Ce traité inédit est consacré aux manifestations théurgiques qui devaient se produire lors des rituels élus coëns. Il souligne les faiblesses de ces expériences et s’attache à en minimiser l’intérêt. Dès ses premières lignes on peut lire : « Il n’est pas, pour les gens doués d’une imagination vive, de société plus dangereuse que celle des amis du merveilleux. Un pareil goût est presque toujours inséparable d’un orgueil bien condamnable, puisqu’il ne porte celui qui en est obsédé à rien moins qu’à dominer dans une partie dont il n’est pas même à la porte. »
« Je n’ai point eu assez d’action spirituelle pour satisfaire le goût de ceux qui courent après les manifestations sensibles ; c’est-à-dire que je n’ai pas eu le don de faire voir des esprits. Mais j’ai eu celui de pouvoir empêcher que l’homme fût surpris s’il en voyait ; et ce don-là vaut son prix tout comme l’autre. » (Mon portrait, n° 790)
Sommaire
Introduction
Le Traité sur les communications est un texte élu coën inédit. Il figure en annexe de la copie personnelle de Prunelle de Lière du Traité sur la réintégration des êtres, conservée à la bibliothèque municipale de Grenoble (voir à la fin de cet article le lien permettant de consulter le Traité des communications). Dans un article publié précédemment, nous avions présenté le fonds Prunelle de Lière [1] « Les manuscrits oubliés du Philosophe inconnu : le fonds Prunelle de Lière à Grenoble » , un ensemble de documents recélant des copies de papiers, rituels, catéchismes des grades de l’ordre des Élus coëns, textes doctrinaux… ayant appartenu à son ami Louis-Claude de Saint-Martin (c’est-à-dire du « Fonds Z »). Nous avions montré que ces documents constituaient une copie assez complète des archives du Philosophe inconnu. S’y trouvaient même des copies de quelques documents dont les originaux avaient disparu. Cependant, l’un des textes élus coëns les plus importants, le Traité sur la réintégration des êtres de Martinès de Pasqually, n’y figurait pas, alors que les dossiers de Louis-Claude de Saint-Martin en conservait une copie. L’absence de ce document semblait étonnante.
En établissant l’histoire du fonds Prunelle de Lière, nous avions également souligné les efforts faits par Robert Amadou pour occulter ces documents dont il avait à plusieurs reprises publié des fac-similés en masquant leur provenance. Curieusement, dans les mois qui suivirent, la revue Renaissance Traditionnelle publia un article annonçant la découverte du texte dont nous signalions l’absence, la copie du Traité sur la réintégration [2] « Un nouveau manuscrit du Traité sur la réintégration de Martinès de Pasqually : le manuscrit de Prunelle de Lierre », Catherine Amadou, Renaissance Traditionnelle, n° 168, octobre « 2012 » (ce numéro a été en fait publié à la fin du mois de février 2013), p. 198-210. . Cette découverte n’apportait pas hélas, de réponses aux questions soulevées par notre article.
En fait, il n’y avait pas à chercher bien loin : ce fameux Traité figure à la page 80 du Catalogue général des manuscrits des bibliothèques publiques de France (t. LXII, Grenoble, 2e supplément, éd. du Centre national de la recherche scientifique, Paris, 1983). Cependant, il n’était pas aisé de l’y trouver, car il y est classé sous le nom de son ancien propriétaire, Joseph Flandrin (1867-1942). Le catalogue précise :
2906 (R. 8018). « Traité sur la réintégration des êtres dans leurs propriétés, vertu et puissance première spirituelle divine ». Copie en partie par Prunelle de Lière d’après une note manuscrite.
XVIIIe s. Pap. 435 p. 210 x 140mm. Rel. papier. (Fonds Flandrin.)
