Cet ouvrage offre un panorama très détaillé de l’histoire des mouvements néo-rosicruciens. Il s’agit là probablement de l’une des publications les plus intéressantes sur l’histoire des mouvements rosicruciens contemporains.
Sommaire
Présentation de l’éditeur :
Entre 1934 et 1951, la Fédération universelle des ordres et sociétés initiatiques (FUDOSI), siégeant à Bruxelles, a réuni, plus ou moins durablement, une bonne dizaine d’organisations, dont beaucoup de sociétés rosicruciennes : la Rose-Croix universitaire, la Rose-Croix intérieure, la Rose-Croix suisse, l’AMORC, la Confrérie des frères illuminés de la Rose-Croix, l’Ordre des Samaritains inconnus, la Société alchimique de France, l’Ordre kabbalistique de la Rose-Croix, l’Ordre du Lys et de l’Aigle, la Fraternité polaire…
En se basant sur de nombreux documents inédits, Serge Caillet retrace ici l’histoire de chacune de ces sociétés. Il entraîne ainsi son lecteur dans une série d’enquêtes qui éclairent leurs origines, avec le souci de distinguer la fable de l’histoire, sans se départir jamais d’une réflexion philosophique ou théosophique qui, par nature, les éclaire l’une et l’autre, parce qu’elle les transcende.
Chemin faisant, Serge Caillet dresse aussi le portrait des fondateurs et de certains des continuateurs de ces sociétés rosicruciennes, en analysant le rôle qu’ils ont pu jouer en leur sein et dans la FUDOSI qui les a, un temps, rassemblées.
Une abondante documentation iconographique inédite vient agrémenter cette histoire des sârs de la Rose-Croix.
Titre : Les Sârs de la Rose-Croix
Auteur : Serge Caillet
Editeur : Les éditions de la Tarente
Nombre de pages : 364
Dimensions : 24x24cm, relié, illustré
Année de parution : 2022
Préface : Robert Amadou
ISBN : 9787-2-916280-87-5
Voir la Table des matières de ce livre ci-dessous
Note de lecture
Avec ce livre, Serge Caillet revient sur un sujet qu’il avait abordé il y a quarante ans dans Sâr Hiéronymus et la FUDOSI. Ce livre, publié chez Cariscript en 1986, abordait l’histoire de la mouvance néo-rosicrucienne du début du vingtième siècle. Il exploitait un fonds de documents ayant appartenu à Léon Lelarge, le secrétaire de la Fédération Universelle des Ordres et Sociétés Initiatiques (FUDOSI), dont Émile Dantinne (Sâr Hiéronymus) fut l’un des plus hauts responsables. En revenant sur ce sujet avec Les Sârs de la Rose-Croix, publié aux éditions de La Tarente, Serge Caillet nous propose une étude considérablement augmentée, présentant longuement chacune des personnalités ayant animé les mouvements rosicruciens entre 1886 et 1951. Parmi ces organisations figurent l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix, la Rose-Croix Universitaire, l’Ordre du Lys et de l’Aigle, la Fraternité des Polaires, l’Ordre Rosicrucien AMORC. L’ouvrage, se distingue par un format inhabituel (24 X 24 cm) qui permet de mettre en évidence une iconographie abondante, souvent inédite. Les documents présentés (lettres, portraits, photographies, tableaux) viennent des archives de l’auteur ou de collections particulières, comme celle de L’Atelier symboliste de Daniel Guéguen, et sont souvent présentés en pleine page.
L’ouvrage reprend la préface écrite en 1986 par Robert Amadou pour Sâr Hiéronymus et la FUDOSI. Ce texte, auquel s’ajoutent cinq annexes, apporte des informations sur la FUDOSI et sur une organisation concurrente la FUDOSFI. Il nous semble que ces textes (p. 9-40) auraient davantage été à leur place en annexe à la fin de l’ouvrage, après les chapitres abordant la question de la FUDOSI (p. 279-246).
