« Il y a trois villes en France, dont l’une est mon paradis, et c’est Strasbourg. » (Mon portrait, n° 282)
Ma découverte date du 1er juin 1988. Sachant que Saint-Martin était vraisemblablement arrivé à Strasbourg le 6 juin 1788, de retour d’Italie, je m’étais fixé depuis quelques jours la tâche de découvrir une trace concrète de sa présence à Strasbourg, car les traces concrètes de ces trois années sont extrêmement rares.
Aux Archives Municipales de Strasbourg, après quelques paroles avec l’appariteur, j’appris qu’il existait un recensement de la population datant de 1789 (juste avant la Révolution). Et là dans le premier cahier de grand format de ce recensement qui me fut présenté, je tombai presque immédiatement, au grand étonnement de l’appariteur, sur ceci (400, Canton VII, rue 247, page 220).
Quai de l’Esprit – dit Rheineckel
Vis-à-vis de la douane et de la grue
n° 20
de St Martin Louis Claude
Officier retiré
Privilégié
Dans le même quartier, au 21 rue des Serruriers : Frédéric-Rodolphe Saltzmann Libraire. Il n’est pas exclu que Saltzmann ait joué un rôle dans l’installation de Saint-Martin en la ville.
Voilà, j’avais « logé » – si je puis dire – Saint-Martin à Strasbourg, ce fut ma façon de fêter le bicentenaire (juin 1788 – juin 1988) de son arrivée dans cette ville qui fut son paradis, en compagnie idéelle de son chérissime B. (Jakob Boehme) et en compagnie plus incarnée (ou pas) de sa chérissime B. (Charlotte de Böcklin), et donc au n° 20 du quai de l’Esprit (aujourd’hui quai Saint-Thomas). A proximité il y avait le pont de l’Esprit, qui enjambait un des bras de l’Ill, et c’est sur ce même quai de l’Esprit qu’on trouvait alors l’Hôtel de l’Esprit (« Zum Geist ») où passèrent Goethe, et Cagliostro, et tant d’autres, mais pas au même numéro.
Christian Lazaridès, 20 septembre 2010
Strasbourg dans Mon portrait historique et philosophique
« La ville de Strasbourg est la seconde après Bordeaux à qui j’aie des obligations inappréciables, parce que c’est là où j’ai fait connaissance avec des vérités précieuses dont Bordeaux m’avait déjà procuré les germes. Et ces vérités précieuses, c’est par l’organe de mon intime amie qu’elles me sont parvenues puisqu’elle m’a fait connaître mon cher Boehme. […] » (Mon portrait, n° 118.)
« […] C’est à Londres et à Strasbourg que j’ai écrit L’Homme de désir à l’instigation de Tieman. C’est à Paris que j’ai écrit Ecce homo d’après une notion vive que j’avais eue à Strasbourg. C’est à Strasbourg que j’ai écrit Le Nouvel homme à l’instigation du cher Silverhielm ancien aumônier du roi de Suède, et neveu de Swedenborg. […] » (Mon portrait, n° 165.)
« Il y a trois villes en France, dont l’une est mon paradis, et c’est Strasbourg. […] » (Mon portrait, n° 282.)
« Un des traits de celui qui n’a cessé de me combattre est ce qui m’arriva à Strasbourg en 1791. Il y avait trois ans que j’y voyais tous les jours mon amie intime ; nous avions eu depuis longtemps le projet de loger ensemble, sans avoir pu l’exécuter ; enfin nous l’exécutons. Mais au bout de deux mois, il fallut quitter mon paradis, pour aller soigner mon père. La bagarre de la fuite du Roi me fit retourner de Lunéville à Strasbourg où je passai encore quinze jours avec mon amie ; mais il fallut en venir à la séparation. Je me recommandais au magnifique Dieu de ma vie pour être dispensé de boire cette coupe ; mais je lus clairement que quoique ce sacrifice fût horrible, il le fallait faire. Et je le fis en versant un torrent de larmes. » (Mon portrait, n° 187.)
« Portrait historique et philosophique de M. de Saint-Martin fait par lui-même », Œuvres posthumes, de Mr de Saint-Martin, Tours, Letourmy, 1807, in-8°, vol. 1, p. 1-139. Le texte complet du Portrait a été publié par Robert Amadou, Mon portrait historique et philosophique (1789-1803), Paris, Julliard, 1961.