Biographie de Jacob Boehme par Abraham Franckenberg (1593-1652), qui fut son ami et son premier biographe. Ce texte a été publié dans Clavis, oder Schlüssel, das ist Eine Erklärung der vornejmsten Puncten und Wörter (1624). La traduction ci-dessous fut publiée dans Clef ou Explication, ouvrage traduit et publié en 1826 chez Migneret, grâce au financement de Prunelle de Lière.
1. Pour bien écrire la vie de Jacob Bœhme [1] Ce texte est une traduction de Clavis, oder Schlüssel, das ist Eine Erklärung der vornejmsten Puncten und Wörter (1624). La traduction ci-dessous fut publiée dans Clef ou Explication, ouvrage traduit et publié en 1826 chez Migneret, grâce au financement de Prunelle de Lière , de cet homme si profond et si inspiré de Dieu, il faudrait une plume plus exercée et plus éloquente que la mienne : mais aucun de ses compatriotes n’ayant, jusqu’à présent, osé prendre la plume, je vais essayer de le faire, moi son voisin, qui ai été intimement lié avec lui pendant les années 1623 et 1624 ; je dirai tout ce que je sais de lui, brièvement et dans la plus grande simplicité, mais je serai fidèle à la vérité la plus pure.
2. Jacob Bœhme naquit, l’an de Jésus-Christ 1575, dans une petite ville de la Haute Lusace, nommée le vieux Seidenburg, éloignée d’une lieue et demie de Gœrlitz. Ses parents étaient de la dernière classe du peuple, pauvres, mais honnêtes.
3. Ils l’occupèrent, quand il fut un peu avancé en âge, à garder les bestiaux, comme les autres enfants de l’endroit.
4. S’étant un jour éloigné, à l’heure de midi, de ses camarades, et ayant grimpé seul sur une montagne escarpée et assez éloignée, nommée la Couronne du pays, il trouva sur le sommet une espèce de caverne ouverte, mais embarrassée et pour ainsi dire fermée par un tas de pierres rouges : il y entra dans sa simplicité, et aperçut un grand tas d’argent, ce qui lui causa une si grande frayeur qu’il en sortit sans rien toucher (Il m’avait montré cet endroit, en nous promenant un jour ensemble). Quoiqu’il fût monté sur cette montagne plusieurs fois dans la suite, avec ses camarades, il n’avait jamais trouvé cette caverne ouverte, ce qui pouvait fort bien avoir été une bonne augure de son entrée spirituelle dans le trésor caché de la science et des mystères divins et naturels. Le trésor avait été enlevé au bout de quelques années, à ce qu’il disait lui-même, par un artiste étranger. Cette trouvaille, probablement frappée de malédiction, causa une mort funeste à son possesseur.
5. Il ne faut pas être surpris de cette entrée de Jacob Boehme dans la montagne creuse, attendu que beaucoup d’auteurs font mention de pareilles montagnes merveilleuses ; les plus connus sont Léonard Thurnheisser, Stammelman dans sa chronique du Holstein, Théophraste Paracelse, Agricola, Mathésius, Aldrovandus , Théobalde, Kircher, Zeiller et autres. Il y a des montagnes semblables dans la Silésie, principalement sur l’Aventrot, sous la pierre à sept angles, et en beaucoup d’autres endroits. Le pieux et savant Jean Beer, de Schweidnitz, a, par une faveur particulière de Dieu, pénétré dans le Zottenberg, il y a vu les grandes merveilles et les trésors renfermés dans la terre, et il s’est entretenu avec les trois esprits bannis dans cette montagne, comme on peut s’en convaincre par le petit livre imprimé à Amsterdam, sous le titre : Du profit et de la perte des biens spirituels et temporels, par Jean Beer.
6. Revenons à notre auteur : ses parents, découvrant en lui des dispositions particulières, l’envoyèrent à l’école, où il apprit à lire et à écrire : ensuite ils lui firent apprendre le métier de cordonnier. Son apprentissage fini, il voyagea, se maria à Gœrlitz, et eut de ce mariage quatre garçons, à l’un desquels il enseigna son métier de cordonnier.
7. Jacob Bœhme ayant donc été, dès sa jeunesse, adonné à la crainte de Dieu, dans toute l’humilité et dans toute la simplicité du cœur, et ayant particulièrement aimé à assister aux sermons, se réveilla enfin en lui-même, par la promesse consolatrice de notre Sauveur : Combien plus votre père céleste donnera-t-il le Saint-Esprit à ceux qui le lui demandent. (St.-Luc, chapitre XI, v. 13.) Il y fut porté en même temps par les combats et par les disputes d’école, auxquels il ne pouvait jamais se conformer que pour reconnaître la vérité. Il avait, dans toute la simplicité de son cœur, ardemment et constamment demandé, cherché et frappé, jusqu’à ce qu’enfin (dans son voyage) il fut, par le passage du Père dans le Fils, mis, selon l’esprit, dans le Sabbath saint et dans le repos glorieux de l’âme, et que sa prière fut ainsi exaucée ; alors (selon son propre aveu) il fut entouré d’une lumière divine, et resta pendant sept jours dans la dernière contemplation divine et dans le royaume d’allégresse.
8. Dans cette école vraiment apocalyptique de l’esprit de Dieu, mais à présent rejetée par le grand aveuglement et la méchanceté des hommes, les saints patriarches, les rois, les prophètes, les apôtres et les hommes de Dieu ont toujours fait leurs études, et ils y ont découvert le mystère du royaume et du jugement de Dieu et de Christ (et que Christ est la sagesse éternelle du Père lui-même), ils l’ont ensuite expliqué par diverses paraboles et par des figures, par des sentences et par des discours profonds et sublimes, ainsi que par des témoignages et des prodiges, et ils l’ont toujours publié sérieusement en offrant et sacrifiant leur propre corps et leur vie.