Le mythe de Toulouse et de la Rose-Croix
Avec cette nouvelle étude, Serge Caillet se propose de « distinguer la fable de l’histoire » sans se départir « d’une réflexion philosophique ou théosophique qui, par nature, les éclaire l’une et l’autre, parce qu’elle les transcende » (p. 42). C’est à Toulouse qu’il commence son enquête, une ville qui passe pour avoir été le berceau de plusieurs mouvements néo-rosicruciens, notamment pour l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix et l’Ordre Rosicrucien AMORC[1] Contrairement à l’auteur, nous préférons utiliser cette dénomination. En mai 1982, la juridiction française de l’AMORC a modifié cette dénomination, passant « d’Ordre Rosicrucien » à « Ordre de la Rose-Croix » (voir Bulletin de l’AMORC, mai 1982), mais les autres juridictions de l’AMORC ont conservé titre de Rosicrucian Order. . Serge Caillet montre comment s’est formé la légende de la « Rose-Croix toulousaine ». Il s’intéresse d’abord au vicomte Louis de Lapasse (1792-1869), que Joséphin Péladan, Firmin Boissin et Fulcanelli présentent comme un Rose-Croix. L’auteur explore plusieurs pistes dont aucune ne permet de confirmer que celui qu’on présente souvent comme l’ancêtre des Rose-Croix toulousain, le vicomte de Lapasse, ait été en contact avec un groupe rosicrucien (si tant est qu’il en ait existé à cette époque). Le vicomte est en quelque sorte « Rose-Croix malgré lui » (p. 70-71), car il n’a jamais prétendu lui-même en être membre.
Après avoir exploré cette piste, c’est sur d’autres précurseurs incertains que Serge Caillet continue son enquête. Il s’intéresse à Eugène Aroux, Arcade d’Orient Vial et Firmin Boissin que Joséphin Péladan place également dans la généalogie rosicrucienne du sud de la France. Les biographies détaillées de ces personnages ne viennent pas confirmer ces prétentions. L’auteur souligne cependant le cas de Firmin Boissin (1835-1893), un personnage ambigu qui fréquenta des occultistes magnétiseurs, comme le comte d’Ourches. Firmin Boissin passe en effet pour avoir été l’initiateur de Stanislas de Guaita. Serge Caillet cite une lettre de Boissin à Guaita, datée du 15 juillet 1886, dans laquelle il dément être un Frère de la Rose-Croix. Boissin y précise que s’il avait bien eu l’idée « de fonder une association de Rose-Croix catholiques » avec Adrien Péladan, « ce projet ne s’est pas réalisé » (p. 93). En définitive, comme le note Serge Caillet, « la piste toulousaine, pour romantique qu’elle soit, conduit à une impasse » (p. 97). Pourtant, l’auteur considère que même si l’intention de Boissin ne relève que « de l’imagination et du désir », il a posé les bases d’une association en devenir, celle d’une « Rose-Croix de désir ». L’auteur, utilise là une expression qui ouvre la porte à des interprétations fantaisistes, car comme nous le verrons avec les personnages qui vont suivre, nombreux seront ceux qui vont finir par prendre leurs « désirs » pour la réalité.
Stanislas de Guaita et Joséphin Péladan
Le chapitre suivant montre comment Joséphin Péladan (le Sâr Péladan) va concrétiser le projet de Boissin en fondant (1888) avec Stanislas de Guaita, l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix (OKRC). Comme l’a démontré Steeve Fayadas, ce n’est pourtant pas dans le corpus des textes rosicruciens des XVIIe et XVIIIe siècles que Stanislas de Guaita recherche l’emblème de ce rosicrucianisme rénové, mais dans la Societas rosicruciana in Anglia (SRIA) fondée vingt-ans plus tôt en Angleterre. Le lecteur regrettera sans doute que le livre ne présente pas ce mouvement qui précède ceux dont il est ici question, d’autant plus qu’il évoquera un projet d’alliance entre l’OKRC et la SRIA (p. 116-117). Serge Caillet nous invite à découvrir les personnalités qui constituent le microcosme dans lequel l’OKRC s’épanouit, notamment autour de Paul Lacuria, l’abbé Roca, l’abbé Alta, Papus, Barlet, François Jollivet-Castelot, autant de figures singulières. Il consacre quelques pages à la « guerre des deux roses » qui marque la séparation entre Guaita et Péladan. En effet, à la Rose-Croix kabbalistique et occultiste de Guaita, Péladan veut opposer une Rose-Croix catholique et esthétique. Le Sâr Péladan fonde dès 1890, l’Ordre de la Rose-Croix Catholique du Temple et du Graal. Serge Caillet expose les phases essentielles de la vie de ces deux mouvements qui connaitront des temps difficiles après 1897. Cette année marque la mort de Stanislas de Guaita et le dernier « Salon de la Rose-Croix » organisé par Péladan. Nous ne nous attarderons pas ici sur ces épisodes pour évoquer des aspects moins connus et souvent inédits de l’histoire du rosicrucianisme que Serge Caillet met en évidence dans son livre.
