« Passons au héros du présent article, à M. de Saint-Martin. Jeune, aimable, d’une belle figure, doux, modeste, simple, complaisant, se mettant au niveau de tout le monde, et ne parlant jamais des sciences, encore moins de la sienne, il ne ressemblait nullement à un philosophe, plutôt à un petit saint ; car sa dévotion, son extrême réserve et la pureté de ses mœurs paraissaient quelquefois extraordinaires dans un homme de son âge. »
Martinez Pasqualis a été le fondateur de l’ordre mystique des Martinistes, nommés ainsi à cause de la considération, que Saint-Martin, l’un des sept maîtres, que leur chef avait désignés pour propager sa doctrine après lui, avait obtenue au-dessus de ses collègues par son mérite personnel et par son livre fameux des Erreurs et de la Vérité. [1. Souvenirs, Charles-Henri baron de Gleichen, chap. 4, Paris, Léon Techner, 1868. ]
Pasqualis était originairement Espagnol, peut-être de race juive, puisque ses disciples ont hérité de lui un grand nombre de manuscrits judaïques. Sa science était beaucoup moins théorique que celle de ses apôtres ; il pratiquait tout franchement la magie, tandis qu’eux s’en cachaient et la défendaient soigneusement. J’ai été fort lié avec un certain [Bacon de] La Chevalerie qui avait été son aide de camp favori, lequel m’a montré quelques tapis de leurs opérations magiques, et raconté plusieurs faits merveilleux, s’ils étaient vrais. Je n’en citerai qu’un. Les travaux magiques de ces messieurs ont pour objet surtout de combattre les démons et leurs satellites, sans cesse occupés à répandre des maux physiques et spirituels sur toute la nature par leur magie noire. Les combats se font particulièrement aux solstices et aux équinoxes de part et d’autre. Ils travaillent sur des tapis crayonnés, sur lesquels ils établissent leurs citadelles, qui consistent en un grand cercle au milieu pour le grand maître, et deux ou trois plus petits pour ses assistants. Le chef, quoique absent, voit toutes les opérations de ses disciples, quand ils travaillent seuls, et les soutient.
Un jour, me dit [Bacon de] La Chevalerie, que je n’étais pas parfaitement pur, je combattais tout seul dans mon petit cercle, et je sentais que la force supérieure d’un de mes adversaires m’accablait, et que j’allais être terrassé. Un froid glacial, qui montait de mes pieds vers le cœur, m’étouffait, et prêt à être anéanti, je m’élançai dans le grand cercle poussé par une détermination obscure et irrésistible. Il me sembla en y entrant, que je me plongeais dans un bain chaud délicieux, qui remit mes esprits, et répara mes forces dans l’instant. J’en sortis victorieux, et par une lettre de Pasqualis, j’appris qu’il m’avait vu dans ma défaillance, et que c’était lui qui m’avait inspiré la pensée de me jeter dans le grand cercle de la puissance suprême.
Voilà ce que [Bacon de] La Chevalerie m’a raconté, pénétré de la conviction la plus intime. Il se trompait peut-être, mais son intention n’était certainement pas de me tromper. Loin de vouloir faire de moi un prosélyte, il faisait son possible pour me détourner de cette doctrine qui, disait-il, l’avait rendu fort malheureux. On l’avait excommunié à tout jamais, pour un péché sans rémission, et il ne cessait de médire de Pasqualis et de ses successeurs. Il dépeignait le premier comme un homme plein de vices et de vertus, qui se permettait tout, malgré sa sévérité pour les autres, qui prenait de l’argent de ses disciples, les escroquait au jeu, et donnait ensuite leur argent au premier venu, quelquefois à un passant qu’il ne connaissait pas ; il disait à ceux qui lui en témoignaient leur étonnement : « J’agis comme la providence, ne m’en demandez pas davantage. »
Passons au héros du présent article, à M. de Saint-Martin. Jeune, aimable, d’une belle figure, doux, modeste, simple, complaisant, se mettant au niveau de tout le monde, et ne parlant jamais des sciences, encore moins de la sienne, il ne ressemblait nullement à un philosophe, plutôt à un petit saint ; car sa dévotion, son extrême réserve et la pureté de ses mœurs paraissaient quelquefois extraordinaires dans un homme de son âge. Il était fort instruit, quoique dans son livre il ait parlé de plusieurs sciences d’une manière fort baroque. Il s’énonçait avec beaucoup de clarté et d’éloquence, et sa conversation était fort agréable, excepté quand il parlait de son affaire, alors il devenait pédant, mystérieux, bavard ou taciturne ; crainte d’avoir trop dit, il niait le lendemain ce dont il était convenu la veille.
