« La musique est le seul fil d’Ariane qui soit donné sensiblement et généralement à tous les hommes, pour les conduire dans le labyrinthe ; les autres fils ne sont réservés qu’à des individus et à des élus particuliers ou généraux ; il suit de là que nul homme n’est excusable de ne pas ouvrir les yeux à la vérité. »
Cette phrase qui ouvre l’un des textes que Saint-Martin a consacré à la musique dans De l’esprit des choses nous montre l’importance qu’il accordait à cet art. Pourtant, ce thème n’a guère suscité d’analyses chez les commentateurs de son œuvre. En dehors de Joscelyn Godwin qui y consacre quelques pages dans son livre sur L’Ésotérisme musical en France 1750-1950 [1] GODWIN, J., L’Ésotérisme musical en France 1750-1950, Paris, Albin Michel, 1991, p. 30-35. et des commentaires musicologiques de Jacques Rebotier sur la Lettre sur l’harmonie et les nombres [2] « Louis-Claude de Saint-Martin, le Philosophe inconnu, Lettre sur l’harmonie, mise à jour et publiée pour la première fois avec une introduction par AMADOU, suivie d’un commentaire et notes musicologiques de Jacques REBOTIER et d’un commentaire théosophique de l’éditeur », Renaissance traditionnelle, n° 32, octobre 1977, p. 247-269. Le texte de Jacques Rebotier occupe les pages 267 à 269. Quant au « commentaire théosophique » annoncé, il ne paraîtra jamais., publiés en 1977, il n’existe pas d’étude exhaustive sur ce sujet. Nous n’avons pas la prétention de combler ici cette lacune, mais nous souhaitons souligner un aspect original de la pensée du Philosophe inconnu.
Sommaire
1 – Saint-Martin violoniste
Louis-Claude de Saint-Martin ne s’est pas contenté d’être un théoricien en cet art : il fut lui-même musicien à ses heures.
Dans ma jeunesse étant à la campagne chez ma tante avec un musicien nommé Quentin, qu’elle m’avait donné pour maître de violon, je m’avisai de vouloir composer une symphonie, quoique je n’eusse de la vie appris la composition. Ce ne pouvait être qu’un assemblage de fautes, et en effet ce n’était pas autre chose. Le musicien Quentin à qui je la montrai et qui était bon compositeur ne put pas en lire deux mesures sans la jeter là. Je voulais cependant qu’il me rendit compte des fautes qu’il y trouvait, tandis que pour rendre ce compte il aurait fallu commencer par étudier six mois de suite, avant de connaître les bases et les principes sur lesquels il devait s’appuyer [3] SAINT-MARTIN, Louis-Claude de, Mon portrait historique et philosophique (1789-1803), publié par Robert Amadou, Paris, Julliard, 1961, n° 156, p. 103.. »
Cette étude, il l’entreprit pourtant sérieusement à l’âge de quatorze ans. Robert Amadou rapporte en effet que « sur la feuille des dépenses de l’élève Louis-Claude de Saint-Martin, au collège de Pont-Le-Voy pour l’année 1757-1758, figure l’achat « d’un violon et la boiete » [4] AMADOU, Robert, « Calendrier de la vie et des écrits de Louis-Claude de Saint-Martin », L’Initiation, n° 2, avril-juin 1964, p. 78.. Il semble cependant que le théosophe d’Amboise n’ait jamais été un virtuose. Il le dit d’ailleurs lui-même :
Ma faiblesse physique a été telle et surtout celle des nerfs que, quoique j’ai joué passablement du violon comme un amateur, mes doigts n’ont jamais pu vibrer assez fort pour faire une cadence. [5] Mon portrait, op. cit., n° 69, p. 74. »
Pourtant, Saint-Martin continua à pratiquer cet instrument pendant bien des années. Sa réponse à une lettre de Nicolas-Antoine Kirchberger — lettre datée du 29 juillet 1793, évoquant les plaisirs que lui procurent les mélodies jouées par sa fille au clavecin — en témoigne. En effet, le Philosophe inconnu y précise :
