A propos de l’une des prophétesses de la Révolution
Présentation de l’éditeur
Le destin de la « Mère de Dieu », est à la fois étonnant et cocasse. Née le 5 mars 1716 à Barenton en Normandie, Catherine Théot prétendit dès son adolescence être la « Mère de Dieu ». À Paris, elle est vite remarquée par ses prédications, notamment la chute de la Bastille….
Réputée folle, elle est incarcérée à la Bastille en 1779, puis à la Salpêtrière. Elle sera libérée en 1788, guérie ! À sa sortie, Catherine Théot découvre un Paris où fourmillent des illuminés, des gourous, des prophètes. Elle va créer deux petites chapelles, dont les rites initiatiques s’inspirent de ceux de la franc-maçonnerie.
Aux premières heures de la Révolution, Catherine Théot noue des relations avec des personnages influents. Le directeur du comité de Sûreté générale, Guillaume Vadier, manœuvre en coulisse pour renverser Robespierre. Il implique la « Mère de Dieu » dans un complot qui aboutira au 9 Thermidor et à la fin de Terreur. C’est ainsi que la « Mère de Dieu » entrera dans l’histoire.
Titre : La Mère de Dieu dans la tourmente révolutionnaire
Auteur : Alain Landurant
Éditeur : Edition Glyple
Lieu : Paris
Date de publication : 2019
ISBN : 978-2-35285-110-3
Nb page : 197 p.
Note de lecture
L’auteur aborde ici un épisode particulier de l’histoire de la Révolution, celui où une prophétesse exaltée, Catherine Théot (Barenton 1716, Paris 1794), a été instrumentalisée dans un conflit opposant les partisans de l’athéisme et du déisme. Cet antagonisme avait atteint son paroxysme avec la tentative de déchristianisation qui marqua la fin de l’année 1793, suivie par l’instauration du culte de la raison. Ce culte éphémère fut détrôné par celui de l’Être Suprême au printemps de l’année suivante. Si « l’affaire Catherine Théot » est passée à la postérité, c’est surtout parce qu’elle a indirectement contribué à la chute de Robespierre, événement qui marque un tournant important de la Révolution avec le 9 Thermidor.
Pour aborder ce thème, Alain Landurant reprend des éléments déjà présentés dans les études célèbres d’Albert Mathiez (1909) de G. Lenôtre (1926), de Michel Eudes (1969) ou Michel Vovelle (1976). Comme ces derniers, il utilise les nombreux documents conservés aux Archives nationales (papier de Chaumette, Hastain…). Hélas à l’inverse de ses prédécesseurs, les nombreuses citations empruntées à ces documents ne sont référencées par aucune note. Certes, ces documents sont allégués dans la bibliographie placée à la fin de l’ouvrage, mais cette absence donne un aspect amateur à cette étude.
Dès le début de son livre, l’auteur s’efforce de placer Catherine Théot dans la crise religieuse et dans l’illuminisme du XVIIIe siècle. Ces aspects ne sont pas suffisamment approfondis, notamment celui de la répression du jansénisme qui a contribué à exalter le ressenti apocalyptique engendré par les bouleversements apportés par la Révolution. Cette situation a favorisé l’apparition de celles qu’on désigne comme les « prophétesses de la Révolution », dont les plus connues sont Melle Brohon, Suzette Labrousse ou Catherine Théot. Cette dernière relève davantage de ce contexte, et plus spécialement à celui du figurisme post-janséniste. Catherine Théot considère en effet que les Évangiles ne sont que l’annonce, la figure, de la naissance de l’enfant Dieu, le Sauveur dont elle prétend être enceinte. Celle qui se présente elle-même comme « la Mère de Dieu » a alors 78 ans ! Nous sommes ici dans un figurisme poussé à l’extrême.
Pour ce qui est de l’illuminisme auquel Alain Landurant veut associer la prophétesse, on remarque que l’auteur de ce livre en propose un portrait caricatural. Il l’assimile à un vague ésotérisme ou occultisme auquel il associe « les gurus et faux prophètes qui pullulaient » au XVIIIe siècle. On observera qu’il semble ignorer des études aussi classiques que celle de Clarke Garrett Respectable Folly, Millenarians and French Revolution in France and England (1975), ou celle de Robert Darnton, Mesmerism and the End of the Enlightenment in France (La fin des Lumières – Le mesmérisme et la Révolution, 1976 et 1984 pour la traduction française) ouvrages qui ont pourtant contribués à regarder le contexte révolutionnaire sous un angle plus large. Des études novatrices comme celle que Ramon Solans Francisco Javier a consacrée à Catherine Théot (« Être immortel à Paris, Violence et prophétie durant la Révolution française », Annales HESS, avril-juin 2016), où celles de Catherine Maire sur le gallicanisme, le jansénisme et le figurisme, qui sont venues enrichir ces investigations, sont également ignorées par le livre sur La Mère de Dieu.
