Nous avons la très grande tristesse de vous faire part de la disparition d’Antoine Faivre, historien et philosophe, décédé le 19 décembre 2021 à Paris. ♦
Sommaire
Historien et philosophe
Spécialiste incontesté de l’histoire des courants ésotériques et mystiques de l’Europe moderne et contemporaine, de l’épistémologie et du comparatisme historique en sciences dites religieuses, Antoine Faivre est l’auteur d’un nombre considérable de publications. Comme l’écrivait Jean-Robert Armogathe, il fut aussi un « éveilleur d’esprits en France ou en Italie comme aux États-Unis. Science et amitié, érudition et élégance, rigueur et charité, le portrait d’Antoine Faivre ne se laisse pas saisir par un simple « cliché », par un instantané. Comme son œuvre, c’est le portrait d’un homme en mouvement, dans une dynamique du cœur et de l’intelligence ». [1]Ésotérisme, Gnose et Imaginaire symbolique, Mélanges offerts à Antoine Faivre, Peeters, 2001.
Antoine Faivre a contribué de façon décisive à l’étude de l’histoire de l’ésotérisme et à l’établissement de cette branche de recherche. En 1979, il a succédé à François Secret à l’École Pratique des Hautes Études (section des « sciences religieuses », Sorbonne) en tant que directeur d’études de la chaire d’histoire des courants ésotériques et mystiques dans l’Europe moderne et contemporaine. Depuis 2002 il était professeur émérite.
En 2011, ayant atteint l’âge au-delà duquel un professeur émérite cesse de diriger des recherches et de tenir un séminaire officiel, Antoine Faivre a néanmoins continué à animer, non officiellement, le sien jusqu’en février 2020, date à laquelle il fut interrompu par la Covid-19.
Rappelons qu’Antoine Faivre fut le vice président (1972), puis président (1973) de la Société des Amis de Saint-Martin et que depuis le 18 octobre 2019, il était président d’honneur de la Société d’études de Louis-Claude de Saint-Martin.
Œuvre
Entre 1960 et 2018, Antoine Faivre a publié de nombreux livres et articles sur l’ésotérisme et la philosophie naturelle. Sa bibliographie, des Vampires, essai historique, critique et littéraire, publié en 1962 à De Londres à Saint-Pétersbourg : Carl Friedrich Tieman (1743-1802). Aux carrefours des courants illuministes et maçonniques publié en 2018, comporte plusieurs centaines de références [Voir sa bibliographie par Richard Caron et Marco Pasi]. Il a également dirigé plusieurs revues tels Les Cahiers de Saint-Martin, Cahiers de l’Hermétisme, Aries, publiée par l’Association pour la Recherche et l’Information sur l’Ésotérisme, et une nouvelle série en anglais, Aries, Journal for the Study of Western Esotericism. Il fut membre du comité scientifique de Politica Hermetica et membre du conseil consultatif scientifique de la revue Suevica.
Antoine Faivre (1934-2021) : Docteur ès sciences religieuses et ès études germaniques, attaché de Recherches au CNRS (1965-1969), professeur en techniques d’expression à l’université de Paris-XIII (1969-1972, professeur en Études Germaniques à l’université de Bordeaux-III, puis de Haute-Normandie (1972-1991). En 1979, il succède à François Secret à l’École Pratique des Hautes Études (section des « Sciences Religieuses », Sorbonne) où il nommé Directeur d’études de la Chaire Histoire des courants ésotériques et mystiques dans l’Europe moderne et contemporaine, puis Professeur émérite depuis 2002.
Prix et distinctions :
- Palmes Académiques (01/1989) ;
- Titre de Reconnaissance de la Nation (07/1995) ;
- Ordre National du Mérite, 10/2009.
Portrait d’Antoine Faivre par Jean-Robert Armogathe
Extrait du « Liminaire » de l’ouvrage, Ésotérisme, Gnose et Imaginaire symbolique, Mélanges offerts à Antoine Faivre, édité par Richard Caron, Jocelyn Dodwin, Wouter J. Hanegraaf et Jean-Louis Vieillard-Baron, p. XI-XII, Peeters, 2001.
