Faut-il que les catastrophes de la nature se renouvellent pour te réveiller de ton assoupissement ? Extrait de l’ouvrage de Louis-Claude de Saint-Martin, L’Homme de désir.
J’ai promené mes regards sur la nature.
Fleuves, où courez-vous avec tant d’impétuosité ?
Nous allons aider à combler l’abîme, et à ensevelir l’iniquité sous les eaux.
Nous allons éteindre ces volcans, ces tisons fumants qui sont comme les restes du grand incendie.
Quand nous aurons accompli cette œuvre, nos sources s’arrêteront.
Le limon s’amassera dans les gouffres.
Des plaines fertiles s’élèveront à la place des précipices.
Les troupeaux paîtront en paix dans les lieux où nageaient les poissons voraces ; et les habitants paisibles vivront heureux au milieu de leurs champs fertiles, là où autrefois les vagues de la mer étaient agitées par des tempêtes.
L’homme insouciant et inattentif traverse ce monde sans ouvrir les yeux de son esprit.
Les différentes scènes de la nature se succèdent devant lui sans que son intérêt se réveille, et sans que sa pensée s’agrandisse.
Il n’était venu dans ce monde que pour embrasser l’univers par son intelligence, et il laisse continuellement engloutir son intelligence par les moindres objets dont il est environné.
Faut-il que les catastrophes de la nature se renouvellent pour te réveiller de ton assoupissement ? Si tu n’es pas exercé, elles t’effraieraient et elles ne t’instruiraient pas.
La face de la terre présente les traces de trois lois qui ont dirigé ses révolutions.
Tous les éléments agités, qui ont mis le globe en convulsion et ont produit les montagnes secondaires et les volcans :
Voilà le feu et le nombre.
Les ondulations lentes et successives des vagues qui ont produit les monticules et les vallées :
Voilà l’eau et la mesure.
Et la gravité paisible et tranquille qui a produit les plaines :
Voilà la terre et le poids.
La vie s’efforce partout de se montrer ; tous les désordres étaient étrangers à la nature.
L’âme de l’homme annonce partout de la fertilité ; elle annonce partout qu’elle est faite pour la vie.
Elle a aussi en elles des traces des horribles convulsions qu’elle a souffertes.
Mais elle peut, comme la flamme des volcans, s’élever au-dessus de ces gouffres, et voguer dans les régions pures de l’atmosphère.
(L’Homme de désir, n° 3)
Illustration : Extrait de Der Wanderer über dem Nebelmeer (Le Voyageur contemplant une mer de nuages) tableau de Caspar David Friedrich (1818) conservé à la Kunsthalle de Hambourg.