9. Il se pourrait aussi, que du dehors et par une inqualification magique astrale des esprits étoiles, il eût été communiqué et infusé, pour ce feu saint de l’amour, comme une étincelle cachée ou une matière inflammable: car il me raconta lui-même, que pendant qu’il était en apprentissage, son maître et sa maîtresse étant absents pour le moment, un étranger vêtu très-simplement, mais ayant une belle figure et un aspect vénérable, entra dans la boutique, et prenant une paire de souliers, demanda à l’acheter. Mais il n’osa pas les vendre ; l’étranger insistant, il les lui fit un prix excessif, espérant par-là se mettre à l’abri de tout reproche de la part de son maître, ou dégoûter l’acheteur. Celui-ci donna le prix demandé, prit les souliers, et sortit. Il s’arrêta à quelques pas de la maison, et de là d’une voix haute et ferme, il dit : Jacob, Jacob, viens ici. Le jeune homme fut d’abord surpris et effrayé d’entendre cet étranger qui lui était tout-à-fait inconnu, l’appeler ainsi par son nom de baptême ; mais s’étant remis, il alla à lui. L’étranger, d’un air sérieux mais amical, porta les yeux sur les siens, les fixa avec un regard étincelant de feu, le prit par la main droite, et lui dit :
Jacob, tu es peu de chose, mais tu seras grand, et tu deviendras un autre homme, tellement que tu seras pour le monde un objet d’étonnement. C’est pourquoi sois pieux, crains Dieu, et révère sa parole ; surtout lis soigneusement les Ecritures saintes, dans lesquelles tu trouveras des consolations et des instructions, car tu auras beaucoup à souffrir ; tu auras à supporter la pauvreté, la misère et des persécutions ; mais sois courageux et persévérant, car Dieu t’aime et t’est propice.
Sur cela l’étranger lui serra la main, le fixa encore avec des yeux perçants, et s’en alla, sans qu’il y ait d’indices qu’ils se soient jamais revus. Jacob Bœhme ne fut pas peu étonné et de cette prédiction et de cette exhortation. La physionomie de cet inconnu lui planait toujours devant les yeux. Depuis ce temps-là Jacob Bœhme devint plus austère et plus attentif dans toutes ses actions, en sorte que cette exclamation spirituelle ci-dessus mentionnée et le jour de Sabbath s’en suivirent bientôt.
10. Etant revenu à lui, il avait de plus en plus renoncé aux plaisirs de la jeunesse folâtre, quoiqu’il n’eût jamais négligé d’aller à l’église, qu’outre la lecture de l’écriture sainte, il avait toujours assisté aux sermons, qu’il s’était souvent approché des sacrement saints, et que, poussé par un zèle divin, il n’avait jamais pu ni entendre ni souffrir qu’on proférât des mots et des plaisanteries équivoques, et particulièrement des discours et des jurements blasphématoires; qu’il avait même été obligé de reprendre sévèrement le maître chez lequel il travaillait. En conséquence il s’était appliqué par amour pour la vraie piété et pour la vertu, à mener une vie retirée et honnête, et à se priver de tout plaisir et de toute société ; ce qui étant absolument contraire aux usages du monde, lui avait attiré beaucoup d’ennemis, et le força à quitter son maître, qui, disait-il, ne voulait plus souffrir un prophète pareil chez lui.
11. Après avoir gagné sa vie à la sueur de son front, comme un ouvrier laborieux doit le faire, il fut de nouveau saisi, au commencement du 16e siècle, c’est à-dire en 1600, à l’âge de 25 ans, de la lumière divine, avec son esprit astral animique, par l’aspect subit d’un vase d’étain (c’est-à-dire de l’état agréable jovial) dans le fond le plus profond, ou dans le centre de la nature secrète. Voulant bannir, dans le doute où il était, cette idée de son cœur, il passa le pont de Gorlitz, qui était près de sa maison, pour se dissiper dans les champs couverts de verdure, et néanmoins il ressentit de plus en plus l’aspect qui venait de se présenter à lui, en sorte que par le moyen des empreintes ou figures naturelles, des ligaments et des couleurs, il avait pu, pour ainsi dire, pénétrer dans le cœur et dans la nature la plus secrète de toutes les créatures. Son livre intitulé : De l’empreinte des choses (de signatura rerum) [2] C’est-à-dire De la signature des choses. explique et développe clairement cette impression produite en lui. Il en fut comblé de joie, se tut, loua Dieu, se livra aux devoirs de père de famille, à l’éducation de ses enfants, et vécut avec tout le monde en paix et en amitié ; il ne parla jamais à personne ni de la lumière qu’il avait reçue, ni de sa connaissance profonde de Dieu et de la nature.
12. Mais il est, au bout de dix ans, appelé une troisième fois, selon la volonté et le conseil secret de Dieu ; il est inspiré de l’Esprit saint, doué et fortifié par une lumière nouvelle et par un don nouveau. Pour ne point oublier une si grande grâce qu’il venait d’obtenir, et pour ne point désobéir à un maître si saint et si consolateur, il se mit à composer en 1612, n’étant pas riche et n’ayant d’autre livre que la Bible (cependant uniquement pour lui-même).
