Sommaire
Ms 4120 – De la vie et de la mort de feu Jacob Boehme véritable auteur de livres théosophiques – Clé ou explication (77 pages)
Sous le titre De la vie et de la mort de feu Jacob Boehme véritable auteur de livres théosophiques, ce dossier de soixante-dix-sept pages contient une traduction des textes figurant en tête de Clef ou Explication des divers points et termes principaux employés par Jacob Boehme dans ses ouvrages, publié chez Migneret en 1826 [73. Ce texte est une traduction de Clavis Oder Schlüssel etlicher vornehmen Puncten und Wörter, Jacob Böhmens Schriften, Amsterdam, 1715.]. Ce dossier témoigne des efforts entrepris par Joseph Gilbert et Prunelle de Lière pour continuer le projet initié par Saint-Martin, à savoir faire connaître les œuvres de Jacob Boehme aux Français. C’est Prunelle de Lière lui-même qui en a financé la traduction et la publication de ce texte.
T 4189 [Études sur la langue hébraïque] (1 vol. relié, 400 pages)
Ce manuscrit n’a pas de lien direct avec l’ordre des Élus coëns ; il s’inscrit dans la période où Prunelle de Lière, âgé, s’éloigne des spéculations ésotériques pour « revenir à l’étude des Livres saints [74. Voir sur ce point les paroles que Jean-Baptiste-Modeste Gence place dans la bouche de Prunelle de Lière dans Entretien sur les principes de la philosophie, un dialogue fictif et intemporel mettant en présence le Philosophe inconnu, un grammairien (Gence lui-même), l’ami de Saint-Martin (Prunelle de Lière), Gassendi et Descartes (Paris, Migneret, 1830, p. 2).] » dont il cherche à saisir le sens profond en s’appuyant sur leurs versions hébraïques ou latines. C’est un gros volume relié en cartonnage vert, fermé par deux rubans qui comporte environ quatre cents pages, dont seules cent quarante-deux sont utilisées. Entièrement de la main de Prunelle de Lière, il rassemble plusieurs études sur des lettres hébraïques et des textes bibliques : « Les cinq-cinquièmes de la Loi (le Pentateuque), avec deux grands commentaires, c.a.d avec le commentaire du grand rabbin Saadiah de la race de David dont la mémoire est en bénédiction et aussi avec le commentaire du grand savant Aben Ezra. Sur la Genèse, l’Exode, le Lévitique, endroits les plus difficiles – imprimé avec grand soin et exactitude à Zoultzbach dans l’imprimerie de Salomon, fils de David en l’année 5562 de la création du monde. »
Viennent ensuite cinq études sur les racines hébraïques : « 45 racines utiles à connaître pour l’intelligence des six jours de la Création » ; « 42 racines du 11e chapitre de la Genèse, Tour de Babel, confusion des langues » ; « 14 racines du 22e chapitre de la Genèse – Sacrifice d’Isaak, messie – Akedia » ; « 28 racines du 49e chapitre de la Genèse – Prophétie et bénédiction de Yacob à Juda » ; « Décalogue et 17 racines – Exodes 20:1,17 – Deutéronome 5:6,15 ».
Le volume se termine avec une planche dépliante, collée sur le plat intérieur du dos de la couverture. Il s’agit d’un tableau des points voyelles utilisés avec l’alphabet hébraïque. Ce tableau semble avoir été découpé dans un ouvrage, Prunelle de Lière a d’ailleurs écrit en dessous : « Imprimé à Jérusalem en 1817. »
Q 484 – Livre mystique – Considération sur la Bible (1 vol. relié, 250 pages)
Le manuscrit Q 484 est un petit volume relié de dix centimètres sur seize, comprenant environ deux cent cinquante pages. Il comporte deux textes écrits de la main de Prunelle de Lière. Le premier, est une sorte de dictionnaire de citations latines extraites de l’Ancien et du Nouveau Testament, classées thématiquement. Le second « Imitation de J. C. », dresse une liste de toutes les éditions de L’Imitation de Jésus Christ et des études qu’a suscitées cet ouvrage (25 pages). Chaque référence est présentée d’une manière détaillée, avec son titre complet et les caractéristiques relatives à son édition.
