Le 14 octobre 1803, Louis-Claude de Saint-Martin passait à l’Orient éternel. Pour commémorer cet évènement, le 14 octobre 2003, Robert Amadou a fait célébrer une messe « à l’occasion du 202e anniversaire de son entrée dans la lumière sans déclin ».
Sommaire
Commémoration
Quelle église n’était mieux destinée à accueillir cette cérémonie que celle de Saint-Roch ! En effet, comme en atteste son journal, Saint-Martin y était venu quelques mois avant sa mort.
Un jour, à St-Roch, j’assistai au renouvellement des vœux de baptême que l’on fit faire aux enfants des deux sexes qui avaient fait leur première communion dans la quinzaine de Pâques. Cette cérémonie me causa beaucoup d’attendrissement, et me parut propre à opérer même sur les gens âgés de très salutaires impressions. En général, lorsque l’on considère l’Église dans ses fonctions, elle est belle et utile. Elle ne devrait jamais sortir de ces limites-là. Par ce moyen elle deviendrait naturellement une des voies de l’esprit. (Mon portrait, n° 1114, avril 1803.)
Cette messe d’éternelle mémoire fut concélébrée par plusieurs prêtres : le père Roland Letteron [1] Roland Letteron (1929-2006), de son vrai Jean-Pierre Nortel, aumônier des artistes de 1991 à 2006, était aussi écrivain, auteur dramatique, librettiste, acteur et metteur en scène. Prêtre atypique, il avait mis sa passion du théâtre au service de l’Évangile. Il est l’auteur d’adaptations du Journal d’un Curé de campagne de Georges Bernanos, (1995), de Léon Morin prêtre de Béatrix Beck (2004). On lui doit aussi Un habit d’homme (1985) ou Roméro ou l’offrande écarlate. Voir son autobiographie Saltimbanque de Dieu, Jean-Pierre Nortel, Presses de la Renaissance, 2005. , de l’Église catholique ; le père Robert Amadou, de l’Église syriaque, et le père Jean-François Var, de l’Église catholique orthodoxe de France. Ils étaient assistés par Laurent Morlet, diacre de l’Église catholique orthodoxe de France. Étaient également présents des représentants de plusieurs mouvements martinistes ou maçonniques, ainsi que quelques disciples du théosophe d’Amboise. Lors de cette cérémonie émouvante, le père Roland Letteron donna lecture de quelques textes de Louis-Claude de Saint-Martin. Il évoqua également le verset 17 du chapitre XXII de l’Apocalypse, où il est fait mention de l‘Homme de désir :
L’Esprit et l’Épouse disent « Viens ! » Que celui qui entende dise « Viens ! » Et que l’homme assoiffé s’approche, que l’homme de désir reçoive l’eau de la vie gratuitement.
A propos de la légende du prêtre refusé
On prétend parfois qu’à l’article de la mort, Saint-Martin aurait refusé la présence d’un prêtre. Cette opinion a été répandue par Joseph de Maistre (Soirées de Saint-Pétersbourg, XIe Entretien). Dans l’article qu’il a consacré à « La mort du Philosophe inconnu » Robert Amadou a fait le point sur cette légende sans fondement (Mercure de France, 1960, n° 1162, juin 1960). Nous reprenons ici un extrait du texte où Robert Amadou analyse ce point.
« Devant le cadavre de Saint-Martin, cependant, une question nous arrête : le Philosophe Inconnu a-t-il, oui ou non, avant de mourir, refusé de recevoir un prêtre ?
Si la question doit être posée en ces termes brutaux, c’est que Joseph de Maistre, dans le XIe Entretien des Soirées de Saint-Pétersbourg [2] Paris, Librairie grecque, latine et française, 1821, t. II, p. 335, n. 1 E. Dermenghem relève (Joseph de Maistre mystique, Paris, La Colombe, 1946, p. 45, n. 2) que la référence au Mercure de 1809 figure dans les papiers inédits de Maistre, avec d’autres références concernant S.M. Nous avons vérifié que ces autres références ne parlent pas davantage que la première d’un prêtre refuse. D’ailleurs (introd. à Joseph de Maistre, La Franc-Maçonnerie, Paris, Rieder, 1925, p. 20) Dermenghem estime qu’il est « sans doute inexact que Saint-Martin mourant ait refusé de voir un prêtre ». , y a fourni d’avance une réponse affirmative ; son témoignage est d’ailleurs le seul que nous possédions sur ce point.
Mais d’abord, ce témoignage paraît solide. « Il est mort sans avoir voulu recevoir un prêtre », écrit Maistre qui étaye cette déclaration d’une référence au Mercure « 18 mars 1809, n° 408, p. 499 et suiv. ».
