« L’étude sans la prière, a dit autrefois un sage, est un véritable athéisme et la prière sans l’étude, une vaine présomption. » Jean-Baptiste Willermoz.
Sommaire
Origine du texte
Jean-Baptiste Willermoz a composé ce recueil de quarante-six pensées à partir de 1788, c’est du moins ce que semblent indiquer les dates qui figurent à la fin de plusieurs textes de ce document. Cette période est celle où Willermoz, après avoir posé les bases du Régime Écossais Rectifié, s’était engagé à suivre l’Agent Inconnu en fondant en avril 1785 la Société des initiés. Plusieurs passages du texte (par exemple le numéro neuf) font directement référence à « l’Agent ». Cette époque marque cependant la fin de cette influence, car Willermoz s’écarte de la Société des initiés en octobre 1788. (Illustration ci-dessus [1] Jan Vermeer, L’Astronome, dit aussi L’Astrologue, 1668, musée du Louvre, Paris. )
Willermoz a probablement terminé ce recueil quelques années plus tard, en effet les pensées 37 et 38 paraphrasent un texte de Sir James Mackintosh (1765-1832) publié en 1792, Vindiciae Galliae : Defence of the French Revolution and its English admirers, against the accusations of the Rt. Hon. Edmund Burke ; including some strictures of the late production of Mons de Calonne. Ce pamphlet a été traduit en français en 1792 sous le titre Apologie de la Révolution Française et de ses admirateurs Anglais, en réponse aux attaques d’Edmond Burke (Paris, 1792, chez F. Buisson, voir p. 191-192 le texte repris par Willermoz).
Le titre Mes pensées et celles des autres, signale que son auteur, Willermoz à joint à ses propres pensées celles d’autres auteurs dont les noms sont précisés dans les textes qui leurs sont liés : saint Augustin, Clément d’Alexandrie, James Mackintosh, auxquels il a joint des textes de la Bible (Job, Psaumes, Livre des Hébreux).
Le manuscrit autographe de Willermoz n’existe plus et nous le connaissons grâce à une copie, probablement contemporaine de l’original. Ce document appartenait à Papus et figurait probablement dans le lot de documents qu’il avait acheté à Gervais Bouchet en 1894. Il est aujourd’hui conservé à la Bibliothèque municipale de Lyon (Ms 5476). Nous le connaissons aussi par la copie levée par Édouard Blitz sur l’exemplaire de Papus.
Édouard Blitz (1860-1915), né en Belgique à Gand, avait émigré aux États-Unis, où il fut initié dans la franc-maçonnerie en 1883. Lors d’un voyage en Europe en juin 1894, il fut initié dans l’Ordre Martiniste à Paris. Papus lui confia une charte de Souverain Délégué National du Suprême Conseil le chargeant d’organiser le Martinisme aux États-Unis d’Amérique.
Depuis le début de l’année 1897, Édouard Blitz entra en relation avec des membres du Régime Ecossais Rectifié, notamment, avec Joseph Leclerc (Eques a Labore), conseiller d’État et membre de la loge L’Union des cœurs de Genève. Édouard Blitz reçut le grade de Chevalier Bienfaisant de la Cité Sainte à Genève le 15 mai 1901 (Eques a Fulgure). C’est probablement à cette occasion qu’il confia à ses amis de Genève une copie des Pensées de Willermoz obtenue auprès de Papus. Sur ce document on peut en effet lire :
Extrait des Archives du Collège Métropolitain de la II° Province, dite d’Auvergne (Cabinet du Docteur Gérard Encausse, Paris), copie par Eq :: a Fulgure [E. Blitz] pour les Archives de la Préfecture (ces 3 mots corrigés en « du Coll. Métrop. ») de Genève, 1901 »
La mention « Certifié conforme à la copie déposée aux Archives du Grand Conseil de l’Ordre Martiniste aux États-Unis d’Amérique. E. Blitz. » figure à la fin du document.
