Louis de Raimond (1752-1838), Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte de Besançon a joué un rôle particulier dans l’histoire du Régime écossais rectifié. Il est l’un de ceux qui participèrent à sa renaissance après la Révolution française.
Sommaire
Introduction
Le 21 janvier 2023, le journal L’Est Républicain annonçait que le centre diocésain de Besançon s’était récemment opposé à la tenue d’une conférence sur la franc-maçonnerie, organisée par le Grand Prieuré des Gaules (G.P.D.G.), dans ses locaux. Rappelons que le G.P.D.G. s’inscrit dans un courant maçonnique qui revendique son attachement au christianisme, notamment par la pratique du Régime écossais rectifié.
Directeur des postes à Besançon
Cet événement est pour nous l’occasion d’évoquer une personnalité maçonnique franc-comtoise de la fin du XVIIIe siècle qui a joué un rôle particulier dans l’histoire du Régime écossais rectifié : Louis-Jules-Bardon-Hélène Filio de Raimond, né à Nevers le 14 novembre 1752 et mort à Besançon le 10 octobre 1838[1]Rappelons que Jean Bossu lui a consacré quelques pages dans « De Raimond, inspecteur des Postes, victime d’une calomnie centenaire – Francs-maçons d’autrefois – XIV », Renaissance Traditionnelle n° 37, 1979, p. 44-47. Plus récemment, Thomas de la Sore a complété ce travail avec une notice plus importante dans le Grand Armorial de l’Ordre des Chevaliers Bienfaisant de la Cité Sainte (2017, p. 78-79). Gustave Bord consacre également quelques pages aux loges de Besançon dans La Franc-maçonnerie en France des origines à 1815, Nouvelle Librairie Nationale, Paris, 1909, t. I, p. 403-407. Nous apportons ici quelques informations qui complètent ces études.. Le plus souvent, il est désigné sous le nom de Louis de Raimond. Dans ses Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, Barruel l’écrit sous la forme « Raymond », le présentant comme un franc-maçon « ayant la tête pleine de Swedenborg et de ses visions »[2] Abbé Barruel, Mémoires pour servir à l’histoire du jacobinisme, Le Boussonnier & Co, Londres, 1798, IVe partie, chap. XI, p. 355-359. .
Fils du directeur de la poste de Besançon, Louis de Raimond lui succède en devenant directeur du Bureau des postes aux lettres en 1775. Il deviendra par la suite Inspecteur chargé de la poste aux lettres, aux chevaux, pour le Doubs (1791). En décembre 1807, Louis de Raimond devient titulaire de l’Académie des sciences, belles-lettres et arts de Besançon et de Franche-Comté. Il a d’ailleurs publié des poésies et des fables dans le Bulletin de l’Académie, ainsi que des « Réflexions sur la mythologie » (1807). En octobre 1817, le Journal de l’éducation a publié « Épitre à une mère, sur les écoles d’enseignement mutuel, par M.***, de Besançon », long poème de Raimond sur l’éducation des enfants.
Le Régime écossais rectifié à Besançon
Franc-maçon, de Raimond est membre de la loge La Sincérité et Parfaite Union de Besançon (à propos de cette loge, voir l’encadré qui termine notre article). Il précise lui-même dans la lettre que nous présentons ci-dessous : « Depuis 1785, j’ai été plus spécialement attaché au Régime rectifié arrêté à Wilhelmsbad ». Dans le Tableau général des révérends frères Chevaliers Bienfaisant de la Cité Sainte, Ve Province dite de Bourgogne, il est enregistré sous le nom de Louis de Raimond, Ludovicus a Garba (devise : Natura ; armoiries : « Une gerbe d’or en champ d’azur » ). [3] Fonds Kloss VI, i.I., année 1821, . Gérard van Rijnberk pense que le Bisontin fut également membre de l’ordre des Élus-coëns, mais cette appartenance n’est pas documentée. Comme la plupart des maçons de son temps, de Raimond s’intéresse au magnétisme. Il passe pour avoir été membre correspondant de la Société de l’Harmonie de Mesmer, mais selon Bruno Belhoste cette adhésion reste incertaine. Nous savons cependant que Raimond était en relation avec Alexandre de Monspey, l’un des fondateurs de la Société de la Concorde de Lyon. Lors de son passage à Besançon en 1784, ce dernier souhaita y installer une société semblable à celle de La Concorde, pour y appliquer les principes du magnétisme spiritualiste du chevalier de Barberin. À la suite d’une visite à Besançon en août la même année, Bernard de Turckheim s’opposa à ce projet, jugeant la loge bisontine trop fragile pour se lancer dans ce projet. Quelques années plus tard, en 1787, Tardy de Montravel, un disciple de Mesmer que Raimond avait initié à la Sincérité, viendra s’installer quelques temps chez le Bisontin.