Il avait des réticences insupportables, s’arrêtant tout court au moment où l’on espérait tirer de lui un de ses secrets ; car il croyait à une voix intérieure qui lui défendait ou lui permettait de parler. Son grand principe était que, dans la route spirituelle, on ne devait point troubler la marche de l’homme, qu’il suffisait de le préparer à deviner les secrets qu’il était destiné à savoir. Aussi, se donnait-il plus de peine pour éloigner ses disciples de sa science que pour les y appeler, se croyant responsable des abus qu’ils pourraient en faire. Son père, qui était maire d’Amboise, l’avait mis dans le service militaire, où, par sa bonne conduite, ou par le crédit de M. de Choiseul [2. Le chap II des Souvenirs est consacré à ce personnage. ], seigneur d’Amboise, il s’était avancé, en très peu de temps, au grade de capitaine; mais, entraîné par la doctrine de Pasqualis et une vocation, qui lui semblait irrésistible, il quitta brusquement le service, malgré les exhortations de ses parents, de ses amis et de son protecteur, se brouilla avec son père, et se voua aux œuvres de sa science mystique et à la pauvreté. Il s’était proposé de ne rien demander à son père, et réduit au pain et à l’eau, c’est en se chauffant au feu d’une cuisine de gargote, qu’il a composé son traité des Erreurs et de la Vérité.
Le débit de ce livre, le premier et le meilleur qu’il a écrit, l’a aidé à subsister, jusqu’à ce que madame de la Croix [2. Le chap XV des Souvenirs est consacré à cette femme étonnante. ], qui courait une carrière approchante de la sienne, l’ait recueilli chez elle. Mais bientôt ils se brouillèrent, voulant s’endoctriner l’un l’autre, et Saint-Martin, ayant hérité d’une tante cinquante louis de rente, se trouva fort riche, et publia quelques nouveaux ouvrages, qui augmentèrent son aisance : c’est alors qu’il ouvrit une petite école, et que je devins son disciple [3. Le baron de Gleinchen a été initié par Saint-Martin aux premiers grades de l’Ordre de Elus coëns, sans doute pendant la période où cet ordre fonctionnait d’une manière assez anarchique après la mort de Martinès de Pasqually. L’école dont parle Gleinchen désigne un petit groupe d’Elus coëns, car Saint-Martin ne fonda aucune « école » personnelle.].
Tout ce qu’il m’a appris est si peu important, et je l’ai si parfaitement oublié, que je ne crains pas d’être indiscret, en parlant de sa doctrine. Le peu que j’en dirai m’appartient ; je le dois à l’application avec laquelle je n’ai cessé de relire son livre, à l’attention avec laquelle j’ai saisi chaque mot échappé à mon harpocrate, et peut-être à mon talent pour la divination de tous les livres, qui traitent de sciences occultes.
Celui des Erreurs et de la Vérité est le seul dont le style soit agréable et qu’on puisse lire sans dégoût. Les trois quarts de cet ouvrage sont intelligibles ; et les pages qu’on ne comprend pas, présentent des objets si neufs et si bizarres, qu’ils amusent l’attention et piquent la curiosité.
Bien des gens ont cru que cet ouvrage n’avait été composé que pour ramener le monde à des idées religieuses par l’appât du merveilleux. Il est certain qu’il a produit cet effet sur plusieurs personnes de ma connaissance et sur moi-même ; mais j’ai lieu d’assurer que c’est une introduction très-savante et très-détaillée à la science de la magie, et qu’il renferme beaucoup de choses, dont l’auteur s’abstenait de parler dans ses leçons.
