Dans cet extrait du tome 1, de son livre De l’esprit des choses, Saint-Martin évoque les vertus de la musique qui peut nous permettre de « percer les régions du temps qui nous enveloppent et nous emprisonnent par leur résistance » et de nous « ouvrir les régions de ce temps qui nous obsèdent »
La musique est le seul fil d’Ariane qui soit donné sensiblement et généralement à tous les hommes, pour les conduire dans le labyrinthe ; les autres fils ne sont réservés qu’à des individus et à des élus particuliers ou généraux ; il suit de là que nul homme n’est excusable de ne pas ouvrir les yeux à la vérité.
La musique nous présente évidemment les deux lois de force et de résistance, ou d’action et de réaction qui régissent l’univers matériel et l’univers spirituel et ces deux lois sont écrites dans les deux ordres d’accords parfaits et d’accords dissonants qui composent toute la mélodie ; elle présente aussi par là l’image de la division universelle que le crime primitif a opérée entre les puissances régulières et les puissances irrégulières ; mais elle présente avec plus d’évidence encore cette éternelle vérité, que les êtres ne peuvent trouver leur repos que dans l’unité qui est leur source, ou dans cet accord parfait avec lequel elle se peint dans toutes ses harmonieuses proportions. Elle combat victorieusement par là le système faux et absurde de la philosophie aveugle, qui veut donner au bien le mal pour origine, comme elle veut que les ténèbres engendrent la lumière, que les ombres engendrent les couleurs dans les tableaux, que le zéro engendre les nombres et que les agrégats d’une matière morte engendrent des corps organisés.
La musique prise en elle-même avait pour objet essentiel de percer les régions du temps qui nous enveloppent et nous emprisonnent par leur résistance. Elle avait la propriété d’ouvrir les régions de ce temps qui nous obsèdent, pour que les vertus d’en haut pussent le pénétrer et venir tempérer ici-bas les désordres où ces puissances tyranniques nous exposent et avec lesquels elles nous tiennent liés.
Sous ce rapport, la musique des anciens doit avoir eu plus de pouvoirs que la nôtre, parce qu’elle était plus voisine de son origine et de sa virtualité primitive et que d’ailleurs plus l’univers vieillit, plus les canaux des régions du temps s’oblitèrent, parce que les hommes n’usent pas du pouvoir qu’ils ont de les désobstruer. Toutefois, je parle de la musique appliquée à son véritable objet ; car il est probable, d’après les observations faites par des savants, que dans l’ordre secondaire, la musique moderne est de beaucoup au-dessus de celle des anciens.
L’avantage que cette musique, ainsi employée, pouvait offrir, était d’abord de dissiper les influences désharmoniques dont nous sommes tous environnés, mais en outre, de devenir ensuite l’instrument d’un régulateur virtuel et puissant, au lieu de vouloir mener elle-même ce régulateur, comme lorsqu’elle ne se dirige que par le simple mobile de l’homme, ainsi que nous le voyons tous les jours.
Aussi, quelle marche suit-elle entre nos mains faibles et ignorantes ? Elle ne se meut qu’au hasard ; et pour quelques heureux mouvements passagers, elle nous promène longuement dans des régions vagues ou hétérogènes ; elle cherche plutôt les contrastes que l’expression ; elle jettera les couleurs les plus sombres et les plus dures dans un tableau qui commençait par les couleurs du bonheur et de la paix ; elle ne saura pas assez varier les couleurs de ce bonheur et de cette paix par la richesse de sa propre source et elle gâtera son tableau en y forçant trop les ombres et en y substituant des contradictions au lieu des simples oppositions.
Elle ne saura pas que le bonheur, étant notre lieu de repos, la musique a pour objet de nous y ramener lorsque nous en sommes sortis et non pas de nous en faire sortir lorsque nous y sommes établis.