Louis de Raimond a également participé au célèbre Convent des Philalèthes organisé par Savalette de Lange à Paris (1784-1785, puis 1786-1787). Il fut délégué par sa loge pour participer à ce rassemblement maçonnique international. C’est à cette occasion qu’il se rangea du côté des défenseurs de Cagliostro. Il s’éloignera par la suite de ce personnage qui, écrit-il dans sa lettre à Barruel, « abusait de la faiblesse et de la crédulité de quelques âmes honnêtes »[4] Sur ce Convent, voir Charles Porset, Les Philalèthes et les convents de Paris, une politique de la folie, Paris, Honoré Champion, 1996. .
La Révolution
La Révolution met fin aux travaux de la loge de Besançon. Quelques années plus tard, lorsque Raimond apprend que l’abbé Barruel le cite dans son Mémoires pour servir à l’Histoire du jacobinisme (1798), le franc-comtois est mécontent [5] Le texte relatif à Raimond figure dans la IVe partie des Mémoires (1798), chap. XI, p. 355-359. . Le 28 décembre 1802, il écrit à l’auteur pour dénoncer ses erreurs. L’absence de réponse de Barruel l’incitera à publier sa lettre. Elle le sera dans le Miroir de la vérité dédié à tous les Maçons, livre publié par Antoine-Firmin Abraham, vénérable de la loge Les Élèves de Minerve de Paris, en 1802. Cet ouvrage est d’ailleurs introduit par « une réfutation succincte de l’ouvrage de M. Barruel sur la Maçonnerie[6] Paris 1802, tome III ; voir la lettre de Raimond, p. 171 à 177. . » La lettre de Raimond offre un témoignage intéressant sur la vie des divers mouvements illuministes et sur les controverses qui leur sont associées[7] Dans l’article qu’il a consacré à de Raimond, Jean Bossu ne signale pas l’existence de cette lettre, mais Charles Porset la reproduit dans les Annexes de son étude sur le Convent des Philalèthes. .
Renaissance du Rectifié sous l’Empire
Louis de Raimond est l’un des promoteurs de la renaissance du Régime écossais rectifié sous l’Empire. Rassemblant quelques frères de Besançon, il réveille la loge en 1804 et reprend contact avec le Directoire de Bourgogne qui siège à Strasbourg. Ce dernier étant inactif, Besançon s’érige provisoirement en Directoire. En 1807, Raimond se rend à Paris pour rencontrer Bacon de La Chevalerie. Ce dernier vient de faire adopter à la loge Le Centre des Amis, le Régime écossais rectifié. À la suite de manœuvres opérées à l’insu de Jean-Baptiste Willermoz, il a fait élire Jean-Jacques-Régis de Cambacérès à la fonction de grand maître national du Régime. Le nouveau grand maître régularise la situation de La Sincérité et Parfaite Union et confirme la position de Raimond à la direction de la Province de Bourgogne (Ve). Le siège de cette dernière est alors transféré de Strasbourg à Besançon (1808) [8] Il reviendra à Strasbourg en 1816, sous l’autorité de Saltzmann. Voir Roger Dachez, Histoire illustrée du Rite Écossais Rectifié, Dervy, 2021. . La loge La Sincérité et Parfaite Union s’installe bientôt dans un appartement du palais Granvelle, prestigieux bâtiment renaissance du XVIe siècle. C’est de Raimond, Vénérable de la loge, qui signe le bail de location.