La « note manuscrite » dont il est question figure sur le plat supérieur du document. Elle précise également que ce document avait été légué avec la bibliothèque de Prunelle de Lière à Augustin Périer [3] Augustin Périer fut le légataire de Prunelle de Lière. Voir notre article « Les manuscrits oubliés du Philosophe inconnu… » . Une seconde note indique que ce Traité a été donné à la BMG par le Dr. Flandrin [4] Le fonds Joseph Flandrin, acquis par la bibliothèque municipale de Grenoble vers 1939, comporte un ensemble de documents sur les familles grenobloises, sur Stendhal, des collections d’ex-libris, des marques de commerçants et libraires dauphinois, et de vieilles cartes à jouer. . Il a été enregistré dans ses fonds en 1906 sous la cote R 8018. Ce document a donc suivi un autre cheminement que le reste des archives de Prunelle de Lière, dont les dossiers cotés Q 484, Ms 4120, Ms 4121, Ms 4122, Ms 4123, Ms 4124, Ms 4125, Ms 4126, Ms 4127, Ms 4129, Ms 4130, Ms 4188 et T 4189 ont été donnés par Camille-Eugène Chaper [5] Après la mort d’Augustin Périer, les documents de Prunelle de Lière passèrent à Camille-Eugène Chaper (1827-1890), qui avait épousé Valentine Giroud, petite-fille d’Alphonse Périer (1782-1866), le frère d’Augustin. Camille-Eugène Chaper, officier de carrière, député de l’Isère (1871), vécut au château d’Eybens, près de Grenoble. Bibliophile distingué, il est considéré comme étant le plus important collectionneur de manuscrits et ouvrages relatifs au Dauphiné. Une grande partie de sa collection est parvenue, par legs ou par achat, à la bibliothèque municipale de Grenoble et aux archives départementales de l’Isère. à la BMG en 1888, et le gros dossier du R 90592 vendu par les descendants de Chaper à la BMG en 1939.
1- Le copie personnelle de Prunelle de Lière du Traité sur la réintégration des êtres
Cette copie du Traité sur la réintégration des êtres possède une particularité intéressante. En effet, l’avocat grenoblois ne s’est pas contenté de retranscrire le Traité, il l’a fait suivre de plusieurs écrits, et c’est sur ce point que cette copie constitue un document de premier ordre.
Comme la majeure partie des pièces du fonds Prunelle de Lière, les documents qui le composent ont été copiés sur les manuscrits de Louis-Claude de Saint-Martin. En première analyse, on remarque que plusieurs personnes se sont succédé pour copier les 387 pages du Traité. À partir de la page 270, on reconnaît la main de Prunelle de Lière. Ce dernier a également porté des corrections rectifiant les erreurs des autres copistes. Cependant, il n’a pas corrigé celles qui figurent dans le titre même du Traité : « Traité sur la réintégration des êtres dans leurs propriétés, vertu et puissance première spirituelle divine » à la place de « Traité sur la réintégration des êtres dans leur première propriété, vertu et puissance spirituelle divine».
Les feuillets sur lesquels le Traité a été copié ont été reliés en un volume. Mais l’artisan qui a assemblé les pages en a intervertis plusieurs. Ainsi, après la page 48 vient la page 65. Prunelle de Lière a pris soin de mentionner ces erreurs sur les pages concernées. En haut de la page 49, il a écrit : « Les 16 pages qui devraient précéder celles-ci ont été transposées après la page 96e par le relieur. » Des notes similaires figurent sur les pages 64 et 97.
Rappelons que le Traité ne comporte pas de divisions en chapitres, il faut donc se contenter des alinéas qui le découpent en paragraphes pour en cerner les différentes séquences. Prunelle de Lière ne suit pas toujours les sections du manuscrit du Philosophe inconnu mais en adopte d’autres, divisant le Traité en paragraphes qu’il numérote de 1 à 236. En réalité, sa copie en comporte davantage, certains paragraphes portant des numéros intermédiaires. Ainsi, après le n° 14 figurent les nos 14 bis et 14 -. De même, après le n° 45 viennent les nos 45 bis et 45 ter, et après le n° 48, le 48 bis, etc.
