Le Château de Vizille (ci-dessus) où Augustin-Charles Perier, négociant, banquier, député de l’Isère et amis de Prunelle de Lière conserva les documents composant le Fonds Prunelle de Lière. Ce château, qui fut le berceau de la Révolution française, abrite aujourd’hui le Musée de la Révolution Française.
[Retour à la 1er partie de l’article]Les manuscrits que nous présentons dans cette deuxième partie et la troisième appartiennent tous à la catégorie des « documents oubliés » évoqués dans notre introduction.
Ms 4121 – De l’origine et de l’esprit des formes (cinq cahiers, 97 pages)
Ce dossier de quatre-vingt-dix-sept pages comprend cinq cahiers assemblés avec un ruban bleu. Il renferme un texte inédit de Louis-Claude de Saint-Martin intitulé De l’origine et de l’esprit des formes (désigné parfois sous le nom de Traité des formes). Comme Les Nombres [46. Saint-Martin évoque De l’origine et de l’esprit des formes au début des Nombres (voir p. 4, dans l’édition publiée par Nicole Jacques-Lefèvre chez Bélisane).], il s’agit d’un traité que le Philosophe inconnu n’a pas souhaité publier.
De l’origine et de l’esprit des formes est une réflexion sur la situation de l’homme, né dans l’infini mais privé de pouvoir contempler l’absolu depuis son exil dans le monde des formes. La suite du manuscrit comprend vingt-sept textes assez courts, en relation avec le thème général du traité. Nous n’en citerons que quelques-uns : Forme de l’homme (p. 47) ; Familles (p. 53) ; Droits paternels (p. 55) ; Formes du son et de la parole (p. 57) ; Forme de la langue hébraïque (p. 57) ; Formes de la mémoire (p. 58) ; Les formes du magique (p. 62) ; La forme du rire (p. 65) ; Forme de la prière et de la pénitence (p. 75) ; Sacrifices d’animaux (91) ; Les bêtes domestiques (p. 93).
Robert Amadou a publié une transcription partielle de ce texte, d’après la version contenue dans Fonds Z, dans la revue L’Esprit des choses n°28 à 33, vol.10 à 11, 2001-2002. Précision qu’il avait évoqué en quelques lignes la découverte de ce Traité de l’origine et de l’esprit des formes au début de l’année 1978, dans le n° 2 de la revue l’Initiation, c’est-à-dire dans celui qui précède l’annonce de la découverte du Fonds Z, laquelle figure dans le n° 3. L’annonce de cette découverte en 1978 confirme qu’il n’avait pas remarqué la présence de ce document dans le Fonds Prunelle de Lière dont il avait pourtant publié l’inventaire en 1967 (voir supra).
Ms 4122 – Extrait de séances de C**, société mystique dont les membres se nomment « Élus coëns », 1775-1776 (3 cahiers, 68 pages)
Ce dossier comprend trois cahiers cousus ensemble, soit soixante-huit pages au total. Il a pour titre « Extrait de séances de C** », que le catalogue des manuscrits de la B.M.G. complète par « société mystique dont les membres se nomment « Élus coëns », 1775-1776 ».