Cette époque, 1901, est celle où Blitz s’écarte de l’Ordre Martiniste qu’il dirigeait pourtant avec beaucoup de zèle depuis sept ans. Ayant remarqué les confusions de Papus à propos des fondements du Martinisme tout comme son incapacité à se justifier sur la légitimité de l’Ordre, il envoya le 27 août 1901 un Mémoire confidentiel, à Papus. Dans ce texte il exprimait ses critiques en concluant sur la nécessité de réformer totalement l’Ordre Martiniste pour l’établir sur des bases plus solides. Papus fera la sourde oreille avant de nommer un autre membre pour remplacer Blitz à la direction de l’Ordre pour les États Unis.
La version des Pensées de Willermoz que nous proposons ici se base sur deux versions : le manuscrit de la Bibliothèque municipale de Lyon (Ms 5476) dont Robert Amadou a publié dans la revue Renaissance Traditionnelle une transcription en 1977 [2] Voir Robert Amadou « Jean-Baptiste Willermoz, Eques ad Eremo, Mes Pensées et celles des autres (1788), Renaissance Traditionnelle, n° 29, janvier 1977, p. 35-40 et n° 30, avril 1977, p. 100-109) et sur une copie ronéotypée de 9 pages du texte copié par Blitz. Cette dernière, datée du 17 juin 1939, a été dactylographié à Paris par Eques a Volontaten. Elle ne comporte que 40 pensées numérotées de 1 à 39 (l’une est notée 31 bis). Le manuscrit de la BML comportant également des erreurs de numérotations nous avons corrigé cet ordre d’une manière logique.
Dominique Clairembault (mai 2019)
Mes pensées et celles des autres
1er cahier
1. L’homme ne fait pas l’impossible, mais il peut réaliser les possibles ; et sous ce point de vue, qui pourrait fixer des bornes à sa puissance, sans connaître auparavant les possibilités et toutes celles qu’il peut réaliser ?
2. Après le pouvoir de créer, qui appartient exclusivement à l’Être suprême, le pouvoir de réaliser les possibles est la plus sublime des prérogatives.
3. C’est par le Créateur que les êtres ont l’existence ; c’est aussi en lui et par lui que la possibilité d’être existe. Ainsi, l’homme qui réalise les possibles concourt en quelque sorte à la création.
4. Le télescope d’Herschell, qui grossit 8 mille fois à ses yeux l’image de l’astre qu’il observe, n’existait point avant lui dans la nature, il n’était que possible. Herschel, guidé par la force de son génie, a donc réalisé ce qui n’existait point. (20 mars 1788.)
5. Initié, prends sur la terre une similitude utile : Tu es le roi des animaux, puisque tu peux les soumettre à ton empire ; mais, vois les uns livrés à leur instinct, errant dans les champs et les forêts pour y chercher leur pâture. Sauvages et fuyant ta présence, ils vivent misérables et n’attendent rien de toi. Vois les autres, rapprochés de ton séjour, et soumis à tes ordres par le sentiment qu’ils éprouvent, non seulement de ta puissance et de ta supériorité, mais encore du bien que tu leur fais. C’est à toi qu’ils ont recours s’ils ont faim ; c’est de ta main qu’ils reçoivent leur subsistance ; ils te chérissent et caressent tes pieds ; ils élèvent leurs yeux jusqu’à toi ; tu es leur unique Dieu.
Les premiers sont indépendants, mais qui les défendra, qui les garantira des chaînes du Roi de la terre et de sa colère ? Les autres lui sont soumis, mais ils demandent et obtiennent. Obéissants et dociles, ils sont soulagés dans leurs besoins et garantis dans les dangers contre les tigres et les loups dévorants. Ils se soumettent à la main qui les frappe, mais, tous les jours, ils reçoivent d’elle les secours qui leur conservent l’existence et la vie.
Image vraie de l’état malheureux des hommes qui méconnaissent la providence divine, et du bonheur que peuvent obtenir ceux qui mettent leur confiance en elle et se soumettent sans réserve à ses lois. (12 avril 1788.)