13. Son premier livre, intitulé : l’Aurore naissante (appelé ensuite par le docteur Balthasar Walter, Aurora) quoiqu’il ne l’eût confié à personne, excepté à un gentilhomme bien connu, qui l’avait vu chez l’auteur par hasard, et qui demandait avec beaucoup d’instances à le parcourir, ne devait jamais voir le jour, et encore moins être imprimé. Mais ce gentilhomme désirant posséder ce trésor caché, partagea cet ouvrage en plusieurs feuilles, se mit à le copier avec quelques-uns de ses amis jour et nuit : de cette manière, le bruit s’en répandit dans le public, et parvint jusqu’aux oreilles du premier pasteur de Gœrlitz, appelé Grégoire Richter, qui, sans l’avoir vu ni examiné, le condamna du haut de la chaire, comme c’est l’usage ordinaire des écoles; et oubliant la charité chrétienne, il calomnia et injuria l’auteur, au point, que le magistrat de Gœrlitz fût obligé de le faire comparaître devant lui, de lui faire apporter le manuscrit autographe, de lui intimer de ne plus rien écrire, et de lui dire de se renfermer dans le proverbe : Sutor ne ultra crepidam. Jacob Bœhme se soumit à cet ordre avec la plus grande résignation. Le manuscrit original de cet ouvrage resta déposé aux archives de l’hôtel-de-ville pendant vingt-sept ans ; le 26 novembre 1641, il fut remis à M. Georges Pflüger, maréchal de la cour de Dresde, protecteur de notre auteur ; et des mains de M. Pflüger il passa dans celles de M. A.-W. de Beyerland, négociant à Amsterdam.
14. D’où nous voyons, comment le prince des ténèbres, comme ennemi juré de la vraie lumière divine, s’oppose, par le secret de la méchanceté qui se manifeste de plus en plus, dans ses membres et dans ses instruments, à tout ce qui s’appelle Dieu, ou ce qui provient de Dieu, comment il s’oppose à Christ et s’élève contre Christ, le Verbe essentiel vivifiant, qu’il s’oppose à Dieu son Seigneur, méchamment et aveuglement, et qu’il n’a de repos que quand il fait tomber l’innocent. Mais il faut qu’il souffre pour cela la colère éternelle dans les flammes infernales ; qu’il soit privé d’éternité en éternité, de la lumière bienheureuse, et de la face de Dieu. Malheur à lui ! malheur à ses enfants infernaux ! malheur aux langues de vipère et calomniatrices et irréconciliables ! malheur aux cœurs de tigre !
16. [3] Le traducteur passe du n° 14 au numéro 16. L’homme saint et patient a donc, par soumission à ses supérieurs, observé un sabbath parfait pendant sept ans, sans mettre la plume à la main. Mais ayant été fortifié et réveillé par une quatrième impulsion de son fonds intérieur, et ayant été excité par des gens craignant Dieu et versés dans les sciences naturelles, à ne pas cacher la lumière sous le boisseau, mais à la répandre de plus en plus, il se décida à reprendre la plume et à faire les ouvrages suivants.
L’an 1619.
N° 2. Des trois Principes, avec un appendice de la triple vie de l’homme.
L’an 1620.
3. De la Triple Vie de l’Homme.
4. Réponse aux Quarante Questions de l’Ame.
5. De l’Incarnation du Christ, de sa passion, de sa mort, et de sa résurrection ; et de l’arbre de la foi.
6. Des six Points.
7. Du Mystère céleste et terrestre.
8. Des derniers Temps.
1621.
9. De l’Empreinte des choses. De signature, rerum.
10. Des quatre Complexions.
11. Apologie de Balthasar Tilken.
12. Réflexions sur les bottes d’Isaïe.
1622.
13. De la vraie Repentance.
14. De la vraie Résignation.
15. De la Régénération.
16. De la Pénitence.
1623.
17. De la Providence et du choix de la grâce.
18. Le Grand Mystère, sur la Genèse.
19. Une table de principes.
20. De la Vie sursensuelle (surcéleste).
21. De la Contemplation divine.
22. Des deux Testamens de Christ.
23. Entretien d’une âme éclairée et non éclairée.
24. Apologie contre Grégoire Richter.
25. De 177 Questions théosophiques.
26. Extrait du Grand Mystère.
27. Petit livre de Prières.
28. Table de la manifestation divine des trois mondes, faisant partie de la 47e épître.
29. De l’erreur d’Ezéchiel Meth.
30. Du Dernier Jugement.
31. Des lettres adressées à différentes personnes.
17. N’oublions pas de remarquer, que le fameux voyageur Balthasar Walter, docteur en médecine et en chimie, natif de Grand-Glogau en Silésie, ayant demeuré chez Jacob Bœhme pendant trois mois, et ayant joui de son intimité, fit grand cas des Quarante Questions ; lesquelles furent traduites en latin par Jean-Ange Werdenhagen, jurisconsulte et conseiller privé du prince de Lünebourg, imprimées à Amsterdam en 1632, sous le titre de Psychologia vera, in-8°, et dediées à dix ministres d’Etat fameux; enfin elles furent enfin traduites en allemand et imprimées à Amsterdam in-12, l’an 1650.
18. Notre susdit Docteur Balth. Walter, (qui est mort à Paris, qui y a fait connaître et répandre chez des gens de qualité les ouvrages de notre Théosophe) a souvent et a plusieurs fois soutenu, que dans ses longs et pénibles voyages, et particulièrement lorsqu’il avait passé six ans chez les Arabes, chez les Syriens et chez les Egyptiens, pour y apprendre la vraie sagesse cachée (qu’on appelle ordinairement la Magie, la Cabale, la Chimie, ou dans le vrai sens la Théosophie); qu’il avait bien trouvé quelques fragments de cette science çà et là, mais nulle part aussi profonde, aussi sublime et aussi pure que chez cet homme simple, chez cette pierre angulaire rejetée, (et non pas, sans doute, sans un grand déplaisir et sans un grand scandale) des savants dialecticiens et des docteurs métaphysiciens de l’Eglise. C’est ce qui avait engagé notre susdit docteur Walter à lui donner le nom de Théosophe allemand, tant pour le distinguer de ceux des autres nations, que pour mieux faire ressortir ses éminentes qualités chez ses compatriotes, attendu qu’il avait toujours été très-austère dans toute sa conduite, qu’il avait toujours mené une vie très-chrétienne, humble et résignée.