Les séances dont il est ici question sont les « conférences » ou « leçons » qui se tinrent à Lyon entre 1774 et 1776 [47. Antoine Faivre a publié ces textes en 1975 (Les Conférences des Élus Cohens de Lyon (1774-1776) aux sources du Rite écossais rectifié, Brain-le-Comte, éd du Baucens) à partir du manuscrit conservé à la bibliothèque municipale de Lyon (Ms 5476). Robert Amadou a donné une première édition d’après le manuscrit du fonds Z dans la revue L’Esprit des choses (n° 1, 1991-1992, p. 43-48 ; n° 2, 1991-1992, p. 5-8 ; n° 3, 1992, p. 30-48 ; n° 4-5, 1993, p. 69-87 ; n° 6-7, 1993, p. 51-75 ; n° 8-9, p. 94-120 ; n° 10-11, p. 20-42 ; n° 12, p. 45-67). En collaboration avec Catherine Amadou, il en a donné une autre édition en 1999 (Les Leçons de Lyon aux Élus coëns, « Collection de l’Esprit des choses », Paris, Dervy). Cette dernière mélange les manuscrits de Lyon et du fonds Z. Gilbert Tappa en a donné lui aussi une version intéressante à partir du manuscrit de Lyon dans Les Feuillets d’Hermopolis (vol. II, juin, 2000, p. 9-58).]. Elles rassemblèrent des Élus coëns venus approfondir leur doctrine sous la direction de Jean-Jacques Du Roy d’Hauterive, Louis-Claude de Saint-Martin et Jean-Baptiste Willermoz. Au total, cent treize comptes rendus de ces réunions nous sont parvenus par plusieurs sources. Certains se réduisent à quelques notes et seuls trente présentent des développements importants.
Jusqu’à présent, on ne connaissait ces séances que par deux copies : celle du fonds Willermoz, de la bibliothèque municipale de Lyon, et celle du fonds Z [48. Amadou, Robert, avec la collaboration de Catherine Amadou, Les Leçons de Lyon aux Élus coëns, « Deux témoins », op. cit., p. 89-96.]. La copie de Grenoble en est donc un troisième témoin. Selon Robert Amadou, dans le fonds Z les conférences sont réparties en deux cahiers, le premier de la main de Saint-Martin et le second de trois copistes différents. Le manuscrit Ms 4122 de la B.M.G. propose une copie du second cahier (VI B, selon l’« Inventaire du fonds Z » [49. Amadou, Robert, Bulletin martiniste, n° 6, 1984, p. 6 ; Les Leçons de Lyon, op. cit., p. 92.]). Il en reprend intégralement les treize leçons. Débutant avec la conférence du 4 novembre 1775, il s’achève sur celle du 8 mai 1776 [50. Il s’agit des leçons 77, 78, 79, 81, 82, 86, 88, 89, 90, 91, 92, 96 et 97. Leur texte est identique à celui reproduit par Robert Amadou dans Les Leçons de Lyon. Elles correspondent aux page 39 à 99 du cahier VI B du fonds Z (voir le tableau de concordance dans Les Leçons de Lyon, op. cit., p. 207).]. La comparaison entre le manuscrit de Grenoble et le fac-similé du même texte selon le fonds Z montre que celui du fonds Prunelle de Lière est d’une qualité supérieure par la clarté de son écriture.
Le copiste de Grenoble s’est-il contenté de reprendre le second cahier, ou l’absence du premier s’explique-t-elle par le fait que les propriétaires successifs du fonds Prunelle de Lière auraient pu l’égarer ? Il est impossible de le savoir. On s’étonnera toutefois de cette copie incomplète, alors que toutes celles du fonds Prunelle de Lière qui reproduisent les documents de Saint-Martin sont intégrales.
Ms 4123 – Extrait de ce qui est contenu dans les grades de l’ordre des E. C. (3 cahiers 59 pages)
Ce document fait partie d’une série de sept cahiers (Ms 4123 à 4129) que le catalogue de la B.M.G. (Supplément) désigne comme « Dossier relatif au rite maçonnique des Élus coëns, xviiie siècle ». Il est particulièrement intéressant dans la mesure où il semble être écrit de la main même du Philosophe inconnu. Prunelle de Lière avait-il omis de rendre l’original à Joseph Gilbert après l’avoir copié ? Ou Gilbert avait-il concédé quelques originaux à son ami, dont ce document [51. Ce document a été reproduit sur le cédérom diffusé par Les Gouttelettes de Rosée (voir supra, à propos de ces documents « rassemblés sous le nom de fonds Z »). Serge Caillet le considère comme étant de la main de Saint-Martin (voir « Les sept sceaux des Élus Coëns », Renaissance Traditionnelle, n° 133, 2003, note 25).] ?