En 1811, de Raimond se procure une copie du discours que Chateaubriand devait prononcer pour sa réception à l’Académie française. Censuré par Napoléon, à cause de ses critiques sur certains aspects de la Révolution, Chateaubriand ne le prononça pas et ne prendra possession de son siège à l’Académie que sous la Restauration. Raimond eut la maladresse de procurer des copies du discours interdit à quelques amis. Le 20 juillet 1812, le baron Jean-Antoine-Joseph de Bry, préfet du Doubs, qui était par ailleurs franc-maçon dans la même loge que Raimond, lui écrivit pour le rappeler à l’ordre. Le baron lui précisait que le ministre de la Police avait interdit la diffusion de ce texte. De Raimond lui répondit : « J’ignorais que le discours de M. de Chateaubriand avait été interdit par l’ordre de S. M. L’Empereur. J’ai cru seulement qu’il avait été rejeté par l’Institut, à raison des personnalités que l’auteur s’y est permis sur son prédécesseur. » Il se proposera de remettre le discours au préfet, tout en lui assurant ne pas avoir tiré de copie du texte en question. Le discours de Chateaubriand, ainsi qu’une copie de la lettre du préfet et celle de Raimond, sont actuellement conservés dans les collections de La Maison de Chateaubriand à Châtenay-Malabry.
Le Régime écossais rectifié connait à cette époque une certaine prospérité à Besançon. Chancelier de la Province de Bourgogne, de Raimond se rend à Genève le 23 août 1811, pour procéder à l’installation de la loge L’Union des cœurs lors de son passage au Régime rectifié[9] Cette loge deviendra le « conservatoire » du R.E.R. après la mise en sommeil du Régime rectifié en France. . Le mois de juillet 1813 marque la déchéance de la loge bisontine qui disparaît bientôt. La chute de l’Empire, en avril 1814, et la période d’incertitude qui suit cet épisode de l’histoire de France jusqu’à la seconde Restauration, n’est guère favorable à la franc-maçonnerie. Elle va conduire Louis de Raimond à nouer des relations avec des personnalités importantes du R.E.R. vivant dans d’autres pays. Parmi celles-ci figurent le Landgrave Charles de Hesse Cassel (a Leone Resurgente), successeur de Ferdinand de Brunswick (a Victoria), et le prince Christian de Hesse Darmstadt (a Cedro Libani). Ses amis de Strasbourg, Frédéric Rudolph Saltzmann (a Herda) et Jean de Turckheim (a Flumine), vont l’introduire auprès de ces hautes personnalités.
Charles de Hesse Cassel
Informé à la fin de l’année 1817 par Jean de Turckheim, d’un projet formulé par Charles de Hesse Cassel pour rassembler des textes « qui intéressent la Science divine », de Raimond propose de lui offrir des manuscrits et des ouvrages dont il n’a plus l’utilité. Il enverra successivement plusieurs caisses de documents dont sa correspondance donne l’inventaire. Christian de Hesse Darmstadt, qui joue le rôle d’intermédiaire, profite des bonnes dispositions du Bisontin pour tenter d’obtenir les rituels de l’ordre des Élus coëns, ainsi que le manuscrit du Traité sur la réintégration des êtres de Martinès de Pasqually. De Raimond semble avoir obtenu ces documents grâce à ses relations avec Pierre de Joux. Ces tractations feront l’objet de plusieurs échanges. Le 23 novembre 1817, Jean de Turckheim précisera à Christian de Hesse Darmstadt, que Raimond, « ne pouvant se délester de ses engagements » sans en avoir obtenu l’autorisation, ne peut encore envoyer les documents coëns. Dans ses lettres, le Bisontin exprime parfois sa méfiance à l’endroit du fondateur de l’ordre des Élus coëns. Il écrit à Christian de Hesse Darmstadt le 13 mars 1818, que ses « connaissances tenaient plus particulièrement aux cabales judaïques dont il y a quelque raison de se méfier, ainsi que de quelques opérations plus dangereuses encore que curieuses et qui sont la base et la doctrine des Élus coëns » [10] Fonds Kloss, n° VI L 1. .
