Le touriste peu averti est fort étonné de trouver, à une centaine de mètres de distance, deux maisons natales de Louis-Claude de Saint-Martin : la première située 16/18, place Richelieu, et la seconde rue Rabelais. Occupons-nous d’abord de cette dernière.
Le 25 août 1946, Les Amis de Saint-Martin [1] Association fondée le 11 septembre 1945, pour étudier la pensée du Philosophe inconnu en dehors de tout cadre initiatique, par Paul Laugénie de Saint-Yves, Edouard Gesta et Robert Amadou, trésorier, et au comité d’honneur, Raymond Bayer, Octave Béliard, André Billy, Mario Meunier, Jean Paulhan et Roland de Renéville. , accompagnés de plus de deux cents personnes, se réunissaient au seuil de la Boulangerie Perchevis, croyant en toute bonne foi, être devant la maison natale du Philosophe inconnu. Au cours de cette cérémonie, une plaque commémorative fut inaugurée laquelle est toujours en place, en dépit d’une remise en cause qui intervint quelques années plus tard.
En octobre 1977 en effet, Bernard-Pierre Girard, un jeune historien d’Amboise, apporta la preuve que la maison inaugurée en 1946 n’était pas la bonne. Consultant l’acte de vente d’une demeure située place Richelieu (appelée place du Grand-Marché au XVIIIe siècle), il eut la surprise de lire que le vendeur ayant cédé cette maison à Nicolas Morès le 10 janvier 1767 [2] Il s’installa rue des Minimes. Pour mémoire, précisons que son fils, Louis-Claude, qui a 25 ans, est depuis deux ans sous-lieutenant de grenadier au régiment de Foix. n’était autre que le père du Philosophe inconnu, Claude-François de Saint-Martin. Comme le jeune historien le constata lui-même, cette information concordait parfaitement avec ce qu’avait dit Saint-Martin lui-même dans Mon Portrait :
Il m’est arrivé de dire quelquefois que je croyais peu à nos pénates. Mais c’était une distraction, ayant écrit sur cela des idées différentes dans mon traité de l’admiration. Mais en outre, j’ai éprouvé le contraire en allant voir Mr et Me Morès, anglais de nation, et qui occupent la maison où je suis né dans le Grand-Marché à Amboise. J’y ai éprouvé une sensation douce et attendrissante en revoyant des lieux où j’ai passé mon enfance , et qui sont marqués par mille circonstances intéressantes de mon bas âge [3] Mon Portrait historique et philosophique, Paris, Julliard, 1961, n° 349 p. 180. .
Un peu plus loin dans le même texte, il précisait :
Au commencement de Prairial l’an II de la République, je suis venu loger dans un petit appartement chez la citoyenne de Marne, place du Grand-Marché à Amboise. Du jardin de cette maison, je voyais tout auprès de moi la maison où j’ai passé mon enfance. J’y voyais la chambre où je suis né, celle que j’y ai habité avec mon frère jusqu’à l’age de huit ans où il a terminé sa carrière, celle où mon grand-père est mort ; au-delà de ce jardin est la colline où reposent les cendres de mon père. [4] Mon Portrait… op. cit. n° 454 p. 232). Son frère François est mort en mai 1750, et son grand-père maternel, François Tournyer, le 23 février 1746.
La maison de la rue Rabelais se trouvait ainsi détrônée ! Aussitôt, Bernard-Pierre Girard écrivit à Robert Amadou pour lui annoncer la nouvelle [5] Bernard-Pierre Girard a rapporté sa découverte dans un article très documenté publié en 1978 dans le Bulletin de la Société archéologique de Touraine (p. 791-802). . L’historien du martinisme, après s’être rendu sur les lieux en janvier 1978, ne put que confirmer la chose.
C’est ainsi que la même année, le 26 novembre 1978, en compagnie de Michel Debré, maire d’Amboise, de Bernard-Pierre Girard, de Robert Amadou, de Roger Lecotté, et d’autres personnalités, on officialisait la découverte en scellant une nouvelle plaque commémorative [6] Robert Amadou a résumé les différents épisodes de cette aventure dans des articles publiés dans les revues : L’Initiation, n° 4, 1978 ; n° 1, 1979 ; L’Esprit des choses, n° 6, 1993, p. 120-139 et Chroniques d’histoire maçonnique (IDERM), n° 46-47, 1993, p. 88-90. .
Malgré cela, la fausse maison natale – aujourd’hui un restaurant à l’enseigne du Saint-Martin –, a conservé la plaque inaugurée en 1946, créant ainsi une confusion dans l’esprit de bien des touristes. Ajoutons que si cette maison n’est pas celle où est né le Philosophe inconnu, elle reste néanmoins l’une des plus belles et des plus anciennes maisons d’Amboise, avec sa structure de bois et de briques.
Xavier Cuvelier-Roy
La maison de Saint-Martin dans Google Maps.
Article publié dans La Nouvelle République de Tours, le 31 mai 1978
Pourquoi la « vraie » maison natale ? Tout simplement parce qu’il existe, rue Rabelais, un logis sur lequel fut apposée, en 1946, une plaque qui indique toujours cet immeuble comme celui où a vu le jour le Philosophe inconnu, le 18 janvier 1743.
L’erreur avait été heureusement corrigée par l’historien Robert Amadou, exégète du théosophe, après ses recherches effectuées dans les archives des notaires.
Bernard-Pierre Girard peut aujourd’hui affirmer que Louis-Claude de Saint-Martin est né dans l’ancienne conciergerie du lycée Charles-Guinot, sise 16, place Richelieu, autrefois place du Grand-Marché.
C’est grâce à ses incursions fréquentes dans les archives communales qu’il a pu découvrir un acte de vente où figure le nom de Claude-François de Saint-Martin, père du philosophe, désigné en qualité de vendeur à un certain M. Nicolas Morès.
Dans son intéressant Portrait historique et philosophique, Louis-Claude de Saint-Martin nous confirme lui-même la thèse de M. Girard :
En allant voir Mr et Mme Morès, Anglais de nation et qui occupent la maison où je suis né dans le grand-marché à Amboise. J’y ai éprouvé une sensation douce et attendrissante en revoyant les lieux où j’ai passé mon enfance.
Le 13 janvier dernier, Bernard-Pierre Girard accueillait Robert Amadou à Amboise. M. Roger Lecotté, président du Cercle Ambacia, conservateur des Musées du Compagnonnage et des Vins de Touraine, ainsi que Catherine Amadou faisaient partie de ce véritable pèlerinage du souvenir. Inutile de dire avec quel intérêt et quelle émotion les visiteurs parcoururent les différentes pièces de la « vraie » maison natale du Philosophe inconnu.
Les travaux du jeune historien ont été « officiellement » connus lors de la dernière séance de la Société archéologique de Touraine, tenue le mercredi 26 avril, à l’Hôtel Gouïn.
Notes :