19. Car la seule lumière artificielle et naturelle, sans la lumière sainte céleste de la grâce, est toujours plus externe, acerbe, partiale et littérale, qu’interne, douce, bienveillante, catholique et évangélique: il faut, par conséquent, distinguer, justement et mûrement, les dons de l’esprit, selon la différence de son fonds originel et de son origine première, ainsi que selon ses fruits et selon ses rejetons, et rendre et laisser à chacun le sien (selon qu’il est un membre du corps, ou un vase et instrument de la maison), et non pas faire comme Babel (qui n’a pour tout qu’un seul poids et une seule mesure), c’est-à-dire, de faire passer pour hérétique et condamner celui qui n’est pas tout de suite d’accord, comme notre Théosophe teutonique l’a suffisamment prouvé et expliqué dans ses ouvrages.
20. Il faut particulièrement remarquer, que notre auteur n’a point puisé en lui-même les expressions latines ni les termes techniques (particulièrement ceux de ses derniers ouvrages) ; il ne les a pas non plus appris dans les livres des autres ; il les a retenus par l’entretien verbal et par ses correspondances familières avec des savants, principalement avec des médecins, des chimistes et des philosophes. Il me témoigna souvent des regrets bien vifs, de n’avoir pas pu apprendre, au moins la langue latine (chose dont se plaignit aussi l’Empereur Maximilien I), et d’autant plus que lui (Bœhme) ne trouvait pas, dans sa langue maternelle, assez de mots convenables pour exprimer la foule de choses merveilleuses qui planaient devant ses yeux ; il fallait donc qu’il s’aidât de la langue de la nature ; qu’il apprît des autres à rendre ses pensées intelligibles. C’est pourquoi il se plut tant au mot grec idea, que je lui fournis, et qui lui semblait être, selon son dire, une vierge belle et pure du ciel, et une déesse spirituelle, corporelle, exaltée.
21. Il faut encore lui rendre cette justice que quoiqu’il écrivît très lentement, et cependant lisiblement, il n’aimait pas corriger ou rayer un mot : mais tel que l’esprit de Dieu le lui avait inspiré, tel il le mettait par écrit, net et sans le corriger. Que de savants ont été privés de cet avantage ! Tant il importe au vrai docteur et à celui qui dicte, c’est-à-dire à l’esprit et à la consolation de la sagesse et de la vérité divines, mais dont nos grands esprits actuels ne veulent que peu, ou rien du tout, comprendre, croire ou savoir ; c’est pourquoi ils restent aussi à juste titre privés de la connaissance vraiment profonde, de la sagesse secrète et de la vérité cachée.
22. Il est encore important de savoir, et il me l’a raconté lui-même, qu’il s’était présenté un jour à sa porte un étranger d’une taille courte, d’une figure distinguée et d’un air spirituel; après l’avoir salué très-poliment, il lui dit avoir appris que lui (Jacob Bœhme) était doué d’un esprit particulier, qu’on ne trouvait pas ordinairement, et que comme chacun devait partager avec son prochain le bien qu’il avait reçu, il venait le prier de lui donner cet esprit particulier, ou de le lui vendre, (comme fit Simon le magicien). Là-dessus Jacob Bœhme l’avait remercié de son offre réciproque, en lui protestant qu’il se croyait tout-à-fait indigne de tels dons et de tels arts, qu’il ne possédait aucunement ce que l’étranger s’imaginait trouver en lui ; que tout son savoir consistait à vivre et à marcher tout bonnement dans la foi et dans la confiance commune en Dieu, à être charitable envers son prochain ; et que du reste, il ne savait ni ne croyait rien d’un esprit particulier ou familier. Mais que, si lui (l’étranger) tenait tant à avoir un esprit, il n’avait qu’à faire comme lui (J. B.) c’est-à-dire à faire une pénitence sérieuse, et qu’en priant ardemment Dieu le Père, qui est au ciel, de lui accorder l’Esprit saint de la grâce, il l’obtiendrait pour se conduire en toute vérité. Mais cet homme ne voulant pas s’en contenter, et le pressant encore par une conjuration magique fausse, pour lui arracher de force le prétendu esprit familier, Jacob Bœhme irrité dans l’esprit, saisit fortement la main de l’étranger, en le regardant fixement, étant dans l’intention de lui souhaiter la malédiction dans son âme perverse. Alors l’étranger trembla de frayeur, lui en demanda pardon, ce qui attendrit Jacob Bœhme, en sorte qu’il exhorta l’importun à renoncer sérieusement à cette simonie et à cette diablerie, et qu’ensuite il le congédia.