On remarquera d’ailleurs, dans la lettre ci-dessous, que de Raimond prend également ses distances avec les livres de Louis-Claude de Saint-Martin : « J’avoue franchement, écrit-il, que je n’ai rien compris, en tout ce qu’ils contiennent de cabalistique et de mystérieux. » Pourtant, sa correspondance avec Jean de Turckheim et Christian de Hesse Darmstadt, montre qu’il s’intéressait aux œuvres du Philosophe inconnu. Il avait même eu accès à certains textes figurant dans les archives conservées par les héritiers de Saint-Martin. C’est ainsi qu’il confia à Charles de Hesse Cassel, une copie du manuscrit Les Nombres ainsi que les textes que Saint-Martin a consacrés au magnétisme.
Lors d’un séjour à Strasbourg chez Jean de Turckheim en 1819, Louis de Raimond s’enthousiasme pour le système des grades composé par Charles de Hesse Cassel. Désigné sous le nom d’École du Nord, ce système dérive de celui des Frères et chevaliers de saint Jean l’Évangéliste d’Asie en Europe (Frères Asiatiques) et des expériences visionnaires du Landgrave. De Raimond sollicitera le Landgrave à plusieurs reprises pour entrer dans son cénacle mystique. En 1825, il se désespérait d’obtenir cette grâce. De Raimond travaillait alors à la rédaction d’un Essais sur l’unité considérée comme seul moyen de rendre la paix à l’Europe.
Je ne sais, écrit-il, si la Providence me permettra de le conduire à sa fin, puisque c’est sous sa seule dictée que je l’écris. Je serai le premier à le supprimer, s’il pouvait s’y rencontrer une seule pensée qui ne fut pas conforme à ses vues et à ses préceptes. Il ne contiendra, j’ose l’espérer, aucune abstraction puisque les Saintes Écritures sont le seul magasin dans lequel je puiserai la vérité qui constitue l’unité, à la fois objet de notre adoration, et moyen de notre bonheur temporel et spirituel[11] Lettre du 25 mars 1818, à Christian de Hesse Darmstadt. »
Il ne semble pas avoir mené ce projet à son terme.
Contrairement à ce que prétend l’abbé Barruel, de Raimond ne fut pas à proprement parler swedenborgien, cependant, il a été en relation avec plusieurs disciples du théosophe suédois. Il écrit à Chrétien de Hesse Darmstadt le 30 juillet 1825, « Nous avons ici un colonel chef d’état-major grand partisan de Swedenborg, homme de cinquante et quelques années, il est grand astronome et fait partie de l’expédition du capitaine Baudin pour les découvertes. Il se nomme comte de Bissy. » Frédéric de Bissy (1768-1834), lieutenant-colonel d’infanterie, était aussi astronome. Il termina en effet ses jours à Besançon et c’est là que le capitaine Bernard, promoteur du swedenborgisme en France viendra le rencontrer lorsque son régiment s’installera à Besançon en avril 1827.
En avril 1830, Louis de Raimond alors âgé de soixante-dix-huit ans est encore en relation épistolaire avec Charles de Hesse Cassel. Il meurt quelques années plus tard, le 10 octobre 1838. Dans son Journal, Charles Weiss écrit le 12 octobre :
L’Académie vient de perdre son doyen d’âge, M. de Raymond père, ancien inspecteur des postes. C’était un homme de beaucoup d’esprit, qui faisait des vers élégants avec facilité. Il avait été l’un des correspondants de Voltaire dont il introduisait en France les pamphlets irréligieux. Mais depuis longtemps, il était rentré dans le giron de l’Église et faisait l’édification de sa famille ; doué d’une vive imagination, il avait été l’un des plus zélés disciples de Nodier à Besançon, il croyait au somnambulisme, au magnétisme et aimait les choses extraordinaires[12] Charles Weiss Journal 1838-1842, éd. Suzanne Lepin, 1997, Presse universitaire de Franche-Comté, n° 279. Pierre-Charles Weiss (1779-1866), conservateur de la Bibliothèque de Besançon de 1811 à 1842, joua un rôle important dans la vie culturelle de Besançon et de la Franche-Comté. Son Journal témoigne de la vie intellectuelle bisontine. ».