Elle ne saura pas que les régions de troubles, nous étant étrangères, c’est lorsqu’elle nous place d’abord dans ces régions par des débuts sombres et tristes, qu’il lui faut employer tous les contrastes les plus tranchants pour nous en arracher et que ces contrastes les plus tranchants, ce sont ces couleurs douces, vives et pures pour lesquelles nous sommes tous faits par notre nature.
Enfin, elle ne saurait pas qu’elle peut bien, au milieu d’un exorcisme, me faire entendre des sons consolants et qui me ravissent ; mais qu’au milieu des sons qui me peindront le bonheur et la joie, il n’est pas nécessaire de me faire entendre un exorcisme.
Le fameux Poussin a peint, il est vrai, les bergers d’Arcadie et à côté de leurs danses, le tombeau d’une jeune beauté, qui avait été aussi comme eux dans l’Arcadie. Mais ici le contraste est utile et instructif ; il n’est pas déchirant puisqu’il y a la douce sensibilité qui lui sert d’intermède ; et si la musique pouvait ne nous offrir que des tableaux de cette espèce et que des contrastes dans ce genre, elle serait sûre non seulement de ne jamais nous choquer, mais même de nous être toujours profitable.
Si la musique est le fil d’Ariane du temps, comme on n’en peut douter, puisqu’elle ne sait se montrer qu’en passant elle-même par les filières du temps et de la mesure, on pourrait croire que lorsque le temps sera passé, il n’y aura plus de musique. Car, si nous examinons les sept sons, nous verrons qu’ils ne sont qu’un seul son qui devient plus aigu à mesure que l’instrument se resserre ; et comme l’instrument du temps ne se prolonge pas au-delà du temps, le son paraîtrait ne pas devoir s’y prolonger non plus ; aussi voyons-nous que l’air ne fait point de bruit.
Sans doute on ne parle point ici de notre musique artificielle, qui n’a d’autre existence que celle de notre industrie et de notre volonté. Mais quand même la musique naturelle temporelle cesserait avec le temps, la musique principe, dont celle du temps ne nous retrace l’unité que par des successions, la musique naturelle divine enfin, ne cessera jamais.
Sachons en effet qu’il y a un médium entre Dieu et le temps et ce médium est la langue éternelle des êtres purs. Ce même médium se trouvera lorsque le temps ne sera plus, parce qu’il reposera alors sur la nature régénérée. Ainsi la musique sera éternellement en action et même alors elle enfantera encore de plus beaux cantiques qu’aujourd’hui.
Il y a aussi un médium entre l’air et la musique naturelle temporelle ; et ce médium, ce sont les corps qui forment et exécutent l’harmonie de l’air, comme les êtres purs forment et exécutent l’harmonie de Dieu. Lorsque le temps ne sera plus, cette musique naturelle temporelle cessera et ne sera plus nécessaire, puisque les corps qui lui servaient de médium seront disparus eux-mêmes. Mais cette musique sera remplacée par celle de la nature primitive régénérée ; c’est-à-dire qu’elle aura recouvré la perfection qui lui manque ici-bas.
Enfin, il y a un médium entre la musique artificielle et nous et ce médium c’est notre voix dégradée et nos instruments. Aussi, cette musique cesse-t-elle quand nous voulons et est-elle épouvantablement défectueuse.
Mais comme nous avons aussi le privilège de la mettre en jeu quand nous voulons et comme nous ne pouvons la mettre en jeu que par le moyen de l’air qui est lié à tous les canaux supérieurs, nous voyons ici comment cette musique artificielle, elle-même, pourrait être en nos mains une voie puissante ou un moyen de nous relier aux régions dont nous sommes séparés.
