Avec cette biographie, David König prend soin de sortir Jacob Boehme (1575-1624) du cliché auquel il est souvent réduit : le pauvre cordonnier soudain illuminé. S’il évoque les épisodes les plus connus des expériences singulières vécues par le théosophe de Görlitz, son illumination par l’éclat d’un vase d’étain, la visite d’un étranger lui prédisant un destin singulier, ou sa découverte d’un trésor, David König tente de distinguer ce qui relève de la légende et de l’histoire.
Après avoir retracé la jeunesse du jeune Silésien, non pas au sein d’une famille pauvre, comme on le dit trop souvent, mais dans une famille à l’abri du besoin, David König évoque sa formation. Il souligne les influences qui ont contribué à sa culture, en particulier celle du pasteur de sa ville natale, Martin Moller. Disciple de Melanchthon, précurseur de Johann Arndt, ce pasteur est l’auteur de nombreux traités de théologie. Jean-Sébastien Bach utilise ses cantiques dans plusieurs de ses cantates et certains de ses motets font partie intégrante de la liturgie luthérienne. David König évoque également le rôle des amis de Jacob Boehme, comme Balthasar Walter, Carl von Ender ou Christian Bernhard, qui lui apportèrent leur aide et leur soutien dans les conflits qui l’opposèrent aux autorités religieuses et contribuèrent à la diffusion de sa pensée en faisant circuler les manuscrits de ses œuvres.
Pour élaborer son étude, David König se base en partie sur la biographie établie par Abraham von Frankenberg, à laquelle il emprunte quelques citations (hélas rarement référencées par des notes), biographie dont la traduction fut publiée en 1825 par les amis de Saint-Martin [1. « De la vie et de la mort de Jacob Boehme », par Abraham von Franckenberg, publié dans Clavis, oder Schlüssel, das ist Eine Erklärung der vornejmsten Puncten und Wörter (1624), dont la traduction française fut publiée dans Clef ou Explication, ouvrage traduit et publié en 1826 chez Migneret, grâce au financement de Prunelle de Lière.]. Il exploite également la correspondance de Jacob Boehme, d’après la version française de Bernard Gorceix, pour souligner des aspects peu connus de la personnalité du théosophe de Görlitz. Rappelons que l’intérêt de cette traduction réside dans le fait qu’elle restitue les passages que les disciples et éditeurs de Boehme avaient expurgés pour présenter un personnage plus conforme à celui d’un maître de sagesse.
David König ne tombe donc pas dans l’hagiographie, il n’hésite pas à souligner les travers d’un personnage qui savait tirer profit de son travail, qu’il s’agisse de son commerce, où Jacob Boehme bouscule parfois les règles établies et entre en conflit avec les autorités, ou de ses négociations financières à propos de la vente des copies des manuscrits de ses textes. L’auteur de cette étude nous permet de suivre le processus d’élaboration du travail d’écrivain du théosophe de Görlitz, depuis son premier texte l’Aurore naissance (1612), en passant par De la triple vie de l’homme, les Quarante questions sur l’âme, De la signature des choses, Le Mysterium magnum… jusqu’au dernier, Quaestiones theosophicae (1624).
Ayant abordé la doctrine de Jacob Boehme dans d’autres publications [2. (Rappelons que Peter König a soutenu une thèse de doctorat : Le fini et l’infini chez Jacob Böhme, étude sur la détermination de l’Absolu (2006), texte publié chez Cerf sous le titre, Le fini et l’infini, l’odyssée de l’absolu chez Jacob Boehme, 2006).] Peter König s’attarde peu sur cette question, si ce n’est pour dénoncer l’idée trop souvent colportée d’une influence de la kabbale sur la pensée du théosophe de Görlitz. Son étude s’achève par un court chapitre consacré à la « Postérité de Jacob Boehme ». Ce dernier nous laisse un peu sur notre faim. Les rôles fondamentaux de Johann-Georg Gichtel et de Johann Wilhelm Uberfeld dans la collecte et l’édition des œuvres de Boehme sont à peine effleurés. Quant à celui d’un William Law, il est ignoré, et pour ce qui est des études publiées en français, les contributions de Pierre Deghaye et de Bernard Gorceix ne sont pas suffisamment mises en évidence.