La science des nombres, qu’il a représentée sous l’emblème d’un livre à dix feuilles, était de toutes ses connaissances celle à laquelle il attachait le plus haut prix. Il disait l’avoir volée à son maître, et qu’il ne la communiquerait jamais à personne. C’est grand dommage, car c’est sous ce voile mystérieux qu’il a enveloppé les plus rares secrets de son ouvrage.
Tout ce qu’il avouait était, que les nombres donnaient la clef de l’essence de toutes les choses matérielles, pourvu qu’on en connût les véritables noms dans la langue primitive ; que par les nombres on éprouvait les esprits, de même que par les paroles de puissance, pour s’assurer si les uns et les autres étaient bons ou mauvais; et que tout cela s’obtenait par l’analyse cabalistique de ces noms et de ces paroles, dont les lettres hébraïques produisaient les dix nombres, qui manifestaient des vérités si importantes.
Il ajoutait, que l’alphabet hébreux n’était juste que jusqu’à la dixième lettre inclusivement, que le reste avait été brouillé, mais qu’il en connaissait l’ordre véritable. Voilà déjà une confession assez claire que ces messieurs s’occupaient de magie.
Un autre aveu, que je lui ai arraché, est la description des figures hiéroglyphiques écrites en traits de feu, qui lui apparaissaient dans ses travaux, et dont il lui était ordonné de conserver les dessins, qu’il m’a montrés. Ces figures ne sont autre chose que ce qu’on appelle les sceaux des esprits, qu’on voit sur les talismans, sur les pentacles, et autour des cercles magiques.
Mais ce n’est qu’en tremblant que Saint-Martin parlait de toutes ces choses-là. Il assurait que la magie avait occasionné la chute des esprits et celle de l’homme; que la seule pensée, analogue à ces crimes, pouvait nous perdre pour toujours; que sa conscience était chargée de l’âme de ses disciples, et que, par toutes ces raisons, il se trouvait obligé à toutes les précautions que prescrivait sa doctrine pour les mener au bien à petits pas, et pour éloigner de cette route ceux que la providence n’a point destinés au grand œuvre des élus, choisis par elle pour combattre le mal sur la terre.
Au reste, je conseille à tous ceux qui veulent étudier le livre des Erreurs et de la Vérité, de lire préalablement l’histoire du Manichéisme de Beausobre, qui leur ouvrira l’intelligence sur les matières fondamentales du livre de Saint-Martin, et où ils trouveront de grands rapports avec sa doctrine.
J’ai connu deux collègues de M. de Saint-Martin, moins difficiles que lui, mais qui ne le valaient pas : l’un se nommait Hauterive [Du Roy d’Hauterive], qui tenait boutique de la science à tous venants, et dont mon maître était fort mécontent ; l’autre Willermoz [Jean-Baptiste Willermoz] : il avait fondé son cercle à Lyon ; il avait moins de savoir que Saint-Martin, mais beaucoup plus d’onction, d’aménité et de franchise, au moins apparente. Il parlait au cœur beaucoup plus qu’à l’esprit ; il était estimé de tout le monde pour ses qualités, et adoré de ses disciples, à cause de ses manières cordiales, amicales et séduisantes. Il a joué un rôle distingué dans la maçonnerie, et a fini par s’adonner entièrement au magnétisme spirituel. Il a péri dans les massacres de Lyon [4. Gleinchen se trompe, car Willermoz est mort pendant le 1er Empire, en 1824], et Saint-Martin est mort tranquillement pendant la révolution [5. Saint-Martin n’est pas mort pendant le Révolution mais en 1803], qui avait un peu dérangé la fréquentation de son école.
Pour se faire une idée complète de la doctrine de Saint-Martin qui, de toutes les doctrines mystiques est la plus merveilleuse, la plus intéressante et la plus attachante, il faut lire les ouvrages suivants :
- Des Erreurs et de la Vérité,
- Des rapports entre Dieu, l’homme et la nature,
- Ecce homo,
- De l’Esprit des choses,
- L’homme de désir,
- Le crocodile,
- Le nouvel homme,
- Lettre à un ami sur la révolution française,
- Éclair sur l’association humaine,
- Œuvres posthumes,
- Le ministère de l’homme esprit.