Un homme est seul et au milieu du calme le plus profond ; non seulement alors la musique n’est rien pour lui, mais l’air même quant au son, puisqu’il n’en rend aucun. Cet homme prend sa lyre ; ou il chante ; et sans sortir de sa place, il va développer autour de lui les richesses de l’air, la vivacité des sons les plus touchants, les trésors actifs de l’harmonie et la magique puissance des accords, les pouvoirs plus pénétrants encore de la mélodie, où son moi intime peint ses plus puissantes affections ; enfin, il va tellement lier son moi intime aux puissances musicales de l’air et les puissances musicales de l’air à son moi intime, qu’il le fera communiquer jusqu’à cette région pure et supérieure avec laquelle la musique est contiguë et qu’il pourra par cet intermède, non seulement porter son être jusque dans la région divine, mais faire encore descendre cette région divine dans tout son être. Or, pour lui montrer physiquement combien cette région divine est universelle, c’est dans tous les temps et dans tous les lieux qu’il peut employer ce moyen musical, ou exercer cette espèce de culte et mettre en vigueur les lois actives de cette espèce de ralliement avec son principe.
Mais pour que la musique puisse réellement produire cet effet sublime et salutaire, il faut que l’homme y joigne sa parole pure ; car l’air est souillé comme toute cette nature et la parole non épurée le souillerait encore davantage. Aussi, c’est quand cet air est ainsi purifié par la parole pure que la musique peut à son tour attirer la parole vive qui est au-dessus d’elle et qui ne cherche qu’à en faire son organe et son instrument.
On ne doit point s’étonner que l’air ainsi purifié puisse attirer la parole vive, si l’on fait attention que dans la nature élémentaire il n’y a que l’air qui soit ouvert, parce qu’il n’y a que l’air qui, comme la parole, puisse servir à la communication directe de tout ce qu’il y a de plus profond dans notre moi intime.
L’air sert bien aussi de moyen de relation entre les animaux corporisés matériellement, puisqu’il pénètre tout ; mais ils ne l’emploient que pour exprimer par des sons leurs affections bornées, parce qu’ils ne sont que sensibles et ils ne l’emploient point pour exprimer leur admiration ni leur parole, parce qu’ils n’en ont point, n’étant pas intellectuels.
On peut même remarquer que cet air qu’ils emploient pour exprimer leurs affections bornées, suit un mode uniforme fixe, contraint et on pourrait dire, plus souvent triste que gai ; enfin, un mode qui annonce qu’il leur manque quelque chose et qui prouve sûrement que cet air dont ils se servent n’est pas à eux ; qu’ils n’en sont que les organes et les instruments et que, par conséquent, comme nous l’avons dit d’ailleurs, l’action qui les presse et les fait mouvoir est hors d’eux. Aussi, c’est parce qu’ils n’ont ni admiration ni parole, qu’ils n’ont point de musique.
C’est aussi parce qu’il n’y a que l’air qui soit ouvert dans la nature, que nous n’y voyons réellement aucun corps ni chanter ni parler ; car l’homme lui-même, quoiqu’il parle et qu’il chante, ne parle et ne chante presque jamais que de mémoire, ou par affection bornée comme les animaux et c’est si peu d’ailleurs son organe matériel qui parle et qui chante, que cet organe ne parle ni ne chante après la mort, quoiqu’il soit encore existant.
L’air de la région supérieure et divine est encore bien plus ouvert que ne l’est l’air élémentaire, parce qu’il n’est autre chose que la parole vive.
Aussi est-il le seul qui parle et qui chante et par conséquent qui soit vraiment l’organe de la musique pure. Aussi la musique pure est-elle le véritable et unique conducteur physique de toute lumière et de toute science.
La gamme de cette puissante musique a manifesté ses propriétés par les diverses progressions des présents qu’elle a été chargée de transmettre au monde et qui n’ont germé que successivement et longtemps après que leur nombre et leur destination ont été prononcés par la parole vive.
Car c’est ici l’inverse de l’ordre élémentaire et la lumière n’y paraît qu’après le son. Ceux donc qui auraient la sagesse de suivre les progressions de ce son et de cette lumière, à toutes les époques où le suprême amour en a développé les merveilles sur la terre, depuis l’instant de la dégradation de la famille humaine ; ceux-là, dis-je, trouveraient à en faire des applications à la fois instructives et consolantes.
