Sommaire
1. Kiwahito Konno de l’université de Shizuoka
Kiwahito Konno est professeur de littérature et culture comparées à l’université de Shizuoka, au Japon. Pasionné par l’illuminisme, il suivit les cours du professeur Antoine Faivre à l’École pratique des hautes études, entre 1979 et 1981. A la même époque, en 1980, il présentait un mémoire de maîtrise en philosophie morale et politique à l’université de Paris IV : Louis-Claude de Saint-Martin et la Révolution française, Contribution à l’étude de la politique illuministe au XVIIIe siècle. (sous la direction du professeur Janine Chanteur). La seconde partie de ce travail a été publiée un première fois dans la revue l’Initiation en 2003. Par la suite, en 2005 M. Kiwahito Konno nous a autorisé à publié cette étude sur le site internet que nous avons consacré au Philosope inconnu.
En lisant l’étude de Kiwahito Konno Saint-Martin aux prises avec la Révolution, nous nous sommes interrogés sur la manière dont l’œuvre de Louis-Claude de Saint-Martin était connu au Japon. Aussi lui avons-nous demandé de nous donner quelques informations à ce propos.
Selon les éléments qu’il a eu l’amabilité de nous communiquer, on peut dire que Saint-Martin n’était pas connu au Japon jusque dans les années 1970, époque à laquelle s’est formé, autour du professeur Minoru Nambara, grand spécialiste de Jacob Boehme, un groupe d’une douzaine d’étudiants environ, qui ont envisagé de faire des études sur les boehmistes aux XVIIe et XVIIIe siècles en Europe. Ce sont eux qui, les premiers au Japon, ont commencé à lire sérieusement le Philosophe inconnu.
Kiwahito Konno appartient à ce groupe qui a traduit en japonais des textes de Bœhme et des bœhmistes, ainsi que ceux de Saint-Martin. Ces chercheurs publient également des articles sur le boehmisme, dont la plupart sont rédigés en japonais. Petit à petit, grâce au travail de ce groupe de passionnés qui pensent qu’il y a chez ces auteurs quelque chose qui peut toucher la religiosité des Japonais, le nom de Saint-Martin commence à se répandre. On le trouve mentionné en effet aussi bien dans les cercles académiques que dans les publications sur l’ésotérisme.
En 1992, grâce aux travaux de Kiwahito Konno et Fumio Mura, la pensée de Saint-Martin a connu un nouveau rayonnement au Japon. Ils ont publié ensemble la première traduction japonaise de Saint-Martin. Ce travail occupe le tome 17 de Kirisutokyô Shinpishugi Chosakushû (Recueil des œuvres du mysticisme chrétien, Tokyo, Kyôbunkan).
Laissons Kiwahita Konno présenter lui-même cette publication :
2. Les traducteurs de Jacob Boehme et Saint-Martin au japon
Dans notre archipel possédé depuis plus d’un siècle par la passion pour toutes sortes de traduction, là où fut traduit Jacob Bœhme pour la première fois en 1921, le Philosophe inconnu a commencé à être lu en japonais deux cent cinquante ans après sa naissance. La place qu’il tient ne lui paraîtrait pas indigne, car il occupe à lui seul le dix-septième et dernier volume de la collection des œuvres des mystiques (et des théosophes) chrétiens, dans laquelle figurent une quarantaine de grands noms comme Denys l’Aréopagite, Maître Eckhart, Nicolas de Cuse, Jacob Bœhme, etc.
Au lieu de traduire intégralement une œuvre particulière, nous avons réuni, dans ce volume d’environ 500 pages, de très larges extraits de ses trois ouvrages : Tableau naturel, L’Homme de désir, et De l’esprit des choses. Nos critères pour le choix des passages traduits sont fondés sur la qualité littéraire, philosophique et spirituelle, certes, mais aussi sur la « lisibilité » pour le public japonais et la « traduisibilité » dans notre langue. Nous craignons que ce choix n’ait rapetissé, sinon défiguré, notre auteur aux yeux de nos compatriotes. Mais, consolons-nous, le « soleil » (Mon Portrait, n° 986) ne manquera pas de briller à travers ces « nuages » qui le voilent de quelque manière que ce soit.
Comme chacun le sait, Saint-Martin fut toute sa vie attiré (« titillé », dit Robert Amadou) par l’Extrême-Orient. Pourquoi celui-ci n’a-t-il pas tout lieu de s’intéresser au théosophe, jusqu’ici littéralement inconnu dans le domaine tant intellectuel que public ? Puissent les Japonais trouver dans cette traduction des richesses tout à fait différentes de celles qu’ils se sont efforcés d’importer et, éventuellement, y entrevoir la possibilité d’une communion entre l’Occident et l’Orient .
