Les Frères et Chevaliers de saint Jean l’évangéliste d’Asie en Europe, société maçonnique qui prétendait perpétuer un ordre créé par saint Jean l’évangéliste soixante-dix ans après la naissance du Christ. ♦
Il existe peu d’ouvrages en langue française concernant les Frères et Chevaliers de saint Jean l’évangéliste d’Asie en Europe (parfois désignés plus simplement sous le nom de « Frères asiatiques »). La publication des Frères et Chevaliers de saint Jean l’évangéliste d’Asie en Europe — Franc-Maçonnerie hermétique et kabbalistique au XVIIIe siècle, par Sesheta-Publications [1] On doit à cet éditeur la traduction de nombreux textes concernant les Rose-Croix d’Or d’Ancien Système. , constitue donc un événement important. Cet ouvrage propose la traduction française de :
Die Brüder St. Johannis des Evangelisten aus Asien in Europa: oder, Die einzige wahre und ächte Freimaurerei, nebst einem Anhange die Fesslersche kritische Geschichte der Freimaurerbrüderschaft und ihre Nichtigkeit betreffend von einem hohen obern.
(C’est-à-dire Les Frères de saint Jean l’évangéliste d’Asie en Europe : ou La seule vraie et authentique franc-maçonnerie, avec un appendice sur l’histoire critique de la franc-maçonnerie de Fessler et son absurdité, par un haut dignitaire).
Publié à Berlin en 1803, Die Brüder St. Johannis des Evangelisten aus Asien in Europa présente les règles de fonctionnement, les rituels et les instructions des différents grades d’une société maçonnique qui fut l’une des premières à accueillir des juifs parmi ses membres. Elle prétendait perpétuer un ordre créé par saint Jean l’évangéliste soixante-dix ans après la naissance du Christ.
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Titre : Les Frères et Chevaliers de saint Jean l’évangéliste d’Asie en Europe — Franc-Maçonnerie hermétique et kabbalistique au XVIIIe siècle,
Éditeur : Sesheta-Publications, Nontron
Auteurs : Édité, introduit et commenté par Jennifer Marty, Lawrence Deplanche et Fred MacParthy. Traduit de l’allemand par Béatrice Descamps
Parution : 2022
Nb. pages : 293 p. (grand format 20 x 28 cm)
N° ISBN : 979-10-92176-85-8
Sommaire
Note de lecture
La traduction française de ce livre est introduite par une étude d’Anne-Jenifer Marty et Fred MacParthy, intitulée « Petite Histoire des Frères de saint Jean l’évangéliste en Europe ». Nous ne dirons ici que quelques mots sur l’histoire de cette société pour nous attarder davantage sur ses aspects doctrinaux. Ils sont en effet marqués par de nombreux emprunts au premier livre de Louis-Claude de Saint-Martin, Des Erreurs et de la Vérité (1775).
L’ordre des Frères asiatiques a été créé à Vienne vers 1781 par Hans Heinrich von Ecker und Eckhoffen (1753-1803), conseiller intime du roi de Pologne. Exclu de la Rose-Croix d’Or d’Ancien Système, Ecker und Eckhoffen se serait associé avec un moine franciscain et alchimiste, Justus (dont le véritable nom serait Bischoff). Ce dernier aurait rapporté d’Orient des manuscrits venant d’un monastère de Jérusalem. Justus aurait également été en contact avec un juif kabbaliste, Asaria. Selon Jacob Katz et Gershom Scholem [2] Gershom Scholem, Du frankisme au jacobinisme, la vie de Moses Dobruska, alias Franz Thomas von Schönfeld alias Junis Frey, « Hautes études », Paris, Gallimard – Le Seuil, 1981, p. 35. , Asaria serait en réalité le baron Franz Thomas von Schönfeld, un juif converti ayant joué un rôle central dans l’histoire des Frères de saint Jean l’évangéliste. Pour Jacob Katz, les documents rapportés par Justus constituent l’origine des doctrines théosophiques de l’Ordre, de ses rituels et de ses cérémonies [3] Jacob Katz, Jews and Freemasons in Europe, 1723-1939, Cambridge, Harvard University Press, 1970 ; trad. par Sylvie Courtine-Denamy, Juifs et francs-maçons en Europe (1723-1939), Paris, Cerf, 1995, p. 51. . Ecker und Eckhoffen associe également à ses projets un juif talmudiste, Ephraïm Joseph Hirschfeld (ca 1758-1820).