Toutefois, les temps des oeuvres de Dieu ne se calculent pas toujours d’après les périodes matérielles et le cours physique des révolutions astrales ; ils se calculent selon les périodes de sa promesse et selon l’esprit de son amour qui, combiné avec sa sagesse, constitue à la fois et gouverne toute l’économie de son alliance avec l’homme. Aussi, quand certaines traditions diraient qu’il a abrégé les temps, il ne faudrait pas toujours entendre par là le temps naturel ; car il y a plusieurs époques du temps divin qui ont été abrégées et qui sont déjà accomplies sans que le cours des astres ait été réduit.
Ce sont comme les soins de la mère de famille auprès de son fils malade. Malgré tous les soulagements qu’elle lui procure, peut-elle toujours pour cela faire connaître à ce malheureux enfant toutes les merveilles de tendresse et d’amour qui se passent dans le coeur de cette bienfaisante mère ?
Destination de la Musique
De même que les propriétés de la musique supérieure ne pourraient, sans doute, agir sur nous qu’en produisant chacune les harmonies et les sons vifs qui dérivent d’elles naturellement, de même, leur effet serait nul pour nous, si nous n’avions pas en nous quelqu’analogie avec elles.
Aussi tout nous apprend que l’homme est comme la lyre de Dieu, puisqu’il tend sans cesse, par sa parole, à en exprimer les diverses puissances ; puisqu’il prétend posséder les secrets de la vérité dans tous les genres et qu’il a comme un penchant universel à nous les transmettre et à nous les faire entendre.
Or, une semblable lyre serait plus qu’inutile si elle n’était active et vivante. C’est pour cela qu’elle doit sentir s’opérer et s’engendrer en elle jusqu’aux organes de tous ses sons ; et qu’elle doit sentir ces sons eux-mêmes se reproduire, se varier et se multiplier à l’infini, selon la variété de l’harmonie qu’ils doivent produire.
Nos instruments artificiels, nos orgues ne sont que des images grossières de cette lyre divine, puisqu’ils sont obligés d’avoir autant de jeux que de genres de voix et autant de tuyaux que de genres de tons.
La racine organique et mélodieuse de notre être est une source simple qui renferme en elle seule tous les organes de ses modulations.
Aussi cette lyre divine que nous appelons l’homme, éprouve en elle comme une vraie création continuelle et offre au-dehors comme une universelle fécondité, ce qui nous est indiqué matériellement par les propriétés de la voix humaine qui, quoique dégradée, a cependant encore tant de moyens de nous charmer.
Mais cette propriété que nous avons d’être la lyre de Dieu nous enseigne en même temps, quel rang nous devons tenir par rapport à cet être principe de toute mélodie et de l’harmonie de tous les êtres. Nous devons être devant lui comme l’orgue devant le musicien qui peut, à son gré et à toute heure, tirer de son instrument les sons qu’il lui plaît, sans que cet instrument ait rien à exiger ni rien à opposer, soit que le musicien l’emploie à rendre des sons tristes et déchirants, soit qu’il l’emploie à en tirer des sons doux et récréatifs, soit même qu’il ne l’emploie point.
Les hommes suivent journellement des usages dont ils sont bien éloignés de connaître le sens et l’origine ; c’est ainsi qu’ils font accompagner, par la musique, tous leurs spectacles et surtout qu’ils les font précéder par cette musique : mystère dont nous avons jeté l’esprit ci-dessus, en disant que dans l’ordre de la musique vraie, la lumière ne paraissait qu’après le son.
En effet, c’est après les premiers accents de la musique que leurs théâtres s’ouvrent et que leurs productions dramatiques s’exécutent.
