Sommaire
Présentation de l’éditeur
« Après avoir quitté l’Ordre des Chevaliers Maçons Élus Coëns de l’Univers, Louis-Claude de Saint-Martin (1743-1803) réunit quelques intimes pour leur prodiguer sous la forme de conférences particulières l’enseignement, théorique et pratique sur la « grande affaire » humaine qui est la « Réintégration des êtres dans leur première propriété, vertu et puissance spirituelle divine ».
Sous le hiéronyme « Le Philosophe Inconnu », il publia de nombreux ouvrages, tentant d’éveiller chez ses lecteurs le Désir, désir de Dieu et de Sa Sagesse : Sophia. Pour y parvenir, Louis-Claude de Saint Martin proposa une voie directe, dépouillée de tout merveilleux et de tout fantastique, une voie interne. Cette voie interne est dite aussi « cardiaque » depuis que Papus (1865 – 1916) créa l’Ordre Martiniste pour perpétuer cet enseignement, ce cheminement d’esprit, dans l’Esprit.
Philosophique, théosophique, mystique et initiatique, le Martinisme, aujourd’hui polymorphe, continue à éveiller ce saint Désir pour en révéler la sagesse : la Sophia du Désir. »
(4e de couverture.)
Titre : Sophia du Désir – La voie interne de Saint-Martin
Auteur : Sagi Nahor
Préface : Serge Caillet
Éditeur : La Tarente, Aubagne
Nombre de pages : 184 p.
Parution : 2021, novembre
ISBN : 978-2-916280-78-3
Note de lecture
Dans la préface qui introduit ce livre, Serge Caillet rappelle que Saint-Martin n’a ni inventé ni transmis d’initiation et qu’il n’existe pas de filiation entre le martinisme de Saint-Martin et celui de Papus. Au fil de son ouvrage, Sagi Nahor entretient pourtant le doute et tente de mettre en parallèle l’initiation papusienne avec la doctrine saint-martinienne ou celle de Martinès de Pasqually. Ce n’est pas sans raison que l’auteur reproduit en annexe une brochure comprenant les rituels de l’Ordre Martiniste de Papus. Dans le texte de présentation figurant en quatrième de couverture, Sagi Nahor reprend la légende qui veut qu’après avoir quitté l’Ordre des élus coëns, Louis-Claude de Saint-Martin ait réuni « quelques intimes pour leur prodiguer sous la forme de conférences particulières l’enseignement, théorique et pratique […] [1] Ce texte est, à peu de chose près, celui que l’auteur a utilisé pour la quatrième de couverture d’un autre ouvrage, Rituélie Martiniste, publié en 2012. .
Ce postulat du cercle des intimes a été inventé par un personnage anonyme en 1794. Colporté par Heinrich Martin Gottfried Köster dans Die Neuesten Religionsbegebenheiten (1795), il a été popularisé par Gérard van Rijnberk dans Un thaumaturge au XVIIIe siècle, Martinès de Pasqually (1935, p. 161-163). Notons qu’une affabulation du même type a été formulée par Varnhagen von Ense en 1821. Ce dernier pensait que Saint-Martin avait fondé, avant 1784, c’est-à-dire à l’époque de la publication de son deuxième livre, « une société dont le but ne serait que la spiritualité la plus pure ». Varnhagen von Ense ajoutait que c’est pour développer cette société que le théosophe avait entrepris ses voyages en Italie et en Angleterre ! Rien dans la biographie de Saint-Martin, dans ses nombreuses correspondances, ses activités ou les propos de ses proches amis, ne permet d’étayer ces suppositions. Dès lors, on ne s’étonnera pas que ces légendes n’aient été retenues par aucun chercheur sérieux et Robert Amadou lui-même ne s’y est pas attardé. L’utilisation de ce postulat, celui d’une « école » fondée par Saint-Martin, forme le prétexte à l’étude de la « voie interne de Saint-Martin », thème de cet ouvrage. Bien que cette affirmation soit lourde de conséquences, elle n’est pas justifiée dans l’ouvrage, l’auteur ne revenant pas sur le « cercle des intimes ».
Contrairement à ce qu’affirme Sagi Nahor (4e de couverture et p. 120-121), Saint-Martin n’a pas publié, à partir de son deuxième ouvrage (Tableau naturel, 1782), sous le pseudonyme « ‘’Le’’ Philosophe Inconnu ». Il n’utilise en effet ce pseudonyme que vingt ans plus tard, à partir de 1800, pour ses derniers ouvrages. Ses livres précédents sont publiés anonymement, avec parfois une remarque discrète, comme c’est le cas pour son deuxième ouvrage : « par l’auteur de Des Erreurs et de la Vérité » (voir sur ce point la note « Saint-Martin ou le Philosophe inconnu »). Nous ferons observer que lorsque au début de son livre, Sagi Nahor parle de ce deuxième livre de Saint-Martin, Tableau naturel des rapports qui existent entre Dieu, l’homme et l’univers, il commet une erreur étonnante en écrivant « qui unissent Dieu, l’Homme et la Nature » au lieu de « qui existent entre Dieu, l’homme et l’univers » (p. 27). Heureusement, pareille faute ne se reproduit pas dans le reste de l’ouvrage, mais de telles erreurs sont cependant significatives, tout comme les nombreuses occurrences où l’auteur écrit le nom de Saint-Martin en deux mots, « Saint Martin ».