Avant de prendre le nom que nous lui connaissons, l’Ordre avait adopté celui de Fratres Lucis (Frères de la Lumière). Dans leur introduction, Anne-Jenifer Marty et Fred MacParthy proposent la traduction inédite d’un long texte concernant les grades de cette formation (p. 14-29). Précisons que ce texte ne vient pas d’un ouvrage d’Arthur Edward Waite [4] The Brotherhood of the Rosy Cross, 1921. comme cela est indiqué, mais d’un manuscrit découvert par Isabel Cooper-Oakley. Cette historienne de la Société Théosophique dit l’avoir trouvé dans la bibliothèque du comte Wieligorskey, franc-maçon polonais de Varsovie. En 1899, elle en publie une traduction anglaise dans Theosophical Review.
Les Frères et Chevaliers de saint Jean l’évangéliste d’Asie en Europe relèvent des systèmes de hauts grades maçonniques qui marquent le dernier quart du XVIIIe siècle : Rose-Croix d’Or d’Ancien Système, Stricte Observance Templière, Illuminaten, Élus coëns, Régime écossais rectifié, Illuminés d’Avignon, Philalètes… On classe généralement ces mouvements en trois groupes : les hermético-alchimistes, les mystico-spiritualistes et les rationalistes. Au XVIIIe siècle, ces courants s’affrontent pour imposer leur vision de la franc-maçonnerie [5] Sur cette question, voir Ludwig Hammermayer, « La crise de la franc-maçonnerie européenne et le convent de Wilhelmsbad (1782) », trad. Jean Mondot, Revue du Dix-huitième siècle, n° 19, 1987, p. 73-91. . Les controverses sont particulièrement virulentes dans les provinces d’Allemagne où la Stricte Observance Templière (S.O.T.), société maçonnique dominante, traverse une crise à la suite de la remise en question de sa filiation templière. De nombreux pamphlets circulent à propos des Rose-Croix d’Or d’Ancien Système, qu’on accuse, comme la maçonnerie templière, d’être à la solde des jésuites. Certains vont jusqu’à soupçonner ces derniers d’avoir créé les hauts grades templiers dans le but d’introduire le catholicisme dans les pays protestants (cryptocatholicisme). Pour mettre fin à cette situation chaotique, le duc Ferdinand de Brunswick, grand maître de la S.O.T., propose la tenue d’un convent général propre à restaurer la maçonnerie allemande sur des bases plus solides. Il s’agit du convent de Wilhelmsbad, tenu près de Hanau (Land de Hesse, sur le Main) entre le 16 juillet et le 1er septembre 1782.
Bien qu’étant en relation avec Ferdinand de Brunswick et Charles de Hesse-Cassel, les Frères asiatiques furent exclus de ce projet et ne participèrent pas au convent de Wilhelmsbad. (Charles de Hesse-Cassel sera pourtant placé à la tête du Synédrion, organe de direction des Frères de saint Jean l’évangéliste, en 1786.) À Wilhelmsbad, Jean-Baptiste Willermoz expliqua comment la S.O.T. avait été réformée en France quelques années plus tôt, par l’institution du Régime écossais rectifié (1778, convent des Gaules). Il rencontra alors quelques opposants, les uns l’accusant de vouloir introduire des doctrines archaïques, les autres voulant profiter de ce convent pour éradiquer tout mysticisme de la franc-maçonnerie afin de la placer sous l’influence, plus rationnelle, des Lumières. Le convent de Wilhelmsbad verra pourtant s’imposer les idées du Régime écossais rectifié.