La Rose-Croix Belge
Le chapitre « Sâr Hiéronymus et la Rose-Croix belge » nous entraine vers ceux qui vont se présenter comme les héritiers des rénovateurs du rosicrucianisme. Une personnalité joue un rôle de premier plan, Émile Dantinne, qui à l’imitation de Péladan prend le titre de Sâr Hiéronymus. Cependant les rosicruciens belges s’éloignent des perspectives essentiellement esthétiques de Péladan. Apportons une précision concernant le titre de Sâr. Dans une lettre à Edouard Bertholet du 6 avril 1950, Jean Mallinger précise « Le Sâr Hiéronymus m’a signalé que le mot SAR doit en réalité s’écrire : Sâr, car c’est un mot akkadien qui s’écrit en cette langue avec un accent. Il est l’équivalent du mot sumérien : Lugal et son sens est plus large que Maître. Il veut dire aussi Roi. Sans accent, il a un autre sens[2] Archives du Dr E. Bertholet. . »
La Rose-Croix belge se structure autour de plusieurs mouvements : Ordre de la Rose-Croix Universelle ; Ordre de la Rose-Croix Universitaire ; Ordre Hermétiste Tétramegiste Mystique… où se côtoient hermétisme, magie et pythagorisme. Serge Caillet présente ces mouvements comme étant « une nouvelle manifestation des courants rosicruciens des XVIIIe et XIXe siècles » (p. 143). Nous aurions aimé qu’il développe ce point de vue, car le peu que l’on connaisse de leurs doctrines nous laisse sceptiques. La lecture des pages consacrées à Émile Dantinne nous a donné l’impression que l’admiration de l’auteur pour Émile Dantinne (cf. « Portrait d’un sage », p. 149) l’empêchait parfois de prendre en considération certains textes où Sâr Hiéronymus exprime des positions pour le moins préoccupantes. Il s’agit des textes publiés par Lucien Sabah dans Une Police politique de Vichy : le Service des Sociétés Secrètes, sous le titre « Divagations de l’Imperator d’un ordre rosicrucien » [3] Editions Klincksieck, 1996, p. 456-463. On remarque que S. Caillet n’a pas repris un élément présent dans le livre publié en 1986 (p. 65-66) où il indiquait qu’à la libération, l’Imperator belge avait été « tondu », on lui avait coupé sa longue barbe. Il fut jugé pour collaboration mais l’affaire se termina par un non-lieu. . En effet, pendant les années qui marquent l’occupation allemande de la guerre 1939-1945, Émile Dantinne se propose de collaborer avec l’église catholique dans le combat que cette dernière mène contre la franc-maçonnerie qui est « alliée aux puissances de l’Enfer ». En effet, pour Hiéronymus, il y a d’un côté la maçonnerie, qui est la main de « l’esprit des Ténèbres » et de l’autre, la Rose-Croix, éclairée par « Dieu lui-même ». Dantinne va jusqu’à citer en exemple les travaux de Jean Marquès-Rivière qui a démasqué le « faux caractère initiatique des ordres maçonniques ». Que penser également d’un « sage » qui souligne que les ordres initiatiques européens « excluent formellement les juifs de leurs organisations » toute collaboration avec des juifs se traduisant infailliblement par « l’immoralité, l’anarchie intellectuelle, l’indiscipline, le schisme et la division, l’esprit de lucre et l’égoïsme, l’instabilité et la passion l’internationalisme et la méconnaissance des intérêts nationaux » ? On ne peut se contenter d’y voir un aveuglement « assez commun dans l’Église catholique romaine de son enfance [celle d’E. Dantinne] comme dans son temps, qu’exacerbe et légitime soudain le discours ambiant » comme l’écrit Serge Caillet (p. 322). Serge Caillet souligne le rôle d’autres personnalités, comme l’avocat Jean Mallinger, qui joue un rôle essentiel dans la Rose-Croix belge tout comme le médecin suisse Édouard Bertholet, un autre admirateur de Joséphin Péladan.
