À partir de 1849, l’abbé Migne (1800-1875), qui avait ouvert une imprimerie, publia de nombreux volumes de théologie, de patrologie et de pastorale. Cette publication, qui regroupe près de 500 volumes, constitue une gigantesque compilation de documents. Dans l’un des volumes, le vingt-sixième de sa vaste Encyclopédie théologique, série de dictionnaires sur toutes les parties de la science religieuse, il évoque le martinisme.
Cet article publié en 1850 et situé dans le tome III du Dictionnaire des religions de son Encyclopédie, comporte de nombreuses erreurs et approximations. Il constitue néanmoins un document témoignant du regard porté par les milieux catholiques du XIXe siècle sur le martinisme. C’est la raison pour laquelle nous avons pensé intéressant de le reproduire sur ce site.
1° – Sectaires théosophiques, qui, sur la fin du siècle dernier, se formaient un symbole calqué en partie sur le christianisme, en partie sur la philosophie naturelle, et en partie sur l’illuminisme. Mais l’abbé Grégoire demande quel est le fondateur du martinisme ; car, dit-il, on peut choisir entre Saint-Martin et Martinez ; en effet, c’est ce dernier qui initia Saint-Martin aux mystères théurgiques. On ignore la patrie de Martinez Pascalis, qui mourut à Saint-Domingue en 1799 [1] Né à Grenoble vers 1710, il était d’origine espagnole par son père. Il est mort à Saint Domingue le 24 septembre 1774. ; on présume cependant qu’il était portugais. Il prétendait trouver dans la cabale judaïque [2] Précisons que jamais Martinès de Pasqually n’a prétendu détenir ses connaissances de la kabbale. Du reste sa doctrine ne fait aucunement référence à cette tradition, même si sa théurgie s’apparente aux pratiques magiques des kabbalistes chrétiens de la Renaissance. la science qui nous révèle tout ce qui concerne Dieu et les intelligences créées par lui. Il admettait la chute des anges, le péché originel, le Verbe réparateur, la divinité des Saintes Écritures. Il disait que quand Dieu créa l’homme, il lui donna un corps matériel, tandis qu’auparavant celui-ci n’avait qu’un corps élémentaire. Le monde avait été également dans l’état d’élément ; c’est Dieu qui coordonna l’état de toutes les créatures physiques à celui de l’homme.
Saint-Martin, né à Amboise en 1743, eut l’occasion de connaître à Bordeaux Martinez Pascalis, qu’il cite pour son premier instituteur, et Jacques Boehm pour le second. Ces liaisons décidèrent du sort de sa vie et de sa doctrine. Il avait d’abord embrassé la profession d’avocat, qu’il quitta pour l’état militaire ; il renonça également à celui-ci, voyagea en Italie et en Angleterre, et vint se fixer à Paris, où il demeura jusqu’à la Révolution ; il mourut à Aulnay-lès-Bondy, en 1804 [3] Saint-Martin est mort le 14 octobre 1803, chez son ami le sénateur Lenoir-Laroche à Aulnay – Châtenay-Malabry – . Il composa un certain nombre d’ouvrages théosophiques, dont plusieurs sont signés le Philosophe inconnu.
Il a la prétention de fonder sa doctrine sur les rapports éternels qui existent entre Dieu, l’homme et l’univers, et il avance que ces rapports sont développés non seulement dans l’Ancien et le Nouveau Testament, mais dans tous les livres réputés sacrés par les différents peuples. Nous n’entrerons point ici dans le détail de sa doctrine, laquelle serait au reste assez difficile à formuler ; elle est fondée presque tout entière sur l’illuminisme et sur une physique souvent absurde. À quelques vues saines s’intercalent une foule de choses inintelligibles, au milieu desquelles la raison s’égare, sur la danse, sur la moelle ; elle est l’image du limon, de ce matras général, ou de ce chaos par lequel la nature temporelle actuelle a commencé ; – sur l’esprit astral ou sidérique : le temple de Jérusalem eut lieu pour garantir les opérations du culte lévitique des communications astrales. – L’existence des êtres corporels n’est qu’une véritable quadrature. – Toute la nature est un somnambulisme. – Notre bouche est entre les deux régions interne et externe, réelle et apparente ; elle est susceptible de frayer avec l’une et l’autre : aussi les hommes se donnent plus de baisers perfides que de baisers sincères et profitables. – Si l’homme fut resté dans sa gloire, sa reproduction eût été l’acte le plus important, et qui eût le plus augmenté le lustre de sa sublime destination ; aujourd’hui cette reproduction est exposée aux plus grands périls. Dans le premier plan, il vivait dans l’unité des essences, mais actuellement les essences sont divisées : une preuve de notre dégradation est que ce soit la femme terrestre qui engendre aujourd’hui l’image de l’homme, et qu’il soit obligé de lui conférer cette œuvre sublime, qu’il n’est plus digne d’opérer lui-même. Néanmoins, la loi des générations des divers principes, tant intellectuel que physique, est telle que, quelle que soit la région vers laquelle il porte son désir, il y trouve bientôt un matras pour recevoir son image : vérité immense et terrible, etc.
Dans un parallèle entre le christianisme et le catholicisme, comme si ces deux choses n’étaient pas identiques, il s’est donné libre carrière pour dénaturer et calomnier le catholicisme, qui n’est, dit-il, que le séminaire, la voie d’épreuves et de travail, la région des règles, la discipline du néophyte pour arriver au christianisme. – Le christianisme repose immédiatement sur la parole non écrite ; il porte notre foi jusque dans la région lumineuse de la parole divine : le catholicisme repose en général sur la parole écrite ou sur l’Évangile, et particulièrement sur la messe ; il borne la foi aux limites de la parole écrite ou de la tradition. – Le christianisme est le terme, le catholicisme n’est que le moyen ; le christianisme est le fruit de l’arbre, le catholicisme ne peut en être que l’engrais ; le christianisme n’a suscité la guerre que contre le péché, le catholicisme l’a suscitée contre les hommes.
On ne saurait nous reprocher de ne pas donner ici un précis raisonné des idées de Saint-Martin, car ses disciples eux-mêmes contestent la faculté de l’apprécier à quiconque n’est pas initié à son système ; tel ne l’est qu’au premier degré ; tel autre au second, au troisième, etc. ; d’où il résulte qu’il faut attendre une grâce intérieure, ou, comme ils disent, un développement radical, pour le saisir et le comprendre (voir Théosophes).
2° – Il y a en Russie une secte, née dans l’université de Moscou, vers la fin du règne de Catherine II, à laquelle la conformité de doctrine avec les martinistes français a fait donner le même nom. Elle eut pour chef le professeur Schwarts. Les martinistes russes étaient nombreux à la fin du XVIIIe siècle ; mais ayant traduit en russe quelques-uns de leurs écrits, et cherché à répandre leur doctrine, plusieurs furent emprisonnés, puis élargis quand Paul monta sur le trône. Actuellement ils sont réduits à un très petit nombre.
Ils admirent Swedenborg, Boehm, Ekartshausen et d’autres écrivains mystiques. Ils recueillent les livres magiques et cabalistiques, les peintures hiéroglyphiques, emblèmes des vertus et des vices, et tout ce qui tient aux sciences occultes. Ils professent un grand respect pour la parole divine, qui révèlent non seulement l’histoire de la chute et de la délivrance de l’homme, mais qui, selon eux, contient encore les secrets de la nature ; aussi cherchent-ils partout dans la Bible des sens mystiques. Tel est à peu près ce qu’en disait Pinkerton en 1817.
L’Abbé Migne
Notes :