C’est la société des Solitaires puisque chaque homme a en lui-même cette société qui n’est assujettie à aucun local, à aucune cérémonie, ni limitée à aucune enceinte.
Dans son poème épico-magique, Le Crocodile, ou la guerre du bien et du mal arrivés sous le règne de Louis XV (1799), Saint-Martin dresse le portrait d’une mystérieuse société dirigée par Madame Jof [1] Image ci-dessus, gravure de Jan Luyken, Sophia avec le lys, extrait de la page de titre de De Wortel of Moerder der Philosophia Astrologia en theologia, Jacob Boehme, Amsterdam 1686, version colorisée. . Cette communauté qui « s’étend dans toutes les parties de la terre et porte le nom de Société des indépendants, n’a aucune espèce de ressemblance avec des sociétés connues ». Elle « différait entièrement de toutes les sociétés connues, et même n’était pas une société, il ne faut pas prendre le mot rassembler, dans le sens où on l’entend communément ». L’action du Crocodile, roman où se mêlent le fantastique, l’occulte, la satire, se passe pendant la Révolution. Le texte ci-dessous est extrait des chants 13, 14 et 15 (p 47 à 59). [En savoir plus sur ce roman]
Sommaire
Vigilance du lieutenant de police rencontre d’Ouderck et de Madame Jof (chant 13)
[…] « Vous m’affligez beaucoup, Monsieur, et vous êtes une des causes de mes larmes. — Qui ? moi, Madame : comment cela se pourrait-il ? Je n’ai jamais eu l’honneur de vous voir. — Je sais bien, lui dit-elle, que vous ne me connaissez point ; et c’est là ce qui me cause tant de peine ; je me nomme madame Jof, et je suis l’épouse d’un joaillier des plus habiles. Je m’intéresse vivement à vous ; car je vous connais depuis que vous êtes au monde, et je viens vous donner quelques avis, en témoignage de l’attachement que je vous porte. Vous avez parcouru beaucoup de pays, vous avez beaucoup de connaissances ; vous savez beaucoup de langues ; vous avez des vertus, et vous aimez la justice ; mais vous vous reposez trop sur la force de votre bras, et sur la bonté de votre cœur : telle est la cause du peu de succès que vous venez d’avoir. Pourquoi auriez-vous besoin de diriger vos armes guerrières avec intelligence et sagesse, si vos ennemis n’avaient aussi une sagesse à eux pour se diriger contre vous ? Mais si vous ne centralisez vos vertus humaines, comment pouvez-vous obtenir l’avantage sur les factieux qui ont peut-être centralisé les leurs dans le sens opposé à la vérité ? Élevez-vous donc jusqu’au principe de toutes les vertus, puisque vous avez à combattre le principe de tous les vices. Plus vous connaîtrez les puissants secours de ce principe de toutes les sagesses, plus vous verrez qu’il ne serait pas aussi prompt à développer son activité vive, s’il n’avait à réduire le principe de toutes les activités mortes. Les bras de chair ne connaissent ni ce qui est bien, ni ce qui est mal ; ils ne se remueraient pas eux-mêmes, ni pour la bonne cause ni pour la mauvaise, s’il n’y avait pas des puissances cachées, mais contraires, qui alternativement les fissent mouvoir. Oui, dans ce qui se passe sous vos yeux à Paris, en ce moment, tout vous prouve qu’il y a des ressorts particuliers qui vous sont encore inconnus. Vous ne pouvez peut-être pas comprendre à présent le sens de mes paroles ; vous les comprendrez un jour ; mais, quoique vous ayez beaucoup voyagé, vous ne les comprendrez cependant qu’après avoir fait un nouveau voyage, auquel vous ne vous attendez pas. »Histoire de Madame Jof
En disant ces derniers mots, cette soi-disant femme, qui s’était nommée Madame Jof, se dissipa dans l’air comme une vapeur ; et disparaissant d’une manière si subite et si extraordinaire de devant les yeux du volontaire Ourdeck, elle le laissa dans un étonnement dont le lecteur se fera aisément l’idée. Mais comme il ne se ferait pas aussi aisément celle de ce que c’était que cette Madame Jof, il est nécessaire que ma plume lui transmettre ce qu’une tradition peu répandue en a conservé.