23. Nous ne devons pas passer sous silence sa grande douceur, sa patience et son humilité, ainsi que le don pénétrant de scruter l’esprit de l’homme, et de découvrir les replis de son cœur ; nous allons le prouver par l’histoire qui suit : Jacob Bœhme se trouva un jour chez un certain gentilhomme avec M. David de Schweidnitzet d’autres personnes. Lorsque ledit M. de Schweidnitz fut sur le point de partir, il pria le gentilhomme de lui envoyer cet homme extraordinaire, à sa terre de Seifersdorf, ce qu’il fit. Mais un médecin, qui en voulait beaucoup à notre auteur, corrompit le guide en lui donnant une pièce d’argent, pour jeter Jacob Bœhme dans une grande marre d’eau ; ce dont le guide s’acquitta fidèlement. Car étant obligé de passer près de cette marre d’eau, il y jeta notre homme qui, non seulement s’y était grandement sali, mais ayant donné de la tête contre une pierre, il s’était aussi fortement blessé. Le conducteur voyant couler le sang, en eut peur, se mit à pleurer, et courut au château pour rapporter ce qui s’était passé. M. de Schweidnitz l’ayant appris, envoya chercher et conduire Jacob Bœhme dans un endroit écarté du château, où il le fit panser et changer d’habits. Cela fait, et arrivé dans le salon, il présenta la main à tout le monde ; et les enfants du maître du château étant rangés là en ordre, et s’étant approché d’une des filles, il dit en lui présentant la main : voilà la personne la plus pieuse de toute la société ; il posa ensuite la main sur sa tête, et lui donna une bénédiction particulière.
Le père de la demoiselle avoua lui-même, que c’était le plus sage de ses enfants. M. de Schweidnitz ayant justement ce jour-là chez lui son beau-frère, avec sa femme et ses enfants, qui, ennemi juré de Jacob Bœhme, le railla beaucoup en le nommant prophète, et lui demanda en conséquence de lui prédire quelque chose. Notre auteur s’en excusa beaucoup, disant qu’il n’était pas prophète, qu’il était un homme simple, qu’il ne s’était jamais mêlé de dire la bonne aventure, et le pria très-instamment de vouloir bien lui épargner cette épithète. Mais le gentilhomme ayant continué de le tourmenter et d’insister fortement à ce qu’il lui prédît quelque chose ; et son beau-frère l’ayant beaucoup engagé et prié de laisser tranquille cet homme, mais inutilement, Jacob Bœhme, outré de cette conduite, et ne pouvant pas avoir de repos, dit enfin au gentilhomme : Puisque vous voulez absolument que je vous dise quelque chose, je serai forcé de vous dire ce que vous n’aimerez pas à entendre. Le gentilhomme lui répondit en pâlissant, qu’il n’avait qu’à dire ce qu’il savait. Là-dessus, Jacob Bœhme se mit à raconter la vie impie et scandaleuse que le gentilhomme avait menée jusqu’à présent, tout ce qui lui était arrivé, et ce qui lui arriverait dans la suite, s’il ne changeait pas de conduite, attendu que sa fin était bien proche. Le gentilhomme en eut honte, et entra en une si grande colère qu’il voulait se jeter sur notre auteur pour le battre ; M. de Schweidnitz l’en empêcha, et envoya Jacob Bœhme passer la nuit chez le curé de l’endroit, et le fit conduire le lendemain à Gœrlitz. Alors le gentilhomme honteux et confus, la rage et la colère dans le cœur, et ne voulant pas rester plus longtemps, se mit à cheval et partit pour se rendre chez lui. Chemin faisant il tomba de cheval, se cassa le cou, et fut trouvé mort le lendemain sur la grande route.
24. Le cachet ordinaire de Jacob Bœhme fut une main sortant du Ciel, et tenant une branche de trois lys fleuris, c’est-à-dire le ravissement magique (G. B. D. O. Virga) la verge fleurie d’Aaron. Le royaume des lys dans le paradis de Dieu, qui se manifestera dans les derniers temps, où la fin sera ramenée dans son commencement, et que le cercle sera fermé. La colombe de Noé avec la branche d’olivier de la paix, après le déluge spirituel. La branche d’or d’Enée, la branche des pommes d’or du jardin des Hespérides d’Hercule, après avoir vaincu le dragon, en témoignage de la victoire et du sceau obtenu dans ce combat singulier de l’âme, en cueillant cette noble branche dont la philosophie occulte parle beaucoup par sa Couronne de perles, et notre auteur dans son livre de la Pénitence ou Chemin pour aller à Christ, ainsi que dans ses autres ouvrages, mais mystérieusement ; et qui est connue de ceux qui ont obtenu cette couronne et cette bénédiction dans la lutte spirituelle, ou de Jacob.
25. Sa devise ou son inscription ordinaire, particulièrement dans ses lettres, fut : notre salut dans la vie de Jésus-Christ en nous, pour marquer la réunion sublime de l’homme avec Dieu, par la foi dans l’amour de Jésus-Christ, où est la noblesse véritable originelle et la consolation suprême des âmes fidèles, selon le degré le plus parfait, avec une allégresse inexprimable et une paix éternelle.
26. Il écrivait ordinairement dans les albums de ses amis : à qui le temps est comme l’éternité, et l’éternité comme le temps, est exempt de toute contestation.
27. Sa taille extérieure fut caduque et petite ; il avait l’air ordinaire, le front bas, les tempes élevées, le nez un peu aquilin, les yeux gris tirant sur le bleu de ciel brillant, une barbe courte et mince, une voix dure et cependant agréable ; il fut retenu de caractère, modeste dans ses paroles, humble dans sa conduite, patient dans ses souffrances, et d’un cœur tendre. Et l’on pourra juger de tout son caractère et de son esprit doué des dons du Ciel, par ses Œuvres posthumes.
28. Sa mort bien heureuse étant décrite autre part dans tous ses détails, nous n’allons parler ici que de ce qui nous a paru le plus remarquable.
