Karl von Eckartshausen (1752-1803) est un personnage fondamental de l’illuminisme. Il est malheureusement peu connu en France où seuls quelques-uns de ses ouvrages, comme La Nuée sur le sanctuaire ont été traduits en français. Nous reproduisons ici la présentation de l’ouvrage magistral qu’Antoine Faivre a consacrée au théosophe de Munich. Ce compte rendu a été publié par Antoine Lion dans la revue Archives de sociologie des religions, en 1972 (n°34, p. 194-195). Nous avons ajouté à ce texte la table complète des chapitres de ce livre.
Nul ne s’était risqué jusqu’ici à une étude d’ensemble d’Eckartshausen, ce personnage central des courants ésotériques de la fin du XVIIIe siècle. C’est maintenant chose faite, et admirablement faite, dans ce livre monumental. La théosophie d’alors tente la gageure de concilier la tradition chrétienne avec le courant des Lumières et en particulier sa volonté du bonheur de l’homme. Chrétienne elle l’est profondément, contrairement aux mouvements ultérieurs de même nom. Cette vision du monde est imprégnée de références évangéliques, et Eckartshausen demeura toute sa vie, non sans tension, un catholique fidèle. Mais à l’Évangile, il veut unir « la sagesse de la Nature », dans la recherche de « la clef qui procure le savoir et la puissance suprêmes » (p. 16). Une soif universelle d’exaltation des possibilités de l’homme commande ses efforts : copieuse production littéraire (110 œuvres répertoriées ici), ou « découvertes » comme celle de la « méthode pour faire toutes les inventions utiles possibles ».
Domaine remarquable de sa pensée : son ecclésiologie ou son oecuménologie, c’est tout un. S’il reconnaît et respecte « l’Eglise extérieure », il sait qu’elle ne reçoit sa majesté que « de l’intérieur ». C’est là un principe général de son système, guidant par exemple la science vers « l’intérieur de la Nature », où elle rejoint l’alchimie. En l’occurrence, cette Eglise intérieure à laquelle il s’attache est constituée par les Eveillés, fraternité invisible rassemblant à travers le monde, dans un œcuménisme méta-confessionnel, ceux qu’unit non une théologie mais une expérience de cet « intérieur de la Parole » que les mots ne savent dire. Cela ne conduit pas pour autant une gnose. Nul mépris de « l’extérieur », car le Christ a, par son incarnation, sanctifié ce qui est matériel. Il faut des formes visibles. « Le culte est un lien nécessaire toute société » (p. 848) et sans religion les trônes chancellent. Le monde est donc pas à fuir, mais il convient de ne pas mêler les divers ordres, et par exemple de refuser « der unheilige Gedanke alles Christliche zu civilisiren und alles Politische christianisiren zu wollen » (p. 884). Au temps des tourmentes révolutionnaires, la théosophie s’appuie d’ailleurs chez le petit aristocrate bavarois à une doctrine politique réactionnaire, qui le range selon A. F. parmi l’aile « droite » de l’Aufklärung, de tendance jésuite, très différente d’une gauche dominée par l’esprit janséniste (p. 521).
Parmi tant autres observations stimulantes, relevons encore ceci : « L’Église romaine tellement négligé la sophiologie que celle-ci, ne trouvant guère place dans la théologie officielle, été pratiquée en Occident surtout par les représentants de l’ésotérisme, ou bien, ce qui revient parfois au même, par les spirituels luthériens…, il est d’autant plus utile d’en étudier les manifestations chez un penseur catholique tel qu’Eckartshausen » (p. 647) [1. source : www.persee.fr/doc/assr_0003-9659_1972_num_34_1_1898_t1_0194_0000_5].
Antoine Lion
Auteur : Antoine Faivre
Editeur : Klincksieck
Publication, Paris, 1969
Nb. pages : 788 p.