Cette femme naquit en l’année 1743, au fort de l’hiver, dans la capitale de la Norvège, au 60° degré de latitude. Elle fut le fruit d’un enfantement extrêmement douloureux, et sa naissance fut signalée par des événements extraordinaires. Car pendant huit jours, à compter de celui où elle était venue au monde, le soleil resta aussi longtemps chaque jour sur l’horizon qu’il y reste au temps du solstice d’été. Toutes les glaces se fondirent ; les fleuves devinrent fluides ; les prairies se couvrirent de verdure, les jardins de fleurs, les arbres, de fruits. Mais ce qu’il y eut de remarquable, c’est que les chardons, les ronces et les plantes venimeuses ou malsaines ne poussèrent pas.
On dit même que le fameux gouffre du Malstrom fut fermé, et que les vaisseaux purent s’en approcher et y naviguer en sûreté. On ajoute que les mauvais magiciens, dont le Nord fourmille, furent troublés dans leurs opérations au point qu’ils furent obligés de les abandonner ; et que les simples malfaiteurs ordinaires furent tourmentés dans leur conscience, au point qu’à vingt lieues à la ronde on n’entendit plus parler d’aucun crime.
Un historien profond dans toutes sortes de connaissances, membre de l’académie de Pétersbourg, et ami du père de l’enfant chez qui il était venu faire un petit séjour, se trouva saisi subitement comme d’un esprit prophétique. Il s’approcha du berceau de cet enfant, et après avoir regardé attentivement cette petite fille, il annonça qu’elle serait grande en lumières et en vertus, mais que le monde ne la connaîtrait point ; que cependant elle serait à la tête d’une société qui s’étendrait dans toutes les parties de la terre, et qui porterait le nom de Société des indépendants, sans avoir nulle espèce de ressemblance avec aucune des sociétés connues.
Il fixa de nouveau cette petite fille, et fit avec attendrissement, à son sujet, un second pronostic, qui ne fut connu de personne alors, et qui ne le sera sans doute aujourd’hui que d’un très petit nombre : c’est qu’elle apprendrait aux hommes à ne mourir qu’à 1473 ans. Peu de temps après, il prit congé de son ami, et s’en retourna dans sa patrie, où on ne fut pas peu surpris, en lui entendant raconter les merveilles dont il venait d’être le témoin.
La jeune norvégienne annonça dès son plus bas âge la destinée singulière qui lui avait été prédite. Elle marcha seule et sans lisières, longtemps avant le temps où les enfants ordinaires peuvent se tenir debout sur leurs pieds ; on la voyait aussi se retirer souvent à l’écart, comme si la frivolité du monde lui eût déjà été à charge. Dès les premiers rayons de réflexion qui se manifestèrent dans sa pensée, elle disait des choses tellement au-dessus de son âge, que tous ceux qui l’entendaient parler en étaient de la dernière surprise.
Si, devant elle, il se présentait quelques gens instruits, et qu’ils traitassent de quelques objets relatifs aux sciences et aux plus profondes connaissances, elle montrait non seulement qu’elle comprenait tout ce qu’ils avaient dit mais même elle leur faisait entendre que, s’ils voulaient, ils pourraient en savoir et en dire beaucoup davantage. « Car, leur observait-elle quelquefois, c’est dans l’ordre des sciences où doit régner spécialement le pouvoir rétroactif ; et si vous rétrogradiez sur vous-mêmes, vous verriez quelles merveilles vous découvririez, et quelles lumières vous pourriez procurer à vos auditeurs. Un flûteur pourrait-il charmer nos oreilles par les sons de son instrument, s’il ne prenait pas auparavant, et sans cesse, la précaution d’aspirer l’air ? »
Parvenue à l’âge de sept ans, elle disparut de la maison paternelle vers le moment où le soleil se lève, et depuis lors, on n’a jamais su positivement ni la route qu’elle avait prise, ni les lieux qu’elle avait habités. On a appris seulement par des traditions, qu’elle avait pris souvent différents noms et différentes qualités ; qu’elle avait la faculté très extraordinaire de ses faire connaître à la fois dans des pays très différents, ainsi qu’à des personnes fort éloignées les unes des autres, n’ayant entre elles aucune relation ; enfin que c’est à cause de ce pouvoir qu’elle avait d’habiter partout, qu’il était impossible de savoir où elle habitait, et qu’elle était regardée comme une véritable cosmopolite, dans le sens rigoureux de ce nom qu’on a bien mal entendu, quand on l’a présenté de manière à n’offrir que l’idée d’un être errant.
Comme elle habitait partout, elle avait aussi partout sa Société des indépendants, qui, dans le vrai, aurait dû plutôt s’appeler la société des Solitaires, puisque chaque homme a en lui-même cette société. Madame Jof, vu les circonstances malheureuses qui menaçaient Paris, y rassemblait de temps en temps sa société, pour l’instruire des véritables causes des grands événements qui se préparaient, et pour l’engager à mettre à profit tous les utiles moyens dont les membres de cette société étaient dépositaires.
