Bibliographie du premier livre de Louis-Claude de Saint-Martin par Auguste Ladrague, bibliothécaire du comte Alexis Ouvaroff (1870).
Auguste Ladrague, un Français à Saint-Pétersbourg
En 1870, Le Bibliophile belge[1] Bulletin mensuel fondé en novembre 1839 par le baron de Reiffenberg, publié sous les auspices de la Société des bibliophiles de Belgique ? Voir le Bulletin de 1870, Bruxelles, cinquième année, chez Fr.-J. Olivier, libraire, p. 24-27. , proposait une bibliographie des éditions de Des Erreurs et de la vérité, premier ouvrage du Philosophe Inconnu. L’auteur de cet article est Auguste Ladrague, un Français né en Champagne à la fin de l’Empire qui s’était installé en Russie vers 1812. On peut déduire cette date par l’ouvrage qu’il a publié sous le pseudonyme de Gadaruel, Relation du séjour des Français à Moscou et de l’incendie de cette ville en 1812 par un habitant de Moscou (publié à Bruxelles en 1871). Nourrissant une véritable passion pour les livres, Ladrague avait adopté cette pensée de Michel de Montaigne « Je ne voyage sans livres ni en paix ni en guerre. Les livres, c’est la meilleure des munitions que j’aie trouvée en cet humain voyage » (Essais), pour composer son exlibris.
Très lié aux moscovites français, Auguste Ladrague travailla chez W. Gautier, libraire-commissionnaire du 1er corps des Cadets de Moscou, au pont des Maréchaux, maison Torletzky. Il fut ensuite le bibliothécaire du comte Alexis Ouvaroff, à Saint-Pétersbourg. Le comte possédait en effet une l’immense bibliothèque comportant plus de 70 000 volumes. Auguste Ladrague fut chargé d’établir le catalogue de ces ouvrages, en particulier celui qui concerne les ouvrages liés à la théosophie, l’illuminisme, la franc-maçonnerie, l’alchimie et les sciences occultes. Pour des raisons que nous ignorons, Ladrague n’a pas achevé le catalogue de l’ensemble de la bibliothèque[2] Les documents rédigés par Ladrague dans ce but son actuellement conservés dans les archives de la Bibliothèque Historique de Moscou, car la bibliothèque d’Ouvaroff a été annexée par le pouvoir soviétique en 1938. .Sciences secrètes
Ce catalogue a été publié en 1870 sous le titre, Sciences secrètes, Bibliothèque Ouvaroff, catalogue spécimen (Moscou, imprimerie W. Gautier, au pont des Maréchaux, maison Torletzky). Dans l’avant-propos de l’ouvrage, Ladrague explique la motivation qui l’a poussé à établir cet inventaire partiel de la bibliothèque :
L’impression d’un catalogue aussi considérable que celui de la bibliothèque de Monsieur le Comte Ouvaroff, est une chose qui mérite réflexion. Il faut pouvoir concilier toutes les nécessités d’un tel ouvrage ; à la facilité des recherches, joindre autant que possible les justes proportions du livre. Ce sont ces considérations qui m’ont décidé à faire imprimer ce Spécimen, à un petit nombre d’exemplaires. Pourquoi ai-je choisi la classe de livres qu’on trouvera ici, plutôt qu’une autre ? la réponse est fort simple : j’ai pris cette partie de notre bibliothèque, parce qu’elle est entièrement cataloguée, et qu’il est présumable quelle ne subira que peu d’augmentations.
Je donnerai quelques explications sur le motif qui m’a fait réunir dans une seule classe, des ouvrages qui sont habituellement séparés ; je puis d’ailleurs m’autoriser en partie de l’exemple du savant docteur Georg Kloss : Bibliographie der Freimaurerei (Frankf. a M., 1844), qui a consacré aux alchimistes et aux théosophes, des subdivisions importantes dans son excellent ouvrage. J’ai intitulé ce fragment de catalogue : Bibliographie des Sciences secrètes, faute d’un autre consacré ; car je ne pouvais employer la dénomination de Sciences occultes, prise ordinairement pour désigner les ouvrages traitant de ce que l’esprit humain a produit de plus déplorable. »
Auguste Ladrague a classé les ouvrages traitant de Sciences secrètes en quatre sections :
- Théosophie, illuminisme, mysticisme (n° 1 à 174) ;
- Sociétés secrètes, mystères et initiation, franc-maçonnerie, templiers, rose-croix, frères d’Asie, illuminés, etc. (n° 175 à 536) ;
- Alchimie, bibliographie, histoire, écrits, médecine spagyrie… (n° 537 à 1645) ;
- Sciences occultes, histoire, magie et cabale, démonologie, divination, astrologie, (n° 1646 à 1883).