Or, ces productions dramatiques sont au nombre de ces images si significatives, que l’homme se forme lui-même tous les jours pour se distraire de l’ennui et des regrets de ce qu’il a perdu. Elles devraient bien plutôt lui aider à porter son intelligence jusque sur ce sensible immatériel, ou jusque sur ces merveilles sur-temporelles, dont il aurait dû jouir dans l’origine, puisqu’il en a toujours le désir ; mais aussi dont il est privé puisque ce désir ne s’accomplit que dans des images.
Qu’il lise donc dans ces images les reflets qu’elles peuvent encore lui rendre ; qu’il commence par étudier le sens du mot théâtre, dérivé du mot grec theaomaï, qui veut dire proprement regarder, contempler ; mais qui ouvre le champ le plus vaste à la pensée, quand on réfléchit à tout ce qui, au théâtre, est offert à notre contemplation et surtout quand on réfléchit que le mot Dieu ou le Theos des Grecs, dérive aussi, selon plusieurs, du mot grec Thèoréo, qui également signifie voir, parce que la divinité voit tout et que rien ne peut lui être caché ; de façon que nous verrions, pour ainsi dire, sortir de la même source étymologique l’agent, ses propriétés et l’usage que nous en devrions faire.
Car, en considérant ce que nous contemplons souvent et même avec le plus de plaisir à nos théâtres, tout nous engage à croire que dans cette mobilité si naturelle de la pensée des hommes, l’agent est bientôt devenu pour eux le sujet de l’action ou de la contemplation des spectateurs ; comme si on n’en peut douter, en apercevant toutes ces divinités mythologiques, dont tous les peuples ont rempli leurs représentations théâtrales.
Or, le résumé de toutes ces observations est qu’au théâtre, nous sommes censés voir et contempler non seulement les choses ordinaires de la vie, mais aussi les choses célestes et divines ; et cette idée simple et vraie lie parfaitement avec tous nos principes et surtout avec la proposition fondamentale de cet ouvrage. (L’homme ne peut vivre que d’admiration et d’adoration.) Elle nous montre aussi que l’homme lui-même dans ses occupations les plus frivoles en apparence, plaide entièrement pour la vérité de ces lois constitutives de son être.
Qu’il fasse donc attention, en effet, à la nature de ses spectacles et à ce qu’ils opèrent sur lui ; plus ils sont magiques, c’est-à-dire, plus ils tiennent de l’ordre merveilleux et sur-temporel et plus ils le charment ; c’est-à-dire que, plus ils tiennent à cet état d’admiration qui le sort du temps ; et l’approche de sa région primitive, active et pleine de prodiges et plus il se trouve dans son élément naturel.
La féerie de ses divinités fabuleuses et de tous les moyens qu’on leur fait employer au spectacle pour accomplir leurs divers desseins, le transporte de joie. Quand il jouit de ces images fictives, il les croit réelles ; il n’en jouit même qu’en les croyant telles et c’est à regret qu’en redescendant dans son état ordinaire de ténèbres et de privation, il les reconnaît pour imaginaires. Il voudrait que son illusion durât toujours, tant il trouvait de douceur dans la seule apparence de ces vérités figuratives et sa matière lui montre assez combien elle est l’ennemie de ses plaisirs, puisqu’en rentrant dans elle, il perd toutes ces jouissances qui le ravissaient. Heureux encore si elle ne lui portait pas d’autre préjudice et si elle ne l’entraînait pas jusqu’à douter de l’existence même des merveilles réelles de l’ordre supérieur, après l’avoir désabusé sur l’existence de ces choses fabuleuses inférieures, dont il aime tant à se repaître !
Une autre observation qui nous aidera encore à élever la nature de l’homme, c’est de voir quel rang il occupe, lorsqu’il assiste à ces spectacles et combien peu il a de mouvements à se donner pour en jouir : c’est sans sortir de sa place, c’est sans se fatiguer, que tous ces prodiges récréatifs et instructifs pour lui, se développent devant ses yeux et lui présentent alternativement le tableau des cieux, de la terre, des enfers, des anges, des démons, des phénomènes de la nature, des lois éternelles de la justice, des ressources innombrables du génie, au milieu des plus grandes catastrophes. Homme, si tu ne vois pas là ce que tu devais être, ton esprit est encore sous les chaînes de la captivité ; mais si tes yeux s’ouvrent un peu, n’oublie pas que je t’ai dit que toutes ces choses étaient précédées, pour toi, dans tes spectacles, par la musique.