Si le sort permet que nous nous voyions jamais, je serais peut-être assez audacieux que de lui offrir de l’accompagner avec mon violon. Car je m’en suis mêlé dans ma jeunesse et quoique ce qui m’en reste soit bien peu de choses, je me traîne cependant encore un peu dans l’occasion. [6] Correspondance inédite de Louis-Claude de Saint-Martin, dit le Philosophe inconnu et Kirchberger, baron de Liebistorf, membre du Conseil souverain de la république de Berne, ouvrage recueilli et publié par L. SCHAUER et A. CHUQUET, Paris, Dentu, 1860, lettre du 2 fructidor, an III, p. 223. Le passage de la lettre de Kirchberger figure à la page 219 du même ouvrage. »
Ajoutons qu’on retrouva cet instrument dans ses effets personnels après sa mort. L’inventaire effectué dans le petit appartement qu’il occupait au numéro 668 de la rue Saint-Florentin à Paris, précise qu’il possédait « un violon avec son archet dans sa boîte en bois doublée de serge verte [7] AMADOU, Robert, Trésor martiniste, « La succession de feu Louis-Claude de Saint-Martin (1803), avec une note sur les frères Calmet », Paris, Villain et Belhomme, Éditions Traditionnelles, 1969, p. 175.». Du reste, l’un des premiers biographes du théosophe ne précise-t-il pas que « la musique et les promenades champêtres furent les délassements favoris de Mr St. Martin [8] TOURLET, René, notice publiée dans Le Moniteur en 1803 et réimprimée depuis dans les Archives littéraires de l’Europe, Mercure de France, tome I, Paris, Henrichs, janvier-mars 1804, p. 320-336. » ?
Au-delà de ces anecdotes, ce qu’il nous intéresse de mettre en évidence ici n’est pas tant les talents d’instrumentiste du Philosophe inconnu que le regard qu’il porte sur l’harmonie. En effet, comme le souligne Joscelyn Godwin, Saint-Martin est « le seul théosophe du XVIIIe siècle qui s’appliqua à des questions musicales [9] GODWIN, Joscelyn, op. cit., p. 30. ».
Dès son premier ouvrage, Des erreurs et de la vérité [SAINT-MARTIN, Louis-Claude de, Des erreurs et de la vérité, ou les Hommes rappelés au principe universel de la science, Édimbourg [Lyon], par un Ph…. Inc…., [Jean-André Périsse-Duluc], 1775, fin du chapitre VI, p. 507-525.] (1775), il accorde une large place à la musique. Dans ses livres suivants, ce thème reste certes marginal : L’Homme de désir [10] SAINT-MARTIN, Louis-Claude de, L’Homme de désir, par l’auteur de Des erreurs et de la vérité, Lyon, J. Sulpice Grabit, 1790 : n° 84, p. 140 ; n° 112, p. 177 ; n° 180, p. 262 et n° 191, p. 276. s’y attarde quelque peu, Le Ministère de l’homme-esprit [11] SAINT-MARTIN, Louis-Claude de, Le Ministère de l’homme-esprit, Migneret, Paris, an XI [1802], p. 402-403. l’effleure dans sa troisième partie, tout comme les chants 33 et 41 du Crocodile [12] SAINT-MARTIN, Louis-Claude de, Le Crocodile, ou la Guerre du bien et du mal arrivée sous le règne de Louis XV, Librairie du Cercle Social, Paris, an VII, chants 33, p. 128 et 41, p. 170..
Le livre dans lequel Saint-Martin développe le plus ce thème, après son premier ouvrage, est De l’esprit des choses [13] SAINT-MARTIN, Louis-Claude de, De l’esprit des choses ou Coup d’œil philosophique sur la nature des êtres et sur l’objet de leur existence, par le Philosophe Inconnu, Paris, Laran-Debrai-Fayolle, an VIII [1800], tome I, p. 170-179. , où il consacre deux textes à la musique. Enfin, il existe un texte peu connu — il ne fut publié pour la première fois qu’en 1977 — : la Lettre sur les rapports de l’harmonie avec les nombres [14] REBOTIER, Jacques, op. cit., p. 247-269. . Il s’agit là de l’un des textes les plus intéressants que le Philosophe inconnu ait consacré à cet art. Nous évoquerons plus loin ses origines et en donnerons une transcription intégrale.
Abréviations utilisées pour les textes de Saint-Martin pour cet article :
- EV, Des erreurs et de la vérité
- OP, Œuvres posthumes,
- EC, De l’esprit des choses,
- HD, L’Homme de désir,
- LR, Lettre sur les rapports de l’harmonie et les nombres.