Tiré à soixante-quinze exemplaires, plus des copies de dépôt, ce catalogue est resté confidentiel mais demeure très prisé par les amateurs d’ouvrages anciens. Albert Louis Caillet en reprend les textes dans son Manuel bibliographique des sciences psychiques ou occultes[3] Il reprend notamment la bibliographie de Des Erreurs et de vérité, voir t. III, p. 456-457, n° 9769 à 9772. Il signale la source de ces emprunts par la référence « O », pour Ouvaroff suivie du numéro dans ce catalogue : O-139 à O-142. (1912). Le Bibliophile Belge a publié une recension du catalogue de Ladrague dans le Bulletin de l’année 1870. Ce compte rendu est signé C.R., (p. 276-279). Au début du même bulletin, figure la bibliographie de Des Erreurs et de la vérité, dont le texte est extrait du catalogue Sciences secrètes[4] Voir Sciences secrètes, n° 139 à 142, p. 18-19. . A. Ladrague l’a légèrement adapté pour l’occasion en supprimant les numéros des notices qu’il réutilise.
Il faut préciser qu’entre 1850 et 1870, Ladrague fut un collaborateur régulier du Bibliophile Belge. Ladrague a d’ailleurs repris plusieurs notices de son catalogue dans ce bulletin, notamment celle sur l’Essais sur les illuminés par le marquis de Luchet, publié dans Le Bibliophile Belge en 1869. p. 241[5] Précisons que s’il n’a été publié qu’en 1870, le catalogue a été rédigé en 1768, comme en atteste l’avant-propos des Sciences secrètes. Le texte concernant Luchet figure aux n° 511 et 519 p. 53-54. . Ses contributions dans le Bibliophile Belge concernent généralement des questions de bibliographie. En 1867, il participe notamment au débat sur la paternité du Manuscrit trouvé à Saragosse, chef-d’œuvre fondateur du genre fantastique[6] « Petite question de paternité littéraire » (à propos de d’Avadoro), Histoire espagnole et des Dix journées de la vie d’Alphonse van Worden et du Manuscrit trouvé à Saragosse de Jean Potocki, Le Bibliophile Belge, 1869, p. 290-296, article signé Auguste Ladrague, bibliothécaire de M. le comte Alexis Ouvaroff. .
Les fous littéraires, rectification de l’Essais bibliographique de Philomneste
Auguste Ladrague ne s’intéresse pas uniquement aux livres traitant des sciences secrètes, il se penche également sur la biographie de leurs auteurs, comme en témoigne son livre, Les fous littéraires : rectifications et additions à l’Essai bibliographique sur la littérature excentrique, les illuminés, visionnaires, etc., de Philomneste junior es fous littéraires (1883). Dans cet ouvrage, il dénonce, corrige et complète les notices publiées trois ans plus tôt par Philomneste[7] Essai bibliographique sur la littérature excentrique, les illuminés, visionnaires, 1880, Bruxelles, Gay et Douce éditeurs. . Derrière le pseudonyme de Philomneste se cache le bibliographe français Gustave Brunet. Comme ce dernier, Ladrague a lui-même publié son ouvrage sous un pseudonyme, celui de Ac. Iv. Tcherpakof[8] Moscou, Librairie W.G. Gautier, 1883. . Ce livre est une sorte de dictionnaire présentant des notices sur des théosophes, illuminés et visionnaires tels que, Arndt, Baader, Madame Guyon, Louis-Claude de Saint-Martin, Swedenborg, Martinès de Pasqually, Catherine Théot, Cazotte, Douze-Temps, Dutoit-Membrini, Kardec etc. Dans ces textes, il fait parfois référence au catalogue Ouvaroff[9] Dans l’avant-propos où il dénonce les fautes de Philomneste, il écrit : « Ces erreurs auraient dû être relevées par M. Ladrague, le rédacteur du catalogue de la bibliothèque de M. le comte Ouvaroff, mais cet estimable bibliophile dit s’en désintéresser et le laisser à qui voudra s’en occuper ; j’use de la permission, voilà la raison de mon petit travail. » Les fous littéraires : rectifications… p. 11. .
Pour une bibliographie complète du premier livre de Saint-Martin, on consultera avec profit la Bibliographie générale des écrits de Louis-Claude de Saint-Martin, de Robert Amadou, 1968, 2 vol. 409 f., Bibliothèque de la Sorbonne, tapuscrit, ainsi que la page de ce site consacrée au livre Des Erreurs et de la vérité.