Le manuscrit Ms 4123 comporte plusieurs textes. Le premier couvre les pages 1 à 47 et concerne les grades d’apprenti, de compagnon, de maître, d’élu, d’apprenti coën, de compagnon coën, de maître coën, de grand architecte, de chevalier d’Orient et de commandeur d’Orient. Sous forme de catéchismes, il expose le contenu de chaque grade, précisant sa doctrine, sa thématique, et proposant un résumé de la cérémonie d’initiation. Il décrit les couleurs qui lui sont liées, le décorum du temple, les consécrations conférées, les batteries, marches et signes de reconnaissance qui lui sont attachés. Il s’agit donc d’un document essentiel pour approcher la symbolique des grades et comprendre la progression hiérarchique conduisant petit à petit le disciple à la pratique du « culte primitif », la théurgie.
Cet aperçu sur les grades est suivi de deux textes. Le premier, « Des nombres attachés à chaque caractère alphabétique ; de la manière de les trouver, et d’apprendre à connaître par leurs secours l’étoile qui domine sur les différents corps terrestres » (p. 49 à 58), fournit quelques clés intéressantes pour aborder l’étude des alphabets et hiéroglyphes utilisés par Martinès de Pasqually. Il est suivi d’un tableau intitulé : « Proportions, correspondances, caractères des lettres, des signes célestes et planètes selon la pluralité des langues indiquées dans cette table ».
Un texte d’une seule page, « Pentacle des chefs du sud-est donné par eux aux maîtres, le 4 8bre[octobre] 1767 », termine le manuscrit Ms 4123.
Robert Amadou a publié des extraits de ce document, sans le désigner directement, dans la revue l’Autre Monde en 1983 [52. « Rituels d’initiations des élus coëns », L’Autre Monde, n° 68, p. 12-17 ; n° 69, p. 32-5 ; n° 70, p. 18-21, avec des dessins rituels extraits du fonds Prunelle de Lière.]. Il publia plus tard une version dactylographiée de l’Extrait de ce qui est contenu dans les grades, d’après la version du fonds Z, sous le titre Cérémonial des initiations [53. La Magie des Élus coëns – Franc-maçonnerie, Cérémonial des initiations, coll. « Le Fonds Z, les manuscrits réservés du Philosophe inconnu », Institut Éléazar, s.d.], titre qui n’apparaissait pas dans son « État sommaire ». Son contenu correspond très exactement aux pages 1 à 44 du manuscrit de Grenoble, auxquelles il ajoute un texte sur les batteries. Cependant, les pages 49 à 58 du manuscrit Ms 4123, « Des nombres attachés à chaque caractère alphabétique… » ne sont pas retranscrites dans le Cérémonial des initiations. Robert Amadou les publiera plus tard en fac-similé dans Angéliques (p. 175-187), d’après la version du fonds Z. Notons que l’écriture et la composition de ce dernier diffèrent de l’exemplaire de la B.M.G., lequel est plus soigné, autant qu’on puisse en juger à partir des photocopies publiées par Robert Amadou. Ajoutons que le manuscrit Ms 4123 est reproduit en fac-similé sur le cédérom publié par Les Gouttelettes de Rosée ; les tampons et marques de la B.M.G. y sont toutefois masqués (voir ci-dessous).