Le manuscrit Q 484 date probablement de la période où Prunelle de Lière est revenu vers un christianisme épuré et libre. Le premier texte pourrait être l’un des documents de travail qu’il utilisa pour ses Considérations sur les quatre Évangiles (1822) ou ses Pensées et considérations morales et religieuses (1824). Le second confirme les informations données par Gence dans la notice biographique qu’il consacra à l’ancien maire de Grenoble. Il précise en effet que ce dernier était « plein d’admiration pour le livre de L’Imitation », ajoutant qu’il collabora à ses propres recherches : « soit en recherchant ou même en procurant des éditions ou des manuscrits, soit en donnant de judicieux conseils sur ce livre […] [75. Gence, Jean-Baptiste-Modeste, « Prunelle de Lière », Biographie universelle…, op. cit., p. 4.]. »
Les manuscrits T 4189 et Q 484 appartiennent probablement aux documents de travail utilisés par Prunelle de Lière pour l’étude des textes de l’Ancien Testament. Rappelons qu’il a publié en 1821 une Traduction française des Psaumes, dans le sens spirituel, appliqués principalement à Jésus-Christ, d’après saint Augustin et l’hébreu, et une traduction des Prophéties d’Isaïe, publiée en 1823. Son biographe, Jean-Baptiste-Modeste Gence, indique que « l’hébreu ne lui était point étranger et il sut fréquemment en saisir l’esprit ; ses traductions sont dirigées vers ce but [76. Gence, Jean-Baptiste-Modeste, Biographie universelle ancienne et moderne, supplément, t. LXXVII, Paris, Michaud, 1843, p. 3-4. Rappelons que Prunelle de Lière figure, comme d’autres amis de Saint-Martin tels Gilbert, Lenoir-Laroche, Vaucroze et Gombaut, parmi les souscripteurs de La Langue hébraïque restituée, publié par Antoine Fabre d’Olivet en 1815-16 (voir Cellier, Léon, Fabre d’Olivet, contribution à l’étude des aspects religieux du romantisme, Paris, Nizet, 1953, p. 240).] ».
R 8018 – Le traité sur la réintégration des êtres… et quelques manuscrits exilés dans le fonds Flandrin (435 pages)
Le 6 décembre 2012, nous avons publié un compte rendu relatant nos recherches sur le fonds Prunelle de Lière [77. Nous faisons référence ici à la version précédente du présent cet article mis en ligne le 06/12/2012 sur ce même site.]. Nous évoquions alors l’absence étonnante du Traité sur la réintégration de Martinès de Pasqually parmi ces documents. Par une curieuse coïncidence, deux mois plus tard, ce Traité était découvert dans le fonds Flandrin de la bibliothèque municipale de Grenoble. Cette trouvaille fut annoncée dans le n° 168 de la revue Renaissance Traditionnelle, publiée à la fin du mois de février 2013 [78. Amadou Catherine « Un nouveau manuscrit du Traité sur la réintégration de Martines de Pasqually : le manuscrit Prunelle de Lière », Renaissance Traditionnelle, n° 168, p. 198-210. Comme pour chaque numéro, la date de publication de cette revue a généralement six mois à un an de retard par rapport à la date annoncée en couverture (octobre 2012) pour une parution en février 2013.]. Bien qu’elle ne figure pas dans le même fonds que les autres documents, la copie du Traité sur la réintégration de Prunelle de Lière est donc bien présente à la bibliothèque de Grenoble. Eugène Chaper ne l’avait pas léguée, et il semble que l’un de ses héritiers [79. Il eut plusieurs enfants : Suzanne (1858-1917), Marthe (1859-1938), Alphonse (1865-1925) et Jeanne (1867-1925).] Il eut plusieurs enfants : Suzanne (1858-1917), Marthe (1859-1938), Alphonse (1865-1925) et Jeanne (1867-1925).] l’ait vendue plus tard à un collectionneur dauphinois, le docteur Joseph Flandrin (1867-1942). À partir de 1906, ce dernier donna nombre de documents au Musée dauphinois [80. « Dès la