La bibliographie qu’Alain Landurant présente au sujet de l’ésotérisme, qui se limite à la franc-maçonnerie, est significative de la faiblesse de ses investigations dans ce domaine. Il attribue d’ailleurs à René Le Forestier le célèbre ouvrage de Gérard van Rijnberk sur Martinès de Pasqually. De même, il ne semble pas savoir que loin d’être exhaustives, les études de Le Forestier sur les élus coëns ont été grandement enrichies par celles de Michelle Nahon, de Serge Caillet, d’André Kervella. Pour ce qui est du cercle de Catherine Théot, l’étude que Jacques Tuchendler a consacrée à Joseph Louis Louvain de Pescheloche, l’un des personnages clés de ce groupe mériterait aussi d’être prise en considération (Renaissance Traditionnelle, n° 190-191, 2018).
Nous ne nous attarderons pas ici sur les passages que le livre consacre à Louis-Claude de Saint-Martin, ou au cercle de la duchesse de Bourbon, tant ils sont simplistes. Rappelons cependant que Bathilde d’Orléans n’a guère fréquenté Catherine Théot. Dom Gerle ne lui présente cette nouvelle prophétesse qu’après le départ et l’emprisonnement de Suzette Labrousse à Rome en septembre 1792, événement qui ne précède que de quelques mois l’emprisonnement de la princesse à Marseille le 6 avril 1793. Le biographe de La Mère du duc d’Enghien, le comte Ducos ne consacre d’ailleurs que quelques lignes à Catherine Théot. Louis-Claude de Saint-Martin lui-même ne fit que croiser la prophétesse et ne partageait pas ses idées. « J’ai eu, dit-il, l’occasion de voir à Petit-Bourg une vieille fille nommée C… qui m’intéressait par ses vertus, et par la forte attraction qu’il y avait sans son esprit, mais qui ne me persuadait nullement par sa doctrine sur sa mission, sur le nouvel évangile, sur le règne non commencé, sur la nullité du passé, sur la non-mortalité, etc. toutes choses que ses disciples adoptaient avec le plus grand enthousiasme. » (Mon portrait, n° 426).
Les lacunes que nous venons de souligner sont d’autant plus regrettables qu’en dehors de ces points, le livre d’Alain Landurant restitue assez bien le contexte politique et philosophique si complexe de la tourmente révolutionnaire. Il s’agit de l’une des périodes les plus tragiques de la Révolution, où la question de la relation de l’homme au Divin est remise en cause en bouleversant les fondements même de l’organisation de la société. Pour être utile, la lecture de cette étude doit être complétée par les approches différentes dont les plus intéressantes sont celles de Ramon Solans Francisco Javier et de Jacques Tuchendler. Elle le sera aussi par la lecture des études récentes consacrées à la Révolution comme, Anatomie de la Terreur – Le processus révolutionnaire 1787-1793, de Timothy Tackett.
D. Clairembault 10/06/2020
Sommaire
- Avertissement, p. 11
- Avant-propos, p. 13
- La crise religieuse et l’illuminisme au XVIIIe siècle, p. 17
- Liturgie et religion révolutionnaire, p. 31
- « Je me suis donnée à Dieu », Catherine Théot, p. 45
- Catherine Théot au cœur de la laïcisation, p. 59
- La petite église de la Contrescarpe, p. 77
- Robespierre combat la déchristianisation, p. 93
- Vadier ordonne l’arrestation de Catherine Théot, p. 115
- Robespierre instaure le culte de l’Être suprême, p. 131
- La fête de l’Être suprême, p. 145
- Le triomphe des fripons, p. 159
- Épilogue, p. 177
- Annexe, p. 181
- Extraits de la liturgie révolutionnaire, p. 181
- Sources manuscrites, p. 187
- Sources bibliographiques, p. 191