Ms 4124 – Explication secrète du catéchisme d’app. comp et m. coën (64 pages)
Parmi les divers catéchismes de l’ordre des Élus coëns, ce document de soixante-quatre pages est tout à fait particulier. Bien que son titre concerne les trois premiers grades coëns, il développe en effet des thèmes qui n’y figurent pas toujours. Il se compose de vingt-sept questions et réponses. Après quelques explications touchant aux grades d’apprenti, compagnon et maître coën, il évoque la symbolique des hiéroglyphes associés aux trois colonnes de terre, de nuée et de feu. Il disserte ensuite sur le symbolisme des dimensions du temple, un « carré long » de trois cents coudées de longueur, deux cents de largeur et soixante-dix de profondeur. Le catéchisme s’achève par un long développement sur les sept différents temples tenus dans l’univers : le premier à l’orient par le Grand Architecte de l’Univers, Hély et Adam ; le deuxième au midi par Kaïn ; le troisième au nord par Énoch ; le quatrième sur les eaux par Noé ; le cinquième entre l’est et l’ouest par Abraham ; le sixième sur la Terre promise par Moïse et le septième dans Jérusalem par Salomon. Chacun est présenté avec force détails faisant écho au Traité de Martinès de Pasqually.
Robert Amadou a publié une version dactylographiée de ce texte en 1991 [54. Institut Eléazar, puis CIREM, s.d. [1991].] en y joignant une « note sur la loge coën ». Il ne reproduit pas de fac-similé du document utilisé. Le manuscrit Ms 4124 est reproduit intégralement en fac-similé sur le cédérom des Gouttelettes de Rosée ; toutefois, là encore, les tampons et marques de la B.M.G. y sont masqués.
Ms 4125 – Catéchismes (4 cahiers relié, 77 pages)
Ce dossier regroupe un nombre important de catéchismes des grades coëns. Il s’agit donc d’un ensemble de documents essentiels pour comprendre comment la doctrine de Martinès de Pasqually se déploie dans la hiérarchie de son système initiatique. Hélas, manquent les catéchismes concernant les grades d’apprenti, compagnon, maître et maître élu, mais à en croire l’inventaire du fonds Z, ces documents ne figuraient pas sur l’original à partir duquel la copie de Grenoble a été faite.
Le manuscrit Ms 4125 se compose de quatre cahiers partiellement cousus ensemble, formant soixante-dix-sept pages. Sur la première figure la mention « Don Chaper ». Viennent ensuite le « Catéchisme des Mes Coëns » (p. 1-21) notons que la p. 11 est d’une écriture différente ; le « Catéchisme des grands Mes coëns surnommés grands architectes » (p. 21-27) ; le « Catéchisme des grands élus de Zorobabel, soi-disants chevaliers d’Orient » (p. 27-33) ; le « Catéchisme des commandeurs d’Orient apprentis R+ » (p. 34-52) ; le « Catéchisme des philosophes Élus coëns de l’univers 1770 » (p. 53-76). Ce dernier texte concerne le grade d’apprenti, mais il diffère du catéchisme d’apprenti qu’on trouve dans d’autres fonds, notamment celui de Lyon. Il ne se contente pas d’aborder la thématique du premier grade, mais présente une sorte de panorama du contenu des degrés suivants. Quant à la qualité de « philosophes Élus coëns », elle désigne, selon ce texte, l’état « d’être libre, vertueux et dégagé de tout vice, égal aux rois, ami des princes et des pauvres lorsqu’ils sont spirituellement revêtus du caractère d’Élus coëns ».
Les textes de ces catéchismes ont été publiés par Robert Amadou en deux volumes [55. La Magie des Élus coëns, Franc-maçonnerie, Catéchismes : Maîtres cöens, Grands Maîtres coëns – Chevalier d’Orient – Commandeurs d’Orient, coll. « Le Fonds Z, les manuscrits réservés du Philosophe inconnu », Paris, Cariscript, 1989 ; La Magie des Élus coëns, Franc-maçonnerie, Catéchisme des philosophes élus coëns de l’univers, coll. « Le Fonds Z, les manuscrits réservés du Philosophe inconnu », Paris, Cariscript, 1990.]. Le premier comprend les quatre premiers catéchismes et le second le « Catéchisme des philosophes Élus coëns de l’univers 1770 ». Cette édition, basée sur le fonds Z, ne procure pas de pages en fac-similé du manuscrit de Saint-Martin, empêchant ainsi toute confrontation avec celui de Grenoble.