Trois ans après la mort de Louis de Raimond, en juin 1841, le Régime écossais rectifié renaîtra à Besançon. César Ledoux, a Tritico, et Charles Marchant, a Nubibus, procèderont en effet au réveil de la loge La Sincérité et La Parfaite Union.
Dominique Clairembault
16/02/2023
Lettre de L. de Raimond à l’abbé Barruel 1802
« Copie de la lettre du R :. F :. Raimond, Inspecteur des Postes à Besançon, à M. l’abbé Barruel, à Londres, auteur des Mémoires pour servir à l’Histoire du Jacobinime, 5 vol. in-8° [1798]. »
Besançon, le 28 décembre 1802
Monsieur,
Lorsque votre ouvrage parut, je mis à le lire l’intérêt, l’empressement que tout bon citoyen, tout homme honnête pouvait avoir, de connaître les causes d’une révolution dont les effets ont entraîné de si grands maux, causes que je n’avais cru apercevoir jusqu’alors que dans la corruption des mœurs du siècle dernier, et dans la faiblesse du Gouvernement.
Malgré l’exagération que je trouvai dans vos principes sur les philosophes, je ne me dissimulai pas que cette partie de votre travail contenait plusieurs vérités ; mais je vous avoue que j’attendais comment vous parviendriez à rattacher à la philosophie, les rits, les cérémonies et la morale toute religieuse des maçons, puisque j’ai eu pendant vingt ans, des preuves constantes que la maçonnerie de tous les régimes français et étrangers, blâmait et condamnait avec force les écarts de la philosophie, et aurait pu être accusé plutôt d’antiphilosophie, que de liaison intime avec elle.
J’ai dit que la morale de la maçonnerie était toute religieuse, et effectivement, la charité la plus étendue en était la base essentielle ; le respect le plus profond pour la religion, une de ses principales lois ; la pratique de toutes les vertus spécialement recommandées aux initiés dans tous les grades, enfin l’obéissance aveugle à tous les gouvernements existants, le fondement de sa doctrine.
Votre livre, Monsieur, m’apprend une foule de choses que je ne connaissais pas, quoique j’aie étudié, avec le plus grand soin, les divers grades maçonniques ; quoique j’aie assisté à des loges de tous les régimes ; quoique j’aie personnellement été membre Supérieur dans quelques-unes, et que, depuis 1785, j’ai été plus spécialement attaché au Régime rectifié arrêté à Wilhelmsbad, dont la règle devrait être entre les mains de tous les hommes, jusqu’à l’époque de la révolution, époque à laquelle les loges se fermèrent, pour ôter tout prétexte à la malveillance.
Membre du convent maçonnique qui se tint à Paris en 1784, je vous avoue que je n’ai rien conçu à tout ce que vous en dites, parce que ce que vous en dites est matériellement faux ; que vous associez à ce convent, des gens qui n’y ont jamais paru et dont je n’ai jamais entendu parler, quoique je n’aie pas manqué à une seule des séances ; qu’enfin tout ce que vous dites sur mon compte personnel, est imaginé, ou par quelques ennemis que je ne connais pas, ou par l’esprit de parti qui caractérise votre ouvrage.
La présence de Cagliostro amené en loge par moi, est une fable que votre imagination ou de faux rapports crus trop légèrement, ont pu seuls vous dicter. Cagliostro fut l’objet du mépris de l’assemblée dans laquelle il demandait lui-même, par écrit, et de la manière la plus ridicule, à se présenter, et l’entrée lui en fut constamment interdite. Il est très vrai que j’ai été voir, une fois, cet homme extraordinaire, accompagné de deux membres du convent maçonnique de Paris en 1784 ; mais il est vrai aussi, que le compte très-succinct que j’en rendis à cette assemblée ; le fit complètement oublier.