Reportons-nous à l’article du Mercure (ce que les biographes de Maistre et ceux de Saint-Martin ont également négligé de faire !). C’est une recension des Œuvres posthumes où l’auteur (R. [ené] T. [ourlet]) distingue, chez Saint-Martin, « la soumission aux lois », « la résignation » et la « bienfaisance » et souligne son caractère « moral et religieux ». Puis, immédiatement après cet éloge, Tourlet conclut (p. 450) : Saint-Martin est mort « à Aulnay, près Châtillon le 22 Vendémiaire an XIII (sic) ». C’est tout. D’un prêtre refusé ou d’un prêtre reçu, nulle mention. L’erreur de Maistre est flagrante : il a brouillé ses notes et le souvenir de je ne sais quelle conversation ; la référence n’appuie en aucune façon le texte qu’elle prétend défendre, elle le contredirait plutôt. [Voir l’article du Mercure, 18 mars 1809.]
Qu’en fut-il vraiment ? Saint-Martin reçut-il, avant de mourir, l’absolution, l’extrême-onction ? Je ne le pense pas. Une difficulté matérielle semble d’abord s’y être opposée : le temps de prévenir un prêtre à Châtenay, de mener ce prêtre au chevet du mourant, Saint-Martin n’était déjà plus.
Mais surtout, un prêtre fut-il appelé ? Il me paraît également invraisemblable que Saint-Martin ait exprimé le vœu de recevoir un prêtre et qu’il ait refusé de recevoir le prêtre qui se serait présenté. On peut à la rigueur imaginer qu’à une suggestion de Mme Lenoir-Laroche, par exemple, le théosophe ait signifié, d’un geste, d’un mot, que c’était inutile (parce que le temps était trop court ? parce que les sacrements lui importaient peu ?). Mais cette hypothèse est gratuite et, en fin de compte, je crois que le problème du prêtre et des derniers sacrements n’a été posé par personne, ni par les Lenoir-Laroche, respectueux de la liberté du théosophe et candidement persuadés que l’âme sublime de Saint-Martin n’avait besoin d’aucun secours ecclésiastique, ni par Saint-Martin lui-même qui ne s’en souciait pas et partageait cette dernière conviction. Je crains bien qu’en l’occurrence le sévère Moreau n’ait eu raison : pour Saint-Martin, les textes le prouvent, « le ministère du prêtre devait être indifférent à sa mort comme à sa vie » [3] L. Moreau, Réflexions sur les idées de L. CL. de S. M. le théosophe, Paris, Lecoffre , 1850, p. 34. . De ce ministère, il avait apprécié la pompe extérieure, voire l’efficacité théurgique, mais il en condamnait l’action divertissante et il repoussait — faut-il le rappeler ? — les notions catholiques d’Église, de sacerdoce et de sacrements.
Aussi donc, je crains que le ministère « posthume » du prêtre, je veux dire le service religieux des obsèques, n’ait pas davantage importé à Saint-Martin. Le Portrait où celui-ci avoue ses pensées les plus profondes et les plus personnelles et où la mort apparait comme un thème favori, est muet sur les funérailles que le théosophe aurait pu souhaiter, mais raille, en 1803, « quelqu’un dont toute l’ambition sur la terre a été d’avoir de quoi se faire enterrer ». Sans doute l’auteur n’avait formé lui-même aucun souhait en cette matière… Il est donc très probable que Saint-Martin, ni pendant ses dernières années, ni pendant ses derniers instants, ne s’est inquiété des modalités de son enterrement. S’en fût-il inquiété, je ne pense pas qu’il eût exprimé le désir d’un enterrement civil. Cette prise de position nécessairement scandaleuse, désolante pour sa sœur et ses cousins Tournyer, n’eût pas été dans la manière de Saint-Martin et si Saint-Martin d’aventure s’est imaginé ses obsèques, sans doute les a-t-il vues religieuses, par atavisme, par tradition sociale et familiale et parce qu’après tout, les trois circumambulations du prêtre autour du cercueil chassent les esprits mauvais ! Et ses obsèques furent sans doute telles, parce que des obsèques religieuses paraissaient normales aux Lenoir-Laroche en l’absence de toute instruction particulière du théosophe. »
Robert Amadou « La mort du Philosophe Inconnu »,
Mercure de France, n° 1162, juin 1960, p. 293-295.
Ne me regardez point comme maitre
Nous terminerons cette évocation de la mort du Philosophe inconnu par la recommandation qu’il adressait à l’un de ses amis, le 20 septembre 1803, soit quelques semaines avant sa mort :
« Adieu, mon cher frère, ne me regardez point comme maitre je ne le suis point, et surtout pour vous qui êtes persuadé, et qui savez quel est le seul maitre auquel nous devons nous adresser. » [4] Lettre du 20 septembre 1802 à Saltzmann, publiée par Antoine Faivre dans Les Cahiers de Saint-Martin, janvier, 1976, p. 90.
Dominique Clairembault
3 octobre 2020.
Notes :