À son insu, Louis-Claude de Saint-Martin sera pris en otage dans la querelle du cryptocatholicisme. En effet, avant que ne débute le convent de Wilhelmsbad, l’un de ses participants, Johann Joachim Christoph Bode, publie un pamphlet intitulé Examen impartial du livre intitulé Des erreurs et de la vérité, par un « Frère laïque en fait de sciences ». Ce livre tente de démontrer que derrière les allégories utilisées dans cet ouvrage se cachent les jésuites. Cette critique ne freinera pas pour autant le succès du premier livre de Saint-Martin, qui va d’ailleurs jouer un rôle considérable dans la symbolique des Frères asiatiques, comme nous le montrerons ici.
L’obscurité des allégories utilisées par le Philosophe inconnu dans Des Erreurs et de la Vérité pour masquer la doctrine des Élus coëns ouvrait la porte aux interprétations les plus diverses. Le livre Les Frères et Chevaliers de saint Jean l’évangéliste d’Asie en Europe est emblématique de ce type de spéculations. Cette caractéristique n’a pourtant pas été soulignée par les historiens qui se sont intéressés aux aspects doctrinaux des Frères asiatiques, qu’il s’agisse d’A. E. Waite, de Gershom Scholem, de Jacob Katz ou de René Le Forestier. Les deux premiers suggèrent que l’un des Frères asiatiques aurait rencontré Saint-Martin à Strasbourg, tout en soulignant l’impossibilité de cette entrevue. Quant à René Le Forestier, s’il note qu’on recommandait aux Frères asiatiques « la lecture approfondie du livre Des Erreurs et de la Vérité [6] René Le Forestier, La Franc-maçonnerie templière et occultiste, Paris, Aubier-Montaigne, 1970, p. 573. », il ne semble cependant pas avoir remarqué à quel point les thèmes et les idées du premier livre de Saint-Martin sont omniprésents dans les rituels et instructions des Frères asiatiques.
Il ne s’agit pas d’une influence secondaire, ou d’une caractéristique indiquant que Saint-Martin et les Frères asiatiques puiseraient à une source commune, comme le suggèrent les auteurs de la préface du livre que nous présentons. La récurrence et la spécificité des emprunts au vocabulaire et aux symboles employés par Saint-Martin le démontrent incontestablement. On retrouve en effet dans les textes des Frères asiatiques les allégories les plus caractéristiques figurant dans Des Erreurs et de la Vérité, en particulier celles qui concernent l’origine de l’humanité, avec les thèmes du « Livre de l’homme », de la « forêt des sept arbres », de « l’armure impénétrable », de la « lance aux quatre métaux ». Il en est de même pour la symbolique attachée aux nombres, à la ligne droite ou courbe, ou la référence à « la cause active et intelligente » (soulignons au passage que cette expression emblématique du vocabulaire saint-martinien est transformée de façon erronée dans le livre publié par Sesheta-Publications en « cause active et compréhensive », p. 218 et suivantes). Nous nous limiterons ici à ces quelques thèmes, car les emprunts sont trop nombreux pour être tous présentés.
Même si l’utilisation des allégories des Erreurs et de la Vérité dans la symbolique des Frères asiatiques présente une apparente cohérence, on ne peut que constater que, faute d’en détenir les clés, ils en détournent le sens au profit de leur propre doctrine. Certaines de leurs erreurs montrent qu’ils n’utilisent pas l’édition originale du livre de Saint-Martin (1775), mais sa traduction publiée en 1782 par Matthias Claudius, Irrthümer und Wahrheit, oder Rückweiss für die Menschen auf das allgemeine Principium aller Erkenntniss, dont ils reproduisent les erreurs. L’une d’elles est emblématique et concerne l’état de l’homme avant la Chute. En effet, dans l’allégorie utilisée par Saint-Martin, le premier homme (Adam) est présenté comme étant revêtu d’une « armure impénétrable ». Or, Matthias Claudius a traduit cette expression par « arme impénétrable », formule également reprise par les Frères asiatiques. Ils font d’ailleurs de cette arme une épée et lui donnent un rôle particulier dans leurs rituels. Sachant que dans l’allégorie de Saint-Martin, cette « armure impénétrable » représente le « corps glorieux », le corps immatériel que l’homme possédait avant d’être exilé dans le monde matériel, on mesure la confusion introduite par les Frères asiatiques.