Enfin, et pour ne rien vous laisser à désirer sur ce fait particulier, je ne vous cacherai pas que j’ai visité une fois, en 1785, sa loge Égyptienne de Lyon, et que je me suis confirmé, peu de temps après, dans l’opinion que Cagliostro, pourvu de quelques connaissances chymiques, possesseur de quelques remèdes puisés dans l’ancienne médecine, abusait de la faiblesse et de la crédulité de quelques âmes honnêtes qui l’ont abandonné, dès que la réflexion est venue à leur secours ; et que s’il possédait quelques connaissances, elles ne pouvaient être que d’un ordre très mauvais, et très contraire à mes principes.
Je suis obligé de vous donner encore un démenti formel sur les 150 voyageurs, sur la nature des journaux des Amis-Réunis, et sur l’assemblée de 1787, où il vous plaît encore de me faire figurer.
J’ai pu dire, et dit en effet, que quelques-uns des membres de cette loge, avaient voyagé dans différentes parties du monde, pour y recueillir des manuscrits historiques en diverses langues sur la maçonnerie ; que cette loge avait des traducteurs payés pour les rendre dans la nôtre ; que chaque premier du mois, on distribuait un journal qui annonçait les jours de séance, les repas fraternels et les concerts ; mais je n’ai jamais été adepte d’aucune loge de Swedenborg, ni de Saint-Martin dont j’ai lu quelques ouvrages auxquels j’avoue franchement que je n’ai rien compris, en tout ce qu’ils contiennent de cabalistique et de mystérieux, et je n’ai eu connaissance de l’assemblée de 1787, que par une lettre de convocation que je reçus à Besançon, et à laquelle je répondis très succinctement : Que le peu de succès de celle de 1784, et la persuasion dans laquelle j’étais de l’inutilité de la nouvelle, m’avaient entièrement ôté l’espoir d’y trouver rien d’utile pour mon bonheur, pour ma conduite et celle de mes semblables y et que je n’y paraîtrais pas.
Quant aux sociétés populaires ou politiques, de quelque genre que ce puisse être, je défie qui que ce soit de pouvoir prouver que j’ai été membre des unes ou des autres, et même qu’on m’ait vu y assister soit à Paris, soit ailleurs.
J’ai passé six mois à Paris en 1784, et je n’y suis retourné qu’en 1791. J’en partis à la fin d’octobre, pour exercer les fonctions d’inspecteur des postes, relais et messageries dans la ci-devant Bourgogne.
Il y a loin, Monsieur, de cette conduite à celle d’un impie, d’un conspirateur, etc. ; comment le ministre d’un dieu de paix a-t-il pu s’abaisser ou s’abuser jusqu’au point de calomnier une foule de gens respectables, et les associer aux scélérats que la révolution a enfantés ? Comment a-t-il pu oublier que la calomnie est le vice le plus bas ; mais qu’elle est un crime, lorsqu’elle répand son venin sur un homme public, un père de famille, et tend à lui enlever l’estime des gens de bien qui la lui ont accordée ; et à laquelle il croyait avoir quelques droits ?
Ne serait-ce pas là cette Aqua Tophana dont vous parlez, Monsieur, sans pouvoir nommer une seule de ses victimes ?
Tout ce que vous dites de l’illuminisme ne m’est connu que par votre livre, il est bien étonnant, cependant, permettez cette réflexion à mon ignorance, que vous mettiez encore les illuminés de Bavière en avant dans la Révolution française, tandis que dans la liste de ses membres, vous ne citez pas un Français connu ; tandis qu’il est démontré qu’il n’existait en France, ni établissement ni membres de cette secte exaltée ; tandis que cette secte, proscrite avec raison, à cause des erreurs de ses chefs, n’avait dus de point de ralliement longtemps avant la révolution, et que ses principaux agents étaient ou emprisonnés ou en fuite.
Que de choses n’aurais-je pas à vous dire, Monsieur, si l’excellent ouvrage de Monsieur Mounier[13] J. J. Mounier, De l’influence attribuée aux philosophes, aux francs-maçons et aux illuminés sur la Révolution française (1801). n’avait pas déjà réfuté d’une manière si victorieuse, et vos excès et vos personnalités !
