On considère généralement que les activités de l’Ordre des élus coëns marquent un temps d’arrêt dans les années qui suivent la mort de Martinez de Pasqually (septembre 1774), période où ses disciples se dispersent. Par ailleurs, Il est admis qu’après 1781, celui qu’on présente comme le deuxième successeur de Martinez de Pasqually, Sébastien de Las Casas conseilla aux temples coëns de déposer leurs archives chez les Philalèthes de Savalette de Langes [1] Michelle Nahon, Martinès de Pasqually, un énigmatique franc-maçon théurge du XVIIIe siècle fondateur de l’ordre des Élus Coëns (2e éd., revue et complétée), Paris, Dervy, 2017 p. 263-268 ; 314-315. .
Sommaire
Le fonds Du Bourg à Toulouse
Pourtant, une partie des coëns groupés à Toulouse et à Bordeaux a continué à initier de nouveaux membres jusqu’à la Révolution, et nous pouvons suivre leurs activités et projets jusqu’en 1791. Parmi ces résistants, certains seront tentés de suivre Willermoz dans le Régime écossais rectifié ou dans l’aventure de l’Agent inconnu, voire à rejoindre les Illuminés d’Avignon. Beaucoup s’engageront dans le magnétisme qui naît au milieu de ces événements. Ces détours n’empêcheront pas certains d’entre eux de continuer à pratiquer les rites des Élus coëns.
Celui qui prend la direction de ces derniers disciples de Martinès de Pasqually est Jean-Jacques Duroy d’Hauterive, un personnage sur lequel on ne savait pas grand-chose jusqu’à aujourd’hui. Matter, Gérard Van Rijnberk et Robert Amadou n’ont pas réussi à dresser le portrait d’un homme dont on ne connaissait pas même les dates de naissance et de mort. La mise à jour d’un peu plus de quatre-vingts de ses lettres (1776 à 1790) à Mathias Du Bourg (1746-1794) nous a permis de revenir sur ce personnage qui joue un rôle fondamental dans l’histoire des élus coëns. Ces lettres viennent en grande partie du Fonds Du Bourg conservé à Toulouse [2] Une partie importante de ces documents ont été déposés par les descendants de la famille Du Bourg aux archives municipales de Toulouse (sous-série 5 S) et aux archives départementales de Haute-Garonne (sous-série 63J), ainsi qu’à la bibliothèque municipale de Toulouse Ms 3418. Sur l’histoire de ces documents, voir l’Introduction de Robert Amadou à Louis-Claude de Saint-Martin, Lettres aux Du Bourg (1776-1785), mises au jour et publiées pour la première fois avec une introduction et des notes critiques par R. Amadou, préface d’Eugène Susini, avant-propos du Dr Philippe Encausse, Paris, L’Initiation, numéro spécial, 1977, p. XII-XXII. . Même s’il est constitué essentiellement des correspondances, ce fonds martiniste est considéré comme étant l’un des plus importants après celui de la bibliothèque municipale de Lyon.
Michel Taillefer, historien toulousain spécialiste de l’Ancien Régime, et Robert Amadou ont publié des documents de ce fonds [3] Michel Taillefer, La Franc-Maçonnerie sous l’Ancien Régime à Toulouse, Commission d’Histoire de la Révolution Française – Mémoires et Documents XLI, 1984, et Le Temple Cohen de Toulouse (1760-1792), Les Disciples toulousains de Martinès de Pasqually et de Saint-Martin, suivi de Fragments extraits de diverses lettres ayant en vue les vraies connaissances (1776-1780) colligés par Joseph Du Bourg et publiés par Robert Amadou, Cariscript, coll. « Document Martiniste 25 », Paris, 1986. , notamment les cinquante-quatre lettres de Saint-Martin [4] Robert Amadou, Lettres aux Du Bourg (1776-1783), op. cit. (1977), les huit de l’abbé Fournié [5] Pierre Fournié, Ce que nous avons été ce que nous sommes et ce que nous deviendrons, – Lettres, avec une introduction et des notes par Robert Amadou, coll. « Louis-Claude de Saint-Martin, œuvres complètes, I, 3 », Hildesheim, Zurich, New York, Georg Olms, 1986. (1979) et les « Fragments extraits de diverses lettres ayant en vue les vraies connaissances (1776-1780) colligés par Joseph Du Bourg [6] Robert Amadou, dans, Michel Taillefer Le Temple cohen de Toulouse (1760-1792), op. cit. p.27-92. Joseph, frère de Mathias, était