29. Jacob Bœhme ayant passé, en 1624, quelques semaines chez nous en Silésie, outre différents discours sur la connaissance sublime de Dieu et de son fils, particulièrement sur la lumière de la nature secrète et manifeste, il redigeait en même temps les trois tables de la manifestation divine (pour M. Jean Sigismond de Schweinich et pour moi Abraham de Frankenberg) ; attaqué d’une fièvre chaude, il devint enflé à force de boire de l’eau, en sorte qu’on fut obligé par son ordre exprès de le faire transporter chez lui à Gœrlitz, étant dangereusement malade. Après avoir fait une profession de foi évangélique et avoir usé du gage de la grâce, il est mort le dimanche 7-15 novembre. Ayant fait appeler et demandé à son fils aîné : s’il entendait aussi la belle musique ? Sur sa réponse négative, le moribond ordonna d’ouvrir la chambre, afin qu’on entendît mieux le chant mélodieux. Ensuite il demanda quelle heure il était, et lorsqu’on lui répondit, qu’il allait sonner trois heures, il dit : Mon heure n’est pas encore arrivée, mais mon temps sera dans trois heures ; dans cet intervalle il prononça une seule fois les paroles suivantes : Dieu fort : Dieu Zabaoth, sauve-moi selon ta volonté ! Seigneur Jésus-Christ crucifié, aie pitié de moi, et reçois-moi dans ton royaume. Mais à peine il avait sonné six heures, qu’il dit adieu à sa femme et à son fils, les bénit, et dit : maintenant je pars pour le Paradis. Il ordonna ensuite à son fils de se tourner, poussa un profond soupir et s’endormit dans le Seigneur.
30. Il serait peut-être à propos de faire mention ici de ce que Jean Qud. Camérarius, Méd. doc. (Centia 2. Mémorabil. Médicinal, art. 94, page134), dit sur la mort de Janus Dousa, Seigneur de Nordwyck et de Kattendyck, savoir : que lorsque ledit seigneur Janus Dousa fut sur le point de mourir, il avait comme en extase, avec un corps encore sain, été admis à l’entrée secrète des âmes, où il avait goûté les vertus de l’autre monde, c’est-à-dire les délices de l’immortalité, qu’il avait vu et ressenti d’avance, ce que n’obtiennent que les trépassés, par une préparation pieuse à l’heure de sa mort ; car lorsque cette âme bienheureuse, sans aucune souffrance, vit approcher sa dernière heure, voilà que ce saint homme s’écria inopinément en présence de tous les assistants : Qu’entends-je ? ou est-ce que je l’entends moi seul ? Quelle voix ? quel chant ravissant ? Tout le monde en étant fort étonné, et n’entendant rien, ils s’aperçoivent que cet homme aimé de Dieu, et admis aux merveilles et mystères divins, ne vivait plus à la manière humaine ou terrestre, mais à la manière céleste, et qu’il allait occuper sa demeure et son lieu de repos éternel, qu’il avait jadis perdu en Adam.
31. De tels aspects et avant-goûts (Euthanasia cum Athanasia) ont été beaucoup plus communs et plus connus chez les anciens Chrétiens pieux et simples, que chez les Chrétiens d’aujourd’hui, qui ne sont portés qu’aux frivolités et aux sciences vaines de ce monde ; les histoires des Saints et des autres hommes morts dans le Seigneur dans le sabbath saint et en Zébaoth nous fournissent des exemples abondants de ces sortes d’extases.
32. Ensuite on a dûment enseveli et enterré notre auteur, et cela non pas sans une grande répugnance et une forte opposition de notre premier ministre ou grand prêtre. On fit ensuite un monument ou une épitaphe honorable sur le tombeau de J. B., laquelle épitaphe avait été envoyée de la Silésie, et qui peu après fut détruite et brisée par l’instigation du démon.
33. Ce monument était une croix de bois noir avec le nom hébraïque de Jhésuh et douze rayons de soleil en or ; au-dessous de la croix est un petit enfant appuyant son bras et sa tête sur une tête de mort avec ces lettres V. H. I. L. C. I. U. qui signifient : notre salut dans la vie de Jésus-Christ en nous.
34. Dans un grand oval ou champ il y avait les paroles suivantes : né de Dieu, mort en Jhésuh, scellé du sceau du Saint-Esprit, repose ici Jacob Bœhme, né à Vieux Seidenbourg, mort l’an 1624, le 17 novembre à 6 heures du malin, dans la cinquantième année de son âge.
35. A la droite, du côté du midi, était peinte sur la croix une aigle noire sur une montagne, écrasant de sa serre gauche la tête d’un grand serpent tortillé, et de la droite il tenait une branche de palmier, et dans son bec il recevait, du soleil, une branche de lys, avec la devise vidi.
36. A la gauche de la croix, du côté du septentrion, il y avait un lion avec une couronne d’or surmontée d’une croix ; sa patte droite de derrière était appuyée sur un cube, et sa gauche antérieure sur une pomme globe impérial d’empire renversée, ou sur un globe ; de sa patte droite de devant il tenait une épée flamboyante, et de sa gauche un cœur enflammé, avec la devise vici.
37. Mais au milieu de la croix et au-dessous de l’ovale, l’inscription de l’épitaphe en vers ; à la tige de la croix il y avait un agneau avec une mitre sur la tête, (comme on en trouve de pareils emblèmes dans la 29.e des 33 figures magiques de Paracelse, sous un palmier, auprès d’une fontaine jaillissante, paissant dans un champ vert au milieu des fleurs, avec la devise veni ; lesquelles trois devises il faut entendre du verbe unique de Christ de la manière suivante :
In mundum Veni ! Sathanam descendere Vidi ! infernum Vici ! Vivite magnanimi.