Il en est de même pour un symbole spécifique utilisé par Saint-Martin dans Des Erreurs et de la Vérité, celui de la lance composée de quatre métaux [7] Des Erreurs et de la Vérité, p. 35-38. Nous citons ici, comme dans les notes suivantes, l’édition originale, Edimbourg 1775. . Le Philosophe inconnu l’emploie pour signifier que l’homme, émané à l’image et à la ressemblance de Dieu, possédait une essence quaternaire qui lui donnait la puissance du Verbe. Dans Des Erreurs et de la Vérité, il décrit la position occupée par le premier homme, revêtu de son armure impénétrable et armé de sa lance, au centre d’une forêt composée de sept arbres. En utilisant cette image, il veut parler du centre du monde céleste, qui joue un rôle particulier dans la cosmogonie martiniste, car les sept arbres sont les planètes.
Lors de l’initiation au premier degré des Frères asiatiques, il est dit à l’impétrant : « Puisse le miséricordieux te donner connaissance de tes armes, de ta lance et du chiffre 4. » (p. 193.) Ce quaternaire, qui occupe une place centrale dans la doctrine martiniste où l’homme est qualifié de « mineur quaternaire », apparaît d’une manière récurrente dans la liturgie des Frères asiatiques. Ils reprennent d’ailleurs les expressions caractéristiques de Saint-Martin, comme « l’homme s’est égaré en passant de quatre à neuf » ou « les malheurs du nombre 56 ». Les Frères asiatiques feront d’ailleurs graver ce nombre 56 sur leur épée flamboyante (p. 187).
Parmi les thèmes occupant une place centrale dans les rituels et instructions des Frères et Chevaliers d’Asie figure aussi le « Livre de l’homme ». Lors de son passage du premier degré probatoire au deuxième, l’impétrant doit « jurer de reconnaître et vénérer les dix feuilles du Livre de l’homme » (p. 107). Ce livre, composé de dix pages (ou feuilles), est l’un des thèmes majeurs du quatrième chapitre du livre Des Erreurs et de la Vérité. Il symbolise la connaissance parfaite, celle de « toutes les lumières et toutes les sciences de ce qui a été, de ce qui est et de ce qui sera » dont l’homme disposait au sortir de son émanation. Lors de sa dégradation, nous dit Saint-Martin, « le même livre lui est bien resté, mais il a été privé de la faculté de pouvoir y lire aussi facilement [8] Des Erreurs et de la Vérité, p. 253-254. ». Les rituels et instructions des Frères asiatiques reprennent des phrases entières des Erreurs et de la Vérité concernant la description du « Livre de l’homme » [9] À titre d’exemple, on comparera le texte des pages 165-167 avec celui des Erreurs et de la Vérité, p. 255-257. . Chaque degré des Frères asiatiques apporte son lot de révélations sur le sens de ces pages, car le « Livre de l’homme » est fermé par sept sceaux depuis la chute d’Adam (p. 182). Les Frères asiatiques ajoutent cependant des éléments qui leur permettent de faire le lien avec saint Jean l’évangéliste. Ils associent ce livre à celui dont il est question dans l’Apocalypse. Ainsi, la quête du sens du « Livre de l’homme » est mise en parallèle avec l’ouverture des sept sceaux du livre de l’Apocalypse, sceaux qu’ils assimilent aux sept arbres dont il est question dans Des Erreurs et de la Vérité [10] Voir notamment : « Instruction générale pour le second degré probatoire sur le Livre ouvert des sept Sceaux des dix feuilles » (p. 153-157), « Instruction sur le livre aux sept sceaux » (p. 182-184), etc. .