3. L’Illuminisme au Siècle des lumières : L.-C. de Saint-Martin et son temps
En 2007 le professeur Kiwahito Konno publie un ouvrage destinée à mieux faire connaître le Philosophe inconnu au public japonais, Keimou no Seiki no Shinpishisou : Saint-Martin to Sono Jidain (L’Illuminisme au Siècle des lumières : L.-C. de Saint-Martin et son temps). Cette étude n’est pas uniquement une biographie de Saint-Martin, c’est aussi une histoire des Lumières, de la Révolution et du romantisme à travers le prisme du théosophe d’Amboise. Kiwahito Konno s’est en effet efforcé de situer Louis-Claude de Saint-Martin dans son époque, si riche et complexe, celle des Lumières et des Anti-Lumières.
L’ouvrage comporte 343 pages auxquelles s’ajoutent une introduction (27 p.), une bibliographie très complète (23 p.), un tableau chronologique et un index (5 p.). Kiwahito Konno nous a fait l’amitié d’en traduire le sommaire. Nous le reproduisons à l’intention de ceux qui, comme nous, ne pourront hélas lire cette étude dans sa langue d’origine.
4. Le Traité sur la réintégration – Des erreurs et de la vérité
Après son étude sur Saint-Martin, c’est un ouvrage qui s’intéresse à celui qui fut le premier maître du théosophe, Martinès de Pasqually. Avec l’aide de Mitsuaki HASEGAWA, il publie dans ce volume deux textes importants de l’illuminisme.
Le premier n’est autre que le texte fondamental de la tradition martiniste : le Traité sur la réintégration des êtres de Martinès de Pasqually. Cette version japonaise se base sur l’édition de 1899. Elle en corrige les travers, grâce à des notes et des commentaires faisant référence aux éditions plus récentes du Traité, publiées par Robert Amadou (Dumas, 1974 et Diffusion Rosicrucienne, 1995)
Le deuxième texte est une traduction des Erreurs et de la vérité, le premier livre publié par le Philosophe inconnu (1775). Malheureusement, pour réduire le volume de l’ouvrage, les chapitres II et VI n’ont pas été repris. On peut certes le regretter, mais lorsqu’on songe qu’en France, aucun éditeur ne propose actuellement une édition de ce texte important au regard de l’illuminisme, on ne peut que féliciter MM. Kiwahito Konno et Mitsuaki Hasegawa d’avoir réussi à le publier au Japon.
Pour cette édition, le professeur Kiwahito Konno a également traduit l’article « Théosophes » figurant dans l’Encyclopédie de Diderot (1765). Il a joint à cette étude une postface.
L’ensemble de ces trois textes est réuni dans un seul volume ayant pour titre : Hikyô no Kotoba, Mouhitotsu no Teiryû, que l’on peut traduire approximativement par Discours de l’ésotérisme, un autre courant de fond. Il forme le tome X de la Collection des œuvres du XVIIIe siècle, publiée en 2008 à Tokyo par les éditions Kokushokankôkai
On mesure combien il a dû être difficile de traduire les concepts présentés dans ces œuvres dont les versions originales elles-mêmes ne sont pas toujours faciles à appréhender.
Lorsqu’on sait que le Traité sur la réintégration des êtres et Des erreurs et de la vérité n’ont pas été traduits en anglais, on ne peut qu’être admiratif devant le travail réalisé par les amis du Philosophe inconnu au Japon. Cette publication est un événement important pour la réception de Martinès de Pasqually et de Saint-Martin en ce début de XXIe siècle.
5. Le Crocodile, L.-C. de Saint-Martin
Après avoir traduit le Traité sur la réintégration des être de Martinès de Pasqually et à Des erreurs et de la vérité (2008), premier ouvrage du Philosophe inconnu, c’est au Crocodile ou la Guerre du bien et du mal, arrivée sous le règne de Louis XV, qu’il s’est consacré (2013).
La complexité de ce roman épiquo-magique, oeuvre dans lequel Saint-Martin a enchassé sa doctrine, rend sa traduction difficile. Pour Kiwahito Konno, qui connait aussi bien la philosophie du théosophie que la littérature du XVIIIe siècle, ce projet était un défit audacieux. En effet, la complexité de l’intrigue autant que celle des allégories utilisées par l’auteur s’avèrent souvent énigmatique même à un lecteur français.
Ne lisant pas le japonnais, il nous est difficile de parler du texte de ce volume. Cependant nous pouvons évoquer son aspect extérieur, car c’est dans un écrin que ce volume nous est proposé avec une reliure particulièrement soignée. Le roman est contenu dans un boitier sur lequel figure l’ombre d’un crocodile dominant la ville de Paris, un plan de la ville au XVIIe siècle. Ce motif ombré se retrouve sur la reliure du volume contenu dans le boitier. L’ensemble est d’une belle élégance.
Lorsque l’on sait combien il est difficile de trouver des éditions modernes des oeuvres du Philosophe inconnu dans d’autres langues que le français, l’allemand ou le portugais, grâce au travail du professeur Kiwahito Konno, les lecteurs japonais peuvent accéder à la majeure partie des textes de Louis-Claude de Saint-Martin. Sur ce point, ils jouissent d’un avantage considérable sur le public anglophone.