« … C’est un bréviaire un livre de chevet qui répond, à quelque page qu’on l’interroge, par une lumière et une consolation. Les mystères des nombres, ceux de la parole matérielle, les puissances de la prière, […] en un mot, tout ce que le mysticisme ou l’illuminisme offre à l’homme de notions intellectuelles, de touches intérieures, de révélations vives, se trouve réuni dans ce volume… »
L’homme de désir, présenté par Sédir dans la revue L’Initiation en juillet 1902, n° 10 (p. 15 à 19.)
Le nombre des écrivains critiques qui se sont occupés du Philosophe inconnu, de ses œuvres écrites et de l’influence de sa parole sur ses contemporains, augmente de jour en jour. Tout récemment, le vulgarisateur anglais de l’occultisme le traducteur d’Éliphas Lévi, M. Arthur-Edward Waite, vient de publier un volume de grande valeur [1]Arthur Edward Waite, The life of Louis-Claude de Saint-Martin The Unknown Philosopher and the substance of his transcendental doctrine, Londres, Ph. Wellby, 1901. Papus avait publié une recension quelque peu ironique de ce livre dans le numéro précédent de la revue l’Initiation, (juin p. 282-283). L’ouvrage de Waite est pourtant nettement supérieur à celui que Papus lui-même a consacré au théosophe d’Amboise, ouvrage qui paraitra l’année suivante sous le titre, Louis-Claude de Saint-Martin, sa vie – sa voie théurgique – ses ouvrages – son œuvre – ses disciples, suivi de la publication de cinquante lettres inédites, Paris, Librairie générale des sciences occultes, Bibliothèque Chacornac, 1902. , où il a résumé avec impartialité les événements de la vie de Louis-Claude de Saint-Martin et où il a su condenser avec une grande fidélité interprétation la doctrine de notre vénérable maître. Les œuvres de Saint-Martin devaient former une partie importante de la série de rééditions que Chamuel avait entreprise, sous le titre des Classiques de l’Occulte. Malgré les circonstances adverses qui l’ont empêché de réaliser son projet, le dévouement de l’un de nos frères a permis aux Martinistes de pouvoir étudier le Tableau Naturel [2] Publié d’abord par les « Édition de l’Ordre Martiniste, Chamuel éditeur, 5 rue de Savoie Paris 1901 » une étiquette viendra bientôt masquer ces références pour les remplacer par « Édition de l’Initiation, Société d’Édition littéraires et artistiques, Librairie Paul Ollendorff, 50 rue Chaussé d’Antin, 1901. et l’Homme de Désir à des conditions d’économie remarquables. Déjà presque tous —on peut dire tous — nos frères ont entre les mains le Tableau Naturel, demain c’est l’Homme de Désir [3] La publication en est annoncée dans le numéro de juin 1902 de la revue l’Initiation. « Le volume va paraitre dans quelques jours. Il a été tiré à très petit nombre » (p. 189). Cette édition très rare fut publiée avec la mention « Milan, Imprimerie Martinistique (sic) – Paris Ollendorff, 50 Chaussée d’Antin. L’annonce de cette publication figure également dans la revue La Paix universelle, n° 274, avril 1902, p. 254. qui va être répandu parmi la foule des étudiants de bonne volonté. Le lyrisme inspiré soutenu depuis le commencement jusqu’à la fin de l’œuvre, est fait pour dérouter un peu beaucoup d’entre nous trop habitués aux raisonnements d’une logique à la fois rigoureuse et simple dans ses termes et volontairement prosaïque. La tâche que je voudrais assumer aujourd’hui c’est d’essayer de guider cet étudiant de bonne volonté, en lui démontrant que si cette parole éloquente paraît parfois dépasser l’intelligence du fait, elle en contient pourtant toute l’explication, et qu’il n’est question que de donner autant de cœur que de cerveau à la lecture pour comprendre.
Le but que l’on découvre en méditant l’Homme de Désir a été, de la part de son auteur, d’établir par une multitude d’exemples, de comparaisons et d’enseignements que les conceptions de la science ne sont et ne peuvent jamais être autre chose que de refléter les notions de la vie. La science, en effet, n’est pas autre chose que l’image, présentée logiquement, d’une sphère vitale et des êtres qui la peuplent ; cette image reçoit fatalement des déformations plus ou moins grandes de la réalité qu’elle représente ; et ce que les philosophes appellent la connaissance n’est autre chose que le symbole de la réalité intérieure. Seules, parmi les monuments de la pensée humaine, les religions présentent la connaissance sous ce point de vue vif, grâce auquel les esprits qui passent à travers la lettrée peuvent arriver à la perception du Réel. Assentir aux vérités fondamentales communes à toutes les religions est par conséquent le seul chemin qui s’offre à la majorité des hommes pour deviner l’énigme de la vie et utiliser les moyens que la Nature nous offre en abondance pour réaliser ici-bas notre mission. Saint-Martin s’adressait à vous ; il ne s’occupe pas des êtres d’exception ; à ceux-là la Providence ouvre des voies spéciales, tandis que tous nous nous servons alternativement de notre sensibilité et de notre raison, qui s’éclairent et se rectifient l’une l’autre.
