Les deux études proposées dans ce volume mettent en évidence des points fondamentaux de la pensée saint-martinienne : la prière et la Sophia. ♦
Présentation de l’éditeur
« Les études présentées et réunies ici en un seul volume sous le titre Écrits Saint-Martinistes, depuis longtemps devenues inaccessibles et quasi introuvables, occupent une place importante dans l’entreprise de remise en lumière et la redécouverte des thèses « théosophiques » et positions « illuministes » spécifiques du Philosophe Inconnu, thèses et positions entourées, hélas depuis de nombreuses décennies, d’un voile opaque dans la plupart des courants se réclamant, bien à tort le plus souvent, du « martinisme », voile constitué d’un hétéroclite mélange fait d’occultisme, d’art divinatoire, d’hermétisme, d’astrologie, de kabbale, voire de « théurgie » – ce qui évidemment ne manque pas d’être pour le moins paradoxal lorsqu’on connaît les positions critiques et la vive hostilité de Louis-Claude de Saint-Martin vis-à-vis des procédés utilisés lors des « opérations » enseignées et proposées à ses émules par Martinès de Pasqually pour obtenir la « réconciliation » des âmes -, voile empêchant par ailleurs un accès direct à la pensée authentique de l’auteur du Ministère de l’homme-esprit.
Ainsi, dans les « écrits saint-martinistes » figurant dans ce livre, sont exposés les éléments précis portant sur la nature de la « Sophia », de même que ceux touchant à la « vie intérieure » de prière et d’oraison, selon ce que Saint-Martin préconisa comme seule et unique méthode véritable pour atteindre les régions célestes et entrer en communion avec la « Cause active et intelligente », en s’éloignant, et se détournant des procédés qu’il qualifia, à juste raison, « d’externes », incapables par leur industrie pesante et leur dépendance à l’égard de la matière et de ses manifestations illusoires, de réaliser la « grande affaire » selon l’expression qu’il employa à de nombreuses occasions pour signifier ce dont il est question de façon ultime pour l’âme de désir en quête de sa rencontre intime et secrète avec l’essentiel transcendant. »
Titre : Écrits Saint-Martinistes
Auteur : Jean-Marc Vivenza
Éditeur : La Pierre Philosophale
Parution : 2021 – Tirage limité
Nb. pages : 405
N° ISBN : 978-2-36353-128-5
N°ISBN/ePub : N.A
Note de lecture
Les deux études proposées dans ce volume mettent en évidence deux points fondamentaux de la pensée saint-martinienne : la prière et la Sophia.
La première étude souligne un aspect important de la « grande affaire » de Saint-Martin : « conduire l’esprit de l’homme par une voie naturelle aux choses surnaturelles qui lui appartiennent de droit, mais dont il a perdu totalement l’idée […]. » Cette voie est celle de l’intériorité et de la prière. Jean-Marc Vivenza expose ici la spécificité et l’originalité des conceptions de Saint-Martin, qui voulait faire de l’homme une « machine priante ».
La seconde étude aborde la question de la Sophia, thème qui apparaît dans le dernier ouvrage publié par Saint-Martin, le Ministère de l’homme-esprit. Elle arrive sous sa plume après sa lecture des œuvres de Jacob Boehme et ses échanges avec Nicolas Kirchberger, qui le conduisent à approfondir la question de la Sagesse déjà esquissée dans ses ouvrages précédents. Après avoir rappelé l’importance de la notion de Sophia — l’Âme du monde personnifiée — dans la Bible, chez les kabbalistes chrétiens et dans les écrits de Jacob Boehme, Jean-Marc Vivenza montre comment cette notion s’inscrit dans l’œuvre du Philosophe inconnu. Pour ce faire, il utilise quelques extraits de la correspondance de ce dernier avec Nicolas Kirchberger (cf. p. 34 et p. 213).
Cette analyse nous conduit à proposer une interprétation plus nuancée que celle de Jean-Marc Vivenza à propos de l’expérience sophianique du Philosophe inconnu. Dans les lettres qu’il écrit à Saint-Martin à la fin de l’année 1794, Kirchberger rapporte quelques épisodes marquants de la vie de Johann Georg Gichtel, disciple et éditeur de Jacob Boehme. Si Kirchberger s’intéresse à Gichtel, c’est parce que la quête de ce dernier aurait connu une expérience spirituelle marquante avec la Sophia. Kirchberger évoque ainsi son séjour à Amsterdam, où une riche veuve tenta de devenir son épouse. Avant de s’engager dans cette union, Gichtel se serait retiré pour demander conseil à Dieu. La réponse lui vint sous la forme d’une vision dans laquelle il aperçut une main descendant du ciel pour unir ses mains à celles de la veuve. Il entendit au même moment une voix forte lui disant : « Il faut que tu l’aies. » Comme le souligne Kirchberger, un autre que lui aurait pris cette manifestation pour un présage favorable. Mais Gichtel considéra « que ce n’était que l’esprit de la veuve qui, dans la ferveur de ses prières, avait percé jusqu’au ciel extérieur et pénétré l’esprit astral ». Il refusa donc ce mariage et dès lors se donna entièrement à la Sophia céleste, qui ne voulait pas d’un cœur partagé et s’offrit à lui en des noces spirituelles.
