« La raison pour laquelle Dieu a produit des millions d’êtres-esprits, est pour qu’il pût avoir, dans leur existence, une image de sa propre génération ; car sans cela, comme on l’a vu plus haut, il ne se connaîtrait pas lui-même. » (Extrait de Louis-Claude de Saint-Martin, De l’esprit des choses, (1800), tome 1, p. 50-53)
La raison pour laquelle Dieu a produit des millions d’êtres-esprits, est pour qu’il pût avoir, dans leur existence, une image de sa propre génération ; car sans cela, comme on l’a vu plus haut, il ne se connaîtrait pas lui-même, parce qu’il procède toujours devant lui ; encore, malgré ces innombrables miroirs qui rassemblent de tous côtés, autour de lui, ses universels rayons, chacun selon leurs propriétés particulières, il ne se connaît que dans son produit et son résultat et il tient son propre centre éternellement enveloppé dans son ineffable magisme.
Les êtres-esprits suivent la même loi. Nous ne connaissons les droits de notre pensée que par les images qui en naissent en nous, qui jaillissent de notre centre, et qui, dans les limites de leurs puissances, nous deviennent sensibles ou appréhensibles par la réunion fécondante de leurs mutuelles virtualités. Ces images sont les miroirs dans lesquels notre esprit se contemple et acquiert la connaissance de ses propres trésors. Voilà pourquoi plus nous exerçons nos facultés intellectuelles et morales dans leur véritable sens, plus nous acquérons d’estime et d’admiration pour la nature de notre être et, par conséquent, plus nous remplissons le plan suprême qui nous appelle à aider à Dieu à se connaître dans ses produits et dans ses résultats et qui ne le peut qu’en trouvant autour de lui des miroirs purs, sur lesquels Il puisse voir réfléchir ses propres rayons.
Cette loi des miroirs est tellement constitutive, que ce ne sont pas seulement les cadres formés par notre propre esprit qui nous aident à rassembler nos images et à nous les réfléchir ; mais que tout ce qui nous environne peut remplir cette fonction à notre égard ; aussi cherchons-nous perpétuellement des cadres autour de nous : c’est ce qui fait que nous nous livrons avec tant d’ardeur à la culture des arts et des sciences et à l’étude de tous ces objets extérieurs qui frappent nos yeux et qui nous réfléchissent nos propres sagesses, comme nous réfléchissons la sagesse de Dieu. C’est ce qui fait surtout que nous aimons tant à avoir une place dans l’esprit et le cœur de nos semblables, parce que nous devrions trouver là des miroirs qui augmentassent l’intensité des nôtres et nous aidassent d’autant plus à accomplir le principal et souverain objet de notre existence.
Mais s’il se peut former en nous et hors de nous des miroirs fidèles de nos facultés et de nos trésors spirituels et qui réfléchissent, selon leurs diverses mesures, les abondantes richesses de la vérité, il peut y avoir aussi des miroirs faux qui la repoussent, comme il y a une nullité de miroirs qui la fait seulement cesser de paraître ; c’est ce qui constitue les hommes légers, les imbéciles et les impies ; aussi y a-t-il plusieurs espèces d’adversaires de la vérité, parmi les hommes : les unes de ceux qui ne se servent point de leur pensée ; les autres de ceux qui s’en servent à contresens ; et ces diverses classes sont chacune à un des extrêmes opposés de la vérité.
Enfin les êtres naturels ont aussi leurs miroirs pour réfléchir le tableau de leurs facultés. Tel est le but et l’objet final de toutes leurs générations et c’est de cette raison finale que dérive l’extrême amour paternel et maternel qui, sans cela, ne se connaîtrait que d’une manière cachée et ténébreuse et n’aurait pas l’évidence de son virtuel pouvoir ni la démonstration manifeste de son existence ; mais c’est à réfléchir les facultés de génération et de conservation que se bornent les miroirs de la classe animale et matérielle ; cette classe n’a pas de miroirs qui lui réfléchissent les traits de ses sagesses et dans lesquels elle puisse se contempler comme fait l’homme ; et elle n’en a pas besoin parce qu’elle n’a point d’œuvres de sagesse à produire.
La chaîne des miroirs progressifs, dont l’ordre des choses est composé, repose toute entière sur cette hiérarchie d’unités que nous avons établie précédemment ; puisqu’à l’instar de l’unité prédominante, nulle classe d’êtres ne peut exister que dans l’unité partielle de ses propres puissances et ce n’est que par là que chaque classe d’êtres sert de miroir et de lieu de repos à la classe qui est immédiatement au-dessus d’elle ; car toute unité est un miroir.
Voilà pourquoi le poste de l’homme était si important, puisque, s’il est vrai qu’en se maintenant dans l’harmonie de son unité partielle, il devenait le miroir de l’unité suprême et universelle, il ne pouvait manquer, en cessant de se maintenir dans cette harmonie de son unité partielle, de cesser d’être aussi le miroir et le lieu de repos de l’unité prédominante ; et, en même temps, ce miroir de l’homme, en se ternissant, devait rompre la chaîne de tous les miroirs qui se trouvaient après lui et les rendre ternes à leur tour.
C’est ainsi qu’aujourd’hui encore, si l’œil corporel de l’homme s’altère et s’obscurcit, il n’a plus de communication avec tous les objets naturels qui l’entourent, qui sont sous sa dépendance et qui attendent de lui leur entretien, leur culture et leur embellissement.
Louis-Claude de Saint-Martin
De l’esprit des choses, (1800), tome 1, p. 50-53
(De l’esprit des choses, (1800), tome II, 335.)