Deux listes faisant office de tables, placées à la fin du volume, complètent ce Traité. Rédigées avec peu de soin, elles semblent être de simples notes, des mémorandums permettant de se repérer plus facilement dans le texte. La première liste reprend les thèmes ou événements évoqués dans le texte en suivant l’ordre des pages. Elle occupe les quatre dernières pages du volume (sans folio). Cette table se lit en partant de la dernière page et en remontant vers les trois précédentes. Le premier thème référencé est « Les 4 doigts de la main : 15 », et le dernier « Nombre spirituel et matériel, susceptible de confusion et de prévarication spirituelle divine, 362 ». Suit une référence sans numéro de page : « Nombre 5, nombre de privation de toute action spirituelle ».
Cette table ne renvoie pas aux numéros des paragraphes mais à ceux des pages (à quelques exceptions près : pour les § 45 bis et ter, associés aux pages 96 à 100, et pour le § 131 concernant la page 229). Prunelle de Lière ajoute parfois des remarques. Par exemple, après la référence à la page 100, il précise : « Nota : tout ce qui est compris depuis 96 jusqu’à 100, est l’objet de § 45 bis et ter, et mérite attention. »
La seconde table, plus courte, ne suit pas l’ordre des pages mais donne une suite de mots ou de thèmes semblant avoir retenu plus spécialement l’attention de Prunelle de Lière. Contrairement à la première, elle fait précéder les numéros des pages par ceux des paragraphes. La table débute avec les mots « Type – Symbole, § 77, pag. 149 » et se termine par « Moïse offre 1° son âme, qui est l’esprit mineur […] 3° Moïse offre son corps pour exprimer les trois essences spiritueuses d’où proviennent toutes les formes contenues dans l’univers, 240, § 136.
Au milieu de la liste, après la mention « L’immensité divine 4 cercles : 1° le dénaire 10 § 160, page 285 », Prunelle de Lière a écrit : « La figure manque. » Il s’agit du schéma du Tableau universel, effectivement absent du volume.
2 – Cinq textes inédits
Cinq textes suivent le Traité et plusieurs d’entre eux, si ce n’est la totalité, semblent être des inédits de Louis-Claude de Saint-Martin. Les trois premiers ont pour titres :
- « 17 avril 1776 – Sur les nombres », (R 8018, p. 388-400) ;
- « 24 avril 1776 – Du nombre 6 considéré de diverses manières », (ibid., p. 400-403) ;
- « 1er mai 1776 », (ibid., p. 404-411).
Ces écrits s’apparentent aux « conférences » ou « leçons » de Lyon. Il s’agit de comptes rendus de séances d’enseignements données aux Élus coëns à Lyon par Saint-Martin, Du Roy d’Hauterive et Jean-Baptiste Willermoz, entre janvier 1774 et octobre 1776. Ces trois textes ne figurent pas dans les autres copies de ces « leçons » [6] Voir Robert Amadou, avec la collaboration de Catherine Amadou, Les Leçons de Lyon aux Élus coëns, Paris, Dervy, 1999, réed. 2012 et « Trois nouvelles leçons de Lyon » mises à jour et éditées par Catherine Amadou, Renaissance Traditionnelle, n° 168, octobre « 2012 » (ce numéro a en fait été publié à la fin du mois de février 2013 !), p. 217-230. . (Rappelons qu’il en existe trois et non pas deux, comme l’affirme Robert Amadou [7. Voir Amadou, Robert, avec la collaboration de Catherine Amadou, Les Leçons de Lyon aux Élus coëns, « Deux témoins », op. cit., p. 89-96, et notre étude « Les manuscrits oubliés du Philosophe inconnu : le fonds Prunelle de Lière à Grenoble ».], oubliant de citer la très belle copie du fonds Prunelle de Lière.) Ces nouvelles leçons s’intègrent parfaitement dans la succession de celles qui ont été données au printemps de l’année 1776. Comme l’observe justement Catherine Amadou dans les remarques qui en accompagnent la publication [7] « Trois nouvelles leçons de Lyon » mises à jour et éditées par Catherine Amadou, Renaissance Traditionnelle, op. cit., p. 217-230. , elles comblent effectivement une lacune.