38. Enfin il y avait au bas de la croix et montant vers le haut, ses dernières paroles : maintenant je pars pour le Paradis ; là il chante les louanges de Dieu ; nous regardons après lui et nous attendons aussi la fin de la carrière de nos jours, jusqu’à ce que Jésus-Christ veuille bien nous appeler à lui.
39. Voilà tout ce que nous croyons digne d’être remarqué de la vie simple de notre pieux Théosophe allemand, par son propre récit et par les rapports fidèles de ses amis intimes.
40. S’il se trouvait cependant des personnes qui voulussent se scandaliser de la simplicité de l’auteur ou douter de l’identité de la personne, c’est-à-dire qu’un autre se fût caché sous son nom, pour présenter au monde des principes nouveaux et inconnus: ou pour rétablir une ancienne hérésie condamnée, ou pour répandre dans le public une diablerie inventée ou déterrée du fond des enfers: (dont il y a aujourd’hui une grande abondance parmi les querelleurs de l’école d’Aristote, et parmi nos grands prêtres à la mode).
41. Que celui dont nous venons de parler se tienne pour averti de la part de Dieu et de la part de sa vérité qui durera éternellement: qu’il ne se laisse pas capter par des pensées absurdes ou par des calomnies: attendu qu’il a plu à Dieu selon ses sages conseils et selon sa volonté bienveillante, de choisir non pas quelqu’un qui soit ou élevé, ou puissant, ou noble, ou sage, ou riche, ou un autre personnage; mais quelqu’un qui soit humble, faible, pauvre, fou et qui ne soit rien aux yeux du monde ; afin de confondre ce qui est élevé et puissant. Car Dieu confond les orgueilleux, et il renverse les puissant de leurs trônes : mais il élève les pauvres de la poussière, et il accorde aux humbles toutes les grâces : le mystère du Seigneur est dans les mains de ceux qui le craignent, et il leur fait connaître son alliance.
42. L’histoire nous fournit assez d’exemples de dons célestes, qu’il a plu au Seigneur de répandre sur les hommes; Dieu ne fait acception de personne, quelles que soient sa nation, sa race, la langue et son état ; n’importe, quiconque le craint et fait bien, lui est agréable : ainsi il lui est facile de faire d’un berger, comme Amos, un prophète, ou comme de David, un Roi : de faire d’un publicain, comme Mathéus, un évangéliste, ou d’un idiot ignorant ou pécheur, un apôtre, tels que furent Pierre et André, Jacob et Jean, ou d’un persécuteur et d’un artisan, un vase d’élection, comme d’un Saul un Paul : il en pouvait faire autant d’un cordonnier pauvre et méprisé, comme il avait suscité sous le règne de Julien l’apostat un thaumaturge (qui était obligé de transporter, par ses prières, une montagne dans la mer) ou comme il avait fait paraître, il y a quelques années, à Wittmund dans la Frise orientale, un homme très-versé dans les Écritures Saintes (dont parle Jean Ang. Werdenhagen dans sa Psychologia, page 365) ; ou enfin Dieu ne peut-il pas faire de rien quelque chose, et même tout ce qui lui plaît.
43. Ou le Tout puissant ne peut-il pas disposer de ce qui lui appartient, selon son bon plaisir ? Pharisiens orgueilleux, grands prêtres envieux et docteurs de la loi présomptueux, n’êtes-vous pas fâchés de ce que notre Seigneur, notre père, notre Dieu plein de miséricorde est si bon envers ses enfants ? Allez mordre vous-même votre langue de rage et de colère, et grincez les dents ; arrachez et dévorez vous-mêmes votre cœur jaloux et impie, prouvez par-là que le vieux serpent et l’enfer vindicatif vous ont engendré : et que toutes vos ruses et tout votre art proviennent des enfers, et nullement de Dieu en Christ, ni de l’Esprit Saint, ni du Verbe de la grâce et de la vérité.
44. Et ne serait-il pas nécessaire de nos jours, dans un temps où le christianisme est bouleversé et détruit, que Dieu parlât une fois, par une autre bouche, à ces peuples séduits et à leurs conducteurs aveugles ? Toute chair ayant corrompu sa voie devant le Seigneur, et particulièrement le méchant dans sa dévotion appelée spirituelle et chrétienne, mais reconnue charnelle et anti-chrétienne, qui couvre tous ses vices par un dehors brillant, et qui sous ce brillant dehors porte encore dans son cœur la soif du sang et le glaive de la vengeance infernale.
45. Je ne veux pas m’étendre davantage là-dessus, car la publicité générale et la triste expérience des cœurs aimant vraiment Dieu, font foi combien il y a de témoignages et d’exemples incontestables ; que celui qui a une oreille pour entendre ou des yeux pour voir, voie et écoute, ce que le Verbe et la lumière de la vérité dit et montre dans ses témoins appelés et élus à cela : il trouvera que le ciel et la terre font la guerre à l’espèce humaine actuelle, et qu’il se prépare un autre temps et un autre engendrement, qui se manifestera à tout l’univers comme un éclair de l’orient à l’occident, en moins de rien, et qui amènera le septième jour férié ou igné et le jour du dernier jugement ou sabbath, que les Saints prophète0, les apôtres et d’autres hommes éclairés de Dieu ont toujours vu dans l’esprit, et l’ont annoncé dès le commencement au dernier monde. C’est pourquoi bien heureux sera le serviteur qui veillera quand le maître arrivera.
