La doctrine d’Origène dans l’ésotérisme du XVIIIe siècle, son influence sur l’illuminisme et sur la doctrine de la réintégration de Martinès de Pasqually.
Dans cet entretien d’une heure avec Sandy Hinzelin [1] Docteur en philosophie et chercheur associé au laboratoire Philosophies et Rationalités de l’Université Clermont Auvergne. , diffusé sur baglis.tv, Jean-Marc Vivenza revient sur un thème qu’il a déjà abordé dans un livre publié en 2012, ouvrage qui mettait en évidence la proximité entre les doctrines d’Origène et celles du martinisme du XVIIIe siècle (La Doctrine de la réintégration des êtres, Martinès de Pasqually, Louis-Claude de Saint-Martin et Jean-Baptiste Willermoz à la lumière de la pensée d’Origène).
Extrait n° 1 : Mise au point à propos d’un livre
(Vidéo intégrale 1 h 01 sur baglis.tv.)
C’est donc à Origène que cette vidéo est plus spécialement consacrée. Jean-Marc Vivenza évoque la personnalité de ce Père de l’Église, né à Alexandrie au IIe siècle. Élève d’Ammonios Saccas (le maître de Plotin), il est considéré comme étant l’un des fondateurs de l’exégèse biblique. Origène avait en effet adopté une lecture particulière des textes, voyant au-delà de leur sens littéral, un ensemble d’allégories dépassant le sens historique et recelant un sens spirituel. Il invitait les chrétiens à sonder les tréfonds du réel, de l’être, à s’interroger sur ce qui relève de l’invisible. Sa doctrine résulte d’un mariage entre le néo-platonisme et le christianisme naissant, à une époque qui précède les premiers Conciles.
J-M. Vivenza nous présente ici quelques théories formulées par Origène, comme celles de la préexistence des âmes, de leur émanation et de la chute des anges. Il insiste sur un point particulièrement original de la doctrine d’Origène, celui qui présente la création du monde comme une conséquence de la chute des âmes.
« Les âmes se sont refroidies à la contemplation divine (katabolè) et ont chuté dans des corps de matière, la matière est une prison. » Cette théorie, précise J-M. Vivenza, est en contradiction avec le dogme de l’Église qui présente la Création comme étant un don de Dieu et non pas comme une nécessité résultant d’une punition. « La nécessité en Dieu, nous dit Jean-Marc Vivenza, c’est précisément ce contre quoi ont lutté tous les Pères de l’Église. » Il en est de même de la théorie de l’apocatastase, terme qui désigne la restauration finale des âmes et de toutes choses en leur source originale, le salut universel de tous les esprits, qui retrouveront à la fin des temps leur condition première. Cette doctrine est incompatible avec la notion de résurrection des corps, dogme fondamental du christianisme. Quelques années après la mort d’Origène, ses thèses entraineront des controverses. Elles seront finalement condamnées par les autorités de l’Église au Ve siècle (synode et concile de Constantinople).
Jusqu’à présent aucun auteur n’avait mis en évidence les relations doctrinales existant entre origénisme et martinisme. Qu’il s’agisse de Jacques Matter, de Gérard van Rijnberk, de René Le Forestier ou de Robert Amadou, aucun auteur n’y fait référence. C’est la lecture de Joseph de Maistre qui a incité Jean-Marc Vivenza à approfondir cette question. En effet, dans Les Soirées de Saint-Pétersbourg, Joseph de Maistre écrit que la doctrine des illuminés [2] C’est des francs-maçons théosophes dont il parle, se référant à Saint-Martin, et non pas des illuminatem. , « est un mélange de platonisme, d’origénianisme et de philosophie hermétique, sur une base chrétienne » [3] 11e entretien. Dans Quatre chapitre sur la Russie, où il reprend les grandes lignes de cet entretien, il n’évoque plus l’origénianisme mais dit que « leur doctrine est un mélange de platonisme et philosophe hermétique sur une base chrétienne ». . Jean-Marc Vivenza montre qu’en effet les thèmes marquants de l’illuminisme présentent une étrange parenté avec ce qu’on peut lire dans le Perì a̓rchō̂n (Traité des principes) d’Origène. On retrouve dans la doctrine de Martinès de Pasqually, la théorie de la préexistence des âmes, de l’émanation, de la création du monde comme conséquence de la chute des anges, ainsi que la théorie de la réintégration qui en découle, idée qui reprend le thème de l’apocatastase.
Extrait n° 2 : La préexistence des âmes
(Vidéo : vidéo intégrale 1 h 01 sur baglis.tv.)
Élargissant son propos, Jean-Marc Vivenza voit dans Origène une source essentielle de l’illuminisme, voire de l’ésotérisme occidental. Cette position est sans doute un peu excessive, car c’est essentiellement dans le courant théosophique de l’illuminisme que cette influence est manifeste. Quoiqu’il en soit, Jean-Marc Vivenza ouvre ici un dossier passionnant, montrant que loin d’être comme on le croit trop souvent, un système créé de toute pièce au XVIIIe siècle, la théosophie martiniste s’inscrit dans un courant d’idée dont on peut analyser les sources. Même si elle n’est pas la seule, l’origénisme en constitue un aspect fondamental. Certes, on ne trouvera nulle part dans les écrits de Martinès de Pasqually ou de Jean-Baptiste Willermoz, la moindre référence à Origène, et la résurgence de ses idées au milieu du XVIIIe reste énigmatique.
Pour Jean-Marc Vivenza, ignorer ces influences et ces caractéristiques, c’est passer à côté de ce qui fait l’essence même de la doctrine de Martinès de Pasqually. Soulignant que ces théories se retrouvent dans les œuvres de Louis-Claude de Saint-Martin tout comme dans le Régime écossais rectifié, il estime avec raison que négliger ces positions, tenter de la gommer, c’est se mettre à distance, se couper de qui constitue l’essence même du martinisme.
On complétera avantageusement cette vidéo en lisant l’ouvrage où Jean-Marc Vivenza développe plus longuement les idées ici présentées. (La Doctrine de la réintégration des êtres, Martinès de Pasqually, Louis-Claude de Saint-Martin et Jean-Baptiste Willermoz à la lumière de la pensée d’Origène).
D. Clairembault (23 avril 2021)
Notes :