Suivent deux autres textes :
- « Sur l’âme », (R 8018 p. 412-419) ;
- « Traité sur les communications », (ibid., p. 420-435).
À la manière des « catéchismes » de grades maçonniques, le premier présente sous forme de demandes et réponses les conceptions propres aux Élus coëns sur l’âme, sa nature, son existence avant son incarnation humaine, le moment où elle vient habiter un corps, son activité pendant le sommeil et son devenir après la mort de l’homme.
Qu’est-ce que l’âme ?
C’est une émanation de la substance divine puisqu’elle est créée à son image et ressemblance.
En quoi consiste cette image et cette ressemblance ?
La 1re consiste en ce que l’âme est comme Dieu l’assemblage d’une quatruple puissance et qu’elle porte ainsi que l’être suprême le nombre 4naire. La 2de en ce qu’elle est active et qu’elle pense continuellement.
En quoi consiste leur différence ?
En deux choses : la 1re dans l’étendue de leur puissance, celle de Dieu étant infinie, et celle de l’homme n’ayant nulle autre proportion avec elle que de porter le nombre quaternaire.
2°, la pensée de Dieu ne peut pas être sans action ; tout ce que Dieu pense s’opère sur-le-champ, parce que tous les esprits venant de lui et étant liés à lui, chacune de ses pensées se communique à l’instant aux esprits qui l’approchent et cette communication est un ordre, une loi qui porte avec elle son exécution.
La pensée de l’homme au contraire est trop bornée pour que son action soit aussi prompte. Dans les actions matérielles, il n’a par lui-même qu’un pouvoir proportionné à la faiblesse de son corps ; et dans les actions spirituelles, il n’en a aucun, puisque tout lui vient de ce qui est au-dessus de lui. (R 8018, p. 412.)
Ces éléments de doctrine sont présentés en treize questions/réponses qui occupent huit pages. Ce texte semble être de Saint-Martin. Rappelons qu’il a laissé plusieurs écrits sous la forme de questions/réponses, à commencer par ses « Notes sur les Principes du droit naturel de Burlamaqui », composées alors qu’il n’avait que dix-huit ans, « Du somnambulisme et des crises magnétiques », écrit entre novembre et décembre 1774, « Suite d’instruction sur un autre plan » et « Essai sur la matière » [8] Ces textes ont été publiés pas R. Amadou, les deux premiers dans Trésor martiniste, Paris, Villain et Belhomme – Éd. Traditionnelles, 1969, p. 112-129, et les suivants dans Présence de Louis-Claude de Saint-Martin, textes inédits, Tours, L’autre rive, Société ligérienne de philosophie, 1986. .
3 – Traité sur les communications
Le « Traité sur les communications » semble s’inscrire dans la lignée des traités écrits par Saint-Martin entre 1772 et 1789, c’est-à-dire entre le départ de Martinès de Pasqually et l’installation du Philosophe inconnu à Strasbourg. Il s’agit de textes d’enseignement, vraisemblablement écrits à l’attention des Élus coëns, pendant la période où Saint-Martin jouait le rôle de professeur en martinisme, que ce soit à Lyon ou à Versailles. Parmi ces textes, mentionnons le « Traité des bénédictions », le « Fragment d’un traité sur l’admiration » et le « Traité des formes ». Saint-Martin ne les destinait probablement pas à la publication, ce sont ses héritiers qui éditeront les deux premiers dans les volumes des Œuvres posthumes en 1807.