Les Frères d’Orient, le Lys et l’Aigle
Le chapitre sur « Les Frères d’Orient, le Lys et l’Aigle » apporte de nombreuses informations sur un mouvement peu connu, l’Ordre du Lys et de l’Aigle, mouvement qui se réclame de la tradition Éonienne, celle des Frères d’Orient (Rose-Croix, Templiers, Ordre des Sept Souverains Inconnu, Constantin le Grand…). Ce chapitre est accompagné de belles photographies des fondateurs de l’ordre, Démétrius Platon Sémélas (Déon) et Marie Dupré, (Déa) et de documents inédits. Le lecteur trouvera ici l’une des meilleures études sur l’histoire de cette organisation aussi marginale qu’originale. Elle serait toutefois à compléter par une approche doctrinale. En effet, les enseignements des différents grades de l’Ordre du Lys et de l’Aigle (théorèmes, psychurgie, cosmosophie, astrosophie) ne témoignent guère de parenté avec ce que nous connaissons du rosicrucianisme des siècles précédents. L’Ordre du Lys et de l’Aigle se présente d’ailleurs comme une création totalement nouvelle. Il conviendrait également d’ajouter qu’Eugène Dupré, le successeur de Sémélas, a jugé sévèrement les mouvements rosicruciens de son époque.
En 1939 — écrit-il —, j’ai tenté de me mettre en relation avec des sociétés que je pensais avoir un but analogue aux nôtres. J’ai en conséquence accepté de faire partie de la FUDOSI, Fédération Universelle des ordres et sociétés initiatiques, Bruxelles, mais lorsque j’ai vu que j’avais affaire à une société fantaisiste, j’ai réclamé ma radiation et me suis bien repenti de cet essais [4] Déclaration au Service Spécial des Associations dissoutes du 6 juin 1944. »
L’Ordre du Lys et de l’Aigle est probablement l’un des mouvements les plus intéressants dont Serge Caillet présente l’histoire depuis sa création jusqu’aux relations de Sémélas avec Papus entre les années 1910 et 1916 ? Il aborde également la période qui suit la mort de ses deux fondateurs, Déon et Déa, époque où Eugène Dupré reprend le flambeau en collaborant avec des martinistes comme Victor Blanchard et Jean Chaboseau.
Le chapitre consacré à la Fraternité des Polaires, propose de nombreux documents et analyses en relation avec l’Asia Mysteriosa publié par Zam Bhotiva (Cesare Accomani) en 1930. Après la Première Guerre mondiale, les milieux occultistes parisiens se passionnent pour le groupe des Polaires. Grâce à un oracle mathématique, les Polaires prétendaient communiquer directement avec un centre ésotérique rosicrucien de l’Himalaya. Ils se disaient « conseillés, guidés, aidés par le Centre Initiatique Rosicrucien de l’Asie « Mystérieuse » ». Ils se donnaient pour mission de « reconstruire la « Fraternité Polaire », une fraternité essentiellement adogmatique ayant pour but de préparer l’avènement de l’Esprit sous le signe de la Rose et de la Croix[5] Bulletin des Polaires n° 1 du 9 mai 1930 p. 3. . Comme le montre Serge Caillet, René Guénon lui-même s’intéressa aux Polaires avant de s’en écarter (cf. Bulletin des Polaires, du 11 mars 1931 p. 16 et Voile d’Isis, février 1931). Dans un article publié dans la revue Rose-Croix (janvier-février-mars 1930) François Jollivet-Castelot rejoint les critiques exprimées par Guénon, jugeant sévèrement les révélations de l’oracle des Polaires, elles « ne nous semblent point, dit-il, dépasser le niveau élémentaire d’un occultisme élémentaire et imaginatif. […] ». Il termine en précisant : « La voie à suivre ne réside point dans des oracles puérils tels que ceux préconisés par ce livre de mauvais occultisme qu’est Asia Mysteriosa. »
Aux origines de l’AMORC