6. Initié, pour adresser ta prière au Souverain Maître de l’Univers, pour implorer sa miséricorde, tu élèves naturellement tes yeux et tes mains vers le ciel. Tu es le seul des êtres terrestres qui diriges ainsi tes regards et ton cœur vers la région supérieure, parce que l’homme est le seul qui y conçoive une puissance infinie, un Créateur, un Père. Et lors même qu’il se prosterne la face contre terre en sa présence, adresse-t-il sa prière à la région inférieure, y place-t-il le Dieu de l’Univers ? Non, sa pensée, sa volonté, son intention et ses désirs se dirigent en haut, quoique son corps soit courbé vers la terre. Il sent comme élevé au- dessus de lui, comme placé dans la région supérieure, l’Être divin en présence duquel il s’abaisse. Aucun peuple, aucun individu n’a eu besoin d’être enseigné pour en agir ainsi. Eh ! si l’homme n’était pas fait pour agir avec Dieu, pourquoi ce sentiment serait-il donc universel chez tous les peuples ? Pourquoi tous ceux qui prient, sans exception, sont-ils portés comme par une sorte d’instinct, à placer l’objet de leur culte dans les cieux ? Pourquoi élèvent-ils même leurs idoles sur un autel, et sur un trône leurs souverains et leurs chefs ?
Principe Suprême de tout ce qui existe, ton saint temple n’est point dans cette région inférieure, matérielle et souillée ; ton trône est supérieur même aux régions célestes, et tu en as imprimé le sentiment intime dans le cœur de l’homme. (15 avril 1788.)
7. Homme initié, tu es un être agent par essence ; c’est par ton action de vie que tu parviendras à développer le degré de puissance qui est en toi. C’est par ton courage et la constance de tes efforts et de ta volonté que tu recouvreras les facultés sublimes de ton être. Garde-toi de te rebuter par les tentatives inutiles. N’est-ce pas par les travaux et l’exercice de ton corps que, dirigé par des maîtres habiles, tu développes toute la force dont il est susceptible ? N’est-ce pas en essayant ton adresse que tu donnes à tes membres la souplesse et l’agilité ? N’est-ce pas par des tentatives réitérées que ton industrie parvient à opérer les choses les plus étonnantes ? De même, ce ne sera que par des actes constants et énergiques de ta volonté et de ton intelligence, et en suivant les guides les plus sûrs, que tu pourras acquérir l’habitude de vouloir avec énergie, que cette habitude accroîtra le pouvoir naturel de ton action, et que tu parviendras à lui donner plus d’efficacité. (20 avril 1788.)
8. Prière de l’Initié : Vérité éternelle, tu m’entoures de tes rayons, mais des ombres ténébreuses s’élèvent sans cesse de mon âme et m’empêchent de porter mes regards jusqu’à toi. Tous les jours, le soir et au milieu de la nuit, le matin et le midi, je t’invoque avec ardeur. Mes efforts sont vains et inutiles. Le voile épais de mes affections matérielles m’ôte la vue de ta lumière. Les images des objets auxquels j’ai livré mes sens, se placent en foule entre ton action bienfaisante et les faibles efforts de ma volonté ; elles m’égarent et m’entraînent par leurs illusions trompeuses. Tu m’échappes et je perds l’espoir de t’atteindre. O vérité sans laquelle mon être n’est qu’un néant, je ne cesserai de t’invoquer. Jusqu’à ce que tu aies exaucé mon désir, mes vœux seront mon unique existence. Entends ma voix, viens actionner celui qui t’appelle avec tant d’ardeur. J’abjure l’amour des objets sensibles ; c’est toi seule que je veux aimer et contempler à jamais comme mon unique vie. Car c’est toi qui es la vie de l’homme, et je sais avec évidence que ma destinée est de vivre toujours en toi et avec toi. (Avril 1788.)
9. Initiés, élevez-vous à la lumière, c’est sa force qui fixe la volonté. (Agent).
10. Les chérubins ont des yeux partout, ils éclairent partout ; ils ont l’abondance de science. Ils sont vue et lumière, c’est ce qui est exprimé par ce mot chérubin.
11. Hommes initiés, le temps de la vie est celui du travail ; hâtez-vous ; la nuit s’avance qui doit clore les ouvrages, et le Maître vous attend pour donner à chacun son salaire. (29 avril 1788.)