Une œuvre en mouvement : tel pourrait être défini le travail intellectuel d’Antoine Faivre. Il s’agit d’abord de la progression d’une recherche : Kirchberger et l’illuminisme allemand du dix-huitième siècle, Eckartshausen et la théosophie chrétienne, puis un élargissement, en amont, dans les sources antiques et médiévales, chez Jakob Boehme et en aval, chez Franz von Baader, « le nouveau Boehme », chez Louis-Claude de Saint-Martin, le « Philosophe inconnu », jusqu’aux nouveaux mouvements religieux contemporains. Dans cet élargissement historique, le disciple d’Eugène Susini, de Jean Orcibal et de François Secret s’est montré à la hauteur de ses maîtres : rigueur de l’approche critique, connaissance des sources dans leurs langues d’origine, acribie des témoignages et des documents. Histoire et philologie marchent de pair et ouvrent le chemin. Mais cet élargissement n’est pas seulement ample : il est élevé.
L’itinéraire d’Antoine Faivre est comme une spirale ascendante : on retrouve, au fil des années, des thèmes et des territoires, mais on les aperçoit toujours de plus haut.
Ce mouvement en effet n’est pas seulement celui d’un historien. Des mouvements théosophiques, Faivre est passé à l’étude de la philosophie de la nature. Du monde de Boehme, il s’est déplacé vers les cosmologies néo-gnostiques. Car les qualités que nous venons de souligner sont fait assez attendu, puisqu’elles sont requises du métier d’historien. Antoine Faivre a exigé davantage : élargissant sa quête en accroissant la distance visuelle, il a traité en philosophe ces mouvements en les resituant dans la longue durée des mythes et des religions (ainsi sur la toison d’or ou la table d’émeraude). En faisant cela, il a contribué à la genèse d’une discipline neuve, l’histoire des courants ésotériques modernes dont il a défini la terminologie et fait l’inventaire des sources.
En 1965, la section des sciences religieuses de l’École pratique des hautes études créait une direction d’études sur l’« histoire de l’ésotérisme chrétien » ; spécialiste incontesté de Guillaume Postel et de la kabbale chrétienne à la Renaissance, François Secret était appelé à l’occuper. À son départ, en 1979, la section élargit l’intitulé pour l’adapter au champ de recherches d’Antoine Faivre : histoire des courants ésotériques et mystiques dans l’Europe moderne et contemporaine. Une partie de l’héritage d’Alexandre Koyré réapparaissait alors dans l’établissement. Avec celle occupée à Amsterdam par Wouter J. Hanegraaff, ce sont les seules deux chaires universitaires au monde consacrées à cette discipline.
Antoine Faivre a continué, inlassablement, à travailler : un premier volume d’Accès à l’ésotérisme occidental, paru chez Gallimard en 1986, fut suivi dix ans plus tard de deux autres : un second volume chez Gallimard et un recueil sur la Philosophie de la nature (Albin Michel). L’itinéraire d’Antoine Faivre continue, d’un continent à l’autre, sur les mouvements contemporains et sur la place et le sens de l’ésotérisme dans l’histoire des mythes et des religions.
L’œuvre d’Antoine Faivre, historien et philosophe, serait incomplète et mutilée sans la troisième dimension, celle du professeur attentif et magistral, que les présentes contributions rappellent. Car cette « intelligence intelligente », pour reprendre l’expression d’Oetinger, est aussi un maître incontesté, éveilleur d’esprits en France ou en Italie comme aux Etats-Unis. Science et amitié, érudition et élégance, rigueur et charité, le portrait d’Antoine Faivre ne se laisse pas saisir par un simple « cliché », par un instantané. Comme son œuvre, c’est le portrait d’un homme en mouvement, dans une dynamique du cœur et de l’intelligence que n’épuisent [pas] les milliers de pages qu’il a écrites […]. »
Jean-Robert Armogathe
Directeur d’études pour l’histoire des idées religieuses
et scientifiques dans l’Europe moderne, Section des sciences religieuses,
École Pratique des Hautes Études, 2001
L’ésotérisme par Antoine Faivre (vidéo Baglis.tv)
6e édition, mise à jour du « Que sais-je » sur L’Ésotérisme
Pages sur Antoine Faivre
Notes :