J’aurais continué à garder le silence avec vous, comme je l’ai fait depuis près de deux ans que j’ai, lu votre ouvrage, si plusieurs personnes que j’estime, ne m’eussent fait un devoir de me justifier auprès de vous, et ne m’eussent persuadé que vous ne me refuseriez pas un désaveu authentique sur ce que vous avez écrit à mon sujet. Je l’attendrai donc, Monsieur, pendant un mois ; et si, après cette époque, je ne reçois aucune réponse de vous, je croirai devoir à mon honneur, de faire publier ma lettre.
J’ai l’honneur de vous saluer.
[Louis de Raimond]
Note sur la loge La Sincérité et la Parfaite Union de Besançon.
Cette loge résulte de la fusion de La Sincérité, fondée en 1764, et de La Parfaite Union[14] Les informations composant ce résumé, essentiellement destiné à souligner l’histoire du R.E.R. à Besançon entre 1786 et 1857, sont en partie extraites de l’ouvrage Historique de la franc-maçonnerie à l’Orient de Besançon depuis 1764, Paris, Imprimerie et fabrique d’encre typographique du F :. A. Lebon, imprimeur du Grand Orient de France, 1859 et 250 Ans de Franc-Maçonnerie à Besançon, éditions du Belvédère, 2014. On consultera avec profit ces deux ouvrages tout comme le dossier 25Z des archives de la loge de Besançon pour avoir une idée plus complète de l’histoire de la franc-maçonnerie bisontine. . En 1780, La Sincérité adopte le Régime écossais rectifié, mais reste encore marqué par la Stricte observance templière. François-Henry de Virieu, a Circulis, appelé à visiter la loge en août 1784, constate la stagnation du Régime rectifié à Besançon, observant que le Vénérable de la loge, le Chevalier Charles Boulignès, a Pelicano, conseiller au Parlement, est davantage lié aux Philalèthes de Savalette de Lange qu’au R.E.R. Il remarque également que plusieurs membres de la Sincérité, tels que Duzier de Byans ou Louis de Raimond, sont tombés sous la coupole de Cagliostro. Selon Antoine Faivre, les rencontres de F.-H. de Virieu avec Charles Boulignès permettent de remettre de l’ordre et d’achever la conversion de la loge vers les principes défendus par le Régime écossais rectifié [15] « Trois lettres de François-Henry de Virieu à Bernard de Turckheim », 6 et 27 août 1784 et 27 août 1785, Fonds B. de Turckheim. . Ce processus se concrétise en 1786 avec la fusion des deux loges qui deviennent La Sincérité et Parfaite Union. La Révolution met fin aux travaux de la loge en 1791, bien qu’elle continue ses activités de bienfaisance jusqu’en 1794.
En 1807, sous l’impulsion de Louis de Raimond, La Sincérité et Parfaite Union reprend ses activités. Cet événement s’inscrit dans la période du « fragile réveil » du Régime écossais rectifié en France sous l’Empire[16] Sur cette période, voir Roger Dachez, Histoire illustrée du Rite écossais rectifié, Dervy 2021, chap. IX p. 107-116 et René Le Forestier La Franc-maçonnerie templière et occultiste, Aubier 1970, chap. VI, p. 865-902. . De Raimond revendique alors la direction de la Ve province du R.E.R. étant donné que Strasbourg, qui détenait le siège de la Province de Bourgogne avant la Révolution, n’est plus en activité[17] Archives de loge maçonnique de Besançon, 25Z98 « Patente autorisant son transfert de Strasbourg à Besançon suite à la demande des Chevaliers de la Cité Sainte de Besançon » ; 25Z99, « Patente érigeant Besançon en Préfecture de la Ve Province » (1810). . En 1816, l’ancien dirigeant de cette province, Frédéric Rudolph Saltzmann reprendra ses fonctions à la suite de la renaissance des activités du R.E.R. en Alsace. La loge de Besançon avait d’ailleurs cessé ses activités en 1813.