12. La tempérance te rendra maître de ton corps et bientôt, nouveau Joseph, tu gouverneras l’Égypte.
13. La miséricorde enveloppe le pécheur qui, dans les souffrances, loue la justice et bénit son juge.
2e Cahier
14. La sentence du coupable : Toi que j’avais revêtu de puissance et de lumière, tu t’es abandonné aux plus viles passions, tu as décoré tes idoles des vêtements de David ; tu as corrompu la Loi par tes erreurs, et ton peuple par tes débauches. Balthazar, tu as fait boire tes courtisanes dans les vaisseaux sacrés. Balthazar, voici la sentence prononcée contre toi : ton sceptre te sera ôté tu perdras ta puissance et ta vie et ton nom sera effacé de la terre.
15. O toi qui eus le premier rang dans les desseins du Créateur, les titres de ta gloire ont été effacés par ton crime ; tu as perdu ton sceptre, ta puissance et vie divine, et cependant tu oses t’élever aujourd’hui dans tes orgueilleuses pensées. Regarde donc cette terre sur laquelle tu es condamné à ramper et reconnais qu’il n’y a rien au-dessous de toi. (3 mai 1788.)
16. Tous les désordres de la nature, si insupportables à l’homme, sont les monuments de son crime et les titres de sa disgrâce. Ils sont pour lui des voies de retour lorsqu’il avoue que ses douleurs sont justes et qu’il les souffre sans murmurer.
17. Quand les maux ne serviraient qu’à la patience, ne serait-ce pas un grand avantage que d’acquérir par la faiblesse et les infirmités du corps, la fermeté et la soumission de l’esprit. (6 mai 1788.)
18. La clémence s’est montrée dans les ténèbres de la nuit et la lumière s’est manifestée de nouveau aux yeux de l’homme.
19. Si tu as besoin d’être secouru, ne t’adresse pas à la fois à tous ceux qui sont dans la place publique. Ce serait une merveille que quelqu’un d’eux se présentât pour t’aider ; prie donc en particulier celui qui se trouve le plus près de toi ; mais surtout appelle-le par son nom, s’il t’est connu, et il ne pourra te refuser. (6 mai 1788.)
20. Comment ferais-tu quelque progrès dans la voie de la science, si tu t’obstines à croire qu’il y a quelque chose où il n’y a rien, et qu’il n’y a rien où il y a quelque chose ? (10 mai 1788.)
21. La science est la connaissance immédiate de ce qui est ; c’est la vue de la chose elle- même, sans doute, sans équivoque et sans nuages. Ainsi la science discerne le bon de ce qui ne l’est pas. (10 mai 1788.)
22. Il faut toujours vouloir connaître les choses comme elles sont, et non comme on voudrait qu’elles fussent. Que tes efforts tendent donc justement à découvrir les choses vraies. Apprenons sur terre, dit Saint Jérôme dans ses lettres, ce que nous saurons encore dans le ciel. (10 mai 1788.)
23. Rien n’est au-dessus de l’intelligence de l’homme ; et cependant il ne sait pas tout. Que dis-je, il ne sait presque rien. Il n’est donc pas à sa place.