Comme cette société différait entièrement de toutes les sociétés connues, et même n’était pas une société, il ne faut pas prendre le mot rassembler, dans le sens où on l’entend communément. Ainsi, quoique je présente ici Madame Jof comme rassemblant les différents membres de la Société des indépendants, il n’est pas moins vrai qu’ils ne se rassemblaient point ; que cette prétendue assemblée se tenait par chacun des membres isolément, quelque part où il se trouvât, et sans être assujetti à aucun local, à aucune cérémonie, ni limité à aucune enceinte ; que chacun de ces mêmes membres avait le privilège de voir à la fois tous les autres membres, en quelque lieu qu’ils fussent, et d’être également aperçu par chacun d’eux ; qu’enfin ils avaient, à plus forte raison, le privilège de se trouver tous en présence de Madame Jof, comme Madame Jof avait le privilège d’être présente pour eux tous à la fois, quand elle le voulait quelles que fussent les distances et la variété des lieux qu’ils habitaient.
C’est par une suite de ces privilèges que les différents membres de cette Société des indépendants, communiquant les uns avec les autres dans cet état de trouble où la capitale était plongée, Madame Jof se trouvait souvent avec eux ; et voici le précis de ce qu’elle leur dit, dans ces diverses assemblées, qui, comme nous l’avons annoncé, n’étaient pas des assemblées.
Discours de Madame Jof a la Société des indépendants (chant 15)
« Je ne doute point, mes chers confrères, que vous ne soyez bien loin des opinions vulgaires, dont les unes ne donnent aux bruits extraordinaires qui se répandent, qu’une cause factice, et ne les regardent que comme le fruit du mensonge, et dont les autres inspirent une frayeur universelle. Vous avez adopté et acquiescé librement aux impressions saines et instructives par lesquelles la vérité ne cesse de réactionner tous les hommes. C’est ainsi que vous êtes devenus ses amis ; et comme tels, vous ne pouvez plus tomber dans des erreurs aussi grossières. Vous n’ignorez donc pas que ces bruits ont une cause qui n’est que trop réelle, et que je ne m’arrêterai point à vous exposer, parce qu’elle vous est trop bien connue ; mais je veux fixer vos regards sur les véritables raisons qui ont fait que cette cause même a le droit aujourd’hui de ses mettre en mouvement.
Paris n’est privé des subsistances que l’on appelle de première nécessité, et n’est puni par la disette et la faim, que parce qu’il n’a pas assez écouté la faim de subsistances d’un autre ordre, et qui sont encore bien plus nécessaires d’un autre ordre, et qui sont encore bien plus nécessaires. Je n’ai cessé de le vouloir nourrir du pain de ma doctrine, qui est aussi indispensable à l’homme pour la santé de son esprit, que les fruits de la terre le sont pour la santé de son corps.
Mais un torrent de prodiges a inondé l’intelligence humaine en général, et celle des parisiens en particulier ; parce que leur ville, qui renferme des savants et des docteurs de tout genre, en possède bien peu qui tournent leurs pensées vers la recherche des véritables connaissances, et encore moins qui marchent vers ces véritables connaissances avec un véritable esprit.
La plupart d’entre eux ne s’attachent qu’à disséquer l’écorce de la nature, à en mesurer, peser et nombrer toutes les molécules, et tentent, en insensés, la conquête fixe et complète de tout ce qui entre dans la composition de l’univers ; comme si cela leur était possible, à la manière dont ils s’y prennent !
Ces savants, si célèbres et si bruyants, ne savent seulement pas que l’univers, ou le temps, est l’image réduite de l’indivisible et universelle éternité ; qu’ils peuvent bien la contempler et l’admirer par le spectacle de ses propriétés et de ses merveilles, qui doivent journellement se succéder, pour que ce monde soit une représentation de son principe ; mais qu’ils ne s’empareront jamais du secret de son existence, puisque le secret, ou la clef de l’existence d’un être, ne peut se montrer qu’à la cessation de l’existence de ce même être ; qu’ainsi ce ne serait que la mort de l’univers, qui pourrait leur offrir, par un grand acte, le développement de sa base, et le lien qui suspend le monde partiel à l’universelle éternité ; que par conséquent ils ne pourraient le connaître que quand il ne serait plus.
