s’allume en nous, elle est une faculté qui s’exerce d’elle-même ; elle a conquis ce caractère d’activité qui la porte au-dessus des formes, elle relie alors l’âme à Dieu, avec qui vous vous unissez comme la racine des arbres s’unit à la terre ; vos veines tiennent aux principes des choses, et vous vivez de la vie même des mondes.
La prière donne la conviction extérieure en vous faisant pénétrer le monde matériel par la cohésion de toutes vos facultés avec les substances élémentaires ; elle donne la conviction intérieure en développant votre essence et la mêlant à celle des mondes spirituels. Pour parvenir à prier ainsi, obtenez un entier dépouillement de la chair, acquérez au feu des creusets de la pureté du diamant, car cette complète communication ne s’obtient que par le repos absolu, par l’apaisement de toutes les tempêtes.
Oui, la prière, véritable aspiration de l’âme entièrement séparée du corps, emporte toutes les forces et les applique à la constante et persévérante union du visible et de l’invisible. En possédant la faculté de prier sans lassitude, avec amour, avec force, avec certitude, avec intelligence, votre nature spiritualisée est bientôt investie de la puissance.
Comme un vent impétueux ou comme la foudre, elle traverse tout et participe au pouvoir de Dieu. Vous avez l’agilité de l’esprit ; en un instant, vous vous rendez présent dans toutes les régions, vous êtes transporté comme la Parole même d’un bout du monde à l’autre. Il est une harmonie, et vous y participez ! il est une lumière, et vous la voyez ! il est une mélodie, et son accord est en vous.
En cet état, vous sentirez votre intelligence se développer, grandir, et sa vue atteindre à des distances prodigieuses : il n’est en effet ni temps, ni lieu pour l’esprit. L’espace et la durée sont des proportions créées pour la matière, l’esprit et la matière n’ont rien de commun.
Quoique ces choses s’opèrent dans le calme et le silence, sans agitation, sans mouvement extérieur ; néanmoins tout est action dans la prière, mais action vive, dépouillée de toute substantialité, et réduite à être, comme le mouvement des mondes, une force invisible et pure.
Elle descend partout comme la lumière, et donne la vie aux âmes qui se trouvent sous ses rayons, comme la nature est sous le soleil. Elle ressuscite partout la vertu, purifie et sanctifie tous les actes, peuple la solitude, donne un avant-goût des délices éternelles. Une fois que vous avez éprouvé les délices de l’ivresse divine engendrée par vos travaux intérieurs, alors tout est dit ! une fois que vous tenez le sistre sur lequel on chante Dieu, vous ne le quittez plus. »
Honoré de Balzac, Séraphîta (1834), extrait du chap. VI « Le Chemin pour aller au ciel ».
Illustration : Jean Delville, Séraphîtus-Séraphîta (extrait), 1932. Couleurs pastel diluées sur toile – Collection particulière.