À la lecture de leurs textes, on a l’impression que les Frères asiatiques assimilent également le « Livre de l’homme » avec celui dont il est question dans le Zohar. Ce n’est sans doute pas sans raison que Joseph Franz Molitor aborde ce sujet dans le premier volume de sa Philosophie de l’histoire [11] Philosophie der Geschichte oder über die Tradition en 4 volumes, 1827-1853, qui représentent la somme de quarante ans d’étude sur la kabbale. Un condensé de cet ouvrage, traduit en français par Xavier Quris, a été publié en 1834 chez Prosper Dondey-Duprey à Paris. Ce livre a été republié par les Éditions de la Tarente en 2010. . Il écrit en effet :
Il est dit au sujet d’Adam (Zohar, Parchad B’reschith) qu’il avait reçu au Paradis, de l’ange Rasiel (l’ange du mystère), un livre dans lequel étaient décrits les soixante-douze classes de la Sagesse supérieure, en six cent soixante-dix chapitres, le livre des mystères, appelé par d’autres le livre de l’homme, ou livre des dix feuillets ; ceci n’est manifestement à considérer que symboliquement ; au moins le Zohar n’a certainement pas compris sous cette appellation le livre cabalistique connu maintenant sous le nom de Sepher Rasiel. Si, dans le Zohar, il est fait mention de ce livre des Mystères, il ne faut comprendre sans doute par-là que ce qui est dit dans d’autres mots, folio 227 de la nouvelle édition d’Amsterdam, au sujet de ce verset : « Ceci est le livre de la naissance de l’homme », à savoir : « Dieu avait en effet montré à Adam (en esprit) toutes les générations futures, et ceci serait le Livre de l’Homme ». La légende du livre cabalistique Rasiel fait donc partie de ces contes absurdes provenant de pseudo-cabalistes postérieurs qui ne comprenaient pas le sens supérieur des Anciens et prenaient tout trop au figuré et à la lettre [12] Philosophie der Geschichte oder über die Tradition (1827), vol. 1, §. 91, p. 64. Nous remercions Jozef Van Bellingen d’avoir accepté de nous traduire ce texte d’après l’édition allemande du livre de Molitor, dont le sens est déformé dans l’édition française de 1834. . »
Molitor avait-il fini par classer les Frères asiatiques parmi ces « pseudo-cabalistes postérieurs qui ne comprenaient pas le sens supérieur des Anciens et prenaient tout trop au figuré et à la lettre » ? Rappelons que Joseph Franz Molitor (1779-1860), professeur de philosophie à Francfort, hébraïsant, kabbaliste, était bien placé pour faire cette critique. Franc-maçon, il a lui-même été initié dans le Régime écossais rectifié où il était grand profès. Il a rencontré l’un des derniers survivants des fondateurs des Frères asiatiques, Ephraïm Joseph Hirschfeld, et a d’ailleurs rédigé d’après les souvenirs de ce dernier une notice intitulée « Histoire de l’ordre des Frères de saint Jean l’évangéliste d’Asie et d’Europe » (1828) [13] Cette notice a été publiée par Arthur Mandel dans Militant Messiah : Or, the Flight from the Ghetto : The Story of Jacob Frank the Frankist Movement, Atlantic Highlands, Humanities Press, 1979 ; Le Messie militant ou la Fuite du Ghetto, Histoire de Jacob Frank et du mouvement frankiste (traduction française de B. Dubant), Milano, Arché, 1989, p. 307-328. Gershom Scholem en a publié quelques extraits dans Du frankisme au jacobinisme…, op. cit. . Molitor était de surcroît proche de Charles de Hesse-Cassel (grand maître général de la Stricte Observance après la mort du duc de Brunswick en 1792), qui fut le protecteur des Frères asiatiques.