Souviens-toi aussi que toutes tes fêtes, soit tristes, soit joyeuses, tu les accompagnes toujours de la musique, que tu l’emploies dans tes cérémonies funèbres, dans ta pompe militaire, dans tes combats, dans tes travaux pénibles, dans tes occupations champêtres ; que les personnes qui prennent soin de tes premiers jours ont l’attention d’en charmer par là la tristesse et d’unir autant qu’elles peuvent une bienfaisante mélodie aux balancements monotones de ton berceau ; et apprends là de nouveau comment cette vraie musique, dont je ne te peins ici que de faibles images, a pour sublime emploi de précéder, de seconder et d’accompagner la vie de tous les êtres.
Ce n’est point seulement, si primitivement par le luxe, comme on l’a cru, que les grands de la terre et ceux qui ont le moyen et le goût de les imiter, ont autour d’eux des musiciens à gage qui puissent à tous les instants les recréer par leurs concerts. Ce n’est point non plus simplement ni primitivement par le luxe, que tant de gens se plaisent à orner leurs appartements et leurs jardins de statues, de peintures et des autres ouvrages de l’art qui puissent à tout moment surprendre et charmer leurs yeux. Ce n’est qu’en second que toutes ces choses sont devenues des objets de luxe et de vanité parmi les hommes ; car l’homme est vrai par sa nature ; les abus auxquels il s’abandonne presque universellement ne sont que des déviations de sa ligne primitive et il commence toujours par la vérité.
Aussi, tous ces usages qu’on attribue aujourd’hui au luxe avec raison, prennent-ils leur première et secrète origine dans ce besoin d’admiration qui constitue notre être essentiellement et que l’homme cherche involontairement à satisfaire par tous les moyens factices qu’il a entre les mains, à défaut des moyens réels dont il est privé.
Qu’est-ce qui te prive, homme, de ces moyens réels qui te seraient si avantageux ? Ce sera la musique elle-même qui te répondra : remarque donc qu’il te faut le silence de tout ce qui t’environne pour que tu puisses librement produire tes sons et en recueillir tous les fruits ; et apprends par là que la grande harmonie divine ne te pourra jamais être sensible complètement qu’après que le choc bruyant de ces substances hétérogènes qui constituent l’univers, aura cessé son importune turbulence.
Car la musique humaine tient nécessairement en partie à cette importune turbulence, puisqu’elle ne peut avoir lieu que par le moyen de notre voix dégradée et de nos instruments de matière. Aussi cette musique humaine est-elle non seulement défectueuse, mais même exposée à des dangers parce que tant qu’elle n’est pas purifiée par la parole pure, elle ne peut ouvrir que la région de l’esprit de l’univers et cette région est compliquée et mixte, puisqu’elle doit passer par l’astral qui a deux voies, comme nous le verrons bientôt.
La musique purifiée par la parole pure, n’a aucun inconvénient à redouter, mais au contraire tous les biens à recevoir et à transmettre par la raison qu’elle ouvre la région des puissances divines qui est seule et unique.
Et pourquoi ouvre-t-elle la région de Dieu ? C’est qu’elle ouvre en nous la région de nos facultés internes, où Il a écrit lui-même ou tracé Sa propre image et que quand Dieu voit sortir de nous ce signe de Son alliance, Il ne peut le méconnaître ; Il le regarde avec complaisance et par ce seul coup d’oeil, Il lui fait produire une sainte harmonie et fait de l’homme un être qui ne peut plus se montrer qu’avec tous les signes de l’élection, de la lumière et de la puissance et ne peut plus proférer un seul son sans enfanter un miracle.