Les catéchismes du manuscrit Ms 4125 sont reproduits en fac-similé sur le cédérom des Gouttelettes de Rosée, les tampons et marques de la B.M.G. y étant encore masqués. Précisons que sur ce cédérom une version du « Catéchisme des commandeurs d’Orient apprentis Réau Croix » venant d’un autre fonds [56. Ce catéchisme provient du fonds Willermoz de Lyon.] a été ajoutée après celui de Grenoble (dix pages d’une autre écriture). Ce dernier se termine par les mots « Fin du catéchisme des commandeurs apprentis Réaux Croix de l’ordre de Josué ».
Ms 4126 – Instruction secrète des Conduc. en chef des Col. d’or. et d’occ. et d’un V.m. de Temple – (5 cahiers, 106 pages)
C’est-à-dire : Instruction secrète des Conducteurs en chef des Colonnes d’orient et d’occident et d’un Vénérable maître de Temple.
Il s’agit d’un long texte de cent six pages contenant les instructions doctrinales et théurgiques prescrites aux membres de ce grade. De nombreux points concernant la théurgie sont ainsi abordés : « Feu nouveau » ; « Cérémonie du mot de la bougie dans le cercle intérieur » ; « Cérémonie pour retirer la bougie et le mot du centre ». Le texte précise les « Devoirs d’un R.+ », ses droits, et donne des détails concernant les perceptions par la vue et l’ouïe des manifestations théurgiques. Ce sujet fait également l’objet d’une instruction particulière intitulée : « Instruction secrète sur les différents feux que les esprits bons et mauvais prennent pour marquer leurs caractères et hiéroglyphes à celui qui veut connaître les esprits qui actionnent en bien et en mal le monde temporel ».
Le manuscrit Ms 4126 évoque également les couleurs, signes et hiéroglyphes, bons et mauvais, associés à chaque planète. Il donne nombre de détails concernant quatre opérations, celles d’Adam, de Kaïn, d’Abel et de Noé. Notons que le copiste de Grenoble a malencontreusement intercalé un autre texte avant celui qui concerne Noé, une « Conjuration pour molester les esprits malins qui induisent les hommes en prévarications et dissensions ». Des notes placées en pages soixante-quatorze et quatre-vingt-huit signalent cette erreur, indiquant l’ordre logique de lecture.
Robert Amadou a publié une transcription de cette « Instruction secrète » dans laquelle il a inséré un fac-similé de la première page du manuscrit autographe de Saint-Martin [57. La Magie des Élus coëns – Théurgie, Instructions secrètes, coll. « Le Fonds Z, les manuscrits réservés du Philosophe inconnu », Paris, Cariscript, 1988.]. La mise en page de ce document diffère de celui de Grenoble. A la suite de cette « Instruction », il a ajouté plusieurs textes : « Instruction sur la bougie du centre », « Caractères alphabétiques romains pour servir de convention », et les fac-similés de plusieurs schémas théurgiques : « Tableaux philosophiques, 1780 », « Tableau philosophique ». À Grenoble, ces derniers figurent dans le manuscrit Ms 4188.
Le manuscrit Ms 4126 est reproduit intégralement en fac-similé sur le cédérom des Gouttelettes de Rosée ; une fois de plus, les tampons et marques de la B.M.G. y sont masqués.
Ms 4127 – Dieu veuille nous accorder la grâce d’être notre conducteur (135 pages)
Ce long texte de cent trente-cinq pages reprend la doctrine de Martinès de Pasqually. Cependant, il n’est pas question ici d’utiliser la théurgie, mais de pratiquer une ascèse qu’on pourrait qualifier d’alchimie spirituelle. Son auteur propose d’imiter la vie des saints pour permettre à l’âme de se purifier, afin de remonter progressivement à travers les sept sphères célestes pour atteindre le monde surcéleste, ce long voyage devant conduire l’homme à la résurrection de son corps glorieux. Il y a quelques années, nous avions remarqué que l’auteur de ce texte en parlait d’ailleurs comme d’un « Traité de résurrection » et avions proposé de le nommer ainsi, idée qui avait séduit Robert Amadou.