Ils ne savent pas que la raison pour laquelle ils croient que l’univers ne passera point, c’est peut-être parce qu’ils se tiennent à un degré où il est toujours passé, ou comme dans un continuel dépérissement, par l’isolement et la désunion des qualités qui le composent. C’est ainsi qu’en effet les cadavres d’un cimetière n’ont point l’idée de leur mort, et qu’ils seraient fondés à dire qu’ils ne passeront point, puisqu’ils sont passés, et sous la loi de la destruction, par la dissolution de leurs éléments. Ce n’est point en se tenant au-dessous d’une région, qu’on peut juger des lois qui la dirigent, et du sort qui l’attend ; c’est en se plaçant au-dessus d’elle. Ce ne sont que les corps vivants qui peuvent juger les corps morts ; et sûrement les jugements seront différents, en se plaçant dans ces deux classes.
D’après cela, ils ne savent pas combien sont plus insensés encore ceux qui veulent s’emparer du secret de l’existence du principe universel lui-même, puisque le secret d’un être ne pouvant se dévoiler qu’à la cessation de l’existence de ce même être, le secret du principe suprême ne pourrait être connu qu’au moment où ce principe finirait ; et que si ce principe pouvait finir, il ne serait plus le principe suprême : ce qu’on doit dire de tout principe qu’on voudrait lui substituer.
Car les athées eux-mêmes, qui soutiennent la non-existence de ce principe suprême, abusent du nom d’athée dont ils osent se vanter. Un athée est, à la vérité, un être pour lequel il n’y a point de Dieu, ou, si l’on veut, qui est sans Dieu. On ne leur conteste pas qu’ils ne se soient assez séparés de lui, pour qu’en effet ils soient sans lui, et que Dieu soit comme nul et comme n’existant point pour eux. Mais de ce qu’ils sont sans Dieu, cela ne prouve nullement qu’il n’y en ait point ; comme un aveugle, qui est sans le soleil, ne prouve point du tout qu’il n’y a pas de soleil pour les autres hommes.
Il en est d’autres qui, amenés à des connaissances profondes par des voies indirectes, ne savent ni où ces connaissances doivent les conduire, ni à quel prix elles doivent être achetées ; et après y être entrés imprudemment, ils y alimentent leur orgueil, ou des cupidités plus criminelles encore, et qui ne peuvent manquer de leur devenir infiniment funestes.
La principale de ces cupidités est celle qui les porte à vouloir percer dans l’avenir, par d’autres voies que celles que la vérité elle-même ouvre à l’homme, quand il a soin de ne pas lui opposer de barrière, par ses volontés déréglées. Entraînés par cette curiosité coupable, ils veulent anticiper sur l’acte divin, qu’ils devraient attendre, et qui se plaît à se créer lui-même.
Ils ignorent que si, à la vérité, il n’y a que les plus vastes lumières qui puissent balancer pour l’homme le poids des ténèbres incalculables dont il est habituellement environné, ces mêmes lumières ne peuvent jamais frapper ses yeux, qu’autant qu’il a recouvré une sorte d’homogénéité naturelle avec elles ; et que, comme toute son atmosphère est infestée de l’insalubrité de l’air même qu’il respire pendant toute la durée de sa vie, il ne peut remonter à ce sublime degré, qu’autant qu’il se préserve de son mieux des approches de toutes ces substances vénéneuses et corrosives qui empoisonnent ses propres essences et obstruent toutes ses facultés.
Vous le savez, mes chers frères, c’est le défaut de ces salutaires précautions, qui a introduit dans l’univers mille erreurs pour une vérité, des déluges de crimes pour quelques actes de vertu, et des torrents de superstitions pour quelques étincelles véritablement lumineuses. Car la sagesse avait dit depuis longtemps à ces imprudents qu’elle mettrait en élection leurs illusions, pour apprendre aux hommes que la plus grande punition qu’ils puissent éprouver, est que leurs faux desseins soient amenés à leur accomplissement.
C’est aussi pour cela que tant d’écrivains, amis de la vérité, ne l’ont présentée qu’en tremblant, et en la cachant sous des emblèmes et des allégories ; tant ils craignaient de la profaner et de l’exposer à la prostitution des méchants. C’est pourquoi enfin, si l’on s’arrête aux cadres quelquefois singuliers de leurs écrits, et si l’on ne scrute pas jusqu’à la racine même de tout ce qu’ils exposent, et qui n’est autre chose que le malheureux état de l’homme dégradé, on ne peut pas les juger avec justesse ; car ils gémissent grandement d’être ainsi obligés de ses contraindre et de se taire.