La biographie de Gichtel comporte plusieurs épisodes de ce type, où il renonce à prendre une épouse. Dans ses livres, il présente d’ailleurs le mariage comme étant un obstacle à la vie spirituelle. « Il faut se défier des fréquentations féminines : cela écarte Sophia », écrit-il dans Theosophia practica.
Après avoir pris connaissance des épisodes concernant la vie amoureuse de Gichtel, Saint-Martin répond le 19 octobre 1794 à son ami suisse : « J’aurais aussi une histoire de mariage à vous conter, où la même marche a été suivie pour moi, quoique sous d’autres formes, et qui a fini par avoir le même résultat. » Jean-Marc Vivenza voit dans cette réponse un élément qui atteste de l’expérience sophianique du Philosophe inconnu. La confidence du théosophe pourrait cependant avoir une autre signification. En effet, quelques semaines plus tard, le 4 janvier 1795, il précise : « Je crois bien, en effet, avoir connu l’épouse du général Gichtel […] mais non pas aussi particulièrement que lui. Voici ce qui m’arriva, lors du mariage dont je vous ai dit un mot dans ma dernière. Je priai un peu de suite pour cet objet, et il me fut dit intellectuellement, mais très clairement : ‘’Depuis que le Verbe s’est fait chair, nulle chair ne doit disposer d’elle-même sans qu’il en donne la permission.’’ Ces paroles me pénétrèrent profondément, et quoiqu’elles ne fussent pas une défense formelle, je me refusai à toute négociation ultérieure. »
Qu’en est-il de cette négociation ? Bien que Saint-Martin ne le précise pas, il s’agit vraisemblablement de son projet de mariage avec Charlotte de Boecklin, qui avait tourné court quelques années plus tôt. Dans son Portrait, le Philosophe inconnu évoque en effet les « […] tableaux matrimoniaux qui [le] travaillaient à Strasbourg ». Sentant ses réticences, madame de Boecklin lui proposa de consulter Dorothea Westermann, célèbre mystique strasbourgeoise, douée de visions et de rêves prophétiques. La sentence de la voyante fut énigmatique, elle « répondit assez juste par mes buis […] », écrit Saint-Martin (Mon portrait n° 272). Cet avertissement mystérieux de l’invisible suffira à lui faire renoncer à épouser sa « chérissime B. ».
Comme Gichtel, le Philosophe inconnu considère le mariage comme étant incompatible avec la vie spirituelle. Il exprime souvent cette position dans les divers recueils de ses pensées. Ainsi, dans sa réponse à Kirchberger, il précise simplement qu’il a refusé l’union matérielle à la suite de circonstances similaires, un avertissement venant de l’invisible. Mais il n’ajoute pas que cette aventure fut suivie d’une quelconque expérience sophianique.
L’interprétation que nous présentons ici n’enlève rien toutefois à l’intérêt du sujet présenté par Jean-Marc Vivenza, qui propose ici une analyse intéressante de la sophiologie, un thème intimement lié avec celui de la nouvelle naissance de l’âme. [1] Rappellons que dans le volume des « Cahiers de l’Hermétisme » intitulé Sophia et l’âme du monde (Albin Michel, 1983, puis Dervy 2003, sous la direction d’Antoine Faivre et Frédérick Tristan), Nicole Jacques-Lefèvre présente en quelques pages la sophiologie chez Saint-Martin dans un article d’une grande clarté : « Sophia, miroir des formes et terre des générations spirituelles, introduction à quelques textes de Louis-Claude de Saint-Martin sur la Sagesse divine », p. 225-230. Cette étude est suivie d’une sélection de vingt textes de Saint-Martin sur la Sagesse divine (p. 231-241).
Après avoir développé ces deux thèmes, Jean-Marc Vivenza présente en appendice une étude sur la relation du Philosophe inconnu avec l’œuvre de deux figures singulières de la mystique féminine du XVIIe siècle : Madame Guyon (1648-1717) et Antoinette Bourignon (1616-1680). Si Saint-Martin manifestait une certaine réserve pour les écrits de la première, il se sentait davantage porté vers l’œuvre de la seconde. Il goûtait particulièrement son livre intitulé Lumière née en ténèbres, qui renferme, disait-il, des choses infiniment précieuses.
Jean-Marc Vivenza termine ce volume des Écrits Saint-Martinistes en proposant des extraits de textes de Saint-Martin tirés de sa Correspondance avec Kirchberger, du Tableau naturel et du Ministère de l’homme-esprit. Il ajoute également quelques textes de Madame Guyon concernant la vie intérieure.