Loin d’une monographie austère et savante, nous sommes ici en présence d’un livre très vivant, qui retrace le cheminement d’un personnage attachant. L’ouvrage est complété par une trentaine de gravures proposant des documents qui contribuent à enrichir cette biographie. Avec cet ouvrage, David König nous invite à suivre « le destin imprévisible d’un mystique tantôt penché sur son écritoire, tantôt jeté sur les chemins d’une Europe déchirée par la guerre, en des temps où se mêlent Alchimie, Astrologie, kabbale et hermétisme, et où penser peut coûter la vie ».
Titre : Jacob Böhme, Le prince des obscurs, une biographie
Auteur : David König
Editeur : Ed. du Cerf
Parution : avril 2017
Nb pages : 316 p.
ISBN : 978-2-204-12134-7
Présentation de l’éditeur
Hérétique pour les uns, visionnaire pour les autres, Jacob Böhme a provoqué la stupeur et l’admiration. Son influence s’est exercée sur de grandes figures occidentales, comme Milton, Newton, Goethe, Novalis, Schelling, William Blake, Hegel, Jung ou encore Cormac McCarthy. La vie de celui que ses disciples surnommaient « le prince des obscurs » conserve cependant sa part d’ombre. On n’en connaît le plus souvent que des images d’Épinal : fils de paysans pauvres, né à la fin du XVIe siècle au fin fond de l’Allemagne, cet humble cordonnier aurait coulé des jours de labeur anonymes si une révélation soudaine ne l’avait poussé à écrire des ouvrages énigmatiques lui attirant les foudres de l’Église.
La biographie que nous propose David König nous permet d’aller plus loin : elle retrace pas à pas l’existence mouvementée de Jacob Böhme et nous plonge dans l’époque étrange et terrifiante où il vécut. Elle nous fait vivre son quotidien et ses visions secrètes, apporte des informations inédites et dresse les portraits souvent étonnants de ses contemporains.
Cette biographie raconte le destin imprévisible d’un mystique, tantôt penché sur son écritoire, tantôt jeté sur les chemins d’une Europe déchirée par la guerre, en des temps où se mêlent Alchimie, Astrologie, Kabbale et Hermétisme, et où penser peut coûter la vie.
L’auteur : Philosophe et écrivain, David König a travaillé de nombreuses années sur la pensée de Jacob Böhme, à laquelle il a consacré sa thèse de doctorat, parue aux Éditions du Cerf en 2016.
Sommaire
Le pureté ; Enfance de Jacob Böhme
- Avant-propos, p. 11
- Franckenberg, premier biographe de Böhme, p. 19
- Une naissance sous le signe de l’aurore, p. 23
- Un village modeste, mais une famille aisée, p. 31
- L’église, l’école et la nature, p. 36
- Un premier miracle, Jacob refuse de ceindre la couronne de ce monde, p. 40
- Les années de formation, p. 48
- L’apprenti cordonnier et le voyageur inconnu, p. 53
La poix et la lumière
- L’installation à Görlitz, p. 61
- La vie de famille, p. 73
- L’église et son pasteur, p. 78
- L’éclat de la lumière sur un pot d’étain, p. 83
- La vie quotidienne, p. 97
- L’Aurore naissante, p. 103
- Un nouveau départ ? p. 109
- Le Pastor Primarius et le maire Scultetus, p. 115
- Orthodoxie luthérienne et justice expéditive, p. 123
- Richter versus Böhme, p. 132
- Les années de silence, p. 139
- Rencontre du troisième type Balthasar Walther, p. 147
- Kabbale juive et Kabbale chrétienne, p. 156
- 1617-1618 : L’écriture – en pointillé, p. 163
- 1618 : Le début de la Guerre de Trente Ans, p. 166
Un feu dévorant
- 1618-1619 : Renaissance à l’écriture, p. 177
- Catalogue mystique, p. 188
- Les progrès de l’écriture et les misères de la guerre, p. 200
- Le cercle s’agrandit, p. 209
- Une période sombre, p. 217
- Böhme commerçant la face cachée du théosophe, p. 222
- Des livres à l’encan, p. 229
- Le Chemin pour aller à Christ une voie semée d’embûches, p. 242
- Voyage à Dresde l’ultime recours, p. 260
- La maladie et la mort, p. 274
Postérité de Jacob Boehme
Courte bibliographie, p. 299
Table des illustrations, p. 303
Remerciements, p. 307