Si ces écrits ont pour trait commun de présenter d’une manière claire divers aspects de la doctrine coën, il n’en est pas de même pour le « Traité sur les communications ». Ce dernier semble en effet avoir été rédigé pendant la période où Saint-Martin se trouva en porte-à-faux avec la théurgie pratiquée dans l’ordre des Élus coëns. Car, avant de s’éloigner définitivement de l’Ordre, le Philosophe inconnu tenta à plusieurs reprises de convaincre ses frères d’initiation de délaisser ces pratiques magiques. La correspondance entre deux émules de Martinès de Pasqually (mars 1778) montre bien l’embarras que cette prise de position provoqua parmi les Élus coëns. Le « Puissant Maître » Salzac se plaignit à Frédéric Dish, de Metz, des agissements de Saint-Martin qui exhortait les membres des loges à abandonner les opérations théurgiques :
« Il paraît d’après ce T. P. M. [Très Puissant Maître] que nous sommes dans l’erreur et que toutes les sciences que Don Martinès nous a léguées sont pleines d’incertitudes et de dangers, parce qu’elles nous confient à des opérations qui exigent des conditions spirituelles que nous ne remplissons pas toujours. […] M. de Saint-Martin ne donne aucune explication ; il se borne à dire qu’il a de tout ceci des notions spirituelles dont il retire de bons fruits ; que ce que nous avons est trop compliqué et ne peut être qu’inutile et dangereux, puisqu’il n’y a que le simple de sûr et d’indispensable. […] » [10. Le frère Salzac reprend ici une confidence du frère Mallet de Versailles, qui relate une conversation entre Saint-Martin et les membres de la loge coën de Versailles, laquelle ne dura pas moins de quatre heures au bout desquelles Saint-Martin partit fort mécontent de l’attitude de ses frères, qui préféraient s’en tenir aux instructions théurgiques de Martinès de Pasqually. Voir Un chevalier de la Rose-Croissante, [Albéric Thomas], « Nouvelle notice historique sur le martinésisme et le martinisme », p. LXXXIX-XCII, in Franz von Baader, Les Enseignements secrets de Martinès de Pasqually, précédé d’une notice sur le martinezisme et le martinisme, Chacornac, Paris, 1900. Saint-Martin cite lui-même le nom de Mallet dans son journal personnel. « Pendant le peu de séjour que j’ai fait dans cette ville de Versailles, j’y ai connu Messieurs Roger, Bonroger, Mallet, Jance, Mouèt ; mais la plupart de ces hommes avaient été initiés par les formes, aussi mes intelligences étaient-elles un peu loin d’eux. Mouet est un de ceux qui était le plus propre à les saisir. »].
Ce traité est en effet consacré aux « communications », c’est-à-dire aux manifestations de l’invisible, phénomènes qui devaient se produire lors des rituels élus coëns. Il souligne les faiblesses de ces expériences et s’attache à en minimiser l’intérêt. Dès ses premières lignes on peut lire :
« Il n’est pas, pour les gens doués d’une imagination vive, de société plus dangereuse que celle des amis du merveilleux. Un pareil goût est presque toujours inséparable d’un orgueil bien condamnable, puisqu’il ne porte celui qui en est obsédé à rien moins qu’à dominer dans une partie dont il n’est pas même à la porte. » (R 8018, p. 420.)
Pour l’auteur de ce Traité, de telles communications ne sont utiles qu’à « des êtres privilégiés […] ayant l’intelligence spirituelle au souverain degré » (ibid.,p. 420). Seuls des hommes vraiment sages, dominant « les passions du corps, de l’âme et de l’esprit » (ibid., p. 420) peuvent tirer parti de ces apparitions surnaturelles en séparant « ce qui ne participe que de l’âme sensitive d’avec ce qui appartient à l’esprit » (ibid., p. 423). Celui qui n’a pas cette maîtrise peut devenir « le jouet de la plus déplorable folie au moment même où il croit posséder le sceptre de la sagesse » (ibid., p. 423).