24. Il peut savoir, mais il faut qu’on lui apprenne. O homme, qu’es-tu devenu ?
25. Initié, lorsque la vérité daignera se montrer à toi, tu concevras l’idée de ta dignité originelle. (10 mai 1788).
26. Sapientia vero ubi invenitur et qui est locus intelligentiæ ? Nescit homo pretium ejus… Abyssus dicit : Non est in me, et mare non est mecum… Unde ergo sapientia venit et quis est locus intelligentiæ ? Abscondita est ab oculis omnium viventium… Deus intelligit viam ejus et ipse novit locum illius… Quando ponebat pluviis legem et viam procellis sonantibus, tunc vidit illam… et dixit homini : Ecce, timor Domini, ipsa est sapientia. (Job, XXVIII). [3] Willermoz reprend ici la quatrième partie du Livre de Job, « Éloge de la sagesse » en donnant des extraits des versets 12 à 28 du chapitre XXVIII. Ce dernier s’intitule « La Sagesse inaccessible à l’homme », il ne s’agit pas ici de la sagesse en tant que principe (Sophia) mais de l’accès à la connaissance totale. Ces textes sont donnés en latin. Jb XXVIII, 12-28 : (12) « Mais la Sagesse, d’où provient-elle ? Où se trouve-t-elle, l’Intelligence ? » ; (13), « L’homme en ignore le chemin… ; (14), « L’Abîme déclare : “Je ne la contiens pas !” et la Mer : “Elle n’est point chez moi !”» ; (20), « Mais la Sagesse, d’où provient-elle ? où se trouve-t-elle, l’Intelligence ? » ; (21), « Elle se dérobe aux yeux de tout vivant… ; (23), « Dieu seul en a discerné le chemin et connu, lui, où elle se trouve. » ; (26), « Quand il imposa une loi à la pluie, une route aux roulements du tonnerre » ; (27), « alors il la vit… » ; (28), « Puis il dit à l’homme : “La crainte du Seigneur ; voilà la sagesse…” ». Les paragraphes suivants offrent une méditation et une réflexion sur la nécessité de lier l’étude à la prière pour atteindre à la sagesse. Willermoz termine cette méditation en citant saint Augustin.
Paraphrase : Où pourrai-je donc trouver la science et la sagesse ? J’ai passé les jours et les nuits dans la recherche et les méditations et je demande encore où elle se tient cachée. L’homme est bien loin de la connaître et d’en savoir le prix. Elle n’est ni dans les profondeurs de la mer, ni dans les abîmes de la terre. Où est-elle donc cette sagesse et cette intelligence, où pourrai-je la trouver ? J’ai consulté tous les êtres vivants ; aucun ne l’a encore aperçue, et j’ai vu qu’ils ne l’ont point en eux… Il n’y a que Dieu qui connaisse la route qui conduit vers elle ; lui seul sait où elle se tient. Lorsqu’il donnait des lois à tous les êtres, qu’il soumettait à ses ordres les ventes et les tempêtes et qu’il dirigeait la foudre dans la carrière qu’il lui imposait, la sagesse était devant lui. Alors, il dit à l’homme : Tu ne trouveras la science et l’intelligence que dans la crainte du Seigneur.
Réflexions : L’étude sans la prière, a dit autrefois un sage, est un véritable athéisme et la prière sans l’étude, une vaine présomption. C’est-à-dire que celui qui croit pouvoir acquérir une vraie lumière par l’étude et par la seule force de son application, pense et agit comme un athée, et que celui qui présume que, pour obtenir la connaissance de la vérité, il lui suffit de la demander dans ses prières, sans faire aucun effort pour la découvrir et sans méditer sur ses voies, n’est qu’un homme présomptueux, lâche ou indifférent pour elle. Le premier n’acquerra qu’une science vaine et dangereuse, l’autre restera dans l’ignorance.
Initié, voici le mystère que la sagesse offre à ta pénétration : Cherche et tu trouveras ; demande et l’on te donnera ; frappe et l’on t’ouvrira.
A qui adresseras-tu cette demande ? Est-ce aux hommes ? Ils pourront, en effet, t’offrir des voies d’instruction et t’indiquer quelques-uns des sentiers de la sagesse ; mais penses-tu que sans l’Esprit de vérité, ces instructions des hommes puissent rendre la science sensible à ton intelligence et la faire pénétrer dans ton sens intérieur ? Examine avec attention les sages de la terre et tu te convaincras que la vérité n’est point en eux : Nescit homo pretium ejus.