2 – Musique et nombres
Nous ignorons si Saint-Martin avait lu les divers traités sur l’harmonie qui circulaient à son époque. Connaissait-il le Nouveau système de musique théorique où l’on découvre le principe de toutes les règles nécessaires à la pratique ; pour servir d’Introduction au Traité de l’Harmonie, publié par Jean-Philippe Rameau en 1726 ? Sachant qu’il était un lecteur attentif de Jean-Jacques Rousseau [15] Cf. sur ce point Jacques-Lefèvre, Nicole : « Louis-Claude de Saint-Martin et Jean-Jacques Rousseau », Dix-Huitième siècle, 1971 ; « Saint-Martin et Rousseau », appendice III de Lettre à un ami ou Considérations politiques philosophiques et religieuses sur la révolution française, Grenoble, Jérôme Millon, 2005. , il est fort probable qu’il ait pris connaissance de la controverse qui opposa ce dernier à Rameau. Ce musicien jugeait en effet sévèrement les textes publiés par le philosophe dans l’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences nécessaires des arts et des métiers de Diderot et d’Alembert (1751-1776). Même si le Philosophe inconnu ne fait pas référence à Jean-Jacques Rousseau dans ses écrits sur la musique, son influence y transparaît en bien des points. Ces traces fugitives laissent penser qu’il connaissait son Essai sur l’origine des langues où il est parlé de la mélodie et de l’imitation musicale. Quoi qu’il en soit, il faut rappeler que le XVIIIe siècle est riche en réflexions et controverses sur l’harmonie. Après la « querelle des Bouffons » où s’affrontèrent Rameau et Rousseau, la querelle des Gluckistes et des Piccinistes faisait rage à l’époque même où paraissait Des erreurs et de la vérité [16] Cf. STAROBINSKI, Jean, « Présentation » de l’Essai sur l’origine des langues, ROUSSEAU Jean-Jacques, Paris, Gallimard, 1990 « Folio essais », p. 9-54.
La réflexion de Saint-Martin sur ce sujet s’inscrit essentiellement dans deux registres. Le premier, s’appuyant sur une arithmosophie enracinée dans la cosmogonie martiniste, analyse les aspects symboliques de la musique. Le second souligne les vertus et les destinations de cet art, en en présentant les pouvoirs subtils, voire magiques. Ces deux points de vue parsèment les écrits du Philosophe inconnu d’une manière plus ou moins organisée. Les aspects symboliques dominent dans ses premiers écrits, Des erreurs et de la vérité ou la Lettre sur l’harmonie qui, bien que non datée appartient probablement à cette période [17] Elle reprend de nombreux éléments du septième chapitre de ce livre. Elle en suit à peu près le plan et utilise les mêmes arguments.. Les écrits plus tardifs, L’Homme de désir ou De l’esprit des choses, évoquent plutôt et les vertus et propriétés de la musique.
3 – Aspects symboliques
Pour Saint-Martin, la musique se prête à merveille pour peindre l’état du monde depuis son principe d’harmonie originel jusqu’à son état actuel de désordre et de dissonance. Elle nous montre en effet « les deux lois de force et de résistance, ou d’action et de réaction qui régissent l’univers matériel et l’univers spirituel […] » (EC, p. 170). Elle présente aussi « l’image de la division universelle que le crime primitif a opérée entre les puissances régulières et les puissances irrégulières » (EC, p. 171).
Comme on le voit, et c’est l’une des caractéristiques essentielles de son analyse, Saint-Martin tente de faire coïncider les principes de son système cosmogonique avec ceux de l’harmonie musicale. Sa démonstration repose sur une vision du monde qui trouve son origine dans les enseignements de son premier maître, Martinès de Pasqually. Ses arguments, dans lesquels l’arithmosophie occupe une place importante, ne peuvent s’entendre réellement que par ceux qui ont une connaissance de la doctrine des Élus-coëns. Notons que le rapport établi par le Philosophe inconnu entre l’harmonie et les nombres semble l’éloigner des idées de Rousseau pour le rapprocher de celles de Rameau.