46. Enfin que personne ne se heurte contre cette pierre angulaire de la simplicité, afin qu’il ne se brise pas, mais qu’il relève plutôt son courage, et qu’il pense que le ciel est le plus haut là où la terre est la plus basse, et que selon le Verbe du Seigneur toutes les collines et toutes les hautes montagnes seront abaissées et les vallées élevées, afin que tout soit aplani, et qu’on puisse marcher sans se heurter dans le pays du vivant.
47. Que le Seigneur, le Très-Haut soit loué, qui abaisse l’un et élève l’autre, et qui donne son esprit quand et à qui il veut, afin qu’aucune chair ne se vante devant lui.
48. Mais quant au talent particulier, c’est-à-dire au don de la grâce, que Dieu le dispensateur suprême et unique de tout bien a versé du haut du ciel dans ce vase de terre et méprisé du monde prudent et orgueilleux, comme un grand trésor et une perle précieuse: il est d’une telle dignité et d’une telle bonté, qu’à mon avis (si toutefois on a des fenêtres ouvertes vers Jérusalem) depuis les temps des apôtres, on n’a pas manifesté et annoncé aux habitants de la terre une base aussi sublime et aussi profonde de la connaissance essentielle de la très-sainte triple unité de Dieu, et de la lumière de la nature secrète et manifeste, de la sainteté et de la grâce.
49. Où il faut principalement considérer, pourquoi Dieu a particulièrement favorisé par un don si sublime, notre nation bouleversée et dévastée tant spirituellement que corporellement; et encore par une personne si faible et si peu considérée, et dans des temps aussi embrouillés, où tout est comme enseveli dans la mort, dans un profond sommeil, dans la fange, dans le tourment des soucis temporels de la volupté et de la bonne chère, en sorte qu’on néglige les grâces éternelles visibles et le royaume céleste de Dieu et de Christ, et qu’on ne se débat que de l’écaillé et de l’écorce de la lettre morte, et de cette vie et de ce corps périssable terrestre; qu’on se fait la guerre, qu’on se tue, qu’on détruit tout par le fer et par les flammes, qu’on se persécute et se condamne réciproquement, et cela par amour pour les propres honneurs vains et ignominieux, pour la volupté et les vils intérêts, on se précipite impitoyablement dans la misère, et on se conduit comme s’il n’y avait ni justice ni jugement, ni une félicité ni une condamnation éternelles, ni foi ni connaissance, ni ciel ni enfer, ni anges ni démons, ni vie ni mort : oui, comme s’il n’y avait jamais eu de Dieu, ou qu’il n’y eût jamais rien à espérer ni à craindre.
50. Notre auteur a prouvé jusqu’à l’évidence par ses arguments incontestables, combien on doit rougir de l’aveuglement et de la dépravation des hommes : il a montré d’une manière irrésistible la grande bonté, la sagesse et la toute-puissance de Dieu sur les hommes ; il a fortement et non pas sans peine prêché la pénitence ; le lecteur s’en convaincra en lisant ses ouvrages avec quelqu’attention, et se pénétrant bien de la simplicité du christianisme.
51. Notre auteur a aussi parlé de certaines choses, particulièrement des mystères jusqu’alors inconnus de l’engendrement divin et humain, céleste et terrestre, angélique et démoniaque, de leur nature et qualité), que beaucoup de lecteurs ne concevront et ne saisiront pas au premier abord ; il faut s’en remettre, pour ce temps, à l’esprit de Dieu, jusqu’à ce qu’une lumière à venir le reconnaisse mieux, et le manifeste à l’homme digne d’en avoir l’intelligence. Car Dieu ne manifeste pas tout de suite et tout d’un coup, selon sa sagesse éternelle, à l’homme, la profondeur de ses secrets, il ne lui en donne que de temps en temps quelques éclairs ou rayons.
52. Il faut bien remarquer, qu’on ne peut pas juger des écrits inspirés de Dieu par des raisonnements communs païens (comme on est d’ordinaire accoutumé à mêler dans les œuvres et dans les paroles de l’Esprit saint la dialectique impie et lourde d’Aristote, la rhétorique babillarde et la métaphysique folle, pour les censurer et les critiquer d’une manière blasphématoire) ; car comment peut juger le Scyte aveugle de la lumière divine ? ou que peut dire le Juif paresseux du Verbe vivant ? ou le Grec insensé de l’esprit de la sagesse éternelle (qu’il n’a ni vue, ni entendue, ni comprise)? Il y faut la manifestation divine et la régénération dans l’esprit de l’âme c’est-à-dire la lumière de la vérité et de la grâce cachées de Jésus-Christ avec la manifestation du royaume de Dieu, avec le regard et l’avant-goût des vertus de l’autre monde et du Verbe bienveillant de Dieu en nous.
53. Les hommes éclairés parmi les païens, les juifs et les chrétiens, qui vécurent dans le point principal du Verbe éternel et vivant, étudièrent d’une toute autre manière leurs oracles, leurs paroles, et opérèrent leurs prodiges d’une manière bien différente de celle des synagogues des hauteurs de Babel et d’Israël (particulièrement cette femme, Philautia de Laodicée, si pieuse, si sage, si clairvoyante et si riche).
54. Nous pourrions citer bien d’autres exemples, s’il était à propos de le faire ici. Mais on n’a qu’à jeter les yeux dans les ouvrages suivants : de Oculo sydereo ; de Triade mijstica, de Viâ veierum sapientium de Evangelio exulantum, copie de l’Horreur de la désolation, de Judiciotheomantico, Seriphiele, Raphaële, etc., etc. [4] Le traducteur n’a pas transcrit les numéros 55 à 59 figurant dans l’édition originale.
Abraham von Franckenberg
Notes :