Différentes traductions de Jacob Bœhme, et un ouvrage allemand qui a pour titre : Magicon.
Je crois faire plaisir à mes lecteurs en terminant cet article par une notice biographique [6. Les citations suivantes sont extraites de Portrait historique et philosophique de M. de Saint-Martin fait par lui-même, texte publié dans le t. 1 des Oeuvres Posthumes. ] de Saint-Martin, écrite par lui-même :
J’ai été gai, mais la gaieté n’a été qu’une nuance secondaire de mon caractère ; ma ouleur réelle a été la douleur et la tristesse, à cause de l’énormité du mal (Bœhme 3, 18) et de mon profond désir pour la renaissance de l’homme. »
On ne m’a donné de corps qu’un projet. J’ai été moins l’ami de Dieu, que l’ennemi de ses ennemis, et c’est ce mouvement d’indignation contre les ennemis de Dieu, qui m’a fait faire mon premier ouvrage. »
La nature de mon âme a été d’être extrêmement sensible, et peut-être plus susceptible de l’amitié que de l’amour; cependant cet amour même ne m’a pas été étranger, mais je n’ai pu m’y livrer librement, comme les autres hommes, parce que je n’ai été que trop attiré par de grands objets, et que je n’aurais pu jouir réellement de la douceur de ce sentiment, qu’autant que le sublime appétit, qui m’a toujours dévoré, aurait eu la permission de se satisfaire; or c’est une permission que des maîtres sacrés m’ont toujours refusée. »
Enfin, je n’aurais voulu me livrer au sensible, qu’autant que mon spirituel n’aurait pas paru crime et folie. »
Oh, si ce spirituel eût été à son aise, quel cœur j’aurais eu à donner ! J’ai changé sept fois de peau étant en nourrice ; à l’âge de dix-huit ans, il m’est arrivé de dire au milieu des confessions politiques, que les livres m’offraient : Il y a un Dieu, j’ai une âme, il ne me faut rien de plus pour être sage, et c’est sur cette base qu’a été élevé ensuite tout mon édifice. »
(Il disait en entrant dans sa carrière : ou j’aurai la chose en grand, ou je ne l’aurai pas).
Depuis que l’inexprimable miséricorde divine a permis que l’aurore des régions vraies se découvrît pour moi, je n’ai pu regarder les livres, que comme des objets de lamentations, car ils ne sont que des preuves de notre ignorance et une sorte de défense faite à la vérité, tant elle s’élève au-dessus d’eux. Les livres morts nous empêchent aussi de connaître le livre de vie, et voilà pourquoi ils font tant de mal au monde, et nous reculent tout en paraissant nous avancer. »
Bœhme, cher Bœhme, tu es le seul que j’excepte, car tu es le seul qui nous mène réellement au livre de la vie. Encore faut-il bien qu’on puisse y entrer sans toi. Les livres que j’ai faits n’ont pour but, que d’engager les lecteurs à laisser là tous les livres, sans en excepter les miens. »
Dans l’initiation que j’ai reçue et à laquelle j’ai dû dans la suite toutes les bénédictions, dont j’ai été comblé, il m’arriva de laisser tomber mon Bouclier par terre, ce qui fit de la peine au maître ; cela m’en fit aussi à moi, en ce que cela ne m’annonçait pas pour l’avenir beaucoup de succès. »
J’ai reconnu, que c’était une chose honorable pour un homme, que d’être, pendant son passage ici-bas, un peu balayeur de la terre. De tous les états de la vie temporelle, les deux seuls que j’aurais aimé à exercer, eussent été celui d’évêque et celui de médecin, parce que, soit pour l’âme, soit pour le corps, ce sont les seuls où l’on puisse faire le bien pur et sans nuire à personne, ce qui n’est pas possible dans l’ordre militaire, dans l’ordre judiciaire, dans l’ordre des traitants; et je n’aurais pas aimé à n’être que curé, non par orgueil, mais parce qu’un curé n’est pas aussi libre dans son instruction, que peut l’être un évêque. Le duc de Choiseul a été, sans le savoir, l’instrument de mon bonheur, lorsque, voulant entrer au service, non par goût, mais pour cacher à une personne chère mes inclinations studieuses, il me plaça dans le seul régiment où je pouvais trouver le trésor qui m’était destiné. L’espérance de la mort fait la consolation de mes jours : aussi voudrais-je qu’on ne dise jamais : l’autre vie, car il n’y en a qu’une. »