Dans sa Lettre sur l’harmonie et les nombres, tout comme dans Des erreurs et de la vérité, Saint-Martin développe son argumentation à partir d’une réflexion sur l’accord parfait, qu’il présente comme étant l’image de la Création, avant que son harmonie ne fusse détruite par la dissonance d’une double chute, celle des premiers anges, suivie de celle d’Adam. Le sujet de l’accord parfait est pour lui l’occasion de mettre en évidence un principe essentiel : le rapport intime de l’unité divine avec le nombre quatre. L’accord parfait « porte le nombre 1, en ce qu’il est le seul et unique, qu’il est entièrement rempli de lui-même et qu’il est inaltérable dans sa valeur intrinsèque comme l’unité » (LR, p. 2) [18] « Lettre sur les rapports de l’harmonie avec les nombres », Livre vert, manuscrit de la Bibliothèque nationale de France, FM4 1282. La pagination est celle du manuscrit de la BnF. . Saint-Martin précise qu’il « est composé de quatre sons qui renferment entre eux trois intervalles » (LR, p. 2). Dans Des erreurs, il énonce que les « trois premiers sons qui le composent sont séparés par deux intervalles de tierce » (EV, p. 508) –tierces qui « se trouvent surmontées d’un intervalle de quarte dont le son qui le termine se nomme Octave » (EV, p. 509).
Pour lui, ce quaternaire, agent principal de l’accord, est l’image de « la Cause active et intelligente » (EV, p. 509), le Christ qui préside et domine tous les êtres corporisés. On retrouve là un schéma souvent utilisé dans les rituels des Élus-coëns : deux triangles réunis de manière à former une étoile à six branches, enfermés dans un cercle que domine une croix. Cette croix, symbole du quaternaire, est pour Saint-Martin celle de la « double puissance » du Christ, qu’il associe par conséquent au nombre huit. Ainsi, pour le théosophe, l’octave représente le principe supérieur de l’harmonie et de la Création universelle. Le nombre huit de l’octave est « l’alpha et l’oméga ; ce qui nous indique l’universelle puissance du huitenaire dans la Création » (LR, p. 4).
La dissonance apportée par la Chute va briser cette harmonie primordiale, et la Création va passer sous la domination du nombre sept. L’accord de septième est pour le Philosophe inconnu celui de la dissonance, et le retour à l’harmonie ne pourra se produire que par le passage à l’accord parfait, grâce auquel les êtres peuvent trouver leur repos « dans l’unité qui est leur source » (EC, p. 171). C’est le passage par l’octave, que Saint-Martin associe au Christ, le « réparateur », qui conditionne un retour possible à l’équilibre : « l’oreille ne se trouve pas en repos sur le septième de ces sons, mais seulement lorsqu’elle est parvenue jusqu’au huitième » (LR, p. 5).
En dehors des aspects techniques de l’harmonie, le Philosophe inconnu s’interroge également sur la fascination qu’exercent musique et spectacle sur l’homme. Dans De l’esprit des choses, il présente cet attrait comme une sorte de réminiscence de la véritable destination de la musique. Plus ces spectacles « tiennent de l’ordre merveilleux et sur-temporel et plus ils le charment ; c’est-à-dire que, plus ils tiennent à cet état d’admiration qui le sort du temps ; et l’approche de sa région primitive, active et pleine de prodiges et plus il se trouve dans son élément naturel » (EC, p. 182). Les spectacles mettent en action sous les yeux de l’homme les principes de la Création et des forces antagonistes qui la meuvent. Si la musique y tient la première place, c’est parce que dans l’ordre de la Création, le Verbe a précédé la lumière, « le son précède la lumière » (EC, p. 180).
4 – Vertus et destination de la musique
Au-delà des aspects symboliques dont nous n’avons souligné que quelques éléments, Saint-Martin envisage également la musique sous un angle différent, en abordant ses vertus et sa destination. Il souligne l’intérêt que l’homme aurait à utiliser ses propriétés non seulement dans sa quête spirituelle, mais pour remplir la mission à lui échue.
Dans Des erreurs et de la vérité, le Philosophe inconnu intègre ses observations sur la musique dans sa réflexion sur la « langue première et universelle » dont l’homme a perdu l’usage. Il fait de cet art l’une des productions de la langue vraie, qui avait la musique pour mesure et la parole pour signification. Certes, depuis la chute d’Adam, l’homme ne produit plus qu’une « musique artificielle » en comparaison de la « musique principe », mais cet art conserve néanmoins une certaine puissance. Ces principes font écho à l’Essai sur l’origine des langues de Jean-Jacques Rousseau – en particulier au chapitre XII de ce livre –, à la différence que contrairement à cet auteur Saint-Martin ne situe pas cette origine dans un passé lointain mais dans une période anhistorique.