fondation du musée, en 1906, J. Flandrin, médecin, enrichit régulièrement de dons les collections publiques. » (Chambre noire pour amateurs éclairés, Photographies de la collection Flandrin, ouvrage dirigé par Valérie Huss et Zoé Blumenfeld-Chiodo, Musée dauphinois, 2012, André Vallini, « Préface », p. 7). Le docteur Flandrin collabora étroitement avec Hippolyte Müller à la fondation du Musée dauphinois.] et à la bibliothèque municipale de Grenoble. Plus tard, vers 1939, cette dernière acheta d’autres documents auprès de la famille de Joseph Flandrin [81. Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, tome lxii, Grenoble, 2e supplément, Paris, 1983, Éditions du Centre national de la recherche scientifique, p. 3.]. Comme le précise son catalogue :
Le catalogue décrit le Traité ainsi : « 2906 (R. 8018). Traité sur la réintégration des êtres dans leurs propriétés, vertu et puissance première spirituelle divine ». Copie en partie par Prunelle de Lière d’après une note manuscrite. – XVIIIe s. Pap. 435 p. 210 x 140mm. Rel. papier. (Fonds Flandrin.) [82. Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France, op. cit. p. 80.] »
La « note manuscrite » dont il est question figure sur le plat supérieur du volume. Elle précise que ce document a été légué avec la bibliothèque de Prunelle de Lière à Augustin Périer. Une seconde note indique que ce Traité a été donné à la B.M.G. par le Dr. Flandrin (1867-1942). Il a été enregistré dans ses fonds en 1906 sous la cote R 8018. Comme tous les documents du fonds Prunelle de Lière légués par Chaper, il porte une cote en haut de la première page (195851). Cette numérotation se réfère probablement au catalogage de Chaper.
À quelques différences près, cette copie du Traité possède les mêmes caractéristiques que celles du Fonds Z. Elle s’achève avec la même note signalant que l’auteur n’a pas terminé ce Traité et comporte le même texte relatif à l’expérience destinée à convaincre « de la vérité de l’axe feu central ». Comme la copie autographe de Saint-Martin appartenant au fonds Z, le titre du Traité est écrit de deux manières différentes : « Traité sur [83. C’est sous qui soulignons « sur » et « de ». ] la réintégration des êtres dans leurs propriétés… » sur la page de titre tandis que le texte se termine par une notre précisant : « Fin du traité de la réintégration » ! Contrairement à la plupart des autres textes en relation avec l’ordre des Élus coëns, Prunelle de Lière a lui-même copié le dernier tiers de ce Traité (p. 280 à 385). Il a également rédigé deux listes faisant office de tables, placées à la fin du volume. Copiées avec peu de soin, elles semblent être de simples notes, des mémorandums permettant de se repérer plus facilement dans le texte.
L’intérêt de ce document réside aussi dans le fait qu’il est suivi de cinq textes inédits de Louis-Claude de Saint-Martin. Les trois premiers ont pour titres :
- « 17 avril 1776 – Sur les nombres » (p. 388-400) ;
- « 24 avril 1776 – Du nombre 6 considéré de diverses manières » (p. 400-403) ;
- « 1er mai 1776 » (p. 404-411).
Ces écrits s’apparentent aux « conférences » ou « leçons » de Lyon, des comptes rendus de séances d’enseignement données aux Élus coëns à Lyon par Saint-Martin, Du Roy d’Hauterive et Jean-Baptiste Willermoz, entre janvier 1774 et octobre 1776. Ces textes sont absents des autres copies des « leçons ». Soulignons qu’il en existe trois, et non pas deux, comme l’affirme Robert Amadou, négligeant de citer la très belle copie du fonds Prunelle de Lière (Ms 4122). Les trois nouvelles leçons figurant dans le fonds Flandrin s’intègrent parfaitement dans la succession de celles qui ont été données au printemps de l’année 1776.