lui-même élu coën. », mais ces lettres sorties de leur contexte restent peu intéressantes. Elles offrent un tout autre intérêt lorsqu’elles sont mises en parallèle avec celles de Duroy d’Hauterive qui en donne le fil conducteur. À ces publications s’ajoutent L’invocation pour le Maitre élu copiée par d’Hauterive [7] Archives secrètes, dossier publié par la revue Le Monde Inconnu, Paris 1980. Fac-similé du document dont Robert Amadou avait déjà publié une version typographiée dans L’Initiation, n° 3, 1977, p. 140-143. , publiée en 1980 par Robert Amadou et quelques lettres de Willermoz à Mathias Du Bourg ainsi que des documents publiés par le même auteur [8] De l’Ordre des élus coëns et de Jean-Baptiste Willermoz, « Archives théosophiques », Paris 1982. (1982). Robert Amadou a également donné des extraits de lettres de Duroy dans la revue Esprit des Choses entre 2000 et 2001 [9] L’Esprit des choses, publication du C.I.R.E.M., Gérigny, « Dossier d’Hauterive » : n° 25-26, 2000 ; n° 27, 2000 ; n° 28, 2001, n° 33, 2002, lettres et extraits cités sans références. , et quelques phrases citées sans références dans l’introduction des Leçons de Lyon. Cinquante-cinq lettres de Vialètes d’Aignan et quelques-unes de De Sère qui restent inédites appartiennent au fonds. Malheureusement ces documents — qu’il s’agisse des lettres de Saint-Martin, de Fournié ou de celles que nous venons de citer —, sont inaccessibles, car ils ont été volés au milieu de l’année 1990 [10] Espérons que l’enquête en cours permettra à ces documents de retrouver leur place dans les fonds de la bibliothèque municipale de Toulouse et de mettre fin à ce détournement de patrimoine. . C’est donc essentiellement grâce à des photocopies venant de plusieurs sources [11] Nous signalerons les références à ces photocopies par l’abréviation « P-FDB ». que nous avons pu tenter de reconstituer une partie de ce fonds en le complétant par d’autres documents, notamment par dix lettres supplémentaires que nous avons découvertes à la bibliothèque municipale de Toulouse.
Ces lettres contiennent des informations capitales, car elles permettent de mieux comprendre les enjeux qui marquent les dernières années de l’Ordre des élus coëns, c’est-à-dire de 1776 à 1791. Nous nous attarderons ici sur quelques points importants relevant de cette problématique : la question de la succession de Martinès de Pasqually, les conflits entre l’Ordre des élus coëns et le Régime écossais rectifié naissant, et son voisinage conflictuel avec le swedenborgisme. Pour ne pas allonger un texte déjà très long, nous avons laissé de côté le problème du magnétisme, la question des Philalèthes, de l’alchimie, la genèse des écrits de l’abbé Fournié, les nombreux points concernant la doctrine et les pratiques des élus coëns, rituels et instructions, et les questions de littératures, de sciences naturelles. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces points ultérieurement.
Qui est Jean-Jacques Duroy d’Hauterive ?
Matter présente Jean-Jacques Duroy d’Hauterive comme étant « le comte d’Hauterive », et Jean Bossu en fait un marquis. René Le Forestier l’appelle « Hauterive », Gérard van Rijnberk hésite, écrivant parfois « Roy d’Hauterive », ou « Du Roi Auterive ». Robert Amadou écrit le plus souvent « Du Roy d’Hauterive », mais l’intéressé lui-même écrit son nom en un seul mot « Duroy » et ajoute parfois d’Hauterive à sa signature… (extrait du Bulletin de la Société Martinès de Pasqually n° 30, 2020)
Dominique Clairembault
octobre 2020
(Lire la suite sur le Bulletin de la Société Martinès de Pasqually n° 30, 2020)
Sommaire de l’article
- Le fonds Du Bourg à Toulouse
- Qui est Jean-Jacques Duroy d’Hauterive ?
- Vie civile et profession
- De Seignan de Sère, substitut de l’Ordre des élus coëns
- Travaux listiques et manifestations spirituelles
- La concurrence des Directoriens
- Le voyage en Angleterre
- Les swedenborgiens
- Les papiers de Saint-Domingue
- Les tourments de la Révolution
- Un élu coën intransigeant
Notes :