Serge Caillet revient sur l’épisode fondateur de l’AMORC, celui de l’initiation qu’Harvey Spencer Lewis, prétend avoir reçue du comte Bellcastle-Ligne dans les environs de Toulouse en 1909. Lewis rapporte lui-même cet épisode dans « A Pilgrim’s journey to the east » (Récit d’un pèlerin vers l’est), édité dans la première revue de l’AMORC, America Rosae Crucis, en mai 1916. Serge Caillet rappelle qu’H. S. Lewis vient en France pour accompagner son père Aaron Lewis qui « avait été mandaté par la famille Rockefeller pour y rencontrer les Roquefeuil ». Plusieurs documents attestent en effet qu’il vient dans le sud de la France pour faire des recherches généalogiques en vue d’établir des liens de parenté entre les familles Roquefeuil et Rockefeller (New York Times, 4 sept. 1908, encadré : « Rockfellers’s Ancestor » ; « The Transaction of the Rockefeller Family Association for the Five Years, 1905-1090 with Genealogy, éd. Henry Oscar Rockefeller, New York, 1910, p. 62 et « Rockefeller – Roquefeuil : Mythe ou Réalité ? », Roquefeuil Infos, bulletin de l’association Maison de Roquefeuil Blanquefort, n° 18, juin 2000, p. 8-9). Le périple présenté dans le Récit d’un pèlerin vers l’est, qui veut que ce soit à la suite d’un parcours semé d’épreuves qu’il arriva dans le sud de la France parait donc bien éloigné de la réalité.
En se basant sur des documents autrefois diffusés par l’AMORC, cinq Confessio R ⸫ C ⸫ Fraternitatis, textes dans lesquelles H. S. Lewis donne d’autres détails concernant son initiation, Serge Caillet lève le voile sur le lieu, jusqu’ici tenu secret, où Lewis aurait été initié. Il s’agit du château d’Issus, une demeure située à 35 km de Toulouse, qui est aujourd’hui un hôtel de luxe[6] Ssur ce château, voir Raymond Corraze, La Seigneurie et les Seigneurs d’Issus, Toulouse, H. Basuyau et Cie, 1932. . Dans le troisième Confessio R ⸫ C ⸫ Fraternitatis, Lewis parle en effet du « vieux Château d’Issus ». Ses investigations se trouvent confirmées par une photographie publiée dans une revue de l’AMORC à l’occasion du 100e anniversaire du « Pèlerinage » de H. S. Lewis de 1909 (Rose-Croix n° 232, hiver 2009, p. 6-7). Cependant, l’auteur n’a pas trouvé trace de l’existence de celui que Lewis présente comme son initiateur, le comte Belcastel à d’Issus. L’étude des recensements de la population correspondant à cette période, montre en effet qu’il ne figure pas parmi les habitants du village (p. 260). Ceux qui occupent alors le château d’Issus, sont René de Boisdavid et Aline de Roquefeuil. Selon toute vraisemblance, la venue des Lewis, père et fils, à Issus est surtout motivée par des recherches sur les liens possibles entre les familles Roquefeuil et Rockefeller.
Si H. Spencer Lewis réussit à convaincre ses compatriotes américains sur l’origine de son initiation, il en ira autrement avec les occultistes européens, notamment à Bruxelles lors des convents de la FUDOSI. Raoul Fructus (Sâr Laya) écrira ironiquement à Edouard Bertholet (dirigeant de l’AMORC en Suisse) le 6 avril 1937 : « Connaissez-vous Toulouse ? Vous devez surement connaitre cette ville, au moins de nom, et aussi le Temple construit en pierre des Pyramides… Non, vraiment votre chef suprême est plus fort que ces braves marseillais dont les blagues sont légendaires. Après cela je ne comprends pas qu’on prenne S…. L…. au sérieux. […] il faut être un Américain illettré ou sot pour croire de pareilles balivernes[7] Copie dactylographiée d’une lettre de sept pages, conservée à la bibliothèque municipale de Lyon, BML Ms 5489. Cette copie-carbone, ne porte pas de signature, mais les propos de son auteur permettent de l’attribuer à Raoul Fructus, membre exclut de la FUDOSI en 1935, comme Auguste Reichel. Fructus s’était rapproché de l’organisation concurrente de la FUDOSI, la FUDOSFI. Sur cette dernière, voir l’Annexe de Robert Amadou et S. Caillet « Raoul Fructus, l’astrologue au cœur pur » dans Les Compagnons d’Alexandrie, éd. de La Tarente, 2020, p. 111-123. . »
La Fédération Universelle des Ordres et Sociétés Initiatiques (FUDOSI)