Pour Saint-Martin, la musique possède cette vertu essentielle de permettre à l’homme de briser les barrières temporelles qui l’environnent, pour « que les vertus d’en haut puissent le pénétrer » (EC, p. 171). De même, il veut que Dieu ait fait de l’homme une « lyre divine » (EC, p. 179-180), pour qu’il produise des harmonies bienfaisantes dans toute la Création. Celui qui prend sa lyre ou chante peut mettre en mouvement les « trésors actifs de l’harmonie » et faire rayonner autour de lui ces richesses. En liant de la sorte son moi intime à ces puissances, il peut « communiquer jusqu’à cette région pure et supérieure », pour non seulement « porter son être jusque dans la région divine, mais faire encore descendre cette région divine dans tout son être (EC, p. 175).
De telles idées rappellent celles de Marsile Ficin, qui, à la Renaissance, avait composé des hymnes magiques destinés à capter les vertus des planètes. Par ailleurs, les théories de Saint-Martin sur le rôle de l’air, le support des vibrations musicales, sont proches de celles du philosophe italien [19] Cf. Walker, D.-P., La Magie spirituelle et angélique de Ficin à Campanella, Paris, Albin Michel, 1988, chap. I, « Ficin et la musique », p. 19-36. : « La musique peut-elle exister sans le son, le son sans l’air, l’air sans l’esprit, l’esprit sans la vie, et la vie sans notre Dieu ? Quelles merveilles et quelles puissances ne sont pas renfermées dans la musique ? » (HD, n° 84.)
Mais pour rendre à la musique sa destination primitive, il faudrait que l’homme en possède la clé. Or cette dernière lui a été enlevée. Dans Le Crocodile, Saint-Martin place dans la bouche de l’animal qui représente l’agent des forces du mal, ces mots étranges : « Je dis à la musique, que je lui donnais la carrière la plus vaste pour peindre tout ce qu’elle voudrait, mais j’y mis deux conditions : la première, que le diapason resterait dans mes archives ; la seconde, que la portée de sa voix et de ses instruments serait limitée à la gamme planétaire connue des nations […] [20] Le Crocodile, op. cit., chant n° 33, « Suite du cours scientifique du crocodile. Députation des sciences », p. 128..
Il reste à l’homme à retrouver cette musique vraie, cette musique principe dont l’harmonie résonne hors du monde temporel délimité par le cercle des planètes. Pour que sa musique puisse se joindre aux harmonies supérieures, « il faut que l’homme y joigne sa parole pure ; car l’air est souillé comme toute cette nature et la parole non épurée le souillerait encore davantage. Aussi, c’est quand cet air est ainsi purifié par la parole pure que la musique peut à son tour attirer la parole vive qui est au-dessus d’elle et qui ne cherche qu’à en faire son organe et son instrument » (EC, p. 176). Cette idée de pureté, Saint-Martin avait été touché de la trouver chez les Chinois, car on dit que leurs musiciens doivent avoir « des mœurs pures et le goût de la sagesse, pour tirer des sons réguliers et parfaits de leurs instruments de musique. (OP, p. 169).
Les quelques points que nous venons de mettre en évidence montrent la richesse du discours d’un théosophe dont le regard est sans cesse porté par une rare capacité à tout rapporter à une philosophie dans laquelle l’homme tient une place centrale. Musique, spectacle ou théâtre, tout est prétexte pour lui à rappeler l’homme vers le principe d’harmonie d’un paradis dont il a perdu les clés. On aurait tort cependant de prendre à la lettre ses idées sur l’harmonie. Louis-Claude de Saint-Martin avertit d’ailleurs lui-même son lecteur dans l’introduction de la Lettre sur l’harmonie, en soulignant qu’il ne faut pas prendre ses théories pour une « vraie science ». Pour lui, une telle science ne consiste d’ailleurs pas « dans de froids raisonnements ou d’ingénieuses dissertations, mais dans les vertueux désirs de l’âme et l’usage de toutes les forces de notre être » (LR, p. 1).
Dominique Clairembault
Textes de Saint-Martin sur la musique cités dans cette étude
Notes
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