Dominique Clairembault
14/06/2023
Des Erreurs et de la vérité, Miscellanées par M. Ladrague
« [139 – SAINT-MARTIN [10] La réf du catalogue (139) ainsi que le nom de Saint-Martin sont absents ici. ] III — Des Erreurs et de la vérité, ou les Hommes rappellés (sic) au principe universel de la science. Ouvrage dans lequel, en faisant remarquer aux observateurs l’incertitude de leurs recherches, et leurs méprises continuelles, on leur indique la route qu’ils auraient dû suivre, pour acquérir l’évidence physique sur l’origine du bien et du mal, sur l’homme, sur la nature matérielle, la nature immatérielle et la nature sacrée, sur la base des gouvernemens politiques, sur l’autorité des souverains, sur la justice civile et criminelle, sur les sciences, les langues et les arts; par un Ph… In… (philosophe inconnu, Louis Claude de Saint-Martin). Edimbourg, 1782, 2 vol. ou parties in-8° de 230 et 236 pp.
C’est à Lyon que j’ai écrit ce livre. Je l’ai écrit par désœuvrement et par colère contre les philosophes. Je fus indigné de lire dans Boulanger, que les religions n’avoient pris naissance que dans la frayeur occasionnée par les catastrophes de la Nature. Je composai cet ouvrage vers l’année 1774, en quatre mois de temps et auprès du feu de la cuisine, n’ayant pas de chambre où je pusse me chauffer. » (SAINT- MARTIN : Œuvres posthumes).
- La 1reédit. est d’Edimbourg (Lyon), 1775, in-8° de VIII-546 pp. Réimprimée sous les mêmes titre, lieu et date, 2 vol. in-8°, avec une table des matières où l’on a négligé de changer la pagination faite pour une autre édition (Matter).
- IIeédit. retouchée par le frère CIRCONSPECT. Salomonopolis chez Androphile, à la Colonne inébranlable, in-8° de XII-546 pp.
- Autre édit. Edimbourg, 1782. 2 vol. in-8°, la nôtre.
- Autre édit. Edimbourg (Lyon), s. adr., 1782. 2 vol. in-12.
- Autre édit. Edimbourg, 1782. 2 tomes in-8° de XVI-407, et 440 pp. (Edition citée par Klosz, n° 3893).
- Autre édit. Salomonopolis chez Androphile,,.. 2 vol. in-8° et 3 vol. en y joignant la Suite des Erreurs… publiée en même temps.
Cette dernière édit. a été représentée sous le titre : Les Hommes rappelés au principe universel de la science (avec la Suite des Erreurs…) et forme alors les tomes I-III des Œuvres philosophiques de St.-Martin. Londres, de l’impr. de la société philosophique, 1808. 6 vol. in-8°. Les autres volumes de cette collection factice sont : L’Homme de désir, t. IV, et Tableau naturel, t. V et VI.
Total, sept éditions différentes, vues par moi presque toutes[11] Il ajoute cette précision pour le Bulletin. .
Cet ouvrage a été traduit en allemand par Matthias Clodius, avec une bonne préface : Breslau, 1782 ; voy. Klosz, n° 3894.
Le livre de Saint-Martin[12] Contre « Cet ouvrage » dans le catalogue. a été frappé par l’Inquisition d’Espagne ; voici ce que dit de cette sentence, l’auteur lui-même : « Le 18 janvier 1798, jour où j’ai atteint ma cinquante-cinquième année, j’ai appris que mon livre des Erreurs et de la Vérité avait été condamné en Espagne par l’Inquisition, comme étant attentatoire à la Divinité et au repos des gouvernements » (Matter, 305-07).
L’impératrice Catherine II chargea Platon, évêque de Moscou, de lui rendre compte du livre des Erreurs… qui était pour elle une pierre d’achoppement. Il lui en rendit le compte le plus avantageux et le plus tranquillisant. » (Saint-Martin, dans Matter, p. 138.)
Ayant eu l’occasion de procurer cet ouvrage, ainsi que les principaux écrits de Saint-Martin, à un grec orthodoxe adonné à la lecture des écrivains mystiques, cette personne ne voulut pas en prendre connaissance avant d’avoir l’assentiment de mgr. Philarète, métropolitain de Moscou, mort tout récemment. Ce successeur de mgr. Platon fut également de l’avis de son prédécesseur. Nous prendrons de là l’occasion de faire observer combien l’église d’Orient diffère de celle d’Occident, lorsqu’elle pense qu’un livre écrit par un dissident peut servir à l’édification des fidèles.
