Initié dans l’ordre des Elus coën par le Philosophe inconnu, membre important du célèbre convent des Philalèthes, le baron Karl Heinrich von Gleichen fut aussi l’ami du comte de Saint-Germain. Il a laissé un livre de Souvenirs où il évoque ses rencontres.
Observateur impartial de son temps, le baron Karl Heinrich von Gleichen (1733-1807), a laissé un livre de Souvenirs dans lequel il évoque ses rencontres. Le quatrième chapitre de cet ouvrage est consacré à Louis-Claude de Saint-Martin dont il dresse un portrait étonnant, et non dépourvu d’humour. Il ne « ressemblait nullement à un philosophe, [mais] plutôt à un petit saint » nous dit-il. [1. Liepzig, 1847. Les Souvenirs de Charles-Henri baron de Gleichen de Karl Heinrich von Gleichen (voir édition française 1868. L’image qui illustre cet article est une photographie du Monument à la mémoire de Karl Heinrich von Gleichen au château de St. Emmeram à Ratisbonne.]
Sommaire
Une vie de voyages
Chambellan du roi du Danemark, chevalier de l’ordre du Dannebrog et de l’Aigle rouge de Prusse, le baron Karl Heinrich von Gleichen est né en 1733 à Nemmersdorf, dans la région de Bayreuth. Sa vie sera ponctuée de voyages et de rencontres et dès ses études terminées, il se rendra à Paris avec son ami Kronegk. Entré au service du margrave de Bayreuth sa fonction le conduit ensuite à se déplacer dans toute l’Europe. Il séjourne en Italie en 1755, puis en Avignon, et obtient de Choiseul un poste d’ambassadeur du Danemark à Paris. Après neuf mois passés en France, il est nommé à Madrid où il reste trois ans. Il reviendra à Paris 1763. Écarté temporairement de la carrière diplomatique par le comte de Bernstorff, il retrouve un poste à Naples. Il abandonne bientôt la diplomatie et à la suite de quelques voyages en Europe se fixe à Ratisbonne en 1779.
Lors de ses séjours parisiens, le baron aime fréquenter les salons, ceux du baron d’Holbach, de Mme Geoffin et de Mme du Deffant. Il est l’ami de Diderot, de d’Alembert, du duc de Choiseul, connu Voltaire, Jean-Jacques Rousseau et Jacobi.
Passionné par le merveilleux, le baron de Gleichen s’intéresse au magnétisme et à l’alchimie. En 1759, il fréquente pendant six mois Saint-Germain, le célèbre « Rose-Croix immortel » mort le 27 février 1784 chez le prince Charles de Hesse-Cassel. Il a également été en relation avec l’alchimiste J. Touzay-Du-Chenteau, resté célèbre pour ses expériences sur l’urine. Il consacre à chacun de ces deux alchimistes un chapitre de ses Souvenirs (XI et XVI). Curieux de tout, il est « introduit dans toutes les sociétés d’initiés qui comptent en Europe » [1. Pierre-Yves Beaurepaire, L’Autre et le Frère, l’étranger et la Franc-maçonnerie en France au XVIIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 1998. ,p. 307]. Initié dans la Stricte observance templière, Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte du Régime écossais rectifié, il fut aussi membre de Illuminaten (Curius Dentantus).
Le baron de Gleichen figure parmi les correspondants étrangers de la loge Amis Réunis de Paris. Membre de XIIe classe, du rite des Philalèthes, il participe au Convent des Philalèthes de Paris en 1785. Il y joue le rôle de secrétaire, étant chargé de la rédaction des protocoles des séances en allemand tandis que le marquis de Chefdebien les écrits en français. Au cours du Convent, il sera également chargé d’une mission auprès de Cagliostro. Elle se soldera par un échec, car devant les exigences mégalomaniaques de Cagliostro, il sera rejeté par le Convent. Le baron de Gleichen lui consacre cependant un chapitre honorable dans ses Souvenirs (chap. XII). ].