Le style confus, rendant pénible et difficile la lecture de ce manuscrit, n’est pas sans rappeler celui de l’abbé Pierre Fournié (1738-1825), secrétaire de Martinès de Pasqually avant Saint-Martin. Cette hypothèse semble accréditée par la reprise, dans ce manuscrit, de plusieurs thèmes figurant dans Ce que nous avons été, ce que nous sommes, et ce que nous deviendrons [58. Fournié, Pierre, Ce que nous avons été, ce que nous sommes, et ce que nous deviendrons, Londres, A. Dulau et Co, Soho Sq., 1801. Ces deux textes ont en commun d’accorder une place très importante au purgatoire, un thème auquel Martinès de Pasqually s’intéressait assez peu (cf. Traité sur la réintégration des êtres, Le Tremblay, Diffusion Rosicrucienne, 1995, p. 261).], le seul livre qu’il ait publié. Celui-ci se présentait comme la première partie d’une étude plus vaste, et ce « Traité de résurrection » pourrait bien en être la suite ou un fragment.
Robert Amadou a publié un fac-similé du manuscrit Ms 4127 en 1991, dans la collection « Le Fonds Z, les manuscrits réservés du Philosophe inconnu » [59. Institut Eléazar (Diffusion CIREM), 1991.]. Contrairement à ce que le titre laisse entendre, ce manuscrit ne provient pas des papiers de Saint-Martin [60. Soulignons que ce manuscrit ne figure pas dans l’« État sommaire du fonds Z» publié par Robert Amadou en 1984.] mais du fonds Prunelle de Lière. Si les tampons de la bibliothèque municipale de Grenoble sont masqués, nous pouvons cependant remarquer, en haut de la première page, la présence de l’ancienne cote (1364) de ce manuscrit.
Ms 4128 – Prières et travaux pour la réconciliation générale de l’homme de désir avec son être spirituel (2 cahiers, 47 pages)
Nous sommes ici en présence d’un rituel que les Élus coëns devaient pratiquer « tous les mercredis et samedis soir avant de se coucher », comme l’indique la « dissertation » doctrinale à propos des planètes placée au début et destinée à « faire voir clairement la nécessité de commencer la première fois ces invocations le mercredi soir ». Ce rituel n’est pas destiné aux travaux de loge mais réservé à une pratique individuelle. Il a pour but de rendre manifeste le lien entre le disciple et son « esprit bon compagnon », son ange gardien. Selon la doctrine coën, ce dernier joue en effet un rôle fondamental dans le processus de « réconciliation » de l’homme, il est l’intermédiaire rendu nécessaire à la suite de la dégradation spirituelle occasionnée par sa chute.
Robert Amadou a publié une version dactylographiée de ce rituel [61. Institut Éléazar (Diffusion CIREM), coll. « Le Fonds Z, les manuscrits réservés du Philosophe inconnu », s.d.]. Cette édition comprend en outre le fac-similé du texte latin intitulé « Pro. M. Coën » (p. 29-34), précédant les quatre prosternations qui terminent le rituel. Ces reproductions montrent que le document utilisé par Robert Amadou n’est pas celui de Grenoble, dont la mise en page et le graphisme diffèrent. Le manuscrit Ms 4128 est reproduit intégralement en fac-similé sur le cédérom des Gouttelettes de Rosée, avec les tampons et marques de la B.M.G. masqués.