Le symbolisme qu’il s’attache à expliquer est celui du Christianisme c’est-à-dire celui de l’Ancien et du Nouveau Testament ; les occasions où il emploie la terminologie de l’occultisme ou de l’hermétisme sont rares, en somme ; il n’emprunte des lumières à la Tradition orale que pour éclairer les profondeurs de la Tradition écrite et nous les rendre compréhensibles.
Analyser la doctrine de ce livre serait un travail énorme et qui pécherait toujours par quelque endroit car, comme tous les vrais maîtres, le philosophe inconnu se tient dans un plan d’harmonie synthétique qui résonne pour ainsi dire sympathiquement avec toutes les catégories mentales et avec toutes les qualités d’âme. Conçu sans plan visible, écrit dans un style enthousiasme et inspiré, l’Homme de Désir n’est pas un traité didactique ; c’est un bréviaire un livre de chevet qui répond, à quelque page qu’on l’interroge, par une lumière et une consolation. Les mystères des nombres, ceux de la parole matérielle, les puissances de la prière, la constitution physique de notre globe, le sens occulte des règles de la morale les mystères des génies, de nos parentés spirituelles et de nos descendances, les élans de la charité contemplative et de la charité agissante, en un mot, tout ce que le mysticisme ou l’illuminisme offre à l’homme de notions intellectuelles, de touches intérieures, de révélations vives, se trouve réuni dans ce volume, fleur magnifique des premiers développements de l’âme de Saint-Martin, de son premier épanouissement aux rayons solaires du Réparateur.
N’importe qui peut le consulter avec fruit. Ceux qui ont déjà pris contact avec les enseignements de l’occultisme y trouveront des preuves, des vues. des procédés vrais d’investigation, des conseils pour la vie quotidienne Ceux qui viennent à le lire en sortant de l’École ou du Monde y trouveront l’essence de l’illuminisme occidental, à condition qu’ils veuillent bien, en le méditant, faire table rase de leurs connaissances acquises et de leurs opinions ; les cerveaux qui n’ont point reçu de culture y trouveront l’une des plus exquises méthodes que l’on connaisse pour développer à la fois leur intelligence et leur cœur, pour découvrir les sommets les plus élevés .de la pensée et les abîmes les plus profonds du sentiment; mais toutefois, des conditions sont requises pour tirer de cette fleur spirituelle tout son suc.
Il ne faut jamais être impatient ; tout ce qui est créé, tout ce qui appartient à la nature, tout ce qui est soumis à l’espace et au temps, a besoin de l’un et de l’autre pour se développer. Aucun germe, matériel, astral, magique, psychique ou spirituels ne devient d’un coup une plante ; notre cerveau, quand il a. reçu un aliment, est obligé de le digérer ; notre cœur, quand il a été fécondé, évertue lentement la graine providentielle qui lui a été confiée. Chaque mouvement d’impatience crée une barrière ; chaque enthousiasme appelle un découragement ; l’exaltation de toute extase est fondée sur les affres de la tentation. On ferait donc preuve d’une légèreté blâmable en rejetant un livre quand la première lecture ne nous a pas appris beaucoup de choses ; il vaut mieux se cultiver en profondeur sur un point qu’en surface sur une grande étendue. Il faut aussi appuyer toute conquête intellectuelle par un avancement moral ; la science ne deviendra vivante en nous que lorsque nous-mêmes vivrons d’après les lois supérieures qu’il nous aura été donné, de comprendre ; le cœur et le cerveau doivent se perfectionner de concert, la sainteté procure la science, et la science doit affermir la sainteté. Quand, chez un être, un organe est développé aux dépens des autres, cela s’appelle une monstruosité ; il faut une croissance harmonique, une ascèse totale. Tel est le résumé de la doctrine de Saint-Martin, tel est l’idéal auquel le présent livre tend à nous faire parvenir ; et cette modération dans l’enthousiasme, cet équilibre dans les spéculations les plus vertigineuses, cette mesure enfin dans les élans du cœur sont comme la signature et le sceau de l’initiation orthodoxe parmi les monuments de laquelle il doit être rangé.
Sédir
(Extrait de L’Initiation, juillet 1902)
Notes :