Suivent deux autres textes :
- « Sur l’âme » (p. 412-419) ;
- « Traité sur les communications » (p. 420-435).
À la manière des « catéchismes » de grades maçonniques, le premier texte présente sous forme de demandes et réponses les conceptions propres aux Élus coëns sur l’âme, sa nature, son existence avant son incarnation humaine, le moment où elle vient habiter un corps, son activité pendant le sommeil et son devenir après la mort de l’homme.
Le second, « Traité sur les communications », semble s’inscrire dans la série des traités écrits par Saint-Martin entre 1772 et 1789, c’est-à-dire entre le départ de Martinès de Pasqually et l’installation du Philosophe inconnu à Strasbourg. Il s’agit de textes d’enseignement, vraisemblablement rédigés à l’attention des Élus coëns, pendant la période où Saint-Martin jouait le rôle de professeur en martinisme, que ce soit à Lyon ou à Versailles. Si ces écrits inédits ont pour trait commun de présenter d’une manière claire divers aspects de la doctrine coën, il n’en est pas de même pour le « Traité sur les communications ». Ce dernier semble avoir été rédigé alors que Saint-Martin se trouvait en porte-à-faux avec la théurgie pratiquée dans l’ordre des Élus coëns. Il souligne en effet combien ces voies ne sont pas les plus sûres pour parvenir aux vérités intellectuelles et toucher les vérités divines.
Le Fonds Prunelle de Lière, une copie du Fonds Z ?
Cette présentation, qui n’a pas la prétention d’être exhaustive, montre que le fonds Prunelle de Lière, longtemps occulté, se révèle d’une grande richesse pour l’historien du martinisme. La présence d’originaux de Saint-Martin et de documents ne figurant pas dans le fonds Z bien que venant des papiers du Philosophe inconnu lui confère une valeur supplémentaire. Ce fonds permet d’accéder à une copie assez complète des documents Élus coëns provenant des archives de Louis-Claude de Saint-Martin, c’est-à-dire de celui qui fut le dernier secrétaire de Martinès de Pasqually. Il s’agit donc d’une source majeure pour étudier la doctrine et la symbolique de l’ordre des Élus coëns. Au final, le fonds Prunelle de Lière pose le problème du contenu réel du fonds Z, c’est-à-dire des manuscrits laissés par Saint-Martin, et de l’histoire de leur transmission, mystère que Robert Amadou s’est appliqué à entretenir pendant 28 ans.
Ce fonds nous permet également de mieux connaître Prunelle de Lière. En effet, Joseph Gilbert et Jean-Baptiste-Modeste Gence sont souvent présentés comme les derniers disciples de Saint-Martin, alors que Prunelle de Lière, même s’il fut un ami de longue date du Philosophe inconnu, n’est généralement pas considéré comme tel par les historiens. Or, l’avocat grenoblois semble pourtant avoir davantage suivi la pensée de Saint-Martin que Gilbert et Gence. La passion de Joseph Gilbert pour l’alchimie montre qu’il avait fini par suivre une orientation qui aurait sans doute irrité le théosophe d’Amboise. Quant au goût de Jean-Baptiste-Modeste Gence pour le magnétisme et à son engagement auprès de madame d’Eldir, la grande maîtresse de l’Ordre asiatique de morale universelle, ils dénotent également une contradiction avec les idées du Philosophe inconnu.
Prunelle de Lière ne s’égara pas sur ces chemins. Pour reprendre l’expression d’un autre disciple vertueux de Saint-Martin, le comte de Divonne, il avait « laissé toute la boutique » et s’était éloigné des loges pour se livrer à un christianisme tout intérieur. Dans le sillage de Saint-Martin, il s’attacha certes à poursuivre l’œuvre de diffusion de la pensée de Jacob Boehme, mais ne se cantonna pas à cette mission, laissant une œuvre personnelle qui reste encore à explorer.
Dominique Clairembault
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