Après avoir montré comment ces manifestations parviennent à notre intelligence en passant successivement par le sensible puis l’âme pour toucher notre esprit, Saint-Martin souligne que ces voies ne sont pas les plus sûres pour parvenir aux vérités intellectuelles et de là toucher les vérités divines. Pour démontrer son propos, il utilise l’exemple de la propagation de la lumière dans le monde sensible comme image des gradations que l’esprit de l’homme éprouve dans le cheminement vers sa réhabilitation spirituelle. Évoquant ensuite quelques épisodes de la Bible, il montre que l’Ancien Testament est plein de manifestations alors que le Nouveau « en a fort peu, mais il est, à la place, plein de faits réels, pour faire voir à l’homme que la loi de l’esprit consiste en faits, et non en images […] pour faire voir que l’esprit consiste dans la pratique du bien, et que les communications ne sont qu’un moyen pour l’accomplir » (ibid., p. 431).
Évoquant les diverses étapes de la révélation divine, Saint-Martin montre qu’elles sont marquées par trois époques : celle des patriarches, celle des prophètes et celle du Christ. Le première a manifesté la loi naturelle, la deuxième la loi morale et la troisième la loi spirituelle. Cette dernière est supérieure aux deux autres, et c’est celle que doit suivre l’homme de désir. Depuis sa naissance jusqu’à sa vingt-cinquième année, de là jusqu’à sa cinquantième année, et de cette dernière jusqu’à la mort, l’homme fait l’expérience de ces trois lois. Celles-ci sont en effet intrinsèquement liées à la constitution ternaire qui le caractérise, tout comme elles marquent celle de la matière (mercure, soufre et sel) et des différentes sphères de la création universelle (terrestre, céleste et surcéleste). En définitive, pour l’auteur de ce traité, les hommes arrivés à l’âge de la maturation « marcheront d’un pas plus ferme et assuré vers la source du bonheur et de la vérité » (ibid., p. 435) en suivant la voie toute spirituelle du Christ plutôt que celle des manifestations.
Le Traité sur la réintégration des êtres de Martinès de Pasqually est une œuvre inachevée, et s’il évoque longuement la réception de la loi par les patriarches et les prophètes, il s’achève brutalement sur l’épisode de la Pythonisse. Pourtant, « c’est surtout à la venue du Christ qu’il devait être plus important, selon ce qu’il avait confié à ses amis » [11. C’est Saint-Martin qui a placé cette note à la fin de la copie de son exemplaire personnel du Traité, note que l’on ne retrouve que sur les copies du Trait éayant été faites à partir de la sienne, comme c’est le cas sur celle de Prunelle de Lière (p. 385) et celle de Genève.]. D’ailleurs, lorsque les membres de la loge de Versailles réfutèrent les injonctions de Saint-Martin à abandonner la théurgie, lui montrant des lettres de Martinès de Pasqually qui disaient autrement, le Philosophe inconnu leur répondit que « ce n’était pas là la pensée secrète de D[on] M[artinès] : que la lumière se fera en [eux] sans qu’il soit besoin de tout cela et que [leurs] bonnes intentions sont les plus sûrs garants de sécurité [12. « Nouvelle notice historique sur le martinésisme et le martinisme », op. cit., p. XCII. ] ».
Comme Saint-Martin, Prunelle de Lière s’éloigna des loges pour se livrer à un christianisme tout intérieur. Son cheminement rejoignant les positions exprimées par l’auteur du « Traité sur les communications », il n’est donc pas étonnant qu’il ait jugé utile de placer ce texte à la suite de sa copie du Traité sur la réintégration des êtres, où la théurgie est au contraire présentée comme le culte par lequel l’homme peut reconquérir sa place dans le divin. La formule employée par Pierre Barral pour décrire le parcours de Prunelle de Lière résume parfaitement la démarche qui fut la sienne : « Venu de la franc-maçonnerie spiritualiste, [il] termine sa vie à Paris en méditant la Bible ; mystique indépendant, il possédait une foi sincère dans le Christ mais détachée de l’Église [13. Barral, Pierre, Les Périer dans l’Isère au xixe siècle d’après leur correspondance familiale, Paris, Presses universitaires de France, 1964, p. 51.] »
Dominique Clairembault
Notes
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