Selon une lettre de Christian-Daniel von Meyer (C.B.C.S. à Francfort), datée du 3 mai 1817, Hirschfeld aurait confié à Molitor que la plus grande partie de la doctrine des martinistes venait de la kabbale. Hirschfeld prétendait posséder des manuscrits montrant d’ailleurs que les connaissances des Frères asiatiques et de Martinès de Pasqually — le premier maître de Saint-Martin — puisaient à la même source. Il affirmait avoir convaincu le Philosophe inconnu de ce fait lorsqu’il le rencontra à Strasbourg en 1790/1791. De telles allégations relèvent de l’imaginaire, car la doctrine de Martinès de Pasqually n’a pas grand-chose de commun avec la kabbale, tradition qui n’occupe aucune place dans les théories du fondateur de l’ordre des Élus coëns. De même, il n’existe aucun élément permettant d’accréditer la rencontre de Hirschfeld avec Saint-Martin. Molitor était mal placé pour juger de la véracité des affirmations de Hirschfeld, car il connaissait encore assez mal la doctrine de Martinès de Pasqually. Plus tard, en 1829, il tentera d’ailleurs de se procurer le Traité sur la réintégration des êtres, ainsi qu’on peut le remarquer dans sa correspondance avec Antoine Pont, après la mort de Jean-Baptiste Willermoz (1730-1824). Quelques années auparavant, en juillet 1825, Chrétien de Hesse-Darmstadt lui avait remis les cahiers des Frères asiatiques.
Si les emprunts au vocabulaire et aux allégories du premier livre de Saint-Martin occupent une place fondamentale dans la symbolique des Frères asiatiques, il ne faudrait pas pour autant réduire ce mouvement à une sorte de pseudo-martinisme. Leurs textes sont également marqués par d’autres influences. On y observe un mélange hétéroclite de doctrines maçonniques, théosophiques, kabbalistiques et alchimiques. La kabbale y occupe une place qui n’est pas négligeable, comme Gershom Scholem l’a démontré. Nous n’ajouterons rien sur l’héritage de saint Jean revendiqué par les Frères asiatiques, bien que ce thème devienne le centre d’intérêt des expériences théurgiques de Charles de Hesse-Cassel au début des années 1790. Ayant choisi de souligner la présence de Saint-Martin dans la symbolique des Frères asiatiques, nous n’aborderons donc pas ces aspects qui allongeraient cette note de lecture déjà trop longue.
Au final, nous encourageons nos lecteurs à se procurer le livre Les Frères et Chevaliers de saint Jean l’évangéliste d’Asie en Europe — Franc-Maçonnerie hermétique et kabbalistique au XVIIIe siècle publié par Sesheta-Publications. Il apporte en effet une contribution majeure à la connaissance d’un mouvement qui joua un rôle important dans l’histoire de l’illuminisme. On regrettera cependant l’absence d’une gravure qui devrait figurer à la page 101, comme le précise l’« Avertissement » dans l’édition originale. Nous la reproduisons ci-dessous. De même, l’éditeur n’a pas inséré la traduction de l’« Annexe sur la nullité de la réforme de Fessler » figurant à la fin de l’édition de 1803 (p. 367 à 382). Ignace Aurélien Fessler, théologien, orientaliste et franc-maçon, avait proposé de supprimer les hauts grades de la franc-maçonnerie (position partagée par Fitche), réforme jugée inacceptable par les Frères asiatiques dont les hauts grades étaient censés révéler « la seule vraie et authentique franc-maçonnerie ».