À la lecture de Sophia du Désir, nous avons éprouvé bien des difficultés à reconnaître des bribes de la pensée saint-martinienne. Certes, il n’est pas faux de rappeler, comme le fait Sagi Nahor, que Saint-Martin proposa une voie dépouillée de tout merveilleux, une « voie interne ». Il faut toutefois préciser que c’est dans ses livres qu’il formula ces recommandations et non dans des « conférences » destinées à « quelques intimes ». L’auteur se plaît à rappeler ce qu’écrivait Saint-Martin à son ami Kirchberger en juin 1797, lorsque ce dernier espérait voir le théosophe lui transmettre quelque initiation :
La seule initiation que je prêche et que je cherche de toute l’ardeur de mon âme est celle par où nous pouvons entrer dans le cœur de Dieu, et faire entrer le cœur de Dieu en nous, pour y faire un mariage indissoluble qui nous rend l’ami, le frère et l’épouse de notre divin Réparateur. Il n’y a d’autre mystère pour arriver à cette sainte initiation, que de nous enfoncer de plus en plus jusque dans les profondeurs de notre être. [2] Voir ce texte. »
Soulignons que Saint-Martin ne donne pas pour autant de méthode précise sur les moyens à employer pour parvenir à cette union, si ce n’est par la pratique de la prière. Il précisera un peu plus tard à Kirchberger : « […] je ne veux n’enseigner et ne prêcher à tout le monde soit verbalement, soit par écrit, que la nécessité indispensable et exclusive [3] C’est nous qui soulignons. de notre régénération et de notre réunion et alliance intime avec le Verbe de Dieu fait homme, si nous voulons obtenir et parvenir au royaume de la vie. » (31 décembre 1798.) Du reste, au cours des dernières années de son existence, Saint-Martin renverra plusieurs fois ceux qui le questionnent sur ces sujets à cet Unum necessarium (l’unique nécessaire). Nulle part dans ses livres ou dans ses lettres, il n’est question de la nécessité d’anges, de « sophiurgie », d’ordination ou d’initiation sacerdotale, ou de rite d’adoubement pour suivre ce chemin. Certes, chacun est libre de penser que de tels éléments soient utiles, ce qui semble être le cas de l’auteur, qui consacre une partie de son livre à développer ces points, mais ce ne sont pas là les propos que tient Saint-Martin.
Ce livre est symptomatique des contorsions qu’il faut opérer pour mettre en parallèle les doctrines du néo-martinisme de Papus avec celles de Saint-Martin. Or nous avons affaire à deux systèmes qui n’ont que peu de rapports l’un avec l’autre. Robert Amadou précisait en 1946 :
Papus présenta au public l’« Ordre Martiniste » qu’il venait de fonder, en l’attribuant à Saint-Martin. On ne peut nier, en effet, que Papus ait contribué à la vulgarisation du Martinisme ; mais on ne peut nier non plus qu’il ait trahi la pensée et l’esprit de Saint-Martin. Pour qui a lu le Philosophe Inconnu, pour qui a médité son œuvre et compris l’idée qu’il se forgeait de la Fraternité Ésotérique, comment serait-il possible d’accepter l’Ordre Martiniste de Papus ? […] nous voulons seulement faire remarquer combien l’Ordre Martiniste de Papus est opposé aux déclarations et aux actes de Saint-Martin, et de ses premiers disciples. […] le texte des cérémonies d’initiation sont autant de fruits d’un esprit fertile certes, mais plus proche d’Hiram que du théosophe d’Amboise. Si, d’aventure, Saint-Martin revenait parmi nous, s’il entrait par mégarde dans une « loge martiniste » (!), s’il y voyait les Frères vêtus de rouge, masqués de noir, s’il arrivait devant le Président paré du sautoir blanc et du titre de Philosophe Inconnu, Saint-Martin ne lui demanderait-il pas, comme, jadis, à Martinès : « Maître, faut-il tant de choses pour prier Dieu ? ». [4] R. Amadou, « Papus et l’avenir du martinisme », Les Cahiers de l’Homme-Esprit, n° 1, 1947, p. 4-7.