Ils savent, mais leur science toute extérieure est sans chaleur et sans vie ; la lumière n’a pas pénétré dans leur âme. Si tu veux donc faire quelque progrès dans les voies de la sagesse, adresse-toi à Celui qui est la sagesse même : Timor Domini ipsa est sapientia ; demande-lui sans cesse d’ouvrir ton intelligence à toutes les vérités dont tes recherches et l’enseignement des hommes n’ont pu te présenter que la lettre. Crois que cette souveraine lumière peut seule t’éclairer, donner la vie à tes pensées, te faire concevoir ce que l’oreille n’a jamais entendu et les yeux n’ont point aperçu. D’un signe, d’une lecture, d’une conversation, elle peut produire en toi une source de clartés ineffables, qui rempliront ton cœur de délices, mais que ta langue ne saurait exprimer, ni faire comprendre aux autres hommes, si tes paroles ne reçoivent auparavant la vie de celle-là même qui t’a éclairé. Sans elle, tu feras de vains efforts pour apprendre aux autres ce qu’elle t’aura enseigné dans cette communication intime, et alors tu concevras ce qu’a dit le sage : Que la science ne vient pas des hommes. Abscondita est ab oculis omnium viventium. Tu concevras que si tu n’as été vraiment instruit que par l’Esprit de vérité qui a vivifié ton sens intérieur, tu ne peux de même, sans qu’il y coopère avec toi, instruire les autres hommes.
Nolite putare hominem aliquid discere ab homine. Admonere possumus sed strepitum vocis nostræ ; si non sit intus qui doceat inanis sit strepitus noster. [S. Augustin, in. Ioan.] (16 mai 1788.) [4] « Ne pensez-pas qu’aucun homme apprenne quoi que ce soit d’un autre homme ; nous pouvons bien avertir extérieurement par le bruit de notre voix ; mais ce bruit est inutile et ne fait rien, si nous n’avons au-dedans celui qui enseigne. » (Aug. tr. 3. in ep. Joan). Willermoz semble reprendre la citation de saint Augustin dans le Traité théologique et philosophique de la vérité de Louis Ellies Du Pin (1657-1719) qui le cite en le commentant ainsi : « Il ne faut pas nous imaginer, dit saint Augustin, qu’aucun homme puisse apprendre la vérité d’un autre homme : ils peuvent s’avertir l’un l’autre par le son de leur voix qui se fait entendre aux oreilles du corps ; mais tous ces avertissements ne sont qu’un bruit vain et inutile, si celui qui enseigne toute vérité, ne parle pas au-dedans du cœur. » (Paris 1738, p. 363-364.).
3e cahier
27. Initiés, à l’instant que nous sommes régénérés, nous entrons dans la vie, nous recevons la lumière et nous connaissons Dieu qui est la source de toute vérité, de toute science et de toute perfection. Par le baptême, nous devenons parfaits ; l’Esprit-Saint nous sanctifie et la foi nous éclaire. Je leur ai dit : « Vous êtes les dieux de la terre, vous êtes les enfants du Très-Haut » (Ps. LXXXI). Cette opération de l’esprit s’appelle œuvre, grâce, illumination, perfection, baptême. C’est un baptême qui nous purifie, une grâce qui nous justifie, une illumination qui nous remplit de lumière et qui nous fait connaître les choses divines. Ce sont là les dons accomplis de l’Être souverainement parfait. A sa voix, tout, en nous est sorti des ténèbres ; il a anticipé les temps en notre faveur par sa toute-puissance, et nous vivons parce que Jésus- Christ nous a délivrés de la mort. Suivons donc Jésus-Christ qui vivifie tout ce qui a été fait. Dieu a créé l’univers par sa volonté, et par sa volonté il fait le salut des hommes. Celui donc qui est acquitté par Jésus-Christ sort aussitôt des ténèbres, il est au moment même rempli d’une céleste lumière comme ceux qui se réveillent sortent des liens du sommeil. La taie qui l’aveuglait est enlevée, l’obstacle qui l’empêchait de voir est écarté.
Ainsi, notre régénération par le Saint-Esprit dissipe à l’instant les ténèbres épaisses qui nous dérobaient la lumière divine, elle enlève le bandeau qui couvrait l’œil de notre âme et la met en état de voir les vérités célestes.