Serge Caillet consacre les deux derniers chapitres de son livre à la FUDOSI, un groupe qui se voulait être une fédération « Universelle » des ordres et sociétés initiatiques. Malgré ce titre pompeux, elle ne regroupa en réalité que des organisations assez marginales, la plupart du temps en mal de reconnaissance. Le premier convent de la FUDOSI marque la scission définitive entre le groupe belge formé par Armand Rombauts avec Constant Chevillon, le successeur de Jean Bricaud, Grand Maître de l’Ordre Martiniste et du Souverain Sanctuaire pour la France de Memphis-Misraïm. La franc-maçonnerie sera exclue de cette « universalité » qui ne concerne que des mouvements occidentaux. Le rite de Memphis-Misraïm, pourtant admis lors de la fondation de la fédération, en sera rapidement écarté. Malgré tout, l’histoire de cette fédération se rapporte à un épisode important de la vie des courants initiatiques de l’époque moderne. Serge Caillet nous apporte ici de nombreuses informations concernant les diverses phases de l’histoire de la FUDOSI, depuis sa fondation et de son premier convent organisé en août 1934 jusqu’à sa mise sa mise en sommeil en 1951.
Bien que Serge Caillet ne le mentionne pas, la question de l’initiation toulousaine d’H. Spencer Lewis joua probablement un rôle capital dans le processus qui entraina la mise en sommeil de la FUDOSI quelques années après la Deuxième Guerre mondiale. Elle sera à l’origine d’une controverse auprès des dirigeants de la FUDOSI. Les archives du Dr Edouard Bertholet, conservent de nombreux documents sur cette question qui révèlent qu’en février 1950, R. M. Lewis, fils et successeur de H. Spencer Lewis, avait expédié aux dirigeants de la FUDOSI, pour contre-signature, cinq « Confessio R ⸫ C ⸫ Fraternitatis » où il est question de l’initiation de H. Spencer Lewis à Toulouse en 1909. Quelques jours plus tard, le 3 mars, E. Bertholet (Sâr Alkmaiôn), créera une polémique en se plaignant auprès d’Émile Dantinne (Sâr Hiéronymus). Il prétendit que lors des premières réunions de la FUDOSI, en août 1934, Spencer Lewis aurait avoué avoir inventé cette histoire. Selon Bertholet, Émile Dantinne et les responsables européens de la FUDOSI auraient accepté de passer l’éponge en échange d’une promesse de Lewis de ne plus parler de cet épisode. Bertholet estimait que la publication des cinq Confessio remettait en cause la parole donnée. R.M. Lewis contesta la véracité des faits, accusant Bertholet de diffamation. Ce dernier insista en faisant établir un rapport sensé reprendre les « aveux » de H. S. Lewis par ceux qui auraient procédé à son interrogatoire le 15 août 1934, c’est-à-dire E. Bertholet, Jean Mallinger et Hans Grüter[8] « Rapport destiné au Convent Doctrinal de la FUDOSI, convoqué pour 1951 à Bruxelles », Archives du Dr Bertholet, document dactylographié de quatre pages, daté du 23 juillet 1950. . Quel crédit pouvait-on accorder à un document dactylographié rédigé quinze ans après les faits, sachant qu’H. S. Lewis (mort le 2 août 1939) n’était plus là pour se justifier ? Il faut sans doute y voir une manipulation de Bertholet, qui reprenait des arguments de R. Fructus. Jeanne Guesdon, prit la défense de l’accusé, contestant les propos de Bertholet, rappelant à ce dernier l’accueil très chaleureux qu’il avait réservé à H. Spencer Lewis lors de sa venue en Suisse après le premier convent de la FUDOSI en 1934 [9] Voir, Bulletin de la Société Vaudoise d’études psychiques, Rapport du Président [Bertholet] sur l’exercice 1934, Lausanne, 1935. . En définitive, cet événement divisa les dirigeants de la FUDOSI. S’ajoutant à une critique sur les méthodes publicitaires employées par l’AMORC, que les Européens jugeaient incompatibles avec les usages d’un ordre initiatique, cet épisode contribua à l’éclatement de la FUDOSI qui entra en sommeil peu après cet événement le 14 août 1951.
