Les lettres que nous reproduisons ici sont extraites du livre de Clément Tounier : Le Mesmérisme à Toulouse, suivi de Lettres inédites sur le XVIIIe siècle d’après les Archives de l’Hôtel du Bourg, Toulouse, Imprimerie Saint-Cyprien, 1911. L’ensemble de la correspondance de Saint-Martin avec la famille Du Bourg comprend quarante-cinq lettres. Elles ont été publiées par Robert Amadou sous le titre : Lettres aux Du Bourg (1776-1785), Paris, 1977.
Sommaire
1. Louis-Claude de Saint-Martin à Mathias Du Bourg
« Un grand malheur frappe la famille du Bourg : le Président meurt le 19 juillet 1779, âgé de 59 ans. De toutes les lettres de condoléances, nous ne retenons que celle du chef du Martinisme qui se distingue des autres par son style et ses idées. » (Clément Tournier, Le Mesmérisme à Toulouse). Cette lettre est adressée à Mathias-Marie-Armand-Pierre Du Bourg (1746-1794), dit « le Conseiller ». Il succéda à son père Valentin Du Bourg-Cavaigne (1720-1779) à la présidence au Parlement de Toulouse. Initié dans l’Ordre des Élus coëns en 1777 par Louis-Claude de Saint-Martin, il dirigea le groupe coën de Toulouse à la suite de Bernard Mazade de Percin. Mathias est mort guillotiné le 26 Prairial an II.
De Paris, le 9 août 1778
[…] Je respecte, j’honore, je révère sa cendre. Si mes larmes, si mon sang pouvaient la revivifier, vos pleurs seraient bientôt essuyés.Mais, ce qui met le comble à mon affliction, c’est l’état où doit être sa tendre épouse, vous-même et tout ce qui tenait à lui par les liens du sang et de l’amitié. Fût-il jamais de peine plus légitime et de cœurs mieux disposés à une vertueuse sensibilité ? Pleurez, mes amis pleurez : la nature vous le permet, l’amitié vous le demande, la raison même suspendrait ses reproches, si jamais elle pouvait avoir à vous en faire.
Mais, en payant ce tribut honorable, n’oubliez pas que vous en avez un également indispensable, et sans lequel votre lâche et votre devoir d’homme, de chrétien, de Cohen, ne serait qu’à moitié remplie. L’objet que la volonté suprême vous a ravi était un assemblage éphémère de deux substances, lancé dans le temps comme un éclair, plongé sur cette surface pour en rebondir presque aussitôt qu’il l’aurait frappée.
Dans ce choc terrible et si périlleux, il n’a point laissé altérer son essence ; toujours les yeux élevés vers le principe dont il était descendu, il l’a manifesté dans son amour et sa charité envers tous ceux qui l’ont environné, dans sa justice, dont il a tenu la balance, sans se permettre jamais de la faire pencher contre son propre poids, dans sa fidélité à tous ses devoirs, et principalement dans sa piété constante et pure. Lors donc qu’il vient à déposer sa dépouille terrestre, il ouvre à vos idées, et à vos cœurs, un champ vaste de consolations et d‘hommages à rendre à la main sacrée qui conduit tout, puisque tout vous engage à le regarder comme un heureux voyageur, qui a été préservé des accidents et des dangers de sa route, et que cette main divine a conduit enfin, avec le même bonheur, au port du salut.
J’espère donc, mon cher ami, de votre courage, de votre piété, et surtout de vos connaissances, qu’après avoir fait le sacrifice le plus pénible que la nature ait à faire, vous recevrez, pour récompense, la grâce de vous pénétrer d’amour et d’admiration pour les décrets de la Sagesse suprême qui a permis qu’un homme vertueux après vous avoir servi d’exemple pendant sa vie, soit encore admis, après sa mort, au privilège des justes, qui est de défendre et de secourir, par les mérites de leurs prières, les pauvres errants qui sont encore sur la terre.
Car, il faut vous dire qu’avant que nous soyons tous devenus comme des anges dans le ciel ; c’est-à-dire sans aucune distinction matérielle et sensible, l’âme suit encore pendant un temps après la mort, le cours d’affections que lui avaient donné ses rapports et ses relations corporelles pendant sa vie terrestre.
Ainsi, ayant été tous dans votre famille, les principaux objets de ses sentiments, il ne faut pas douter que vous ne soyez aujourd’hui pour lui les principaux objets de ses affections spirituelles, et que les forces nouvelles qu’il a acquises ne s’unissent secrètement au vôtres pour vous maintenir, de plus en plus, dans les voies qui mènent au sanctuaire, vers lequel il a déjà fait les pas les plus importants.
Puissent, mon très cher ami, ces idées consolantes vous élever un peu au-dessus de la sphère ténébreuse que nous habitons, et où tout est douleur, comme étant le théâtre d’expiation. Puissent-elles vous aider à contempler l’ordre des choses avec l’oeil du sage, après l’avoir contemplé avec l’oeil d’un fils et d’un ami véritable.
Puisez dans vos Écritures les profondes instructions qui y sont contenues sur cet objet, et vous verrez peu à peu vos forces et le calme renaître.
Pénétrez-vous surtout de l’idée nourrissante et vive que nous avons une autre mort à pleurer que celle de nos pères charnels, savoir : celle de notre Divin Régénérateur, dont le sang se répand chaque jour pour nous, et dont l‘holocauste est si précieux que toutes les larmes que nous versons pour d’autres sont autant d’injustices que nous lui faisons, quand nous ne finissons pas par les lui offrir.
Adieu, mon très cher ami, vous lirez à ma tendre mère ce que vous croirez pouvoir lui lire de ma lettre, faites en sorte qu’elle lui soit commune.
Mes hommages et tendres compliments à tous les vôtres.
Louis-Claude de Saint-Martin
2. Louis-Claude de Saint-Martin à Mathias Du Bourg
Paris le 21 avril 1784
Le magnétisme animal, sur lequel vous me questionnez, tient aux lois de la pure physique matérielle : il n’y a rien de plus absolument. Libre à ceux, qui le voudront et qui le pourront d’y ajouter ce qu’ils auront de surplus. Ceux qui n’en sont pas là pourront se trouver quelquefois embarrassés : car, ce magnétisme, tout pur physique qu’il est, agit plus directement sur le principe animal que tous les autres remèdes, et, par conséquent, il peut sans s’en douter ouvrir la porte plus grande.
Or, quand la porte est toute grande ouverte, la canaille peut entrer comme les honnêtes gens, si l’on n’a pas soin de poster des sentinelles fermes et intelligents, qui ne laissent l’accès qu’aux gens de bonne compagnie.
Cet inconvénient est grand, mais il serait inintelligible à toute l’École Mesmérique à commencer par le Maître. Ainsi je garde cette idée pour moi, et pour ceux qui sont capables de l’entendre.
Au demeurant n’y ayant, presque rien, ici-bas, de simple et de parfaitement pur, il faut s’attendre à des mélanges et à des abus, toutes les fois qu’une chose utile et vraie se montre à l’horizon. C’est à ceux qui sont avertis à se tenir en garde. […]
Louis-Claude de Saint-Martin
Illustration : Château de Rochemontès. Le Domaine de Rochemontès est situé à Seilh, à 15 kms du centre de Toulouse. Propriété de la famille Du Bourg au XVIIIe siècle, c’est aujourd’hui un lieu de réceptions.
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