Au cours de l’été 1800, Bathilde d’Orléans envoie Michel Ruffin rencontrer son ami Louis-Claude de Saint-Martin, pensant qu’il saura l’instruire bien mieux qu’elle. Le 25 mars 1803, Ruffin rapporte sa rencontre dans une lettre à la duchesse :
Extrait de : Correspondance entre Madme de B… et Mr. R…. sur leurs opinions religieuses, Barcelone, 1812.
Madame,
Si j’ai tant tardé à répondre à votre dernière lettre, c’est qu’avant j’ai voulu pouvoir vous rendre compte du résultat de mon entrevue avec Mr de Saint-Martin que j’ai vu il y a quatre jours. Il venait, m’a t-il dit, de vous écrire le matin.
J’avais jusqu’alors différé de me présenter chez lui, ne me regardant pas comme suffisamment autorisé à cela, par le simple billet que vous m’aviez adressé pour lui. J’aurais désiré une lettre cachetée et basée sur d’autres motifs, car lorsque je lui remis ce dont j’étais porteur, il me répondit froidement : Quels services puis-je vous rendre ? De quelle nature sont-ils ? Je demeurais interdit, et pour me tirer d’embarras, je fus obligé de lui faire le récit de ce qui m’avait procuré l’honneur de vous connaitre, et des sujets de notre correspondance. Alors, la conformité de nos opinions, le rapport mutuel que vous nous inspirez, les relations que chacun de nous a eu avec vous, ont établi entre nous la confiance, et j’ai pu m’expliquer librement.
Nous sommes unanimement tombé d’accord, que chaque individu était plus ou moins propre à approfondir la science mystérieuse qui conduit au salut. Que chacun encore y attachait plus ou moins d’importance, mais que généralement, il suffisait de bien remplir les devoirs sociaux pour faire sa tâche en ce monde. D’ailleurs, disions nous, il est presque impossible que dans deux âges aussi différents, où les gouts et la manière de voir et de sentir sont si opposés, on aperçoive les objets sur le même point de vue.
A vingt cinq ans, âge des plaisirs et des jouissances, la religion n’est qu’une affaire de second ordre, et ses mystères les plus énigmatiques, au moins douteux. La vie ne paraît pas pouvoir s’arrêter, et c’est à son automne qu’on s’en remet, pour une décision fixe, sur cet objet si important à soixante. C’est une chose remarquable que dans le jeune âge on soit porté, je ne dirais pas à l’athéisme, mais au pur Déisme : tout le reste semble mensonge. La cause en est-elle dans la chaleur du sang, qui circulant avec rapidité semble peu prêter au calme qu’exige la méditation ? Est-ce parce que l’homme agité par les passions de tous genre ne peut un instant reposer son imagination, qu’il est dévoré du besoin de jouir, que le moment présent est tout pour lui ? […]
Ecouter le texte :