Papus, de son nom magique, Gérard Encausse (1865-1916), fut le plus ardent représentant de l’occultisme à Paris.
À l’occasion de l’anniversaire de la disparition de Papus, mort le 25 octobre 1916, nous reproduisons l’article que lui a consacré Marc Haven (Emmanuel Lalande) en 1890. Ce texte a été publié dans Les Hommes d’aujourd’hui, revue littéraire et satirique fondée en 1878 par l’écrivain-journaliste Félicien Champsaur et le dessinateur André Gill [1] Depuis 1885, elle était sous la direction de Léon Vanier. Elle disparut en 1899. . Chaque numéro était consacré à une personnalité contemporaine des arts, des lettres, du monde scientifique et technique, de la religion ou du monde politique. Le numéro 410 de l’année 1892 (8e volume), proposait aux lecteurs de faire connaissance avec Papus.
Les Hommes d’aujourd’hui, 8e volume, n° 410 (1892)
Papus, de son nom magique, Gérard Encausse, né le 13 juillet 1865, à la Corogne, est le plus ardent et le plus érudit représentant de l’occultisme à Paris ; d’autres plus aptes que nous à le faire ont pu en des pages magistrales [2] Barlet, Initiation juin 1891. juger son œuvre scientifique, mais à côté du savant est l’homme de combat dont l’active vulgarisation a si vivement remué les jeunes imaginations et les modernes apathies.
Formé aux luttes dès son enfance qui s’épanouit sur la Butte encore livrée aux bohèmes survivants d’un quartier latin disparu, il fonde dès le collège Rollin sa première Société et son premier journal avec Xanrof, inconnu encore, et Gary de Lacroze, l’initié futur, comme seconds et depuis cette époque il éprouve ce besoin caractéristique chez lui d’une exubérante activité d’entreprendre et de conduire trois batailles à la fois.
Brillant élève, mais indiscipliné, il quitte le collège en rhétorique, termine seul ses études et, libre de toute contrainte, cherche sa route dans la vie. On le voit en même temps dans les hôpitaux où ses maitres Martineau et Mesnet l’apprécient de bonne heure, à la Faculté de médecine et à Montmartre, tant au Chat Noir, dont il fut un des fidèles de la première heure, que membre — avec Vivien, Goudeau, J. Jouy — des sociétés les plus variées et les plus gaies le plus souvent, comme cette fameuse « Société d’expériences aérostatiques » du capitaine Jovis dont le souvenir est resté joyeusement célèbre parmi ses adeptes d’un jour.
Mais bientôt un troisième côté de son caractère apparaît : vulgarisateur dans l’âme et désireux de se former au difficile art de la parole, il triomphe de sa timidité, de ses hésitations et passe ses soirées à faire pour l’Union française de la jeunesse une série de conférences scientifiques. C’est là sa grande crise de positivisme scientifique et de matérialisme intransigeant. — Les « Hypothèses » de G. Encausse sont le premier ouvrage et le seul qui se ressente de cette phase critique et peut-être encore sa brochure sur les « Principales découvertes anatomiques ».
Pendant deux ans sa vie s’écoule triple toujours : externe des hôpitaux chez Mesnet, chez Labbé, chez Gougenheim, enfin chez Luys [3] Jules Bernard Luys (1828-1897) neurologue, neuroanatomiste et aliéniste français. dont il est chef de laboratoire depuis 1890, carrière hospitalière que vient récompenser la médaille de bronze de l’Assistance publique en 1889 ; conférencier le soir et si apprécié dans son enseignement que l’Union française lui décerne successivement la médaille de bronze, celle d’argent, obtient enfin pour lui en 1890 les palmes académiques ; — enfin naissant à l’Occultisme qui lui montre sa véritable voie, initié au Martinisme, amené à l’étude de l’Hermétisme par la Médecine nouvelle de Louis Lucas il est bientôt en rapport avec Barlet et Gaboriau, rédacteur au Lotus dont les premiers numéros furent grâce à eux si remarquables, enfin allié à la Société Théosophique comme à un pis-aller. C’est alors que commencent ses productions occultes. Traité élémentaire de Science occulte (1886) la Traduction du Sepher Jezirah — la Notice sur Fabre d’Olivet et Saint-Yves d’Alveydre (1887).
Ayant derrière lui l’appui moral de son œuvre, la force que lui donnait ses longues heures d’étude dans les bibliothèques parmi les maîtres anciens, Papus commence au nom des traditions occidentales, sa lutte contre l’Occultisme purement oriental des Théosophes. À combattre contre lui meurent successivement l’Isis, l’Hermès, le Sphinx tandis que la revue L’Initiation dégagée de toute alliance théosophique devient peu à peu le seul organe de l’Occultisme et du groupe d’études ésotériques.
Quant aux luttes accessoires, aux mille et un détail de cette campagne où la volonté tenace et l’infatigable travail de Papus ont triomphé, nous sommes forcés de les passer sous silence : un seul point parce qu’il est encore palpitant ne peut être négligé ; vainqueur de la Société Théosophique qui lançait l’Occultisme sur un terrain faux et dans une voie où sa féconde activité se serait bientôt changée en une stérile obéissance de secte, Papus fit vers les groupes isolés du spiritisme une tentative de conciliation leur proposant en même temps que l’union pour l’étude, les lumières et les méthodes qui leur manquaient au plus haut point. Cette offre blessa des susceptibilités peu dangereuses à vrai dire et, dès ce jour, Papus devint pour les bons spirites un adversaire d’autant plus terrible que chaque jour rapproche la science analytique de la synthèse occulte tandis que le vide se fait dans les trop enfantines réunions spirites.
Depuis, Papus a publié la série des volumes occultes que l’on connaît — en 1889 le Traité méthodique de science occulte — (1. 200 pages in-8°) le plus complet et le plus utile de tous les livres d’occultisme à conseiller au débutant comme à l’initié, en 1890 — la Physiologie synthétique — œuvre d’application de la méthode aux sciences modernes, qui a eu le don de faire bondir la Faculté de médecine, mais l’insigne honneur d’être appréciée par un seul de ses membres, le plus ouvert à toute belle idée comme le plus universellement apprécié, M. le Professeur Mathias Duval.
En décembre 1891 — La Kabbale — où la portion scientifique et métaphysique de la doctrine est doctement exposée. Mais l’œuvre qui le sacre à jamais maître en occultisme et lui donne droit à la première place parmi ceux qui furent ses collaborateurs, ses élèves, ou ses maîtres, c’est son ouvrage sur le « Tarot » synthèse absolue de la science, dont les seuls initiés sans doute auront toute l’intelligence, mais qui aura pour chacun quelque chose d’instructif, archétype, macrocosme, microcosme, tout s’y meut selon la loi génératrice et les guerres de Iohah s’y déroulent dans toute leur rythmique majesté.
De celui qui a écrit le Tarot nous avons le droit d’attendre beaucoup encore : réalisation sur le plan scientifique comme sur le plan hyperphysique, tel est le schéma de ses productions futures. Voilà la féconde existence de celui que l’on se plaît à représenter comme une dilettante de l’occultisme, telle est la méthode ésotérique au dernier chef de celui à qui Péladan reproche la vulgarisation de la haute science ; ces deux critiques tombent également devant l’appréciation de qui sait lire et comprendre. L’occulte compte en lui un pionnier des plus ardents, un semeur pour la moisson future et à tous les titres Encausse mérite le nom que sa haute intuition a si bien su choisir. « Papus, médecin, daimon de la première heure. »
M. Haven (Emmanuel Lalande)
Notes :