Une troisième classe, peut-être plus à plaindre que les deux précédentes, est celle des hommes préposés au maintien et à la conservation de ces mêmes étincelles lumineuses et pures, et chargés par état d’en favoriser le développement, qui, au lieu de remplir fructueusement leur emploi, les ont laissé s’éteindre, et ont fait que les nations n’aperçoivent plus les moindres vestiges de ces clartés qui doivent leur servir de fanal.
Je ne puis que penser à cette classe d’hommes, sans que mes entrailles ne soient percées de douleur, tant les suites de leur négligence me paraissent effrayantes, soit pour eux, soit pour les peuples qui attendaient d’eux leur soutien et la guérison de leurs maux.
Vous n’ignorez pas que les temps sont venus où la vérité veut reprendre ses droits sur la terre. Oui, elle va bientôt démasquer cette philosophie mensongère avec laquelle les faux sages et les faux savants ont depuis si longtemps abusé les hommes ; elle va bientôt renverser tous ces autels d’iniquité où l’homme est conduit par la vaine curiosité de vouloir percer dans l’avenir, sans avoir la seule clef qui peut lui en ouvrir l’entrée ; enfin, il va bientôt s’élever des tempêtes dans les véritables domaines de l’homme, qui sont sa pensée et son entendement, tempêtes dont les désordres et les privations qu’il éprouve aujourd’hui dans ses subsistances matérielles, ne sont que des images indicatives, et des signes donnés à son intelligence et à sa réflexion, afin qu’après avoir purgé l’atmosphère des vapeurs épaisses et malfaisantes qui l’obscurcissent, la vérité puisse s’y montrer dans sa splendeur.
Voilà les raisons pour lesquelles elle a permis qu’une cause cachée reçut le pouvoir d’agir dans ces grands événements ; voilà pourquoi cette cause cachée a déjà commencé à prendre dans le peuple tant de rumeurs et d’alarmes ; car la vérité ne manque jamais d’annoncer aux nations les catastrophes importantes qui les regardent, afin qu’elles aient le temps d’en arrêter l’effet, par leur prudence, et leur retour dans des voies régulières ; voilà pourquoi aussi cette cause cachée que la vérité emploie, a préparé son œuvre depuis longtemps, ainsi que la relation du cap Horn nous le confirme aujourd’hui ; et je dois convenir que depuis que j’ai quitté ma mission paternelle pour accomplir l’œuvre qui m’a appelée sur la terre, je n’ai point connu d’époque qui fût plus importante que celle-ci.
Aussi vous tous, mes frères, qui êtes instruits de ces profonds secrets, vous n’avez plus qu’à redoubler de zèle et d’efforts pour venir au secours des hommes de bien, qui auront des emplois visibles à remplir dans ces grands événements dont Paris doit être le théâtre. Car vous savez que d’autres hommes sont chargés de l’œuvre ostensible, afin que les plans de la sagesse ne soient pas perdus pour le vulgaire, et pour ceux qui ont besoin d’être frappés par les sens.
Vous savez même d’avance quelles seront les suites de tout ce qui se prépare, puisque, par le secours de la vraie lumière qui est en vous, vous connaissez tout ce qui doit arriver depuis 1743 jusqu’en 1473, qui est l’époque de la réhabilitation de l’homme dans ses privilèges, comme c’est celle de sa naissance. Vous voyez, dis-je, les ressorts bons ou mauvais qui se meuvent déjà, et se mouvront encore plus dans le temps nécessaire. Vous les voyez à découvert, parce que ce sont là les privilèges des êtres de votre classe. Ceux qui sont d’une classe inférieure ne voient ces mêmes choses qu’en images ; mais c’est toujours votre propre coup d’œil qui est le mobile de ce qu’ils perçoivent en images, soit éveillés soit dans leur sommeil ; car c’est l’œil des fidèles amis de la vérité qui forme et engendre les songes réguliers des autres hommes ».
Tel est le précis de l’histoire de Madame Jof, de ce qui se passait dans la Société des indépendants, et de la doctrine profonde à laquelle s’appliquaient ses différents membres.
Extrait de : Le Crocodile ou la Guerre du bien et du mal, arrivée sous le règne de Louis XV, poème épico-magique en 102 chants, dans lequel il y a de longs voyages, sans accidents qui soient mortels ; un peu d’amour sans aucune de ses fureurs ; de grandes batailles, sans une goutte de sang répandue ; quelques instructions sans le bonnet de docteur ; et qui, parce qu’il renferme de la prose et des vers, pourrait bien en effet, n’être ni en vers, ni en prose, Œuvre posthume d’un Amateur de choses cachées, An VII de la République Française [1799]
Entrevue d’Eléazar et de Sédir, doctrine d’Eléazar
Notes :