Quelques années après la mort de Louis de Raimond, alors que le Régime écossais rectifié n’était plus actif en France depuis 1828 — date qui marque la fermeture de la Province de Bourgogne —, il renait à Besançon. En août 1839, le frère Vassal, secrétaire de la Chambre symbolique du Grand Orient, écrit à la Constante amitié. Il souhaite que la loge contacte les anciens membres de La Sincérité et Parfaite Union pour fournir au Grand Orient une copie des rituels du Régime écossais rectifié. César Ledoux et Charles Marchant, qui avaient gardé les archives de la défunte loge, répondront à cette requête. Ces démarches vont finalement conduire au réveil de l’ancienne loge bisontine du Régime rectifié. Le 5 juin 1841 marque en effet la reprise des travaux de La Sincérité et Parfaite Union, dans le temple de La Constante amitié [18] Archives, de loge maçonnique de Besançon, 25Z103 « Texte du discours prononcé par le Frère Surveillant de la Loge La Constante Amitié lors de la visite de Chevaliers du Directoire de Bourgogne pour réinstaller la Loge Sincérité et Parfaite Union et désigner les Frères promus au grade de Chevaliers de la Cité Sainte qui devront siéger au Directoire » (1841). . Les deux loges fusionnent en juillet 1845 pour devenir La Sincérité, Parfaite Union et Constante Amitié.
Sous la direction de César Ledoux, a Tritico, la loge de Besançon semble connaître une nouvelle vie, mais sa mort, en 1846, porte un coup fatal au développement du Régime rectifié. La Revue Maçonnique, Journal consacré aux améliorations de la Franc-Maçonnerie consacrera plusieurs articles à cet événement, notamment avec un texte intitulé « Pompe funèbre célébrée par la R.L. Sincérité-Parfaite Union et Constante Amitié réunies de Besançon en l’honneur du T :. Ill :. F :. Ledoux (César), Membre d’honneur de la Ladite Loge, Grand-Maître Provincial du Directoire de Bourgogne, 5e Province de la Langue Française pour le Rite du Régime Rectifié, décédé le 25 mai 1846[19] Revue Maçonnique, Journal consacré aux améliorations de la Franc-Maçonnerie, 9e année, tome IX, Lyon, 1846, p. 208-214. D’autres informations concernant le rôle de Ledoux dans la maçonnerie bisontine figurent dans un article de la même revue consacré au décès du frère Ledoux, Grand-Maitre Provincial du Directoire de Bourgogne, « Discours prononcé sur la tombe du Grand-Maitre Provincial du Directoire de Bourgogne, par le F. Pernot, Vénérable de la loge de Besançon », le 5 juin 1846, même revue, p-172-176. . L’auteur de cet article précise que les travaux de cette cérémonie furent « ouverts au grade d’apprenti du rite du régime rectifié ». La Sincérité, Parfaite Union et Constante Amitié entretiendra des relations avec les loges rectifiées Suisses. Précisons que la loge de Besançon pratique trois rites, le Rite écossais rectifié, le Rite écossais ancien et accepté et le Rite français ; il reste donc difficile d’établir la place occupée par les activités du R.E.R. dans la loge bisontine. Selon l’ouvrage Historique de la franc-maçonnerie à l’Orient de Besançon depuis 1764 (1859), les traces de ses activités disparaissent après 1857.
Nous terminerons ce résumé de l’histoire de la loge La Sincérité et la Parfaite Union, en précisant qu’en 1852, le local qu’elle occupait ayant est racheté par le cardinal-archevêque de Besançon, pour y fonder un collège catholique, la loge fit l’acquisition d’un nouveau local. Il s’agit d’une ancienne chapelle des Antonins dont le rez-de-chaussée était alors utilisé comme entrepôt, le premier étage faisant office de salle de concert et de bal. Ce nouveau temple, situé rue Émile-Zola, est toujours occupé par les francs-maçons de Besançon, il abrite les activités d’une dizaine de loges [20] Sur cette loge, qui est l’une des plus belles de France, voir Ludovic Marcos, A la découverte des temples maçonniques de France, Dervy 2017 et 250 Ans de Franc-Maçonnerie à Besançon, Éditions du Belvédère, 2014. .
D. Clairembault
Notes :