[Suze – 140[13] Référence dans le catalogue mais absent ici. ] Suite des Erreurs et de la vérité, ou développement du livre des Hommes rappellés (sic) au principe universel de la science ; par un Ph… In… (le chevalier Charles de Suze). A Salomonopolis, chez Androphile, à la Colonne inébranlable MMMMM, DCC, LXXXIV, in-8° de IV-435 pp.Saint-Martin a fortement désavoué cet ouvrage. Tout me porte à croire que cette Suite est du chevalier Ch. de Suze, l’auteur de la Clef… (voy. le n° suiv.). Voici ce qu’il dit en se plaignant de la critique de la Suite, faite par l’Examen impartial du livre intitulé : des Erreurs… ; par un frère laïque en fait de science (J. Joachim Christoph Bode). (s. l., 1782, in-8° de 118 pp.).
À travers le barbouillage moitié français, moitié tudesque de ce nouveau Don Quichote, on découvre…. qu’il cherche à jeter du ridicule sur l’auteur de la Suite des Erreurs et de la Vérité ; ouvrage capable de servir de contrepoison aux idées alambiquées qu’on trouve dans l’autre, et composé sur les notions d’une physique guidée par l’expérience, et une philosophie raisonnable; si tant est qu’une œuvre raisonnable puisse sortir de la main des hommes. » (Clef, p. 26).
Puis dans la Suite des Erreurs…, on lit : « L’homme se trompant sans cesse sur les moyens qu’il emploie pour trouver la vérité, j’ai attribué ce penchant à se tromper, moins à l’ignorance de toute vérité, qu’à la faute de la méthode dont il fait usage… Pour découvrir cet état (la vérité), il faut encore se servir du ternaire sacré, vérité dans nos opinions,… vérité dans nos actes,…. Vérité dans nos discours… » ( p. 2-3). Ce sont les trois grands marteaux du Serrurier connu[14] « Voilà les trois serrurier » dans le catalogue. .
[— 141[15] Référence absente ici. ] Clef des Erreurs et de la Vérité (de Saint-Martin), ou les Hommes rappelés au principe universel de la raison ; par un serrurier connu (Ch. de Suze). Hersalaïm, s. adr. (Paris), 1789, in-8° de 128 pp.Pamphlet violent contre l’ouvrage de Saint-Martin et un peu contre Nic. de Bonneville, contre lequel Suze se propose d’écrire pour rectifier ses écrits contre les Francs-Maçons. Ch. de Suze ne manque ni de logique ni d’énergie :
Nous désirions que cette clef (une clef d’acier poli) pût ouvrir les coffres où les hommes ont sûrement enfermés (sic) leur bon sens, depuis que des fripons hypocrites ont publié mille et un systèmes ridicules pour se les assujettir ; mais le mal est si enraciné, l’espèce humaine si crédule, l’erreur si douce, que nous serons forcés de faire retentir souvent notre enclume sous les trois grands marteaux qui ouvrent et ferment le temple de vérité. »
Certes il y a du vrai pour tous les temps et pour tous les pays, dans cet aphorisme du Serrurier connu.
(LOOS, 142), Le Diadème des Sages, ou Démonstration de la nature inférieure, dans lequel on trouvera une analyse des Erreurs et de la Vérité… ; par Phylantropos (O. H. de Loos). Paris 1781, in 12. Voyez les n° 1424-26. [p. 136] »
[Auguste Ladrague]
Le Diadème des sages
Suivent les détails concernant les éditions de autres livres de Saint-Martin (n° 143 à 149). Nous ajoutons ici la notice consacrée au Diadème des sages dans Sciences occultes, étant donné qu’il est en relation avec le premier livre du Philosophe inconnu.
« (LOOS – 1424). Le Diadème des Sages, ou Démonstration de la nature inférieure ; dans lequel on trouvera une analyse raisonnée (et critique en ce qui concerne l’Hermétisme) du livre des Erreurs et de la Vérité (de C-L [sic] de Saint-Martin) ; une dissertation sur la médecine universelle (hermétique), avec une Allégorie sur cette matière, trad. (pour la première fois) de l’original anglais ; la fausseté du Système de S-R (Frédéric) Meyer sur l’Acidum Pingue, ainsi qu’un éclaircissement sur la Végétation, qui donnera des preuves suffisantes contre les erreurs qui se sont glissées à ce sujet ; par Phylantropos, citoyen du monde (Onesine Henri de Loos). Paris, Merigot ainé ; Lesclapart, 1781 in 12 de 246 p.
On trouve à partir de la p. 223, Allégorie sur la médecine universelle (Recette de l’Ambroisie servie à la Table des Dieux, aux noces du Ciel et de la Terre), trad. sur l’original anglo-saxon de la Bibliothèque du prince Anglo-Saxon qui n’a jamais été traduit ni copié. »
Notes :