Sommaire
PETITE HISTOIRE DES FRÈRES ET CHEVALIERS DE SAINT JEAN L’ÉVANGÉLISTE D’ASIE EN EUROPE (Anne-Jenifer Marty et Fred MacParthy)
- Le terreau des Frères Asiatiques, p. 7
- Les Rose-Croix d’Or d’Ancien Système, p. 8
- Les Frères von Ecker und Eckhoffen, p. 9
- Les Frères de la Lumière, p. 13
- Fratres Lucis ou Chevaliers et Frères de la Lumière, réglements, p. 14
- Les élections, p. 16
- Les grades des Fratres Lucis. Premier grade, p. 19
- Second grade, p. 25
- Troisième grade, p. 26
- Quatrième grade, p. 27
- Cinquième grade, p. 28
- Des Frères de la Lumière aux Frères Asiatiques, p. 29
- Le Frère Justus & Asaria, p. 30
- Ephraïm Joseph Hirschfeld, p. 31
- Moses Dobruška alias Baron Thomas von Schœnfeld, p. 33
- L’Influence de Jacob Frank & du frankisme, p. 35
- Les Frères Asiatiques & le Convent de Wilhelmsbad, p. 38
- Les Frères Asiatiques dans la tourmente, p. 39
- Du silence des Frères Asiatiques, p. 42
- L’influence des Frères Asiatiques, p. 43
* * *
LES FRÈRES DE SAINT JEAN L’ÉVANGÉLISTE D’ASIE EN EUROPE, OU LA SEULE ET UNIQUE VRAIE FRANC-MAÇONNERIE
- Préface du compilateur, Fratera Scrutato, p. 51
DES RÈGLES GÉNÉRALES DU SAGE ET VÉNÉRABLE ORDRE DES FRÈRES ET CHEVALIERS DE SAINT JEAN L’ÉVANGÉLISTE D’ASIE EN EUROPE
- Des Sept Vénérables Pères et Frères, supérieurs des sept Églises inconnues en Asie, et des règles générales à respecter lors des assemblées du Synédrion, p. 57
- Quel type de personne peut être admise dans l’Ordre, p. 59
- Quel type de personne ne pourra jamais entrer dans l’Ordre, p. 59
- Qui peut entrer dans l’ordre sous certaines conditions, p. 60
- De ce qui est formellement interdit dans l’ordre, et comment sanctionner un transgresseur, p. 60
- Au sujet de la structure complète du système, p. 61
- De la manière dont les postes doivent être occupés au sein de l’Ordre, p. 66
- Des Députés, p. 68
- De la manière de traiter les affaires de l’Ordre, p. 68
- De ce qui est à payer au sein de l’ordre, p. 69
- Des vêtements de l’ordre, p. 71
- Concernant le reste de l’organisation de l’ordre, p. 73
- De la manière dont les autres affaires de l’Ordre doivent être tenues, p. 76
- Des observations restantes concernant l’Ordre, p. 79
- Concernant les membres de l’Ordre, p. 80
- Des titularisations au sein de l’Ordre, p. 80
- Des exceptions au sein de l’Ordre, p. 82
DES LOIS DU SYNÉDRION DU SAGE ET VÉNÉRABLE ORDRE DES FRÈRES ET CHEVALIERS DE SAINT JEAN L’ÉVANGÉLISTE D’ASIE EN EUROPE.