AntoineÉcrire que « les symboles légués par Papus manifestent, expriment et se raccordent à la fois avec la doctrine de Martinès de Pasqually et à la pratique de Louis-Claude de Saint-Martin » (p. 106) n’a donc guère de sens. On s’étonne d’ailleurs que lorsqu’il aborde la question de la symbolique de l’initiation au premier degré du martinisme papusien, l’auteur omette de signaler que ces éléments sont directement repris des théories de Fabre d’Olivet (Destin, Volonté, Providence, p. 109-110 et 148-149) [5] De l’état social de l’homme, ou Vues philosophiques sur l’histoire du genre humain, vol. 1 « Dissertation introductive », J. L . J. Brière Libraire, Paris, 1822, p. 2-64. .
Sagi Nahor reconnaît que si la souche martiniste de Papus « est un peu vague et laisse l’historien perplexe, la filiation donnée par Augustin Chaboseau est vérifiable » (p. 127). Nous l’avons nous-même pensé autrefois en faisant confiance aux propos d’Augustin Chaboseau. Mais en étudiant par la suite les divers récits laissés par ce dernier, nous avons découvert comment il avait construit, étape par étape, entre 1920 et 1946, le roman de son initiation. Comme nous l’avons démontré, ce tableau invraisemblable ne résiste pas à l’analyse. Il en est de même du contenu doctrinal utilisé par Augustin Chaboseau et Victor-Émile Michelet pour transmettre cette initiation. Cette dernière pose d’ailleurs un problème majeur, car elle ajoute aux symboles déjà utilisés par Papus, des éléments basés sur les phantasmes d’une Société du Philosophe Inconnu imaginée par Démétrius Platon Sémélas, et intègre également une consécration templière… [6] « Un disciple légendaire de Louis-Claude de Saint-Martin, l’abbé Delanouë (1747-1823) – Aux sources d’une filiation controversée », Politica Hermetica, n° 33, 2019, p. 169-196.
Papus était plus raisonnable, mais n’oublions pas cependant que s’il avait placé l’Ordre Martiniste « sous les auspices du Philosophe Inconnu », il ne s’attachait guère à associer ce titre à la personne de Saint-Martin. Il voyait avant tout dans le « Philosophe Inconnu » un principe invisible qui se manifestait lors des opérations théurgiques et dont Saint-Martin n’aurait été que le support (sur ce point, voir notre article « Papus, l’Agent inconnu et la voie cardiaque, réflexions à propos d’un mariage insolite »). Quant à la « voie cardiaque », il n’est pas inutile de rappeler que ce que Papus désigne sous cette formule n’est pas la « voie interne ». Il précise : « […] cette autre voie que nous appellerons la voie cardiaque se concentre et se résume dans la Théurgie » [7] Papus, L’Illuminisme en France 1771-1803 : Louis-Claude de Saint-Martin. Sa vie – Sa voie théurgique [sic !] – Ses ouvrages – Son œuvre – Ses disciples. Suivi de la publication de 50 lettres inédites, Paris, Chacornac, 1902, p. 48 . Du reste, l’Ordre créé par Papus s’occupait davantage d’organiser une école, une université des sciences hermétiques, que de diffuser la pensée de Saint-Martin.
Qu’en est-il de la Sophia mise en avant par le titre de l’ouvrage ? Pas grand-chose, et nous engagerons les lecteurs qui veulent en savoir plus à se reporter à une étude qui en quelques pages résume la question de la Sophia chez Saint-Martin : « Sophia, miroir des formes et terre des générations spirituelles. Introduction à quelques textes de Louis-Claude de Saint-Martin sur la Sagesse divine », de Nicole Jacques-Chaquin [Lefèvre] (Sophia et l’âme du monde, « Les Cahiers de l’Hermétisme », Albin Michel, 1983, p. 225-230.)
Dominique Clairembault
Sommaire
Préface de Serge Caillet, p. 11
Avant-Propos, p. 25
En guise d’introduction
- La Théosophie Occidentale, p. 27
La Lumière
- Le Prologue de Saint Jean, p. 35
La Voie Saint-Martinienne, p. 37
- L’Interne Saint-Martinien, p. 37
- Les Vertus, p. 43
L’Âme
- Le Septénaire, p. 49
- Les Anges, p. 51
- Les Cercles, p. 53
- L’homme intérieur et nouveau, p. 60
L’Esprit
- Le Quaternaire, p. 63
- L’union du Cœur et de l’Esprit, p. 66
- Le Ministère de L’homme, p. 70
- L’Esprit Sacerdotal, p. 74
Prier
- Le Nom, p. 79
Le Lieu du Cœur
- Le Temple, p. 87
- L’espace du Temple, p. 90
- Le Culte, p. 91
Les Noces Sophiques
- Sophia, p. 99
- La Cite Sainte, p. 101
Le Martinisme contemporain, p. 105
- Six Points, p. 105
- Papus et le Martinisme, p. 107
- Louis Claude de Saint-Martin, ou le Philosophe Inconnu ? p. 120
- Initiation de désir, p. 122
L’action, p. 129
Annexe
- Cahier martiniste n° 14, p. 134
Bibliographie, p. 175
Notes :