La ville de Strasbourg est la seconde après Bordeaux, à qui j’ai des obligations inappréciables, parce que c’est là où j’ai fait connaissance avec des vérités précieuses dont Bordeaux m’avait déjà procuré les germes. Et les vérités précieuses, c’est par l’organe de mon amie intime qu’elles me sont parvenues, puisqu’elle m’a fait connaître mon cher Bœhme. Mon premier séjour à Lyon en 1773, 1774, 1775, ne m’a pas été beaucoup plus réellement profitable, que celui de 1785. J’y éprouvai un repoussement très-marqué dans l’ordre spirituel. Mon père n’ayant pas pu éteindre dans moi le goût que j’avais pour les objets profonds, essaya vers ma trentième année de me donner des scrupules sur les recherches dans les vérités religieuses, qui doivent être toutes de foi. Il m’engagea à lire un sermon du P. Bourdaloue, dans lequel le prédicateur prouvait qu’il ne fallait pas raisonner ; je lus le sermon, et puis je répondis à mon père : « C’est en raisonnant que le P. Bourdaloue a voulu prouver qu’il ne fallait pas raisonner. »
Mon père garda le silence ; il n’est pas revenu depuis à la charge. C’est à Lyon, que j’ai écrit le livre intitulé : Des Erreurs et de la Vérité ; je l’ai écrit par désœuvrement et par colère contre les philosophes. J’écrivis d’abord une trentaine de pages, que je montrai au cercle, que j’instruisais chez M. de Willermoz, et l’on m’engagea à continuer. »
Il a été composé vers la fin de 1773 et le commencement de 1774, en quatre mois de temps, et auprès du feu de la cuisine, n’ayant pas de chambre où je pusse me chauffer. »
Un jour même, le pot de la soupe se renversa sur mon pied, et le brûla assez fortement. C’est à Paris, en partie chez madame de la Croix, que j’ai écrit le Tableau naturel, à l’instigation de quelques amis. »
C’est à Londres et à Strasbourg, que j’ai écrit l’Homme de désir, à l’instigation de Tieman. C’est à Paris que j’ai écrit l’Ecce homo, d’après une notion vive que j’avais eue à Strasbourg. C’est à Strasbourg que j’ai écrit le Nouvel homme, à l’instigation d’un gentilhomme suédois. »
En 1768, étant en garnison à Lorient, j’eus un songe qui me frappa. J’étais dans les premières années de mes grands objets, et c’est à Lorient même que j’en avais eu les premières preuves personnelles, en lisant un livre de mathématiques. La nuit, je vis un gros animal renversé par terre du haut des airs par un grand coup de fouet ; je vis ensuite un autel, que je pris pour être chrétien, et sur lequel je vis quantité de personnes passer et repasser avec précipitation et comme voulant le fouler aux pieds. Je me réveillai avec beaucoup d’affliction, de ce que je venais de voir. C’était l’annonce du renversement de l’Église. »
Mes ouvrages et particulièrement les derniers ont été le fruit de mon tendre attachement pour l’homme, mais en même temps du peu de connaissance, que j’avais de sa manière d’être, et du peu d’impression que lui font ces vérités dans cet état de ténèbres et d’insouciance, dans lequel il se laisse croupir. Ce ne sont pas mes propres ouvrages qui me font le plus gémir sur cette insouciance, ce sont ceux d’un homme, dont je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers, mon chérissime Bœhme. »
Il faut que l’homme soit devenu entièrement sot ou démon pour n’avoir pas profité plus qu’il ne l’a fait de ce trésor envoyé au monde il y a cent quatre-vingts ans. Les apôtres, qui n’en savaient pas tant que lui, ont infiniment plus que lui avancé l’œuvre. »
C’est que pour les hommes encroûtés, comme ils le sont, les faits sont plus efficaces que les livres. »
Karl Heinrich Gleichen