Quel héritage ? Quels héritiers ?
Serge Caillet termine son ouvrage en s’interrogeant sur l’héritage laissé par les mouvements dont il a présenté l’histoire. On regrettera que l’auteur n’ait pas précisé ce qu’il entend par « Rose-Croix » et sur ce point ce livre, par ailleurs remarquable, souffre de l’absence d’une introduction dans laquelle ce point capital aurait été précisé. Le rosicrucianisme, courant de pensée informel, né en Europe au XVIIe siècle, constitue en effet l’axe autour duquel l’auteur développe son propos. En définir les spécificités aurait permis au lecteur de mesurer les rapports, réels ou imaginaires, qui existent entre les rosicruciens ici présentés et leurs lointains ancêtres. La question est d’autant plus importante qu’entre les rosicruciens du XVIIe siècle, qui n’ont jamais constitué un ordre structuré, et ceux dont il est question ici, s’inscrivent d’autres mouvements, tels que la Rose-Croix d’Or d’Ancien Système, la SRIA, la Golden Dawn… qui ont tenté d’incarner le rosicrucianisme en formant des Ordres initiatiques qui vont nourrir l’imaginaire des néo-rosicruciens dont il est question dans ce livre. Mais qu’y a-t-il de commun entre des ordres qui revendiquent une origine égyptienne, s’en réfèrent à Akhénaton, à Constantin le Grand, ceux qui suivent les conseils des maitres de l’Himalaya, ou ceux qui se veulent pythagoriciens, templiers, catholiques ou kabbalistes ? Comment distinguer la fable de l’histoire ? L’initiation authentique et e la parodie ?
En 1932, René Guénon soulignait les dangers des sociétés qu’il qualifiait de « pseudo-initiatiques », ne présentant « qu’une contrefaçon, voir même trop souvent une parodie ou une caricature de l’initiation » :
Il existe une multitude de groupements, d’origine toute récente, qui s’intitulent « Rosicruciens », sans avoir jamais eu le moindre contact avec les rose-croix, bien entendu, fût-ce par quelque voie indirecte et détournée, et sans même savoir ce que ceux-ci ont été en réalité, puisqu’ils se les représentent presque invariablement comme ayant constitué une « société », ce qui est une erreur grossière et encore bien spécifiquement moderne. Il ne faut voir là, le plus souvent, que le besoin de se parer d’un titre à effet ou la volonté d’en imposer aux naïfs ; mais, même si l’on envisage le cas le plus favorable, c’est-à-dire si l’on admet que la constitution de quelques-unes de ces groupements procède d’un désir sincère de se rattacher « idéalement » aux Rose-Croix, ce ne sera encore là, au point de vue initiatique, qu’un pur néant. Ce que nous disons sur cet exemple particulier s’applique d’ailleurs pareillement à toutes les organisations inventées par les occultistes et autres « néo-spiritualistes » de tout genre et de toute dénomination, organisations qui, quelles que soient leurs prétentions, ne peuvent, en toute vérité, être qualifiées que de « pseudo-initiatiques », car elles n’ont absolument rien de réel à transmettre, et ce qu’elles présentent n’est qu’une contrefaçon, voire même trop souvent une parodie ou une caricature de l’initiation . » (« De la régularité initiatique », Voile d’Isis, 1932, p. 681-682, réédition dans Aperçus sur l’initiation, 1946, p. 40-41).
Ce jugement pourrait sans doute s’appliquer à la plupart des mouvements présentés dans ce livre. L’histoire des groupes néo-rosicruciens montre que souvent, leurs fondateurs, doués d’une imagination étonnante, prenaient leurs désirs pour la réalité. L’intention et le désir ne suffisent pas. Ne dit-on pas que l’enfer est pavé de bonnes intentions !