Ms 4129 – De Circulo et ejus compositione (1 cahier, 15 pages)
Ce texte court, de quinze pages seulement, pose un problème quant à son classement dans la catégorie des documents coëns. Il s’agit en fait d’une adaptation de l’Heptameron, Éléments magiques de Pierre Aban, philosophe, disciple de Henri Corneille Agrippa, ouvrage publié en 1547 [62. Les Œuvres magiques de Henri Corneille Agrippa par Pierre d’Aban, latin et français, avec des secrets occultes, Liège, 1547, puis 1788. François Ribadeau Dumas en a publié une version dans Grimoires et rituels magiques, Paris, Belfond, 1972. Les Œuvres magiques ont été intégrées en 1559 dans le quatrième volume de la Philosophie occulte après la mort d’Agrippa. Son disciple Jean Wier a contesté l’authenticité des textes inclus dans ce volume, qu’il jugeait « pestilencieux » et bon à mettre au feu (De praestigiis daemonum, 1577).]. Ce pseudo-Pierre Aban se propose de compléter la Philosophie occulte d’Agrippa, qu’il juge trop spéculative, en donnant un mode opératoire précis pour évoquer les anges. L’Heptameron relève de l’Ars notaria, c’est-à-dire de la magie médiévale qui sollicite les anges pour en obtenir des bénéfices (protection, guérison…). Ces textes issus de la magie salomonienne (IIe-Ve siècles) apparaissent en Italie à la fin du XIIe siècle.
Le manuscrit de Grenoble reprend la première partie de l’Heptameron [63. Précisons qu’il ne reprend pas les premières lignes où l’auteur annonce qu’il se propose de compléter les textes d’Agrippa.], intitulée « Du cercle et de la manière de le composer », à laquelle il emprunte le titre (De Circulo et ejus compositione). Le cercle dont il est question ici est un pentacle utilisé dans les opérations magiques. Alors que le texte original est en français et comporte des oraisons et invocations en latin, lesquelles sont également traduites, le manuscrit de Grenoble est entièrement rédigé en latin [64. Georges Courts a publié une traduction française de ce même document. À notre connaissance, il est le premier à avoir fait le lien entre ce document et l’Heptameron (Le Manuscrit d’Alger, s.l., Arca, 2010, p. 303-338). Rappelons que le Manuscrit d’Alger, conservé à la BnF, ne comporte pas de copie du De Circulo.]. Une note, placée en haut et à droite de la première page précise : « Page 17 de l’original : Ce qui précède manque. » Elle renvoie à une marque insérée au bas de la page neuf du manuscrit. En effet, à l’emplacement indiqué manquent plusieurs textes qui figurent dans le livre de Pierre d’Aban. Il s’agit d’informations capitales pour mettre en œuvre les rites décrits dans l’Heptameron : les noms des anges qui président aux heures des jours de la semaine [65. Ces derniers figurent aux pages 6 à 9 et 41 à 81 de l’édition de 1547.], les formes qu’ils affectent pour se manifester et les conjurations à utiliser selon les jours.
Le manuscrit de Grenoble ne reproduit pas non plus les « Secrets occultes » qui figurent à la fin de l’Heptameron, textes supposés appeler et commander les « Esprits inférieurs » pour qu’ils accomplissent des actes de protection, de guérison, etc. [66. Ces textes terminent l’édition de 1547 (p. 87 à 116).] Le copiste a également modifié deux invocations du rituel de Pierre d’Aban : au seul pentacle de Salomon auquel il est fait référence dans le texte original ont été ajoutés ceux de Moïse et de Josué (p. 7 et 8 du manuscrit).