En publiant ces deux études et les textes qui les complètent, Jean-Marc Vivenza souhaite remettre en lumière la doctrine théosophique spécifique du Philosophe inconnu. Comme il l’écrit avec raison, les thèses et positions de Saint-Martin « sont entourées hélas depuis de nombreuses décennies, d’un voile opaque dans la plupart des courants se réclamant, bien à tort le plus souvent, du martinisme ».
Les lecteurs de Saint-Martin peuvent profiter de cette réédition en tirage limité, soit dans sa version reliée (405 pages), soit au format ePub, directement chez l’éditeur, La Pierre Philosophale, ou sur Amazon.
TABLE DES MATIÈRES
- Avant-propos
- Avertissement
I – La Prière du cœur selon Louis-Claude de Saint-Martin (Version originale inédite)
- Introduction
- La nécessité de la prière selon la tradition
- La prière en tant que révélatrice de l’Alliance
- Purification sacrificielle préalable
- Le véritable « rien »
- Le « sublime abandon »
- Originalité de l’oraison intérieure saint-martiniste
II – La « Sophia » et ses divins mystères
- Introduction
- La Sagesse dans l’intimité originelle de Dieu.
- La Sagesse et le Verbe de Dieu.
- La présence de la Sophia chez les kabbalistes chrétiens de la Renaissance
- La Sophia chez Jacob Boehme
- La place de la Sophia au sein de la Sainte Trinité
- Le Philosophe Inconnu et la Sophia.
- La prière du Nouvel homme.
- Les mystères de l’éternelle Sophia.
Appendice
« Saint-Martin et sa relation avec le mysticisme ; le Philosophe Inconnu et deux figures singulières du XVIIe siècle : Madame Guyon et Antoinette Bourignon »
- Saint-Martin dut considérer que ses écrits n’avaient nullement besoin des œuvres de Madame Guyon pour être compris
- Raisons du jugement extrêmement négatif de Saint-Martin vis-à-vis de « l’essence féminine »
- Kirchberger ne chercha pas à forcer les résistances de Saint-Martin au sujet de Madame Guyon
- Kirchberger parle d’Antoinette Bourignon à Saint-Martin après sa lecture de la vie de la prophétesse
- Kirchberger, se penchant sur les écrits d’Antoinette Bourignon, est frappé par la complémentarité de sa doctrine avec celle de Jacob Boehme
- Remarques de Saint-Martin sur quelques inexactitudes d’expression d’Antoinette Bourignon qui semble confondre « nature » et « matière »
- Saint-Martin informe Kirchberger, en juin 1796, qu’il ne parvient toujours pas à se procurer les ouvrages d’Antoinette Bourignon
- Saint-Martin qui se rend désormais chaque jour à la Bibliothèque Nationale pour lire les textes de la prophétesse déclare : si Boehme est « utile aux lumières » de la connaissance, Antoinette Bourignon est-elle « utile pour notre salut »
- Saint-Martin exprime son intérêt pour Antoinette Bourignon, possédant à ses yeux une « souche » plus prononcée que celle de Madame Guyon
- Envoi par Kirchberger, avant sa naissance au ciel, d’ouvrages d’Antoinette Bourignon à Saint-Martin
- Pour Kirchberger, répondant à une mise en garde de Saint-Martin sur l’usage excessif dans les écrits doctrinaux d’un ton pieux et croyant, « il faut que la présence de Jésus-Christ en nous soit substantielle »
- Si Dieu est esprit et que l’âme est d’essence spirituelle, la communication entre eux se fait « en esprit »
- Madame Guyon et Antoinette Bourignon, deux expressions très différentes de la « voie mystique » d’union à Dieu
- Pour Antoinette Bourignon, c’est « l’adoration intérieure qui compose la vraie Église »
- « Notre œuvre est que Dieu dans nous soit tout, et nous rien »
Annexes
- « Correspondance inédite de L.-C. de Saint-Martin dit le Philosophe Inconnu, et Kirchberger baron de Liebisdorf », extraits des lettres IV, V, VIII, IX, LXIX, LXXX, LXXXV, LXXXVI, LXXXVII, C, CI, CII portant sur Madame Guyon et Antoinette Bourignon).
- Louis-Claude de Saint-Martin : « Le juste Elie, dont le nom embrasse toutes les classes d’Êtres supérieurs à la matière » (L.-C. de Saint-Martin, Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l’Homme et L’Univers, seconde partie, à Edimbourg, ch. XVI, 1782, pp. 77-80).
- Madame Guyon : « IIIe Livre des Rois, ch. XIX, versets 8 à 14 Avec les Explications & Réflexions qui regardent la vie intérieure » (J. Guyon, Les II, III IVe Livres des Rois, Avec les Explications & Réflexions qui regardent la vie intérieure, Tome V du Vieux Test., Cologne, chez Jean de La Pierre, 1714, pp. 611-619).
- Louis-Claude de Saint-Martin : « Le véritable christianisme » (Le Ministère de l’homme-esprit par le Philosophe Inconnu, Paris, Imprimerie de Migneret, An XI, 1802, pp. 369-374).
Bibliographie
Notes :