Initiés, nous étions autrefois ensevelis dans les ténèbres, nous sommes maintenant la lumière du Seigneur ; c’est pourquoi les anciens appelèrent l’homme d’un nom qui signifie lumière. Ainsi l’espérance de ceux qui ont cru n’a point été trompée ; ils reçoivent dès à présent les arrhes de la vie éternelle ; car le Maître leur a dit : « qu’il soit fait selon votre foi ». Voilà donc l’effet de cette œuvre divine en nous : Nous ne sommes plus les mêmes hommes. La grâce de Jésus-Christ a brisé nos liens, notre esprit a reçu une lumière éclatante ; mais les hommes qui sont encore dans les ténèbres ne peuvent concevoir comment la grâce nous a éclairés par la foi. Ils ne peuvent concevoir qu’étant ainsi dégagés de la servitude de la loi, nous sommes devenus les esclaves du Verbe qui est la lumière du libre-arbitre : Je vous rends gloire, mon Père, Seigneur du ciel et de la terre de ce que vous avez caché ces choses aux sages et aux prudents, et que vous les avez révélées aux simples et aux petits : Oui, mon Père, cela est ainsi parce que vous l’avez voulu.
Que celui donc qui veut obtenir ce prix dompte la concupiscence et ses désirs charnels, qu’il abjure l’orgueil de la science humaine. C’est par cette victoire qu’il obtiendra la foi qui régénère l’esprit, éclaire l’intelligence et embrase le cœur par le feu et la lumière céleste. (Clément d’Alexandrie dans son Pédagogue, ch. 6.) [5] Ce n° 27 paraphrase le début du chapitre 6 du Pédagogue.
28. Initié, la science humaine te sera inutile lorsqu’il faudra mourir. Mais combien ce passage deviendra difficile à celui qui n’aura pas été instruit par la foi. Alors, tu ne seras pas plus heureux ou malheureux pour avoir su ou pour avoir ignoré une infinité de questions qu’on agite dans les écoles et qui occupent les savants. Ceux qui savent les résoudre et ceux qui ne le savent pas n’en seront pas pour cela plus ou moins avancés, il ne servira de rien d’avoir été philosophe ou mathématicien. Mais la foi qui produit la charité et les œuvres, ce don de l’esprit que l’industrie et les études humaines ne sauraient procurer est la seule véritable science et l’unique voie de la régénération et du salut.
29. C’est une erreur funeste de croire qu’il nous suffit des œuvres pour être sauvés, quelle que soit notre religion et notre foi ; mais c’est une erreur bien plus pernicieuse de se persuader qu’en professant la croyance aux dogmes catholiques, on sera sauvé, de quelque manière qu’on vive.
30. Dieu seul peut triompher de nos cœurs et les sanctifier.
31. Les hommes agissent comme s’ils ne devaient jamais mourir, et ces prétendus immortels font des projets sur la terre comme s’ils étaient assurés d’y demeurer éternellement.
32. La considération des souffrances de la vie et la méditation de la mort sont la philosophie de l’homme.
33. Initié, pendant que tu t’agites de mille soins et de projets pour l’avenir, la mort fait à chaque instant son ouvrage et prépare sourdement la fin de tes jours.
34. Il est ordonné aux hommes de mourir une fois. (Hebr., IX, 27).
35. Les rois et les princes, ceux qu’on appelle nobles et grands seigneurs sont des hommes en tout semblables à ceux du peuple ; à leur naissance et durant leur vie aussi bien qu’à leur mort, ils paraissent tous pareils.
