C’est à Pontlevoy, haut lieu de la culture tourangelle, que le Philosophe inconnu fit une partie de ses études. Découvrons ce lieu plein de charme, situé au carrefour de la Touraine, du Blésois et de la Sologne.
Fondée en 1034, l’abbaye de Pontlevoy doit son origine au vœu que fit Gueldouin de Chaumont, vassal du comte de Blois, en rentrant de croisade. Voici ce qu’écrit à ce propos l’abbé Pascal en 1836, dans une notice historique consacrée à Pontlevoy :
Une tradition respectable nous apprend que dans le sein d’une paix forcée, Gueldouin repassa dans sa mémoire les hasards qu’il avait courus pendant sa vie si tumultueuse. Il se ressouvint que, se trouvant en mer au milieu d’une furieuse tempête, et dans un péril imminent, il avait invoqué la bienveillante protection de Marie, et que la mère du Dieu de miséricorde lui était apparue et l’avait arraché à une mort certaine. La reconnaissance était donc un devoir pour Gueldouin qu’il s’occupa de remplir. Sa terre de Pontlevoy lui parut propre à l’accomplissement de ses pieux desseins. » (Livre d’honneur de l’Académie de Pontlevoy, 1834-1835, Blois, Dézairs-Blanchet, 1836, « Notice historique et descriptive sur Pontlevoy ».)
De cette promesse est née la chapelle qui allait donner naissance à l’abbaye Notre-Dame-des-Blanches de Pontlevoy. Dédiée à Marie, elle sera dotée plus tard d’un retable majestueux dominé par une Vierge déhanchée.
Avec son hôtel-Dieu, elle se consacre au soin des malades, à l’enseignement, et possède un scriptorium. Avant les guerres de Religion, elle devient un haut lieu de culture, et sa bibliothèque passe pour l’une des plus riches de France. Elle ne compte pas moins de soixante-quatre églises sous sa dépendance.
Vers 1260, un violent incendie détruit sa chapelle abbatiale. Reconstruite au XVe siècle, elle subit l’invasion anglaise. Brûlée et pillée pendant les guerres de Religion (1563-1566), l’abbaye est ruinée, et ses moines sont contraints à quitter la vie communautaire pour survivre.
La nomination du cardinal de Richelieu à la tête de l’institution en 1625 lui redonne vie. Sous l’égide de la congrégation de Saint-Maur, l’abbaye se consacre désormais à l’enseignement. En 1720, elle ne compte pas moins de 177 pensionnaires. C’est pendant cette période glorieuse que Saint-Martin vient à Pontlevoy. Dans son Portrait, il précise :
Au collège de Pontlevoy où j’ai étudié, on donnait en propre à la fin de la seconde les deux croix qui avaient servi de récompense momentanée pendant les classes précédentes. Les deux écoliers qui les remportèrent alors dans ma classe, furent un nommé Gautier de Tours, et un nommé Douat de St-Jean-de-Luz. Je me trouvai monter à la rhétorique, immédiatement après eux deux ; et c’est ce poste d’approximation qui a semblé être le mien dans toutes les autres occasions de ma vie. » (Mon Portrait, n° 157 p. 104.)
Sous le règne de Louis XVI, l’abbaye devient l’une des douze écoles royales militaires de France. Ces établissements avaient été créés pour accueillir les enfants de familles de la petite noblesse. Les frais de leur scolarité étaient pris en charge par le royaume, à condition qu’ils se destinent à la carrière militaire. La Révolution ferme ces établissements en 1793. Cependant, sous la direction de François Chappotin, le collège subsiste tant bien que mal.
Balzac évoque Pontlevoy dans l’un de ses romans, Le Lys dans la vallée, pour en faire le collège où l’un ses personnages, Félix de Vandenesse, passa sa jeunesse :
Dès que je sus écrire et lire, ma mère me fit exporter à Pont-le-Voy, collège dirigé par des Oratoriens qui recevaient les enfants de mon âge dans une classe nommée la classe des Pas latins, où restaient aussi les écoliers de qui l’intelligence tardive se refusait au rudiment. Je demeurai là huit ans, sans voir personne, et menant une vie de paria. […]. Mon père conçut quelques doutes sur la portée de l’enseignement oratorien, et vint m’enlever de Pont-le-Voy pour me mettre à Paris dans une Institution située au Marais. J’avais quinze ans. Examen fait de ma capacité, le rhétoricien de Pont-le-Voy fut jugé digne d’être en troisième. »
Rappelons au passage que Balzac goûtait beaucoup les œuvres de Saint-Martin, qu’il cite dans plusieurs de ses ouvrages comme Le Lys de la vallée ou Séraphita, roman dans lequel il va jusqu’à reprendre des passages de L’Homme de désir.
Le collège de Pontlevoy ferme après la Deuxième Guerre mondiale. L’abbaye devient pendant quelques années un parking pour camions. Remise en état, elle sert de cadre à l’enseignement technique de 1970 à 1990.
À partir de l’an 2000, l’abbaye s’ouvre à une nouvelle vie en devenant la propriété d’une université américaine du Sud-Mississipi. Aidée du Conseil général, elle entreprend des travaux de restauration qui prennent fin avec l’arrivé des nouveaux élèves en septembre 2002. L’université du Mississipi instaure ainsi « The Abbey Program », qui accueille deux fois par an des étudiants américains désireux d’enrichir leur culture par un séjour en France. Sous la direction de Douglas MacKaman et Amy Cameron, l’abbaye de Pontlevoy était devenue un lieu de culture et d’échange international. Hélas, la fréquentation n’ayant cessé de baisser, ce centre a rapidement périclité et a fermé ses portes en juillet 2016. L’immense bâtisse de 8.900 mètres carrés a été mise en vente en décembre 2016.
En septembre 2005, d’anciens élèves de l’abbaye forment l’association Notre-Dame-des-Blanches dans le but de faire revivre le pensionnat. C’est ainsi que vingt-cinq garçons scolarisés au collège voisin du Prieuré y sont accueillis. Ils sont encadrés par des prêtres de la communauté de… Saint-Martin ! Cette communauté, qui n’a rien à voir avec le Philosophe inconnu, a son siège à Candé-sur-Beuvron.
Dominique Clairembault
Notice sur le monument historique
La construction de l’abbaye s’est étalée sur plusieurs siècles. Fondée au XIe siècle, elle fut reconstruite au XVe, pour s’étendre plus largement au XVIIIe et s’achever véritablement dans la première moitié du XIXe siècle. La chapelle abbatiale date du XVe tandis que les bâtiments abbatiaux, l’ancien manège, la fontaine des Joncs, les tours Saint-Fiacre et Charles VII sont du XVIIIe siècle et de la première moitié du XIXe siècle. L’ensemble a été classé par les Monuments Historiques en plusieurs étapes : 1934 pour la chapelle de l’abbaye, puis successivement en 1988 et 1991 pour l’ensemble du site.