L’histoire de ces mouvements nécessite d’être complétée par une approche doctrinale mettant en évidence la philosophie et la symbolique développée par ces mouvements dans leurs initiations, leurs rituels. Sans doute l’auteur se réserve-t-il de présenter cet aspect essentiel dans un prochain volume. Quoi qu’il en soit, la présente publication offre un panorama très détaillé sur l’histoire des mouvements néo-rosicruciens. Elle a pour intérêt d’offrir une documentation iconographique très importante qui rend la lecture de ce livre très vivante et passionnante. Il s’agit là probablement de l’une des publications les plus importantes concernant l’histoire des mouvements initiatiques contemporains.
Dominique Clairembault
Table des matières
Préface à la première édition, par Robert Amadou
- Appendice : Deux convents de la FUDOSI, p. 18
Il y a quarante ans tout juste, p. 41
Louis de Lapasse, le Rose-Croix malgré lui
- Échos d’une rumeur, p. 45
- Le vicomte diplomate, p. 47
- Médecine et alchimie, p. 50
- Toulouse et le médecin des pauvres, p. 58
- Un mystérieux initiateur, p. 63
- Les vrais Rose-Croix, p. 66
Deux Rose-Croix de désir
- Aroux et Vial : les ancêtres incertains, p. 73
- Adrien Péladan, le médecin martyr, p. 78
- « Servant de la pure tradition hermétique », p. 84
- Un journaliste catholique : Firmin Boissin, p. 86
- Au seuil du mystère, p. 92
La Rose-Croix kabbalistique
- La Rose-Croix rénovée, p. 97
- Lacuria, mage chrétien, p. 99
- Une onction mystérieuse, p. 103
- Le Suprême Conseil des douze, p. 107
- Sâr Merodak suit son chemin, p. 111
- Projet d’alliance avec la SRIA, p. 116
- Un Collège de France de l’ésotérisme, p. 117
- Trois successeurs : Barlet, Papus, Téder, p. 122
- Bienvenue à la Société alchimique de France, p. 127
Sâr Hiéronymus et la Rose-Croix belge
- De l’autre côté des Ardennes, p. 131
- L’école de Huy, p. 138
- Un fonctionnaire tranquille, p. 143
- Portrait d’un sage, p. 149
- Réveiller la Rose-Croix, p. 155
- Restaurer l’Ordre pythagoricien, p. 158
Les Frères d’Orient, le Lys et l’Aigle
- Un certain Démétrius Platon Sémélas, p. 165
- Sémélas, Papus et les frères d’Orient, p. 171
- Qui sont les Rose-Croix d’Orient ? p. 176
- Déon, Déa, le Lys et l’Aigle, p. 179
- Marie II succède à Déa, p. 186
- Eugène Dupré succède à Sémélas, p. 198
La Fraternité polaire et l’oracle de force astrale
- L’ermite de Bagnaia, p. 203
- Tribulations d’une préface, p. 209
- Les sages de T Himalaya, p. 218
- « Formez le groupe des Polaires… », p. 220
- Quelques Polaires de la première heure, p. 224
- Les Polaires au féminin, p. 229
- « Un puissant mouvement spiritualiste », p. 231
- Des mânes de Conan Doyle au trésor de Montségur, p. 234
Aux origines de l’AMORC
- L’insatiable H. Spencer Lewis, p. 241
- Toulouse ou le récit d’un pèlerin vers l’Est, p. 246
- « Un grand domaine entouré de hauts murs », p. 249
- Que penser du récit de Lewis ? p. 254
- De l’Ordo templi orientis à la Société alchimique de France, p. 263
- Les « rosicruciens de Verdun », p. 271
- Au Grand Orient de France, p. 274
La Fédération universelle des ordres et sociétés initiatiques
- « Par-dessus le mur », p. 279
- Préparer le convent de Bruxelles, p. 281
- Sous les auspices de la Rose-Croix, p. 285
- De Pythagore aux initiés d’Egypte, p. 292
- Bienvenue à la FUDOSI, p. 296
- Sous la bannière de l’AMORC, p. 299
- De Bruxelles à Paris, p. 306
Heurs et malheurs de la FUDOSI
- Au revoir à Victor Blanchard, p. 313
- L’imperator est mort, vive l’imperator ! p. 316
- La lumière luit dans les ténèbres, p. 322
- Le temps des perquisitions et des interrogatoires, p. 327
- Le temps des retrouvailles, p. 335
- Les sârs de l’après-guerre, p. 338
- Un divorce consommé, p. 341
Quel héritage ? Quels héritiers ? p. 34
Notes :