- Avenants au règlement, p. 91
- Premier devoir. Au regard de Dieu et de la religion, p. 95
AU SUJET DU PASSAGE DU PREMIER AU DEUXIÈME DEGRÉ PROBATOIRE PREMIER CHAPITRE DU PREMIER DEGRÉ PROBATOIRE
Première partie
- De l’initiation d’un franc-maçon chevalier et maître au premier degré probatoire des Récipiendaires de l’Ordre des Chevaliers et Frères de saint Jean l’évangéliste d’Asie en Europe, p. 99
Seconde partie
SECOND DEGRÉ PROBATOIRE, p. 111
- De l’admission d’un frère du premier degré probatoire au second degré probatoire des affligés chevaliers et Frères saint Jean l’Évangéliste d’Asie, p. 113
- Explications du premier degré probatoire, p. 117
- Explications du second degré probatoire, p. 125
- Au sujet des sept couleurs, p. 127
- Au sujet des sept planètes, p. 127
- Au sujet des sept notes, p. 128
- Au sujet des sept métaux, p. 130
- Au sujet du fœtus, p. 130
DE LA THÉORIE GÉNÉRALE DE LA NATURE, ET DE L’EXPLICATION COMPLÈTE DE L’HEXAGRAMME, p. 132
- Du ciel ou feu en tant que premier élément naturel, p. 135
- De l’eau en tant que second élément, p. 137
- À propos de la terre et de l’air philosophiques, p. 138
INSTRUCTION DU SECOND DEGRÉ PROBATOIRE, p. 141
THÉORIE SUR LE LANGAGE DE LA NATURE, TELLE QU’ELLE EST ENSEIGNÉE AU SECOND DEGRÉ PROBATOIRE, p. 147
INSTRUCTION GÉNÉRALE POUR LE SECOND DEGRÉ PROBATOIRE SUR LE LIVRE OUVERT DES SEPT SCEAUX DE DIX FEUILLES, p. 153
LES SIGNATURES GÉNÉRALES DES SAGES ASIATIQUES SUR LE LIVRE DE 1O PAGES ET SUR LE CHIFFRE 56, p. 158
AU SUJET DES SEPT CHAPITRES, p. 159
INSTRUCTIONS SUR LES SEPT CHAPITRES ET EN PARTICULIER SUR LES DEUX PREMIERS CHAPITRES, p. 171
CÉRÉMONIE DE LA TABLE DES DEUX FÊTES, QUI SONT CELLES DU NOUVEL AN ET DE JEAN L’ÉVANGÉLISTE, DU VÉNÉRABLE ORDRE DES CHEVALIERS ET FRÈRES SAINT JEAN L’ÉVANGÉLISTE D’ASIE, p. 178
OUVERTURE ET FERMETURE DU CHAPITRE D’INITIATION, p. 181
INSTRUCTIONS SUR LE LIVRE AUX SEPT SCEAUX, p. 182
Troisième partie
LE PREMIER DEGRÉ PRINCIPAL DU VÉNÉRABLE ET SAGE ORDRE DES CHEVALIERS ET FRÈRES DE SAINT JEAN L’ÉVANGÉLISTE D’ASIE EN EUROPE, p. 185
- Premier chapitre. De l’arrangement de la pièce d’initiation, et des Instructions au sujet de cette initiation, p. 187.
- Ouverture du chapitre d’initiation, p. 192.
- Fermeture du chapitre.
SECOND ET TROISIÈME DEGRÉS PRINCIPAUX DU VÉNÉRABLE ET SAGE ORDRE DES CHEVALIERS ET FRÈRES DE SAINT JEAN L’ÉVANGÉLISTE D’ASIE EN EUROPE, AINSI QUE LA CONCLUSION ET LA DERNIÈRE PARTIE CONCERNANT L’ORDRE, p. 201
- Première partie : De l’arrangement de la pièce d’instruction, p. 201
- Deuxième partie : Première instruction, p. 202
- Troisième partie : De l’explication de leur Initiation en tant que Franc-Maçon, Chevalier, Apprenti et Frère, p. 214
- Quatrième partie : Instructions des Francs-Maçons, Chevaliers et Apprentis, au sujet du Tapis et des Attributs que vous avez en partie vus ou reçus, ou bien au sujet desquels vous avez été instruit(s), p. 218.
- Cinquième partie, p. 221.
- Sixième partie, p. 228
- Septième partie, p. 230
- Huitième partie, p. 232
- Neuvième partie, p. 236
- Dixième partie, p. 238
- Onzième partie, p. 243
- Douzième partie, p. 246
- Treizième partie, p. 264
- Quatorzième partie, p. 265
- Quinzième partie, p. 265
- Seizième partie, p. 270
- Dix-septième partie : Des fondements généraux de la kabbale, p. 280
Bibliographie, p. 285
Ouvrages des protagonistes de l’Ordre, p. 287
Table des matières, p. 289
Notes :