Pour ce qui est de la relation du baron avec le martinisme il faut préciser qu’il fut initié par Louis-Claude de Saint-Martin dans les premiers grades de l’ordre des Élus Coëns. Cependant, le Philosophe inconnu ne semble pas avoir gardé une bonne option du baron.
C’est, dit-il, un homme qui a beaucoup d’esprit, surtout de l’esprit de cour et de l’esprit du monde. Il a frappé à toutes les portes, il a entendu parler de tout, il a tout lu. Avec cela je ne pourrais pas vous dire encore ce en quoi il est entré. […] Enfin, s’il faut vous le dire, c’est un homme tellement habitué à voir du faux et de l’erreur, qu’il ne cherche que cela parmi les meilleures nourritures, ce qui me faisait dire de lui, dans le temps, que c’était un homme qui donnerait trente vérités pour un mensonge. » (Lettre à Niklaus Anton Kirchberger du 23 juin 1794.)
Quand à Lavater, il estimait que Gleichen avait le cœur froid, cérébral, « son manque d’intérêt pour le grand œuvre de la vie empêche nos effusions » confiait-il à Gottfried Heisch [Lettre du 23 juillet 1794, citée par Auguste Viatte, Les Sources du Romantisme, tome *, p. 22. ] Auguste Viatte voit en Karl Heinrich von Gleichen un personnage insatiable du merveilleux mais « incapable de s’abstenir de sarcasmes dont les autres s’étonnent et se froissent » [1. Auguste Viatte, Les Sources du Romantisme, idem. ].
Ses oeuvres
Karl Heinrich von Gleichen est l’auteur de quelques ouvrages. Nous donnons ici leurs titres en français mais tous sont en allemand.
- Hérésies métaphysique, en 2 vol., 1791, et 1796, puis 1797, édition augmentée de Pensées sur divers sujets de la politique et des arts libéraux.
- Une partie de Metaphysische kelzereien a été traduite en français, sous le litre Essais théosophiques, en 1792.
- De la cabale, de la magie, et des sociétés secrètes, * 1792
- Méthode de la foi pour ceux ont besoin de croire* (1793)
- Sur les animaux*
- De la musique*
- Diatribes anthropologiques **, 1797
- Essai sur le despotisme **, 1797
- Éloge de quelques grands compositeurs de musique italienne**, 1797
- Sur l’architecture **, 1797
- Sur la peinture **, 1797
- Essai sur la paix perpétuelle **, 1796
- Mémoires de M. le baron Charles Henri de Gleichen, ministre de Danemak à différentes cours depuis 1760 – 1771, publiés par A. W., Sulzbach, Imprimerie de J. E.E Seidel, 1813 -Ce texte reprend le chapitre sur Saint-Germain publié dans les Souvenirs et est précédé d’une notice biographique.
- Denkwürdigkeiten des Barons Carl Heinrich von Gleichen: eine Reihe aus seiner Feder geflossener Aufsätze über Personen und Verhältnisse aus der zweiten Hälfte des achtzehnten Jahrhunderts, Hirschfeld, 1847. Malgré son titre en allemand et en dehors d’une courte introduction, le texte de cette première édition des Souvenirs est en français.
- Souvenirs de Charles-Henri baron de Gleichen, précédé d’une notice par M. Paul Grimblot, Paris, Léon Techner, 1868. Rééditions :
- Souvenirs de Charles-Henri baron de Gleichen, suivis de La Science Maçonnique, selon de baron de Gleichen et d’extraits de sa correspondance, Arché Milano, 2004.
* Publiés dans le seconde éditions des Hérésies métaphysiques
** Publiés sous le titre de Pensées sur divers sujets de la politique et des arts libéraux, en 1797
Deux d’entre-eux ont été publiés en français. Le premier, Souvenirs, est l’ouvrage dans lequel il consacre un chapitre à Saint-Martin. Le second, sous le titre Essais théosophiques (1792), propose quelques extraits des Hérésies métaphysiques. Nous proposons ci-dessous le chapitre sur Saint-Martin et un extrait des Essais théosophiques qui traite de l’infini, des nombres de l’immensité et de l’éternité.
Dominique Clairembault