36. Pour tous les hommes, de quelque rang qu’ils soient, il n’y a rien de plus assuré que la mort.
37. La société, au lieu de détruire l’égalité, la réalise et l’affermit. Si elle est gouvernée par des lois justes, dans l’être de nature, au contraire, l’égalité des droits est une théorie impuissante, que l’inégalité de force et d’adresse peut à tout moment violer. (Mackintosh) [6] James Mackintosh écrit : « En effet, la société, au lieu de détruire l’égalité, la réalise et l’affermit. Dans l’état de nature, l’égalité des droits est une théorie impuissante, que l’inégalité de force et d’adresse peut à tout moment violer. Elle n’a de force et de vigueur que par le moyen de la société. Comme l’égalité naturelle n’est pas contestée, et comme la portion de droit de chaque individu, mise en masse, est la même, on ne saurait nier que le reste de ce droit, qui n’est pas exigé par le contrat social, ne doive aussi être le même pour chaque membre de la société. L’inégalité civile, ou, pour parler plus correctement, les distinctions civiles, existent nécessairement dans un corps social, parce qu’il doit posséder des organes destinés à diverses fonctions. Mais l’inégalité politique est contraire aux principes du droit naturel et à l’objet des institutions civiles. » (Apologie de la Révolution Française et de ses admirateurs Anglais, en réponse aux attaques d’Edmond Burke, Paris, 1792, chez F. Buisson p. 191-192. Nous soulignons ici le texte reproduit par Willermoz dans les numéros 36 et 37.
38. L’inégalité civile, ou, pour parler plus convenablement, les distinctions civiles, existent nécessairement dans le corps social, parce qu’il doit posséder des organes destinés aux diverses fonctions ; mais l’inégalité politique est contraire aux principes du droit naturel, et à l’objet des institutions civiles, car la portion de droit naturel que chaque individu y met est la même. (Mackintosh).
39. Vole vers le sanctuaire avec tes six ailes de Séraphin, et que tes puissances supérieures, moyennes et inférieures agissent ensemble, avec énergie, et dans la même direction.
40. Les mystères de l’essence infinie divine sont inconcevables pour tous les êtres, et le séraphin dans le sanctuaire, ébloui de tant de lumière, voile sa tête avec ses deux premières ailes.
4e cahier
41. Plus le fils de l’homme s’enveloppe dans les affections matérielles, plus il se sépare de l’intelligence et devient impénétrable à l’action spirituelle. Infortuné ! tu t’enfonces toi-même dans le cachot, tu t’y charges de chaînes, et tes amis ne peuvent plus ni te voir, ni te parler, ni te délivrer.
42. Le savant travaille sans cesse à faire des livres pour les autres. Que l’enfant travaille donc aussi pour lui-même et fasse son premier livre.
43. Si nous voulons que la sagesse nous dirige, prenons-là lorsqu’elle commence à naître en nous, car elle a, comme tout ce qui existe dans la nature, sa naissance et ses progrès.
44. Ce n’est pas toujours par la bouche des hommes que l’on parle aux enfants.
45. Si tu veux élever dans ton âme un temple à la vertu tâche d’obtenir cette lyre célèbre qui, pour construire les murs de Thèbes, n’élevaient que les pierres d’une juste proportion et laissait sans mouvement au pied de la muraille les matériaux informes et corrompus
46. Ce n’est pas la religion et ses saints mystères que la plupart des chrétiens croient et professent ; c’est l’idée fausse et peu réfléchie qu’ils s’en sont formée. Ce ne sont pas les rites mystérieux et les cérémonies virtuelles de la religion, que les superstitieux pratiquent et vénèrent ; ce sont les faux préjugés, l’affection idolâtre pour une multitude d’actes et d’oraisons apocryphes que l’erreur, l’ignorance et le charlatanisme ont enfantés et qu’une crédulité aveugle a propagés. De même, ce n’est pas la religion, ses mystères et ses cérémonies virtuelles que la plupart des incrédules méprisent et blasphèment, c’est l’absurdité des causes qu’ils leur attribuent et les fausses interprétations qu’ils leur donnent. Leur ignorance absolue des vérités chrétiennes, leur inaptitude complète à les concevoir par eux-mêmes ; les faux systèmes qu’ils ont conçus sur Dieu, l’homme et la nature actuelle ; leurs passions et leurs vices sont les seules causes de leur inconcevable aveuglement. Je dis aux premiers : Ce n’est pas précisément ce que je crois qui est l’objet de votre foi crédule et opiniâtre ; et aux autres : Ce ne sont pas les grandes vérités que le vrai chrétien croit et professe qui sont l’objet de vos blasphèmes et de vos mépris. Heureux dans votre ténébreuse ignorance, que ce ne soit pas la vérité même que vous profanez et la lumière éternelle que vous foulez à vos pieds !
Jean-Baptiste Willermoz
Notes :