À la fin du manuscrit (p. 9 à 14), ont été ajoutés des éléments étrangers à l’Heptameron : une prière devant être dite pendant quatre jours pour consacrer la « figure », une sorte de talisman, et la prière devant précéder cette consécration, suivie d’une autre ayant le pouvoir de repousser les désirs de volupté. Une note terminale propose enfin une méthode pour connaître une chose qu’on ignore, « en particulier dans les sciences » : il convient de prononcer trois fois une invocation, avant de se coucher en plaçant sous sa tête une « figure » [67. Nous remercions Jean-Pierre Brach, directeur d’études à l’École pratique des hautes études et titulaire de la chaire d’Histoire des courants ésotériques dans l’Europe moderne et contemporaine, de nous avoir traduit cette note oubliée par Georges Courts dans son ouvrage.]. Cette dernière est-elle celle qui se trouve dessinée sur la dernière page du manuscrit ? Rien ne le précise. Le style de ce dessin tranche avec les pentacles figurant dans l’Heptameron et semble sans rapport avec le texte du manuscrit. Cependant, il s’apparente aux dessins théurgiques coëns, notamment ceux du manuscrit Ms 4188 [68. Ces documents ont été publiés par Charles A. Reichen en annexe de Joseph Gilbert, Essais sur le spiritualisme, Nice, Bélisane, 1987, p. 17-37. Robert Amadou les reproduit également dans Angéliques (voir supra).] du fonds Prunelle de Lière.
Après cette description sommaire, revenons à l’interrogation formulée au début, à savoir le classement de ce manuscrit parmi les documents élus coëns. L’étude des procédés théurgiques indiqués par Pierre d’Aban, qu’il s’agisse de la manière de tracer les cercles magiques, des noms des anges utilisés, des caractéristiques qui leur sont associées, de leurs modalités de manifestation, montre que le rituel du De Circulo est assez différent de ceux que pratiquaient les Élus coëns. Le vocabulaire typique de la théurgie martiniste, avec ses fréquentes allusions aux nombres, en est également absent.
De surcroît, il convient de souligner que les textes d’instructions et les rituels coëns ne sont jamais en latin, sauf pour proposer, assez rarement il est vrai, des citations bibliques ou des prières [69. Notons une exception : les « Prières et travaux », qui comportent une longue invocation en latin dont le texte propose aussi une traduction.]. Si ce n’est la présence du dessin sur lequel s’achève ce manuscrit, rien ne permet de voir ici un document élu coën. Enfin, le fait qu’aucun texte coën ne se réfère à ce document et que celui-ci ne figure dans aucun autre fonds coën, que ce soit le fonds Z, le fonds Willermoz, le fonds Hermete ou le Manuscrit d’Alger, renforce encore l’hypothèse selon laquelle nous ne nous trouvons pas là face à un rituel coën.
Robert Amadou a publié un fac-similé du manuscrit Ms 4129 dans la collection « Le Fonds Z, les manuscrits réservés du Philosophe inconnu » : La magie des Élus coëns, Théurgie : De Circulo et ejus compositione [70. Institut Éléazar, s.d.]. Cette publication ne comporte pas d’introduction et son association à la collection du fonds Z laisse à penser que ce document vient des papiers de Louis-Claude de Saint-Martin (notons toutefois qu’il n’est pas référencé dans l’inventaire de ce fonds [71. « État sommaire du fonds Z », Bulletin martiniste, n° 6, 1984, p. 3-10.]). Curieusement, la note figurant en haut à droite de la première page a été masquée, de même que le tampon de la bibliothèque de Grenoble, qui devrait apparaître au bas de la première page. Pourtant, c’est bien le texte du fonds Prunelle de Lière que reproduit Robert Amadou. En 2001, il utilisera les trois dessins présents sur les pages 2, 11 et 15 du manuscrit de Grenoble dans Angéliques, en se contentant de renvoyer à sa publication à l’Institut Éléazar [72. Amadou, Robert, Angéliques, images du culte théurgique, op. cit., p. 275-276.].
Le fac-similé du De Circulo et ejus compositione figure aussi sur le cédérom publié par Les Gouttelettes de Rosée, sans les tampons et marques de la B.M.G. Il comporte cependant, en haut de la première page, la note masquée sur la reproduction diffusée par Robert Amadou.